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Décisions

Conseil Conc., 9 novembre 2006, n° 06-D-34

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Saisines concernant le domaine de l'assurance de la responsabilité civile médicale

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport de Mme Toulemont-Dakouré, par Mme Perrot, vice-présidente, présidant la séance, ainsi que Mmes Béhar-Touchais, Renard-Payen, Xueref, M. Flichy, membres.

Conseil Conc. n° 06-D-34

9 novembre 2006

Le Conseil de la concurrence (section II),

Vu les lettres enregistrées le 4 décembre 2002 ainsi que les 19 février et 5 juin 2003, sous les numéros 02/0104 F, 03/0014 F et 03/0039 F, par lesquels l'Alliance pour la formation, l'investissement, et la retraite des médecins (AFIRM), l'Union des chirurgiens de France (UCF) ainsi que la Fédération de l'hospitalisation privée du Languedoc-Roussillon ont saisi le Conseil de la concurrence de pratiques en matière d'assurance de la responsabilité civile médicale par les sociétés d'assurance ; Vu la décision de jonction, en date du 7 mai 2004, des trois saisines prise par le rapporteur général ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié fixant les conditions d'application de celui-ci ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 3 octobre 2006 ; de même que le représentant de la Commission de contrôle des assurances entendu au titre de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; les représentants des sociétés saisissantes ayant été régulièrement convoqués ;Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. L'ÉVOLUTION RÉCENTE DU CONTEXTE DE L'ASSURANCE DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE MEDICALE

1. Les primes d'assurance sont calculées de telle sorte qu'elles couvrent les engagements de l'assureur pour l'année en cours, en moyenne. Le cycle d'exploitation de l'assurance est inversé par rapport à la plupart des activités économiques : les primes sont encaissées avant que les charges ne soient effectivement connues. Les primes sont ainsi estimées, à chaque exercice, à partir d'observations statistiques passées. L'assureur évalue la fréquence et le coût des sinistres pour une année donnée en se fondant sur l'information existante, c'est-à-dire à partir de bases de données retraçant le passé, et le remboursement de ces sinistres aux assurés doit être financé par les primes encaissées pour cette année. Afin d'appréhender au mieux le coût de l'assurance d'une activité, les assureurs créent des classes de risques homogènes. Ils acquièrent, au sein de chaque classe de risque, de l'information à l'aide de l'étude de la sinistralité constatée. A cet égard, les règles de concurrence autorisent la mise en commun des travaux des assureurs (voir les règlements de la Commission européenne (CEE) n° 3932-92, du 21 décembre 1992, JOCE L 143, p. 1 et (CE) n° 358-2003 du 27 février 2003, JOUE L 53, p. 8, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à certaines catégories d'accords, de décisions et de pratiques concertées dans le secteur des assurances). Les primes pures sont ainsi évaluées au sein d'une classe de risque. La prime commerciale, payée effectivement par l'assuré et qui doit être déterminée individuellement par chaque assureur, est composée de la prime pure qui reflète le coût du risque tel que l'appréhende l'assureur, augmentée des frais de fonctionnement, des frais de réassurance, de la marge de l'assureur ainsi que des taxes, et diminuée des produits financiers.

2. Pour tous les secteurs d'activité, l'environnement économique et juridique doit conserver une certaine stabilité pour que les calculs statistiques en matière d'assurance restent pertinents et fiables, ces derniers ne permettant d'estimer les primes pures qu'à partir de la sinistralité passée. En cas de bouleversements de l'environnement et d'accroissement de l'incertitude, ces calculs peuvent subir des biais.

3. En assurance de la responsabilité civile médicale, les risques sont importants et la connaissance du coût réel des sinistres peut prendre plusieurs années. Ces difficultés supposent la constitution et le placement de provisions techniques. Cette assurance représente un risque dit " à développement long ", compte tenu des délais de prescription et des délais de règlement des sinistres.

4. De plus, l'assurance de la responsabilité civile médicale n'est pas une assurance de masse comme le sont les assurances automobiles ou incendie et ses paramètres peuvent varier selon les caractéristiques du portefeuille de chaque assureur.

