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Décisions

CJCE, 5e ch., 14 septembre 1995, n° C-485/93

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Maria Simitzi

Défendeur :

Dimos Kos

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Juges :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Puissochet, Sevón

Avocat général :

M. Tesauro

Avocats :

Mes Kyriakopoulos, Finokaliotis, Nikopoulos

CJCE n° C-485/93

14 septembre 1995

LA COUR (cinquième chambre),

1 Par deux décisions du 25 octobre 1993, déposées au greffe de la Cour le 24 décembre 1993, le Monomeles Dioikitiko Protodikeio Rodou et le Trimeles Dioikitiko Protodikeio Rodou (Grèce) ont posé, en application de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles sur l'interprétation du traité CEE, notamment de ses articles 9, 12, 13, 16 et 95, et sur l'interprétation de l'article 33 de la sixième directive 77-388-CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ° Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux recours tendant à l'annulation ou à la modification d'une décision inscrivant Mme Maria Simitzi au rôle de l'impôt pour des taxes communales à l'importation et lui infligeant des amendes pour inexécution de ses obligations.

3 Le Dodécanèse, groupe d'îles situé à l'extrémité sud-est de la mer Égée, a été placé jusqu'en 1946 sous administration italienne. Les décrets locaux n° 187-1938 et 132-1939 de l'administration italienne avaient prévu l'imposition d'une taxe (dazio di consumo) sur les biens de consommation importés et exportés dans le Dodécanèse et avaient autorisé les communes du Dodécanèse à les percevoir.

4 Après l'intégration du Dodécanèse à la Grèce, cette taxe communale a été maintenue en vigueur par une série de dispositions législatives helléniques.

5 À l'époque des faits litigieux, la taxe communale à l'importation était fixée à 4 % de la valeur des produits importés. La taxe communale à l'exportation était fixée, à l'exception de Rhodes, à 1 % de la valeur des marchandises exportées.

6 Mme Simitzi a importé des marchandises dans l'île de Kos entre le 8 novembre et le 23 décembre 1991 et entre le 2 janvier et le 26 février 1992. Sur la base de la législation nationale, le maire de Kos a adopté une décision en vertu de laquelle Mme Simitzi a été inscrite au rôle de l'impôt de la commune pour des taxes communales à l'importation calculées sur la valeur des marchandises importées pendant ces périodes. En vertu de la même décision, la demanderesse a également été inscrite au rôle de l'impôt au titre d'amendes pour inexécution des obligations prescrites par les dispositions nationales.

7 Elle a introduit deux recours visant à l'annulation ou à la modification de cette décision, respectivement devant le Monomeles Dioikitiko Protodikeio Rodou, le 14 juillet 1992, et devant le Trimeles Dioikitiko Protodikeio Rodou, le 24 juin 1992.

8 Ces deux juridictions ont estimé qu'il était nécessaire de surseoir à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice se soit prononcée sur les questions préjudicielles suivantes:

"1) La taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises importées d'un autre État membre en raison de leur entrée dans une région du territoire du premier État membre constitue-t-elle une taxe d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation, bien qu'elle frappe également les marchandises qui sont introduites dans cette région en provenance d'une autre partie du territoire de ce même État?

2) La taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises exportées dans un autre État membre en raison de leur sortie d'une région du territoire du premier État membre constitue-t-elle une taxe d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation, bien qu'elle frappe également les marchandises qui quittent cette région à destination d'une autre partie du territoire de ce même État?

3) Les dispositions légales en vertu desquelles les deux taxes ad valorem susvisées continuent d'être perçues sont-elles compatibles avec le droit communautaire?

4) En cas de réponse négative à la question précédente et eu égard au fait que le territoire auquel le droit communautaire s'applique comprend également le domaine souverain de l'État membre, dans les limites d'une partie duquel sont perçues les taxes ad valorem précitées et pour lequel les traités communautaires d'adhésion n'ont pas prévu de dispositions particulières, le droit communautaire autorise-t-il une réglementation qui impose une taxe sur les marchandises introduites dans la partie en question en provenance spécialement et uniquement d'autres régions de ce même État, et autorise-t-il par ailleurs une réglementation qui impose une taxe sur les marchandises qui sont expédiées de cette partie spécialement et uniquement vers d'autres régions de ce même État, ou cette taxe spéciale constitue-t-elle un traitement défavorable à l'égard des marchandises qui proviennent des régions précitées ou leur sont destinées par rapport aux marchandises qui proviennent d'autres États membres ou leur sont destinées, relativement à la partie de l'État membre visée, entravant ainsi la libre circulation des marchandises à l'intérieur de l'espace européen unique?

5) Dans l'hypothèse où la Cour estimerait que les taxes ad valorem précitées constituent une imposition intérieure, s'agit-il de taxes économiques ayant le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires et leur cumul avec la taxe sur la valeur ajoutée est-il interdit conformément à l'article 33 de la directive 77-388-CEE du Conseil?"

9 Par ordonnance du 30 janvier 1995, prise en application de l'article 43 du règlement de procédure de la Cour, les deux affaires ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l'arrêt.

