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Décisions

CJCE, 28 mars 2000, n° C-7/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Dieter Krombach

Défendeur :

André Bamberski

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodríguez Iglesias

Présidents de chambre :

MM. Moitinho de Almeida, Edward, Sevón, Schintgen

Avocat général :

M. Saggio

Juges :

MM. Kapteyn, Gulmann, Puissochet, Hirsch, Jann, Ragnemalm

Avocats :

Mes Klingelhöffer, Wägenbaur

CJCE n° C-7/98

28 mars 2000

LA COUR,

1. Par ordonnance du 4 décembre 1997, parvenue à la Cour le 14 janvier 1998, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation par la Cour de justice de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, trois questions sur l'interprétation de l'article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968, précitée (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (JO L 304, p. 1, et - texte modifié - p. 77) et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique (JO L 388, p. 1, ci-après la "convention").

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant M. Bamberski, demeurant en France, à M. Krombach, demeurant en Allemagne, au sujet de l'exécution, dans cet État contractant, d'un arrêt rendu le 13 mars 1995 par la Cour d'assises de Paris (France) condamnant ce dernier, sur constitution de partie civile de M. Bamberski, à verser à celui-ci une indemnité de 350 000 FRF.

La convention

3. Aux termes de son article 1er, premier alinéa, la convention "s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction".

4. En matière de compétence, la règle de principe, énoncée à l'article 2, premier alinéa, de la convention, stipule que les personnes domiciliées sur le territoire d'un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État. L'article 3, second alinéa, interdit au demandeur de se prévaloir de certaines règles de compétences exorbitantes, notamment, pour ce qui concerne la France, de celles fondées sur la nationalité qui résultent des articles 14 et 15 du Code civil.

5. La convention prévoit également des règles de compétence spéciales. Ainsi, l'article 5 de la convention dispose:

"Le défendeur domicilié sur le territoire d'un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

[...]

4) S'il s'agit d'une action en réparation de dommage ou d'une action en restitution fondées sur une infraction, devant le tribunal saisi de l'action publique, dans la mesure où, selon sa loi, ce tribunal peut connaître de l'action civile".

6. En matière de reconnaissance et d'exécution des décisions, la règle de principe, énoncée à l'article 31, premier alinéa, de la convention prévoit que les décisions rendues dans un État contractant et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État contractant après y avoir été revêtues de la formule exécutoire sur requête de toute partie intéressée.

7. Aux termes de l'article 34, deuxième alinéa, "la requête ne peut être rejetée que pour l'un des motifs prévus aux articles 27 et 28".

8. L'article 27, point 1, de la convention dispose:

"Les décisions ne sont pas reconnues:

1) Si la reconnaissance est contraire à l'ordre public de l'État requis".

9. L'article 28, troisième alinéa, de la convention précise:

"Sans préjudice des dispositions du premier alinéa, il ne peut être procédé au contrôle de la compétence des juridictions de l'État d'origine; les règles relatives à la compétence ne concernent pas l'ordre public visé à l'article 27 paragraphe 1".

10. Aux termes des articles 29 et 34, troisième alinéa, de la convention:

"En aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l'objet d'une révision au fond."

11. L'article II du protocole annexé à la convention (ci-après le "protocole"), qui, selon l'article 65 de celle-ci, en fait partie intégrante, stipule:

"Sans préjudice de dispositions nationales plus favorables, les personnes domiciliées dans un État contractant et poursuivies pour une infraction involontaire devant les juridictions répressives d'un autre État contractant dont elles ne sont pas les nationaux peuvent se faire défendre par les personnes habilitées à cette fin, même si elles ne comparaissent pas personnellement.

Toutefois, la juridiction saisie peut ordonner la comparution personnelle; si celle-ci n'a pas eu lieu, la décision rendue sur l'action civile sans que la personne en cause ait eu la possibilité de se faire défendre pourra ne pas être reconnue ni exécutée dans les autres États contractants."