5. A partir de 1997, plusieurs événements ont provoqué des perturbations dans le secteur de l'assurance médicale. L'accroissement des coûts, dû à l'évolution, dans un sens plus favorable aux patients, du champ et des conditions de la responsabilité des établissements et des praticiens, ainsi que l'augmentation de la fréquence et du montant des indemnisations, a marqué un tournant, en particulier après l'intervention de l'arrêt dit " Perruche " rendu par la Cour de cassation en 2000. Les difficultés se sont concentrées sur les professionnels de santé " à risques lourds " que sont principalement les chirurgiens, les anesthésistes et les gynécologues obstétriciens, soit moins de 10 % du corps médical.

6. Ces évolutions jurisprudentielles ont pris place dans un contexte caractérisé par l'accroissement généralisé des coûts de réassurance dû à un certain nombre d'évènements internationaux, ainsi que par la chute des rendements financiers. Ces facteurs ont conduit à des hausses brutales et concentrées des tarifs de l'assurance civile médicale depuis 2001 et au retrait de certains assureurs de ce marché.

B. LE NOUVEAU CONTEXTE LÉGISLATIF

1. LES ÉVOLUTIONS JURISPRUDENTIELLES QUI ONT MOTIVÉ SON ADOPTION

7. Les évolutions jurisprudentielles évoquées précédemment ont concerné, par exemple, la création d'obligations de résultat en matière de prévention des infections nosocomiales, à la suite des trois arrêts de principe de la Cour de cassation du 29 juin 1999, ou encore la reconnaissance de préjudices personnels tels que la perte de chance de guérison ou de survie liée aux manquements à l'obligation d'information et l'indemnisation du recours à une tierce personne en cas de handicap grave causé par un acte médical.

8. L'étendue de la responsabilité du praticien ou de l'établissement public de soins, en cas d'erreur de diagnostic prénatal ayant conduit les parents à être mal informés des conditions de la grossesse, a été précisée par le Conseil d'État dans l'arrêt Quarez de 1997 (CE Sect. 14 février 1997, centre hospitalier de Nice c. Ep. Quarez Leb. p. 44). A la suite d'une erreur liée aux conditions de réalisation d'une amniocentèse faite par un établissement hospitalier, Mme Quarez a donné naissance à un enfant trisomique alors qu'elle aurait pu recourir à une interruption volontaire de grossesse si elle en avait été avertie. Le Conseil d'État a considéré que l'établissement avait commis une faute puisque Mme Quarez n'avait pas été informée des risques de sa grossesse et des risques d'erreur de diagnostic compte tenu des conditions de réalisation de l'examen. Le Conseil d'État a considéré que la faute commise devait être regardée comme la cause directe des préjudices matériels et moraux subis par M. et Mme Quarez du fait de devoir élever une enfant infirme. Le Conseil d'État a notamment décidé qu'une rente devait être allouée à la famille pour toute la durée de la vie de l'enfant afin de faire face aux charges particulières de soins et d'éducation spécialisée. Néanmoins, s'agissant de l'enfant handicapé lui-même, le Conseil d'État a jugé qu'il n'existait pas de lien direct entre la faute commise et sa situation, la trisomie n'étant pas la résultante de l'amniocentèse. Le Conseil d'État n'a ainsi pas admis le droit à réparation de l'enfant handicapé, au seul motif que son handicap n'avait pas été décelé pendant la grossesse.

9. Ce droit à indemnisation a, en revanche, été reconnu par la Cour de Cassation réunie en assemblée plénière dans l'arrêt du 17 novembre 2000 dit " Perruche " (Bull. n° 9). La Cour de cassation a jugé, dans le cas d'espèce, possible d'indemniser l'enfant handicapé lui-même pour le préjudice de son handicap non décelé. La mère, atteinte d'une rubéole en début de grossesse, avait subi des tests pour savoir si elle était immunisée. En raison de fautes commises par le médecin et le laboratoire, on lui indiqua à tort qu'elle l'était. Elle donna naissance à un enfant atteint de graves handicaps consécutifs à la rubéole. La Cour de cassation décida que " dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l'exécution des contrats formés avec Mme X avaient empêché celle-ci d'exercer son choix d'interrompre sa grossesse afin d'éviter la naissance d'un enfant atteint d'un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ".

10. A la suite de l'arrêt Perruche, réaffirmé par la suite par la Cour de cassation, les assureurs ont isolé une classe de risque relative aux échographistes foetaux et accru leur tarif.

11. Les lois Kouchner et About sur le droit de la responsabilité civile médicale sont consécutives à ces évolutions jurisprudentielles qu'elles ont soit confirmées pour certaines, soit atténuées pour d'autres.