Sur la première question

10 Par leur première question, les juridictions de renvoi interrogent la Cour sur la notion de taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation.

11 Dans l'arrêt du 16 juillet 1992, Legros e.a. (C-163-90, Rec. p. I-4625), la Cour a dit pour droit qu'une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens perçue par un État membre sur les marchandises importées d'un autre État membre en raison de leur introduction dans une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, en dépit du fait que la taxe frappe également les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État.

12 Toutefois, la République hellénique fait valoir que la taxe en cause dans les affaires au principal doit être distinguée de celle qui a fait l'objet de l'affaire Legros e.a., précitée. Dans cette dernière, l'octroi de mer frappait uniquement les produits importés et avait pour objectif de limiter les importations afin d'encourager la production locale. En revanche, dans les litiges au principal, la taxe communale frappe non seulement les importations mais aussi les exportations à partir du Dodécanèse, y compris celles de produits locaux. Cette différenciation montrerait que le but de l'imposition de la taxe communale était uniquement d'assurer des ressources aux administrations locales. En conséquence, cette taxe ne constituerait pas une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation ou à l'exportation.

13 Cet argument ne saurait être retenu.

14 En premier lieu, selon une jurisprudence constante, il résulte du système d'union douanière prévu par le traité, et en particulier par ses articles 9, 12, 13 et 16, et du caractère général et absolu de l'interdiction de tout droit de douane applicable aux marchandises circulant entre les États membres que les droits de douane sont interdits indépendamment de toute considération du but en vue duquel ils ont été institués ainsi que de la destination des recettes qu'ils procurent (voir arrêt du 1er juillet 1969, Commission/Italie, 24-68, Rec. p. 193, point 7).

15 En second lieu, une charge pécuniaire unilatéralement imposée, frappant les marchandises nationales ou étrangères en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 9, 12, 13 et 16 du traité, alors même qu'elle ne serait pas perçue au profit de l'État et qu'elle n'exercerait aucun effet discriminatoire ou protecteur (même arrêt, point 9).

16 Enfin, il est indifférent, pour sa qualification au regard du traité, qu'une taxe s'analyse en une imposition globale ou en deux impositions distinctes, constituant d'une part un droit à l'exportation et d'autre part un droit à l'importation. En frappant de façon générale tous les passages à la frontière, une taxe comme celle en cause rend plus difficile l'interpénétration voulue par le traité et a ainsi sur la libre circulation des marchandises un effet équivalant à un droit de douane (même arrêt, point 14).

17 Il convient donc de répondre à la première question des juridictions de renvoi qu'une taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises importées d'un autre État membre en raison de leur entrée dans une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, bien qu'elle frappe également les marchandises qui sont introduites dans cette région en provenance d'une autre partie du territoire de ce même État, et bien que les marchandises exportées de la région en question soient également frappées par une taxe ad valorem.

Sur la deuxième question

18 Par leur deuxième question, les juridictions de renvoi interrogent la Cour sur la notion de taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'exportation.

19 Comme rappelé ci-dessus, une charge pécuniaire unilatéralement imposée et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière constitue une taxe d'effet équivalent. Une charge frappant les marchandises nationales en raison du fait qu'elles sont exportées de l'État membre en question constitue donc une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation au sens de l'article 16 du traité.

20 Cette conclusion n'est pas affectée par le fait que la charge pécuniaire frappe également les marchandises qui quittent une région d'un État membre à destination d'une autre partie du territoire de ce même État.

21 Une taxe perçue à une frontière régionale en raison de l'expédition de produits à partir d'une région d'un État membre à destination d'autres régions du même État constitue une entrave au moins aussi grave à la libre circulation des marchandises qu'une taxe perçue à la frontière nationale en raison de l'exportation des produits à partir de l'ensemble du territoire d'un État membre (voir, par analogie, arrêt Legros e.a., précité, point 16).

22 Il y a lieu dès lors de répondre à la deuxième question des juridictions de renvoi qu'une taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises exportées dans un autre État membre en raison de leur sortie d'une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, bien qu'elle frappe également les marchandises qui quittent cette région à destination d'une autre partie du territoire de ce même État.

Sur la troisième question

23 Au vu des réponses données aux première et deuxième questions des juridictions de renvoi, il y a lieu de répondre à la troisième question qu'une disposition nationale, en vertu de laquelle une taxe d'effet équivalant à un droit de douane est perçue, n'est pas compatible avec les articles 9 et suivants du traité.

Sur la quatrième question

24 Par leur quatrième question, les juridictions de renvoi interrogent la Cour sur la nature de taxes ad valorem perçues par un État membre sur les marchandises introduites dans une région de son territoire en provenance uniquement d'autres régions de ce même État et sur les marchandises expédiées d'une région uniquement vers d'autres régions du même État.

25 Dans son arrêt du 9 août 1994, Lancry e.a. (C-363-93, C-407-93, C-408-93, C-409-93, C-410-93 et C-411-93, Rec. p. I-3957), la Cour a dit pour droit qu'une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un État membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, non seulement en tant qu'elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d'autres États membres, mais également en tant qu'elle est perçue sur les marchandises introduites dans cette région en provenance d'une autre partie de ce même État.