Le litige au principal

12. Une instruction a été ouverte en Allemagne à l'encontre de M. Krombach à la suite du décès en Allemagne d'une ressortissante française âgée de 14 ans. L'instruction s'est terminée par un non-lieu.

13. Sur plainte de M. Bamberski, père de la jeune fille, une instruction a été ouverte en France, les juridictions françaises se reconnaissant compétentes eu égard à la nationalité française de la victime. Au terme de cette instruction, M. Krombach a été renvoyé devant la Cour d'assises de Paris par arrêt de la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Paris.

14. Cet arrêt de renvoi ainsi que la constitution de partie civile du père de la victime ont été signifiés à M. Krombach. Bien que sa comparution personnelle ait été ordonnée, ce dernier ne s'est pas présenté à l'audience. La Cour d'assises de Paris a alors appliqué la procédure de contumace, telle qu'elle est régie par les articles 627 et suivants du Code de procédure pénale français. Conformément à l'article 630 de celui-ci, selon lequel aucun défenseur ne peut se présenter pour le contumax, la Cour d'assises a statué sans entendre les défenseurs mandatés par M. Krombach.

15. Par arrêt du 9 mars 1995, la Cour d'assises a condamné M. Krombach, reconnu coupable de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, à une peine de quinze années de réclusion criminelle. Par arrêt du 13 mars 1995, statuant sur les intérêts de la partie civile, elle a condamné, également par contumace, M. Krombach à payer à M. Bamberski une indemnité de 350 000 FRF.

16. Sur demande de M. Bamberski, le président d'une chambre civile du Landgericht Kempten, territorialement compétent, a déclaré exécutoire en Allemagne l'arrêt du 13 mars 1995. L'Oberlandesgericht ayant rejeté le recours introduit par M. Krombach, ce dernier a alors saisi le Bundesgerichtshof d'une "Rechtsbeschwerde", dans le cadre de laquelle il a fait valoir qu'il n'avait pas pu se défendre de manière effective contre sa condamnation par la juridiction française.

17. C'est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les règles relatives à la compétence peuvent-elles concerner l'ordre public visé à l'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles, lorsque, à l'égard d'une personne domiciliée sur le territoire d'un autre État contractant (article 2, premier alinéa, de la convention de Bruxelles), l'État d'origine a fondé sa compétence uniquement sur la nationalité de la victime (comme prévu à l'article 3, second alinéa, de la convention de Bruxelles en ce qui concerne la France)?

En cas de réponse négative à la première question:

2) La juridiction de l'État requis (article 31, premier alinéa, de la convention de Bruxelles) peut-elle, dans le cadre de l'ordre public visé à l'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles, tenir compte du fait que la juridiction répressive de l'État d'origine a rejeté la défense du débiteur par un avocat pour l'action civile (article II du protocole du 27 septembre 1968 concernant l'interprétation de la convention de Bruxelles), au motif que le défendeur, domicilié dans un autre État contractant, est poursuivi pour une infraction intentionnelle et qu'il n'a pas comparu personnellement?

En cas de réponse négative à la deuxième question:

3) La juridiction de l'État requis peut-elle, dans le cadre de l'ordre public visé à l'article 27, point 1, de la convention de Bruxelles, tenir compte du fait que la juridiction de l'État d'origine a fondé sa compétence uniquement sur la nationalité de la victime (voir première question ci-dessus) et qu'elle a en outre refusé que le défendeur en cause soit représenté par un avocat (voir deuxième question ci-dessus)?"

Observations liminaires

18. Par ces questions, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour quelle est l'interprétation qu'il convient de donner de la notion d'"ordre public de l'État requis" visée à l'article 27, point 1, de la convention.

19. Il convient de rappeler que la convention vise à faciliter, dans toute la mesure du possible, la libre circulation des jugements en prévoyant une procédure d'exequatur simple et rapide (voir, notamment, arrêts du 2 juin 1994, Solo Kleinmotoren, C-414-92, Rec. p. I-2237, point 20, et du 29 avril 1999, Coursier, C-267-97, Rec. p. I-2543, point 25).