2. LES APPORTS DE LA LOI KOUCHNER

12. L'article L. 1142-1 (II) du Code de la santé publique, tel qu'il résulte de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (dite " loi Kouchner "), reconnaît tout d'abord pour les accidents les plus graves, c'est-à-dire ceux impliquant un taux d'incapacité supérieur à 24 %, un droit à indemnisation sans qu'il y ait eu faute c'est-à-dire dans un cas où l'accident médical ne remplit pas les conditions habituelles de la responsabilité médicale pour faute (accident ne résultant que de l'aléa thérapeutique). Cette indemnisation est financée par la solidarité nationale et gérée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

13. Par ailleurs, le deuxième alinéa de l'article L. 1142-1 (I) pose le principe de la présomption de faute des établissements de santé dans le régime de la responsabilité des dommages résultant des infections nosocomiales : " Les établissements, services, et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ".

14. Ces régimes constituent des exceptions au principe général de cette loi, retenu au premier alinéa de l'article L. 1142-1 (I), qui fait reposer la responsabilité médicale assurable sur la faute : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent Code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".

15. La loi Kouchner a confirmé à cet égard les solutions jurisprudentielles mais a, en revanche, limité les impacts des arrêts Quarez et Perruche.

16. En effet, dans son article 1, elle dispose :

" Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance.

La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer.

Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation ".

La loi distingue ainsi le handicap dû à la faute médicale où la faute simple suffit (2ème alinéa) et le handicap préexistant non décelé pour lequel la faute caractérisée est exigée (3ème alinéa).

17. L'entrée en vigueur de cette loi a été immédiate, comme l'a confirmé un avis contentieux rendu par le Conseil d'État le 6 décembre 2002 : " (...) en l'absence de disposition dans la loi prévoyant une entrée en vigueur différée de l'article 1er et alors, au surplus, que l'intention du législateur, révélée par les travaux préparatoires, a été de donner à ce texte une application immédiate, les dispositions de l'article 1er sont entrées en vigueur dans les conditions du droit commun à la suite de la publication de la loi au Journal officiel de la République française ".

18. La loi a, en outre, ramené le délai de prescription à 10 ans (au lieu de 30 ans). Cependant, ce délai court à partir de la date de la " consolidation de l'état de santé du patient " (article L. 1142-28), qui est difficilement déterminable.

19. Elle a aussi créé une obligation d'information des patients. Les articles L. 1111-2 et suivants précisent : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé (...). Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seule l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser ".

20. Elle a également introduit une obligation d'assurance pour les professionnels de santé ainsi qu'une obligation d'assurer pour les assurances. L'article L. 1142-2 du Code de la santé publique dispose à cet égard : " Les professionnels de santé exerçant à titre libéral, les établissements de santé, services de santé et organismes mentionnés à l'article L. 1142-1 et toute autre personne morale, autre que l'État, exerçant des activités de prévention, de diagnostic ou de soins ainsi que les producteurs, exploitants et fournisseurs de produits de santé, à l'état de produits finis, mentionnés à (...), utilisés à l'occasion de ces activités, sont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile et administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d'atteintes à la personne survenant dans le cadre de cette activité de prévention, de diagnostic ou de soins ". L'assurance obligatoire est désormais l'une des conditions du droit d'exercer. Elle a été accompagnée de la création du bureau central de tarification pour l'assurance responsabilité médicale, le BCT. Celui-ci a pour rôle exclusif, quand le proposant s'est vu opposer deux refus, de fixer le montant de la prime et des franchises et de contraindre l'assureur à proposer une couverture (article L. 252-1 du Code de la santé publique). Toutefois, ce bureau n'a pu être immédiatement rendu pleinement opérationnel.

21. Aussi, alors que l'obligation d'assurance était pourtant instituée par la loi, certains médecins et établissements de santé n'ont pas pu trouver de compagnie acceptant de les assurer, compte tenu des incertitudes entourant le risque de responsabilité civile médicale.

22. C'est dans ce contexte que la loi About a été votée (voir ci-dessous) et le Groupement temporaire d'assurance médicale (GTAM) constitué (voir points 49 et suivants).

3. LA LOI ABOUT

23. La principale modification introduite par la loi n° 2002-1577 du 31 décembre 2002, dite " loi About ", est l'instauration d'un régime de contrats d'assurance fondé sur la réclamation et non plus sur le fait générateur. L'article 4, alinéa 3, dispose : " Tout contrat d'assurance conclu en application de l'article L. 1142-2 du Code de la santé publique garantit l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres pour lesquels la première réclamation est formée pendant la période de validité du contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre, dès lors que le fait générateur est survenu dans le cadre des activités de l'assuré garanties au moment de la première réclamation ".

