CJCE, 16 juillet 1992, n° C-344/90
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes, Royaume d'Espagne
Défendeur :
République française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Due
Présidents de chambre :
MM. Joliet, Schockweiler, Grévisse, Kapteyn
Avocat général :
M. Gulmann
Juges :
MM. Mancini, Kakouris, Moitinho de Almeida, Rodríguez Iglesias, Díez de Velasco, Zuleeg
Avocat :
Me de Lapuerta
LA COUR,
1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 novembre 1990, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CEE, un recours visant à faire constater qu'en interdisant l'importation de fromages auxquels du nitrate a été ajouté dans les limites admises par les milieux scientifiques internationaux (50 mg par kilogramme de fromage), alors que ces produits ont été légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres États membres, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CEE.
2 Dans certains États membres, le nitrate est ajouté à divers types de fromages lors de leur élaboration, de façon à éliminer certaines bactéries qui les font gonfler de manière anormale.
3 Les décrets français du 15 avril 1912, portant réglementation d'administration publique pour l'application de la loi du 1er août 1905 (Journal officiel de la République française du 29 juin 1912, p. 5710), et du 18 septembre 1989, relatif aux additifs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine (Journal officiel de la République française du 19 septembre 1989, p. 11811), prévoient que nul ne peut utiliser des additifs chimiques de quelque nature que ce soit dans l'élaboration des denrées alimentaires ou mettre en consommation des denrées qui contiendraient de tels additifs sans une autorisation accordée par arrêté ministériel. Or, aucun des arrêtés pris en application de cette loi n'a autorisé l'usage du nitrate dans la fabrication des fromages. Il en résulte que ni l'emploi de cette substance lors de l'élaboration de ces produits ni la commercialisation de fromages contenant du nitrate ne sont autorisés en France.
4 En droit communautaire, le nitrate est mentionné sous le point 2 dans la liste des additifs qui est annexée à la directive 64-54-CEE du Conseil, du 5 novembre 1963, relative au rapprochement des législations des États membres concernant les agents conservateurs pouvant être employés dans les denrées destinées à l'alimentation humaine (JO 1964, 12, p. 161, ci-après "directive"), telle qu'elle a été modifiée par la directive 67-427-CEE du Conseil, du 27 juin 1967, relative à l'emploi de certains agents conservateurs pour le traitement en surface des agrumes ainsi qu'aux mesures de contrôle pour la recherche et le dosage des agents conservateurs dans et sur les agrumes (JO 1967, 148, p. 1).
5 L'inscription du nitrate sur la liste en question signifie que cette substance est l'un des additifs dont l'emploi dans les denrées alimentaires peut être autorisé par les États membres et qu'il appartient à ces derniers de déterminer les conditions dans lesquelles elle peut être utilisée.
6 Pour un plus ample exposé de la directive, de la réglementation nationale, du déroulement de la procédure ainsi que des moyens et arguments des parties, il est renvoyé au rapport d'audience. Ces éléments ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.
7 Dans le cadre du présent recours, la Commission reproche à la République française d'interdire l'importation de fromages en provenance d'autres États membres au motif qu'ils contiennent du nitrate. Selon elle, en effet, l'importation de denrées alimentaires fabriquées dans un autre État membre et qui contiennent un additif inscrit sur la liste communautaire doit être autorisée dès lors que cet additif ne présente aucun danger pour la santé publique et répond à un besoin réel, notamment d'ordre technologique. Or, il ressortirait des résultats de la recherche internationale que le nitrate est conforme à ces exigences.
8 Pour statuer sur ce recours, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour (voir arrêts du 10 décembre 1985, Motte, point 25, 247-84, Rec. p. 3887; du 6 mai 1986, Muller, point 26, 304-84, Rec. p. 1511, et du 13 décembre 1990, Bellon, points 16 et 17, C-42-90, Rec. p. I-4863), une réglementation soumettant à autorisation l'usage d'un additif est conforme au droit communautaire si deux conditions sont remplies.
