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Décisions

CA Rennes, 8e ch. prud'homale, 21 octobre 2004, n° 04-01701

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Techni-Soft (SARL)

Défendeur :

Le Fur

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Segondat

Conseillers :

Mme L'Hénoret, M. Patte

Avocats :

Me Le Bihan, SCP Jourda Faivre

Cons. prud'h. Lorient, du 22 janv. 2004

22 janvier 2004

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par la SARL Techni-Soft d'un jugement rendu le 22 janvier 2004 par le Conseil de prud'hommes de Lorient.

Faits et procédure:

Monsieur Jérémy Le Fur a été engagé le 2 octobre 2000 par la SARL Techni-Soft en qualité d'attaché technico-commercial dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de 6 mois qui s'est poursuivi en un contrat à durée indéterminée.

Le 5 février 2002 il a été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement qui lui a été notifié pour faute grave le 28 février 2002, alors qu'il avait fait l'objet d'une mise à pied conservatoire le 15 février 2002, pour les motifs suivants:

- absence sans justification du 5 au 15 février 2002;

- cryptage de son poste informatique, à l'insu de l'employeur, empêchant l'accès aux dossiers commerciaux;

- dissimulation volontaire de la base des prospects qu'il avait constituée;

- annulation irréversible du plus haut niveau de sécurité de l'accès au système.

Contestant le bien fondé de son licenciement et estimant qu'il exerçait des fonctions de VRP, Monsieur Le Fur a saisi le Conseil de prud'hommes de Lorient pour se voir reconnaître le statut de VRP et obtenir une indemnité de préavis, des dommages-intérêts, le paiement de son salaire pendant la mise à pied, des commissions de retour sur échantillonnage, une indemnité de clientèle et l'indemnisation de la clause de non-concurrence.

Par jugement en date du 22 janvier 2004 le Conseil de prud'hommes de Lorient a considéré que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, que Monsieur Le Fur ne pouvait prétendre au statut de VRP, a alloué à ce dernier une indemnité de préavis, le paiement de son salaire pendant la mise à pied et des dommages-intérêts et a rejeté ses autres réclamations.

La SARL Techni-Soft a interjeté appel de ce jugement. Monsieur Le Fur a formé appel incident.

Objet de l'appel et moyens des parties:

La SARL Techni-Soft conclut à la réformation, du moins partielle, de la décision déférée, et au rejet de l'intégralité des prétentions du salarié.

Elle fait valoir:

- que Monsieur Le Fur a délibérément crypté son poste sans avertir son employeur et lui indiquer les modalités de décryptage;

- qu'un tel cryptage n'appartient qu'à l'employeur ou à son délégué, administrateur réseau, qui sont les seuls à pouvoir déterminer les moyens de sécurisation des systèmes informatiques et à les installer;

- que le salarié n'a pu procéder au décryptage et que des dossiers ont été perdus;

- qu'il n'avait pas à procéder à l'annulation de l'ancien compte administrateur pour en recréer un nouveau;

- que la base de données commerciales n'était plus accessible en l'absence de l'intéressé;

- qu'en outre ce dernier est resté absent de l'entreprise sans justificatif du 5 au 15 février 2002;

- que les griefs invoqués sont caractérisés et constitutifs d'une faute grave;

- que le statut de VRP n'est pas applicable à Monsieur Le Fur qui n'avait pas pour activité principale la prospection des clients et les prises d'ordre, qui travaillait essentiellement au siège de l'entreprise et se déplaçait peu et qui n'avait pas un secteur fixe et défini;

Monsieur Le Fur conclut également à la réformation partielle du jugement et demande à la cour de lui reconnaître le statut de VRP et de condamner la société Techni-Soft à lui verser, outre les sommes qui lui ont été allouées par le conseil de prud'hommes:

- 1 564 euro à titre de complément de préavis;

- 10 000 euro à titre de commissions sur échantillonnage;

- 11 815 euro à titre d'indemnité de clientèle;

- 6 255,30 euro à titre d'indemnisation de la clause de non-concurrence.

Il sollicite par ailleurs une indemnité de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il soutient :

- que son activité principale consistait à démarcher la clientèle et à conclure des contrats avec elle, qu'il travaillait sur un secteur déterminé et qu'il remplissait les conditions pour pouvoir bénéficier du statut de VRP;

- qu'il est en conséquence fondé à prétendre à un rappel de commissions à une indemnité de clientèle et à l'indemnisation de sa clause de non-concurrence;

- que son licenciement est abusif;

- que l'employeur ne pouvait ignorer que du 5 au 15 février 2002 il se trouvait en congé de paternité ainsi que cela résulte de la demande écrite qu'il avait adressée après la naissance de son enfant le 5 janvier précédent;

- qu'il a effectivement crypté les informations qui pouvaient être lues sur son poste et que les devis de l'année 2001 qui avaient été sauvegardés n'étaient plus accessibles mais qu'il n'a commis aucune faute à cet égard, le cryptage étant une manœuvre simple et la plus élémentaire des précautions et la clé de décryptage étant automatiquement accessible pour l'administrateur;

- que si certaines données n'étaient plus lisibles, elles n'étaient pas perdues pour autant dès lors que les devis avaient tous pu être édités;

- que le lien entre le cryptage et l'impossibilité de consulter les informations sur l'écran n'est pas établi;

- que la base de données commerciales était accessible et qu'il n'a jamais cherché à dissimuler quoi que ce soit;

- que la manœuvre tendant à se substituer à l'administrateur de réseau est impossible à réaliser.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions déposées et développées oralement à l'audience.