24. Dans un système de contrat fondé sur le " fait générateur ", c'est l'assurance en cours à la date de réalisation de l'acte médical à l'origine du dommage qui doit indemniser le préjudice, quelle que soit la date effective de la réclamation. Or, en médecine, les réclamations peuvent intervenir plusieurs années après l'acte. Ce système peut donc engager les assureurs sur de très longues périodes. En contrat dit " base réclamation ", ce n'est plus l'assureur du contrat en vigueur lors de la survenance de l'acte qui prend en charge le sinistre, mais celui du contrat en vigueur lors de la réclamation. La " base réclamation " permet de connaître chaque année la liste des sinistres couverts par l'assurance de cette année, même si le montant des indemnisations n'est pas définitivement déterminé. En théorie, cet élément permet une meilleure prévisibilité des risques de l'assurance.

25. Gérer la transition et la rupture des bases statistiques consécutives à cette modification est néanmoins délicat. En effet, la tarification des primes s'appuyant sur des observations passées, les bases statistiques constituées sous le régime du " fait générateur " ne sont plus suffisamment pertinentes.

26. La loi About a, par ailleurs, atténué la part de l'assurance en ce qui concerne les dommages dus aux infections nosocomiales en prévoyant que les indemnisations sont prises en charge par la solidarité nationale à travers l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), dès que l'incapacité dépasse le seuil de 25 %.

C. LES JURISPRUDENCES RÉCENTES DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME ET DE LA COUR DE CASSATION

27. Des incertitudes subsistent aujourd'hui en dépit de l'adoption des lois mentionnées ci-dessus. Ainsi, trois arrêts de la Cour de cassation de fin janvier 2006, consécutifs à un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, sont revenus sur l'application dans le temps de la loi Kouchner.

28. Dans un arrêt du 6 octobre 2005, la Cour européenne des droits de l'homme a, en effet, jugé que " l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 a (...) violé, dans la mesure où il concerne les instances qui étaient en cours le 7 mars 2002, date de son entrée en vigueur, l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention ". Cette disposition stipule :

" Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit au possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. "

29. Les requérants avaient fait valoir que l'article 1er de la loi Kouchner portait atteinte à leur droit au respect d'une créance patrimoniale garanti par l'article 1er du protocole n° 1 annexé à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils alléguaient qu'avant l'intervention de la loi du 4 mars 2002, ils disposaient d'une espérance légitime d'obtenir la réparation des préjudices subis du fait du handicap de leur fille C., en application de la jurisprudence issue de l'arrêt Quarez. L'existence d'une faute de l'hôpital dans le diagnostic de recherche d'un handicap de l'enfant qui les avait privés de la possibilité de recourir à une interruption de grossesse n'était pas contestée à cet égard.

30. La cour a constaté que : " la loi du 4 mars 2002, entrée en vigueur le 7 mars 2002, a privé les requérants de la possibilité d'être indemnisés à raison des charges particulières en application de la jurisprudence Quarez du 14 février 1997, alors que, dès le 16 mars 2001, ils avaient saisi le Tribunal administratif de Paris d'une requête au fond et que, par ordonnance rendue le 19 décembre 2001, le juge des référés de ce même tribunal leur avait accordé une provision d'un montant substantiel, compte tenu du caractère non sérieusement contestable de l'obligation de l'AP-HP à leur égard. La Cour relève que, en l'espèce, dans la mesure où la loi contestée concerne les instances engagées avant le 7 mars 2002 et pendantes à cette date, telles que celles des requérants, cette ingérence s'analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier alinéa de l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention ".

31. La cour a également précisé que : " En annulant les effets de cette jurisprudence, outre ceux de l'arrêt Perruche de la Cour de cassation, pour les instances en cours, la loi litigieuse a appliqué un régime nouveau de responsabilité à des faits dommageables antérieurs à son entrée en vigueur et ayant donné lieu à des instances toujours pendantes à cette date, produisant ainsi un effet rétroactif ".