9 Tout d'abord, cette réglementation doit être assortie d'une procédure permettant aux opérateurs économiques d'obtenir l'inscription de cet additif sur la liste nationale des additifs autorisés. Cette procédure doit être aisément accessible, doit pouvoir être menée à terme dans des délais raisonnables et, si elle débouche sur un refus, ce refus doit pouvoir faire l'objet d'un recours juridictionnel.
10 Ensuite, une demande visant à obtenir l'inscription d'un additif sur la liste en question ne peut être rejetée par les autorités administratives compétentes que si cet additif ne répond à aucun besoin réel, notamment d'ordre technologique, ou s'il présente un danger pour la santé publique.
11 Pour ce qui est du besoin technologique, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir arrêt du 12 mars 1987, Commission/Allemagne, dit "loi de pureté de la bière", point 52, 178-84, Rec. p. 1227), le besoin d'utiliser un additif doit être évalué en tenant compte des résultats de la recherche scientifique internationale et de l'appréciation qui en a été faite par les autorités des autres États membres.
12 Il convient de préciser encore qu'il ne suffit pas, en vue de démontrer qu'un additif ne répond pas à un besoin réel, d'invoquer le fait qu'un produit pourrait être fabriqué à l'aide d'une autre substance. Pareille interprétation de la notion de besoin technologique pourrait en effet aboutir à privilégier les méthodes de production nationales, ce qui constituerait un moyen déguisé de restreindre le commerce entre les États membres (voir arrêts "loi de pureté de la bière", précité, point 51, et du 4 juin 1992, Debus, point 28, C-13-91 et C-113-91, Rec. p. I-0000).
13 En ce qui concerne la sauvegarde de la santé publique, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (voir notamment les arrêts du 6 mai 1986, Muller, point 26, et du 13 décembre 1990, Bellon, point 17, précités), l'existence d'un risque pour la santé découlant de l'usage d'un additif doit être appréciée en tenant compte notamment des résultats de la recherche scientifique internationale, en particulier des travaux du comité scientifique de l'alimentation humaine, et des habitudes alimentaires de l'État membre concerné.
14 Des arrêts précités, il résulte que, dans un cas comme celui de l'espèce, un État membre ne peut être considéré comme ayant manqué aux obligations qui lui incombent, dans le domaine des additifs, en vertu des articles 30 et 36 du traité, que s'il n'a pas mis en place une procédure conforme aux exigences rappelées au point 9 ci-avant ou si ses autorités ont rejeté de façon injustifiée une demande visant à obtenir l'inscription d'une substance sur la liste des additifs autorisés.
15 C' est à juste titre que le Gouvernement français a souligné que, dans les arrêts du 10 décembre 1985, Motte, du 6 mai 1986, Muller, et du 13 décembre 1990, Bellon, précités, dans lesquels était en cause une interdiction d'importation d'un aliment produit et commercialisé dans un autre État membre, motif pris de ce qu'il contenait un additif déterminé, la Cour n'a pas considéré l'interdiction critiquée comme incompatible avec le droit communautaire, mais elle a simplement rappelé les exigences auxquelles doit répondre un système d'interdiction sous réserve d'autorisation.
16 En l'espèce, il y a lieu de relever que les décrets français, précités, ont institué en matière d'additifs un système d'interdiction sous réserve d'autorisation, qui s'applique également aux additifs ajoutés à des denrées alimentaires provenant d'États membres, où elles sont fabriquées et commercialisées de façon licite.
17 La Commission n'a fait valoir ni que la procédure instaurée par ces décrets était contraire au droit communautaire ni que, préalablement à l'introduction du présent recours, les autorités françaises avaient rejeté une demande d'un ou plusieurs opérateurs économiques visant à obtenir l'inscription du nitrate sur la liste des additifs autorisés.
18 Dans ces conditions, le recours de la Commission doit être rejeté.
Sur les dépens
19 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens. La Commission ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. Conformément à l'article 69, paragraphe 4, du règlement de procédure, le Royaume d'Espagne, partie intervenante, supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LA COUR
Déclare et arrête:
1) Le recours de la Commission est rejeté.
2) La Commission est condamnée aux dépens.
3) Le Royaume d'Espagne, partie intervenante, supportera ses propres dépens.