Discussion:

Sur le licenciement:

Considérant que Monsieur Jérémy Le Fur a été licencié le 28 février 2002 pour faute grave pour les motifs suivants:

- absence sans justification du 5 au 15 février 2002;

- cryptage de son poste, à l'insu de son employeur, empêchant l'accès à tous ses dossiers commerciaux;

- dissimulation volontaire de la base des prospects qu'il avait constitués dans le cadre de ses fonctions commerciales;

- annulation irréversible de plus haut niveau de sécurité de l'accès au système;

Considérant que si, compte tenu du courrier que Monsieur Le Fur avait adressé à son employeur au mois de janvier 2002 dans lequel il lui faisait part de son intention de prendre rapidement "son congé paternité" (qui venait juste d'être augmenté) et de la taille de l'entreprise qui ne comptait qu'une dizaine de salariés, il est peu vraisemblable que l'employeur ait ignoré les raisons de l'absence de l'intéressé, il est en revanche constant que Monsieur Le Fur a procédé volontairement au cryptage de son poste informatique, sans autorisation préalable de la société, et a d'ailleurs rencontré de sérieuses difficultés pour le décrypter, rendant irrécupérables certaines données, même si leur édition a permis ultérieurement, mais avec une perte de temps conséquente, de les reconstituer.

Considérant que contrairement à ce qui est soutenu par le salarié, cette manœuvre requiert des compétences et des connaissances particulières, n'est pas sans risque eu égard au dérèglement possible des systèmes informatiques et surtout relève uniquement du pouvoir de l'employeur (ou de son administrateur réseau) qui est seul maître de la sécurité du réseau et qui doit pouvoir avoir accès à l'ensemble des données de la société, la seule protection que l'utilisateur a la possibilité de mettre en place étant l'usage d'un mot de passe qui protège le poste (et non le réseau) et le verrouillage des dossiers qu'il envoie afin d'éviter la modification desdits dossiers.

Que le comportement du salarié qui avait déjà fait l'objet d'une mise en garde quelques mois auparavant au sujet des manipulations intempestives auxquelles il se livrait sur son ordinateur, était constitutif d'une faute justifiant la mesure de licenciement et rendant impossible le maintien des relations contractuelles pendant la durée du préavis, l'employeur ne pouvant en permanence surveiller son salarié capable, compte tenu de ses compétences indéniables en la matière, de renouveler de telles manipulations.

Que Monsieur Le Fur ne peut en conséquence prétendre ni à un rappel de salaire, ni à une indemnité de préavis, ni à des dommages-intérêts et que le jugement sera réformé de ce chef.

Sur le statut de VRP:

Considérant que le statut de VRP suppose:

- la recherche de commandes;

- la prise et la transmission des ordres;

- l'exercice de cette activité de façon constante;

- l'existence d'un secteur fixe et déterminé.

Considérant que force est de constater en l'espèce :

- que le travail de Monsieur Le Fur consistait à prospecter des clients pour déterminer leurs besoins informatiques et leur faire des propositions en procédant à des études techniques et à des devis;

- qu'il était amené également à effectuer des dépannages, des installations de logiciels et à former les utilisateurs;

- qu'il démarchait la clientèle essentiellement par planning ou mailing;

- qu'il exécutait également un certain nombre de tâches administratives;:.

- que les commandes devaient être validées par la direction commerciale ou l'employeur;

- que ses déplacements étaient irréguliers et que certains d'entre eux étaient effectués avec le dirigeant, ce qui lui laissait peu d'autonomie;

- qu'aux termes du contrat de travail il était prévu que l'activité serait assurée plus particulièrement sur la région ouest dans les départements bretons, sans exclure toutefois des interventions ponctuelles en dehors de ce secteur géographique;

- que dans la réalité Monsieur Le Fur a été amené à prospecter sur bien d'autres départements (14-27-37-44-49-59);

- qu'il n'est pas établi qu'il ait disposé d'une clientèle déterminée.

Considérant qu'il s'ensuit que Monsieur Le Fur ne rapporte pas la preuve qu'il remplissait l'ensemble des conditions lui permettant de bénéficier du statut de VRP;

Que les demandes qu'il présente à ce titre ne peuvent être accueillies.

Considérant que Monsieur Le Fur qui succombe supportera ses propres frais irrépétibles et les entiers dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Réforme, du moins partiellement, le jugement entrepris; Dit que le licenciement est fondé sur une faute grave; Déboute Monsieur Le Fur de l'ensemble de ses demandes; Le condamne aux entiers dépens de première instance et d'appel.