32. A la suite de cet arrêt, il a été jugé par la Cour de cassation, par exemple dans l'un des arrêts précités que : " l'enfant pouvait, avant l'entrée en vigueur de l'article 1er-I de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé demander réparation du préjudice résultant de son handicap et causé par la faute retenue ... Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d'un droit de créance en réparation d'une action en responsabilité, c'est à la condition selon l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de sauvegarde du respect des biens ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que l'article 1er-I, en prohibant l'action de l'enfant et en excluant du préjudice des parents les charges particulières découlant du handicap de l'enfant tout au long de sa vie, a institué un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec la créance de réparation intégrale, quand les époux Z... pouvaient, en l'état de la jurisprudence applicable avant l'entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur fille serait indemnisée au titre du préjudice résultant de son handicap ; d'où il suit, ladite loi n'étant pas applicable au présent litige, que [rejet du pourvoi formé par la Fondation Bagatelle et Mme X] ".

33. Les jurisprudences " Quarez " et " Perruche " sont donc à nouveau susceptibles de s'appliquer pour les sinistres en portefeuille déclarés avant l'entrée en vigueur de la loi Kouchner en mars 2002 mais non encore réglés.

34. Ces évolutions jurisprudentielles ou législatives, dans une certaine mesure inattendues, ont un impact sur les équilibres financiers des sociétés d'assurance. En effet, alors que les primes sont acquises et ont été calculées à partir de statistiques fondées sur des moyennes historiques de coûts, les charges soudainement modifiées font perdre à ces données statistiques leur valeur.

D. L'OFFRE EN RESPONSABILITÉ CIVILE MÉDICALE (RCM)

35. Le marché de l'assurance médicale était composé, avant 2000, de trois types d'intervenants : des sociétés d'assurances d'origine étrangère qui étaient entrées récemment sur le marché français et qui avaient capté, grâce à leur politique de prix, une part significative de ce marché, les assureurs généralistes traditionnels pour lesquels la responsabilité médicale n'était pas une spécialité et les assureurs spécialisés traditionnels.

36. Les évolutions législatives et jurisprudentielles précédemment évoquées ont redessiné le paysage du marché. Trois spécialités, l'obstétrique, la chirurgie et l'anesthésie ainsi que les établissements de soins privés spécialisés en MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) ont été particulièrement touchés par ces modifications.

1. LES COMPAGNIES D'ORIGINE ÉTRANGÈRE

37. En 2001 et 2002, certains assureurs comme les américains ACE et Saint Paul, qui avaient pénétré le marché français de la responsabilité civile médicale à partir de 1997 en provoquant une baisse des primes, s'en sont retirés, ce qui l'a déstabilisé.

38. Ces compagnies assuraient de nombreux professionnels à risques lourds, ainsi qu'environ la moitié des cliniques françaises. Ces praticiens ou cliniques se sont ainsi retrouvés sans assurance, pratiquement du jour au lendemain.

2. LES COMPAGNIES GÉNÉRALISTES FRANÇAISES

39. Le marché de la responsabilité civile médicale est traditionnellement une " niche " qui intéresse peu les assureurs généralistes, plus tournés vers des risques de masse. Leurs comptes sur la responsabilité civile professionnelle ne différencient généralement pas ce qui relève de l'activité médicale et leurs calculs actuariels relatifs à l'activité médicale s'inspirent des calculs proposés par les spécialistes.

40. Ainsi, en raison de l'accroissement des charges et de l'incertitude, ces assureurs ont décidé de restreindre les souscriptions des professions à risques et des établissements privés. A titre d'exemple, un directeur des AGF a déclaré : " En 1998, les AGF assuraient 1 800 professionnels de santé à forts risques dont 1 300 appartenaient à des groupements. Depuis 2002, les AGF ont une politique de désengagement dans le domaine de l'assurance des professionnels de santé à fort risque. Cette décision de désengagement a été prise en 1999-2000 pour le réseau des agents généraux, en 2000-2001 pour le courtage et en avril 2002 pour les adhérents UNIM. Lorsque les AGF se sont désengagées du marché, les raisons étaient essentiellement économiques. La RCM pour les professionnels de santé à forts risques n'était pas assez rentable ". Les AGF ont résilié une grande majorité des contrats des spécialistes à risques et des cliniques. Leur portefeuille " risques lourds " est passé de 1 800 à 460 professionnels en quatre ans, de 1999 à 2003. Groupama confirme le retrait du marché des assurances généralistes sur ces risques lourds : " Concernant les risques lourds, la souscription en RCM est exclue. Nous appelons risques lourds : les établissements hospitaliers et cliniques, les anesthésistes, les chirurgiens et les obstétriciens ". AXA a également réduit son portefeuille de 1 387 praticiens à risques lourds à 611, entre 1999 et 2003.