20. Il ressort de la jurisprudence de la Cour que cette procédure constitue un système autonome et complet, indépendant des systèmes juridiques des États contractants, et que le principe de la sécurité juridique dans l'ordre communautaire ainsi que les objectifs de la convention en vertu de l'article 220 du traité CE (devenu article 293 CE), sur lequel elle se fonde, exigent une application uniforme dans tous les États contractants des règles de la convention et de la jurisprudence de la Cour y relative (voir, notamment, arrêt du 11 août 1995, SISRO, C-432-93, Rec. p. I-2269, point 39).

21. En ce qui concerne l'article 27 de la convention, la Cour a jugé qu'il doit recevoir une interprétation stricte en ce qu'il constitue un obstacle à la réalisation de l'un des objectifs fondamentaux de la convention (arrêt Solo Kleinmotoren, précité, point 20). S'agissant plus précisément du recours à la clause de l'ordre public, figurant à l'article 27, point 1, de la convention, la Cour a précisé qu'il ne doit jouer que dans des cas exceptionnels (arrêts du 4 février 1988, Hoffmann, 145-86, Rec. p. 645, point 21, et du 10 octobre 1996, Hendrikman et Feyen, C-78-95, Rec. p. I-4943, point 23).

22. Il s'ensuit que, si les États contractants restent, en principe, libres de déterminer, en vertu de la réserve inscrite à l'article 27, point 1, de la convention, conformément à leurs conceptions nationales, les exigences de leur ordre public, les limites de cette notion relèvent de l'interprétation de la convention.

23. Dès lors, s'il n'appartient pas à la Cour de définir le contenu de l'ordre public d'un État contractant, il lui incombe néanmoins de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d'un État contractant peut avoir recours à cette notion pour ne pas reconnaître une décision émanant d'une juridiction d'un autre État contractant.

24. À cet égard, il convient de relever que, la convention ayant été conclue sur le fondement de l'article 220 du traité et dans le cadre qu'il définit, ses dispositions sont liées au traité (arrêt du 10 février 1994, Mund & Fester, C-398-92, Rec. p. I-467, point 12).

25. Selon une jurisprudence constante, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (voir, notamment, avis 2-94, du 28 mars 1996, Rec. p. I-1759, point 33). À cet effet, la Cour s'inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la "CEDH") revêt, à cet égard, une signification particulière (voir, notamment, arrêt du 15 mai 1986, Johnston, 222-84, Rec. p. 1651, point 18).

26. La Cour a ainsi reconnu expressément le principe général de droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, qui s'inspire de ces droits fondamentaux (arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185-95 P, Rec. p. I-8417, points 20 et 21, et du 11 janvier 2000, Pays-Bas et Van der Wal/Commission, C-174-98 P et C-189-98 P, non encore publié au Recueil, point 17).

27. L'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphe 2, UE) a consacré cette jurisprudence. Aux termes de cette disposition, "l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire".

28. C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient de répondre aux questions préjudicielles.

Sur la première question

29. Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si, au regard de la clause de l'ordre public visée à l'article 27, point 1, de la convention, le juge de l'État requis peut, à l'endroit d'un défendeur domicilié sur le territoire de celui-ci, tenir compte du fait que le juge de l'État d'origine a fondé sa compétence sur la nationalité de la victime d'une infraction.

30. À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes mêmes de son article 1er, premier alinéa, la convention s'applique aux décisions rendues en matière civile par une juridiction pénale (arrêt du 21 avril 1993, Sonntag, C-172-91, Rec. p. I-1963, point 16).

