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Décisions

CJCE, 6e ch., 14 juin 2001, n° C-178/99

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Doris Salzmann

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gulmann

Juges :

MM. Skouris, Puissochet, Schintgen, Cunha Rodrigues

Avocat général :

M. Geelhoed

CJCE n° C-178/99

14 juin 2001

LA COUR (sixième chambre),

1. Par ordonnance du 29 décembre 1998, parvenue à la Cour le 14 mai 1999, le Bezirksgericht Bregenz, a posé à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles portant sur l'interprétation de l'article 73 B du traité CE (devenu article 56 CE) et de l'annexe XII, point 1, sous e), de l'accord sur l'Espace économique européen.

2. Ces questions ont été posées dans le cadre d'une demande formée par Mme Salzmann tendant à l'inscription au livre foncier du contrat de vente d'un terrain non bâti situé à Fußach, dans le Land du Vorarlberg (Autriche).

Le droit communautaire

3. L'article 73 B du traité dispose:

"1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites."

4. Aux termes de l'annexe XII, point 1, sous e), de l'accord sur l'Espace économique européen, qui se réfère à l'application de la directive 88-361-CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l'article 67 du traité (JO L 178, p. 5), "pendant les périodes de transition, les États de l'AELE n'accordent pas aux investissements existants et à des investissements nouveaux effectués par des sociétés ou des ressortissants d'États membres ou d'autres États de l'AELE un traitement moins favorable que celui prévu par la législation existante au moment de la signature de l'accord, sans préjudice du droit des États de l'AELE d'introduire une législation conforme aux dispositions de l'accord, et en particulier à celles qui concernent l'achat de résidences secondaires, qui ont un effet correspondant à celui de la législation maintenue dans la Communauté en application de l'article 6 paragraphe 4 de la directive".

5. L'article 6, paragraphe 4, de la directive 88-361 dispose:

"Les dispositions existantes de droit national régissant l'achat de résidences secondaires peuvent être maintenues en attendant que le Conseil arrête d'autres dispositions dans ce domaine, conformément à l'article 69 du traité. La présente disposition n'affecte pas l'applicabilité d'autres dispositions du droit communautaire."

Le droit national

6. En vertu de l'article 8 du Vorarlberger Grundverkehrsgesetz (loi du Land du Vorarlberg sur la propriété foncière, Vorarlberger LGBl. 85-1997), toute acquisitiond'un terrain à bâtir ne peut prendre effet que si une autorisation a été délivrée par les autorités compétentes en matière foncière. L'autorisation est délivrée lorsque l'acquéreur démontre de manière plausible que ledit terrain recevra dans un délai raisonnable une affectation conforme au plan d'occupation des sols. En cas de refus de l'autorisation, la transaction portant sur le terrain est nulle en application de la loi.

7. En revanche, s'agissant de transactions portant sur des terrains bâtis, la législation du Land du Vorarlberg prévoit seulement que l'acquéreur est tenu de produire une déclaration par laquelle il s'engage à ne pas utiliser le logement acquis comme résidence de vacances.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

8. Mme Doris Salzmann, ressortissante autrichienne, domiciliée à Fußach, dans le ressort du Bezirksgericht Bregenz, a acheté à M. Walter Schneider, de même nationalité, un terrain à bâtir situé dans la commune de Fußach. Elle n'a pas demandé d'autorisation, mais a produit une déclaration, analogue à celle qui aurait été requise si l'acquisition avait porté sur un terrain bâti, par laquelle elle s'engageait à ne pas utiliser le terrain acquis pour y implanter une résidence de vacances.

9. Devant le Bezirksgericht Bregenz, compétent pour procéder à l'inscription au livre foncier des transactions immobilières, Mme Salzmann a fait valoir que la procédure d'autorisation contrevenait aux obligations communautaires de la République d'Autriche et qu'une déclaration devait suffire pour pouvoir effectuer l'inscription.

10. Ne trouvant pas dans la jurisprudence de la Cour d'éléments suffisants pour lui permettre de statuer sur la demande d'inscription, le Bezirksgericht Bregenz a décidé de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Les ressortissants d'un État membre de l'Union européenne peuvent-ils également invoquer la libre circulation des capitaux lorsqu'une transaction en capital ne présente pas d'élément transnational?

2) Le fait qu'une autorisation de l'autorité compétente en matière foncière est nécessaire pour que prenne effet une transaction portant sur l'achat d'un terrain à bâtir est-il compatible avec la libre circulation des capitaux?

3) Quelles conséquences la clause de standstill figurant à l'annexe XII, point 1, sous e), de l'accord sur l'Espace économique européen a-t-elle sur les dispositions prévoyant une autorisation d'inscription au livre foncier - lesquelles sont nouvelles, de par leur nature - adoptées après la signature de l'accord sur l'Espace économique européen, le 2 mai 1992?"

Sur la compétence de la Cour

11. La Commission et le gouvernement espagnol soutiennent que le Bezirksgericht, lorsqu'il agit en qualité de tribunal chargé de la tenue du livre foncier, n'est pas appelé à trancher des litiges, mais à vérifier si les demandes d'inscription au livre foncier des titres de propriété remplissent les conditions prévues par la loi, ce qui constituerait une activité de nature administrative et non juridictionnelle. Par conséquent, le Bezirksgericht Bregenz ne remplirait pas, dans l'instance au principal, les conditions pour être regardé comme une juridiction au sens de l'article 177 du traité et la Cour n'aurait donc pas compétence pour répondre aux questions préjudicielles qui lui sont posées en l'espèce. Le gouvernement autrichien s'est rallié à ce point de vue après avoir été invité par la Cour à faire connaître son avis à ce sujet.