3. LES SPÉCIALISTES DU MARCHÉ DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE MÉDICALE

41. Les spécialistes du marché de l'assurance " Responsabilité civile médicale " ont augmenté le niveau de leurs primes. Ils sont au nombre de cinq, dont trois mutuelles professionnelles : la Mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF), le Sou médical, la Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), une société anonyme, la Médicale de France ainsi qu'une société créée en 2002, la MIC (Medical Insurance Company), de droit irlandais.

42. La Médicale de France n'est pas un acteur majeur dans le domaine des risques lourds et la SHAM est essentiellement présente pour les établissements publics. Elle a néanmoins accru son offre auprès des cliniques privées. Le directeur de la SHAM a indiqué en avril 2004 : " Nous assurons d'ailleurs 2/3 des établissements publics français MCO pour leur responsabilité civile alors que nos 118 cliniques privées assurées ne représentent que 10 % des cliniques françaises. Vu la raréfaction de l'offre actuelle, nous sommes de plus en plus demandés par les cliniques. Pendant longtemps, les tarifs ont été tirés à la baisse par certains assureurs mais également par les courtiers jusqu'à ce que le système craque ".

43. Bien que le Sou médical et la MACSF aient été deux sociétés distinctes à l'époque des faits, elles présentaient, à la suite d'un accord de co-assurance, une politique commerciale et tarifaire commune. Les représentants de ces mutuelles ont déclaré : " La RCM est actuellement une activité à risque soumise à de fortes incertitudes. MACSF et le Sou Médical sont restés sur le marché, contrairement à d'autres assureurs généralistes. Ces sociétés, sans objet commercial, créées par des professionnels de santé pour des professionnels de santé n'ont pas vocation à abandonner des confrères. Le Sou Médical qui était spécialisé uniquement dans la RCM et la protection juridique a connu des difficultés ces dernières années. La MACSF, qui elle avait des activités plus diversifiées, avec notamment une branche automobile, a donc pu venir épauler le Sou Médical, conformément aux dispositions de l'accord de co-assurance précité ".

44. En ce qui concerne l'ensemble des risques lourds (chirurgiens, anesthésistes, obstétriciens), les mutuelles ont en portefeuille 3 500 spécialistes sur les 15 000 présents en France.

45. La part de marché de la MACSF et du Sou médical est surtout prépondérante pour la spécialité gynécologues/obstétriciens, avec deux tiers du nombre de ces praticiens en portefeuille. Elle semble l'être également pour les échographistes foetaux. Il est, toutefois, difficile d'établir le nombre exact d'échographistes foetaux, car l'échographie foetale n'est pas une spécialité mais une activité médicale, pouvant être proposée par tous les médecins, généralistes, radiologues ou gynécologues. Les mutuelles, ayant individualisé ce risque après l'arrêt Perruche, ont procédé à une estimation du nombre d'échographistes foetaux qu'elles assurent, après analyse de questionnaires précis. Le président du Syndicat national de l'union des échographistes indique : " Les assureurs généralistes présents pour les échographistes exclusifs étaient notamment AXA ou AGF. Actuellement, c'est surtout la MACSF et aussi un peu la Médicale de France qui assurent les échographistes qui ne sont pas chirurgiens ".

46. Les responsables des mutuelles ont indiqué que la Commission de contrôle des assurances (CCA) avait préconisé d'accroître le niveau de leurs primes qu'elle jugeait sous-évaluées. Cet effet de " rattrapage des primes " a été confirmé par la CCA qui a transmis les exercices comptables des assureurs spécialisés en responsabilité civile médicale (la MACSF, le Sou médical, la SHAM et la Médicale de France). Ces éléments montrent qu'à partir de 1999, les résultats techniques sont devenus très négatifs, conséquence de l'inadéquation et de la sous-évaluation du niveau des primes (avant l'annonce des augmentations qui a suscité les présentes saisines) au regard de l'accroissement des charges (60 % pendant les années 1998 et 1999), de l'effondrement des revenus des placements financiers et de l'augmentation des conditions des réassureurs.