31. Dans le système de la convention, hormis certaines hypothèses limitativement énumérées à son article 28, premier alinéa, dont aucune ne correspond aux faits de l'affaire au principal, le juge requis ne peut pas procéder au contrôle de la compétence des juridictions de l'État d'origine. Ce principe fondamental, énoncé à l'article 28, troisième alinéa, premier membre de phrase, de ladite convention, est renforcé par la précision, figurant au second membre de phrase de la même disposition, selon laquelle "les règles relatives à la compétence ne concernent pas l'ordre public visé à l'article 27 paragraphe 1".

32. Il s'ensuit que l'ordre public de l'État requis ne saurait être opposé à la reconnaissance ou à l'exécution d'une décision rendue dans un autre État contractant au seul motif que le juge d'origine n'aurait pas respecté les règles de la convention relatives à la compétence.

33. Eu égard aux termes généraux dans lesquels l'article 28, troisième alinéa, de la convention est libellé, une telle solution doit être considérée comme étant, en principe, applicable même dans l'hypothèse où le juge de l'État d'origine aurait à tort fondé sa compétence, à l'égard d'un défendeur domicilié sur le territoire de l'État requis, sur une règle faisant appel à un critère de nationalité.

34. Il y a donc lieu de répondre à la première question que le juge de l'État requis ne peut pas, à l'endroit d'un défendeur domicilié sur le territoire de celui-ci, tenir compte, au regard de la clause de l'ordre public visée à l'article 27, point 1, de la convention, du seul fait que le juge de l'État d'origine a fondé sa compétence sur la nationalité de la victime d'une infraction.

Sur la deuxième question

35. Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si, au regard de la clause de l'ordre public visée à l'article 27, point 1, de la convention, le juge de l'État requis peut, à l'endroit d'un défendeur domicilié sur le territoire de celui-ci et poursuivi pour une infraction volontaire, tenir compte du fait que le juge de l'État d'origine a refusé à ce dernier le droit de se faire défendre sans comparaître personnellement.

36. Il convient de relever que, en prohibant la révision au fond de la décision étrangère, les articles 29 et 34, troisième alinéa, de la convention interdisent au juge de l'État requis de refuser la reconnaissance ou l'exécution de cette décision au seul motif qu'une divergence existerait entre la règle de droit appliquée par le juge de l'État d'origine et celle qu'aurait appliquée le juge de l'État requis s'il avait été saisi du litige. De même, le juge de l'État requis ne saurait contrôler l'exactitude des appréciations de droit ou de fait qui ont été portées par le juge de l'État d'origine.

37. Un recours à la clause de l'ordre public, figurant à l'article 27, point 1, de la convention, n'est concevable que dans l'hypothèse où la reconnaissance ou l'exécution de la décision rendue dans un autre État contractant heurterait de manière inacceptable l'ordre juridique de l'État requis, en tant qu'elle porterait atteinte à un principe fondamental. Afin de respecter la prohibition de la révision au fond de la décision étrangère, l'atteinte devrait constituer une violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de l'État requis ou d'un droit reconnu comme fondamental dans cet ordre juridique.

38. S'agissant du droit à être défendu, auquel fait référence la question préjudicielle, il convient de relever qu'il occupe une place éminente dans l'organisation et le déroulement d'un procès équitable et qu'il figure parmi les droits fondamentaux qui résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres.

39. Plus précisément encore, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé à plusieurs reprises en matière pénale que, quoique non absolu, le droit de tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin commis d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable et qu'un accusé ne perd pas le bénéfice d'un tel droit du seul fait de son absence aux débats (voir Cour eur. D. H., arrêts Poitrimol c. France du 23 novembre 1993, série A n° 277-A; Pelladoah c. Pays-Bas du 22 septembre 1994, série A n° 297-B, et Van Geyseghem c. Belgique du 21 janvier 1999, non encore publié au Recueil).

40. Il ressort de cette jurisprudence que le juge national d'un État contractant est en droit de considérer que le refus d'entendre la défense d'un accusé absent des débats constitue une violation manifeste d'un droit fondamental.