12. Ces intervenants relèvent que la fonction qu'exerce le Bezirksgericht, agissant en qualité de tribunal chargé de la tenue du livre foncier, est d'une nature voisine de celle qu'accomplissent les tribunaux italiens lorsqu'ils statuent, dans le cadre d'une procédure de "giurisdizione volontaria", sur une demande d'homologation des statuts d'une société aux fins de son inscription au registre, fonction que la Cour a considéré comme dépourvue de caractère juridictionnel dans son arrêt du 19 octobre 1995, Job Centre (C-111-94, Rec. p. I-3361, points 9 à 11).

13. À cet égard, pour apprécier si l'organisme de renvoi possède le caractère d'une juridiction au sens de l'article 177 du traité, question qui relève uniquement du droit communautaire, la Cour tient compte d'un ensemble d'éléments, tels l'origine légale de l'organe, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l'application, par l'organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance (voir, notamment, arrêts du 17 septembre 1997, Dorsch Consult, C-54-96, Rec. p. I-4961, point 23 et jurisprudence citée, et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C-110-98 à C-147-98, Rec. p. I-1577, point 33).

14. En outre, si l'article 177 du traité ne subordonne pas la saisine de la Cour au caractère contradictoire de la procédure au cours de laquelle le juge national formule une question préjudicielle (voir arrêt du 17 mai 1994, Corsica Ferries, C-18-93, Rec. p. I-1783, point 12), il résulte néanmoins de cet article que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel (voir ordonnance du 5 mars 1986, Greis Unterweger, 318-85, Rec. p. 955, point 4, et arrêt du 12 novembre 1998, Victoria Film, C-134-97, Rec. p. I-7023, point 14).

15. Ainsi, lorsqu'il fait acte d'autorité administrative sans qu'il soit en même temps appelé à trancher un litige, l'organisme de renvoi, même s'il satisfait aux autres conditions rappelées au point 13 du présent arrêt, ne peut être regardé comme exerçant une fonction juridictionnelle. Tel est le cas, par exemple, lorsqu'il statue sur une demande d'inscription d'une société au registre selon une procédure n'ayant pas pour objet l'annulation d'un acte lésant un droit du demandeur (voir arrêt Job Centre, précité, point 11).

16. Il ressort du dossier que, lorsqu'il examine une demande d'inscription au livre foncier du contrat de vente d'un bien immobilier, conformément aux dispositions du Grundbuchgesetz (loi fédérale autrichienne de 1955 sur le livre foncier), le Bezirksgericht n'est pas saisi d'un litige, mais doit seulement statuer sur la conformité de la demande aux conditions fixées par la législation pour l'inscription des droits de propriété au livre foncier.

17. Dans le cadre de cette activité, le Bezirksgericht exerce une fonction non juridictionnelle.

18. Cette constatation n'est pas remise en cause par le fait que le Bezirksgericht a la faculté d'entendre les parties dans des situations exceptionnelles, une telle faculté n'affectant pas le caractère de l'activité accomplie.

19. Mme Salzmann fait toutefois valoir que sa demande au Bezirksgericht Bregenz, qui est qualifiée de "Rekurs" (recours), fait suite à un refus de la Grundverkehrs-Landeskommission für Vorarlberg (ci-après la "Landeskommission") de confirmer sa déclaration relative à l'acquisition du bien ainsi qu'à une décision négative du Rechtspfleger du Bezirksgericht Bregenz saisi de sa demande d'inscription de son droit de propriété au livre foncier. La demande de la requérante au Bezirksgericht Bregenz aurait donc le caractère d'un appel.

20. Cette allégation est dépourvue de fondement.

21. En effet, il ressort du dossier que, d'une part, le Bezirksgericht Bregenz n'est pas la juridiction compétente pour se prononcer en appel sur les décisions de la Landeskommission et que, d'autre part, le Rechtspfleger n'est pas un organe statuant en première instance dont les décisions seraient soumises à un recours juridictionnel devant le Bezirksgericht, mais un fonctionnaire employé par cette juridiction et exerçant par délégation et sous son autorité les fonctions qu'elle lui confie. Le "Rekurs" devant le Bezirksgericht contre la décision de son Rechtspfleger a le caractère d'une réclamation administrative interne à l'organe considéré et l'intervention préalable de ce fonctionnaire ne suffit pas à conférer à l'activité du Bezirksgericht en matière de tenue du livre foncier une nature autre qu'administrative.

22. Il s'ensuit que la Cour n'a pas compétence pour statuer sur les questions posées par le Bezirksgericht Bregenz, agissant dans le cadre de la procédure d'inscription de droits de propriété au livre foncier.

Sur les dépens

23. Les frais exposés par les Gouvernements autrichien et espagnol, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard de Mme Salzmann, le caractère d'un incident soulevé devant le Bezirksgericht Bregenz, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

Déclare et arrête:

La Cour de justice des Communautés européennes n'est pas compétente pour répondre aux questions posées par le Bezirksgericht Bregenz dans son ordonnance du 29 décembre 1998.