4. LA SOCIÉTÉ IRLANDAISE

47. Un certain nombre de professionnels, en particulier les chirurgiens et les anesthésistes, se sont retournés vers l'assureur de droit irlandais Medical Insurance Company (MIC) créé en 2002, dont la part de marché sur les risques lourds atteint 40 % en 2006. Il n'assure pas les cliniques.

48. La MIC a été créée par le courtier Branchet, en réponse aux difficultés de l'offre. Elle exerce en libre prestation de service depuis Dublin. La MIC propose des tarifs moindres que ses concurrents et explique sa politique tarifaire de la façon suivante : une politique active d'information et de prévention, un portefeuille vierge de tout historique et l'interprétation qui suit de la loi About :

" Les sinistres dont le fait dommageable est antérieur à 2003 relèvent des contrats antérieurs, écrits en base fait générateur. De ce fait, ses garanties ne couvrent que les sinistres dont le fait dommageable est postérieur à 2003 ". M. Y... a déclaré à ce propos : " [X] avait une grosse partie du marché quand About est arrivé. Ils sont partis sans donner un franc de sinistres car les réclamations sont parvenues après, sous la loi About. Nous nous appuyons sur cette même loi (article 5) qui prévoit une période de transition de 5 ans. Pendant 5 ans, le fait générateur s'applique et nous nous retournons contre la compagnie " fait générateur ". Nous avons des procès contre certaines compagnies ".

A et égard, l'article 5 de la loi About prévoit en substance que les sinistres découlant de faits survenus avant le 1er janvier 2003 restent couverts par le contrat d'assurance en base " fait générateur " en vigueur au moment de leur survenance dès lors que la réclamation intervient moins de cinq ans après la fin de la validité dudit contrat. La MIC a donc un portefeuille de risques " allégé " dans la logique " base réclamation " pendant quelques années.

5. LA CONSTITUTION DU GTAM

49. L'insuffisance de l'offre a eu pour conséquence la mise en place du Groupement temporaire d'assurance médicale (GTAM) à partir du 1er janvier 2003. La création de ce pool d'assureurs, permettant de mutualiser en partie le risque médical entre les assureurs adhérents afin qu'aucun médecin ne se trouve " orphelin " alors même que la loi impose une obligation d'assurance, a été le fruit d'une négociation entre les assureurs et les pouvoirs publics. Les assureurs ont conditionné leur participation au GTAM au vote de la loi About, en particulier au passage du contrat " fait générateur " au contrat " base réclamation ". Pour bénéficier du GTAM, un médecin devait ne pas avoir trouvé sur le marché une couverture d'assurance de responsabilité civile médicale. La notification de résiliation des compagnies américaines a été considérée suffisante, compte tenu de la situation d'urgence, pour saisir le GTAM. Il s'agissait de pallier les insuffisances du marché. Il a été précisé, dans les conditions d'accès au GTAM que : " le pool GTAM est accessible à toute personne physique ou morale soumise à l'obligation d'assurance dans le cadre de la loi " Droits des malades " du 4 mars 2002 et qui n'aurait pas trouvé auprès des assureurs du marché la couverture requise. Le pool, intervenant de façon subsidiaire au marché et dans des délais extrêmement brefs, exige la présentation de justificatifs de 2 refus de moins de 6 mois de compagnies pratiquant effectivement la couverture sollicitée ; ceci, afin de réserver le traitement le plus efficace possible aux professionnels n'ayant pu obtenir aucune offre d'assurance ". Le président de cet organisme a précisé : " Le GTAM a pris en charge environ 1 400 praticiens (chirurgiens, anesthésistes et gynécologues principalement) et 500 établissements de soins ".

50. Initialement, le GTAM ne devait pas fonctionner plus d'un an. Il a été prolongé de six mois pour éviter l'engorgement du BCT, le bureau central de tarification, dont la création était prévue par la loi Kouchner.

E. LES PRATIQUES DÉNONCÉES

51. La plainte des échographistes a pour objet les conditions de l'augmentation des primes d'assurance demandées aux professionnels libéraux pratiquant le diagnostic prénatal, c'est-à-dire les échographistes foetaux. Les saisissants affirment : " Le marché pertinent est encore plus étroit que celui des professionnels de santé. Il s'agit précisément de la garantie du risque induit par le diagnostic prénatal, c'est-à-dire l'activité des échographistes. Le Sou médical a décidé d'augmenter les primes exigées aux échographistes de près de 400 % faisant passer cette cotisation d'environ 600 euro, en 2001, à plus de 2 100 euro en 2002 ". La saisine vise le Sou médical et la MACSF qui, à la suite de la mise en commun de leur politique tarifaire en co-assurance dans une société dénommée GAMM (Groupe des Assurances Mutuelles Médicales), auraient abusé de leur position dominante, sur le marché de la responsabilité civile médicale à destination des échographistes foetaux, en augmentant les primes de façon arbitraire.