41. La juridiction de renvoi s'interroge toutefois sur la possibilité pour le juge de l'État requis de tenir compte, au regard de l'article 27, point 1, de la convention, d'une violation de cette nature eu égard au libellé de l'article II du protocole. Ce dernier, qui comporte une extension du champ d'application de la convention au domaine pénal justifiée par les conséquences en matière civile ou commerciale qui peuvent découler du jugement d'une juridiction répressive (arrêt du 26 mai 1981, Rinkau, 157-80, Rec. p. 1391, point 6), ne reconnaît le droit de se faire défendre sans comparaître personnellement devant les juridictions répressives d'un État contractant aux personnes non ressortissantes de cet État et domiciliées dans un autre État contractant que dans la mesure où elles sont poursuivies pour une infraction involontaire. Cette limitation a été interprétée en ce sens que la convention a cherché, manifestement, à exclure du bénéfice de se faire défendre sans comparaître personnellement les personnes poursuivies pour des infractions dont la gravité le justifie (arrêt Rinkau, précité, point 12).

42. Cependant, il ressort d'une jurisprudence développée par la Cour sur le fondement des principes rappelés aux points 25 et 26 du présent arrêt que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure (voir, notamment, arrêts du 29 juin 1994, Fiskano/Commission, C-135-92, Rec. p. I-2885, point 39, et du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32-95 P, Rec. p. I-5373, point 21).

43. En outre, la Cour a également jugé que, même si le but de la convention est d'assurer la simplification des formalités auxquelles sont subordonnées la reconnaissance et l'exécution réciproques des décisions judiciaires, cet objectif ne saurait toutefois être atteint en affaiblissant les droits de la défense (arrêt du 11 juin 1985, Debaecker et Plouvier, 49-84, Rec. p. 1779, point 10).

44. Il découle de cette évolution jurisprudentielle que le recours à la clause de l'ordre public doit être considéré comme étant possible dans les cas exceptionnels où les garanties inscrites dans la législation de l'État d'origine et dans la convention elle-même n'ont pas suffi à protéger le défendeur d'une violation manifeste de son droit de se défendre devant le juge d'origine, tel que reconnu par la CEDH. Dès lors, l'article II du protocole ne saurait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que le juge de l'État requis puisse tenir compte, au regard de l'ordre public visé à l'article 27, point 1, de la convention, du fait que, dans le cadre d'une action en réparation de dommages fondée sur une infraction, le juge de l'État d'origine a refusé d'entendre la défense de l'accusé, poursuivi pour une infraction volontaire, au seul motif de son absence des débats.

45. Il y a donc lieu de répondre à la deuxième question que le juge de l'État requis peut, à l'endroit d'un défendeur domicilié sur le territoire de celui-ci et poursuivi pour une infraction volontaire, tenir compte, au regard de la clause de l'ordre public visée à l'article 27, point 1, de la convention, du fait que le juge de l'État d'origine a refusé à ce dernier le droit de se faire défendre sans comparaître personnellement.

Sur la troisième question préjudicielle

46. Compte tenu de la réponse donnée à la deuxième question, il n'y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

47. Les frais exposés par les Gouvernements allemand et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR,

Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 4 décembre 1997, dit pour droit:

L'article 27, point 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par la convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion du Royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et par la convention du 25 octobre 1982 relative à l'adhésion de la République hellénique, doit être interprété de la façon suivante:

1) Le juge de l'État requis ne peut pas, à l'endroit d'un défendeur domicilié sur le territoire de celui-ci, tenir compte, au regard de la clause de l'ordre public visée à l'article 27, point 1, de ladite convention, du seul fait que le juge de l'État d'origine a fondé sa compétence sur la nationalité de la victime d'une infraction.

2) Le juge de l'État requis peut, à l'endroit d'un défendeur domicilié sur le territoire de celui-ci et poursuivi pour une infraction volontaire, tenir compte, au regard de la clause de l'ordre public visée à l'article 27, point 1, de ladite convention, du fait que le juge de l'État d'origine a refusé à ce dernier le droit de se faire défendre sans comparaître personnellement.