26 Le même raisonnement doit s'appliquer dans le cas d'une taxe grevant les marchandises expédiées d'une région vers d'autres régions du même État.

27 Il convient donc de répondre à la quatrième question des juridictions de renvoi que constituent des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, respectivement à l'importation et à l'exportation, des taxes ad valorem perçues par un État membre sur les marchandises introduites dans une région de son territoire en provenance uniquement d'autres régions de ce même État et sur les marchandises expédiées d'une région uniquement vers d'autres régions du même État.

Sur la cinquième question

28 Au vu des réponses données ci-dessus, il n'y a pas lieu de répondre à la cinquième question posée.

Sur les effets dans le temps du présent arrêt

29 Le Gouvernement hellénique a évoqué dans ses observations orales la possibilité pour la Cour, dans l'hypothèse où elle estimerait qu'une taxe telle que la taxe litigieuse est incompatible avec les dispositions pertinentes du traité, de limiter dans le temps les effets du présent arrêt. Il a fait valoir, d'une part, les incertitudes qui subsistaient au sujet de la portée réelle de l'interdiction des taxes d'effet équivalent jusqu'au prononcé des arrêts Legros e.a. et Lancry e.a., précités, et, d'autre part, les conséquences financières graves qui résulteraient pour les administrations locales d'une décision déclarant la taxe concernée incompatible avec le droit communautaire.

30 A cet égard, la Cour a constaté, dans l'arrêt Legros e.a., précité, que, pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, les dispositions du traité, relatives aux taxes d'effet équivalant à des droits de douane à l'importation, ne pouvaient être invoquées à l'appui de demandes visant à obtenir la restitution d'une taxe telle que l'octroi de mer, payée avant la date de cet arrêt (le 16 juillet 1992), sauf par les demandeurs qui avaient, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.

31 Or, la taxe litigieuse doit être qualifiée de taxe de même nature que l'octroi de mer en cause dans l'affaire Legros e.a. On peut dès lors admettre que, jusqu'au 16 juillet 1992, la République hellénique pouvait raisonnablement estimer que la taxe litigieuse était conforme au droit communautaire.

32 Il y a donc lieu de prendre en compte les mêmes considérations de sécurité juridique et, partant, de décider que la limitation dans le temps énoncée dans l'arrêt Legros e.a. s'applique également à des demandes de restitution de montants perçus au titre de la taxe litigieuse.

33 En revanche, il n'y a pas lieu de limiter les effets du présent arrêt au-delà du 16 juillet 1992, date de l'arrêt Legros e.a., précité. En effet, au-delà de cette date, le Gouvernement hellénique ne pouvait pas ignorer que la taxe litigieuse n'était pas compatible avec le droit communautaire.

34 En conclusion, il y a lieu de préciser que les dispositions du traité, relatives aux taxes d'effet équivalant à des droits de douane, ne peuvent être invoquées à l'appui de demandes visant à obtenir la restitution de montants perçus avant le 16 juillet 1992 au titre de la taxe litigieuse, sauf par les demandeurs qui ont, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.

Sur les dépens

35 Les frais exposés par le Gouvernement hellénique et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant les juridictions nationales, il appartient à celles-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par le Monomeles Dioikitiko Protodikeio Rodou et le Trimeles Dioikitiko Protodikeio Rodou, par décisions du 25 octobre 1993, dit pour droit:

1) Une taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises importées d'un autre État membre en raison de leur entrée dans une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'importation, bien qu'elle frappe également les marchandises qui sont introduites dans cette région en provenance d'une autre partie du territoire de ce même État, et bien que les marchandises exportées de la région en question soient également frappées par une taxe ad valorem.

2) Une taxe ad valorem perçue par un État membre sur les marchandises exportées dans un autre État membre en raison de leur sortie d'une région du territoire du premier État membre constitue une taxe d'effet équivalant à un droit de douane à l'exportation, bien qu'elle frappe également les marchandises qui quittent cette région à destination d'une autre partie du territoire de ce même État.

3) Une disposition nationale, en vertu de laquelle une taxe d'effet équivalant à un droit de douane est perçue, n'est pas compatible avec les articles 9 et suivants du traité CEE.

4) Constituent des taxes d'effet équivalant à des droits de douane, respectivement à l'importation et à l'exportation, des taxes ad valorem perçues par un État membre sur les marchandises introduites dans une région de son territoire en provenance uniquement d'autres régions de ce même État et sur les marchandises expédiées d'une région uniquement vers d'autres régions du même État.

5) Les dispositions du traité CEE, relatives aux taxes d'effet équivalant à des droits de douane, ne peuvent être invoquées à l'appui de demandes visant à obtenir la restitution de montants perçus avant le 16 juillet 1992 au titre de la taxe litigieuse, sauf par les demandeurs qui ont, avant cette date, introduit un recours en justice ou soulevé une réclamation équivalente.