52. L'Union des chirurgiens français estime, pour sa part, qu'une entente est intervenue sur le marché de la responsabilité civile médicale afin d'accroître les primes d'assurance. Cette entente aurait été facilitée par la constitution du GTAM, qui proposerait des montants de primes identiques à ceux proposés par les autres assureurs. Ces augmentations tarifaires ne se justifieraient ni par l'augmentation du nombre des sinistres, ni par l'adoption des lois Kouchner et About, au contraire favorables aux assureurs. Un sondage, réalisé sur l'année 2003 par l'Union des chirurgiens sur une population de 416 chirurgiens, indique que 267 ont vu leurs contrats résiliés, et que les autres ont subi des augmentations tarifaires variables en fonction de la compagnie et de leur spécialité. Par exemple, MMA " tarifierait " un chirurgien 16 500 euro contre 19 279 pour AXA et 15 000 pour la MACSF.

53. Pour la délégation régionale du Languedoc-Roussillon de la Fédération de l'hospitalisation privée qui représente l'ensemble des établissements de soins privés, les assureurs ont, ensemble, orchestré une pénurie d'offre et une augmentation des primes à travers le GTAM vis-à-vis des cliniques dites " MCO ", c'est-à-dire spécialisées dans les interventions de médecine, chirurgie et obstétrique, qui représentent deux tiers des 1 300 cliniques privées soit 860 établissements.

II. Discussion

A. SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE ALLÉGUÉ DES SOCIÉTÉS D'ASSURANCE LE SOU MÉDICAL ET MACSF SUR LE MARCHÉ DE LA RESPONSABILITÉ MÉDICALE DES ÉCHOGRAPHISTES FOETAUX (PLAINTE DE L'AFIRM, N° 02/104F)

54. Aucune observation, hormis celles du commissaire du Gouvernement, n'a été adressée au Conseil de la concurrence à la suite du rapport de non-lieu présenté par la rapporteure.

1. SUR LA DÉFINITION DU MARCHÉ PERTINENT

55. La spécificité de la demande d'assurance de la responsabilité civile médicale des échographistes foetaux est appréciée au regard de la spécificité des risques, accentuée à la suite de l'arrêt Perruche et de l'individualisation de cette classe de risques dans les comptes des assurances. A cet égard, sans intervention publique, il paraît difficile de mutualiser les risques entre les différentes catégories de médecins puisque si une assurance y recourait en faisant " surpayer " les risques faibles et nombreux comme ceux des généralistes pour baisser les primes des spécialistes à risques plus élevés mais moins nombreux, les " généralistes " se retourneraient vers d'autres sociétés d'assurance, aggravant ainsi la situation comptable de l'assurance initiale contrainte de ne prendre en charge que les risques lourds (phénomène de sélection adverse). C'est la raison pour laquelle la MACSF a créé une classe de risques spécifique aux échographistes foetaux.

56. Ces éléments conduisent à définir un marché pertinent de l'assurance responsabilité civile médicale à destination des échographistes foetaux.

2. SUR LA POSITION DOMINANTE

57. On ne dispose pas de données précises sur le nombre d'échographistes foetaux. Il semble toutefois, d'après les déclarations émanant tant des médecins que des assureurs, que la grande majorité de ces praticiens est assurée à la MACSF et au Sou médical. Ce regroupement est donc vraisemblablement en position dominante.

3. SUR L'ABUS

58. Aucun élément du dossier ne permet cependant de constater que la MACSF et le Sou médical auraient abusé d'une telle position dominante sur le marché de l'assurance de la responsabilité civile médicale à destination des échographistes foetaux en augmentant artificiellement et de façon excessive, sans raison économique ou juridique, le niveau des primes, afin de se constituer une rente.

59. Il est admis qu'un prix peut constituer un abus de position dominante s'il est " exagéré par rapport à la valeur économique de la prestation fournie ", (voir notamment l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes, du 13 novembre 1975, General Motors/Commission, 26-75, Rec. p. 1367 et les décisions du Conseil de la concurrence n° 00-D-27 du 13 juin 2000 relative à une saisine de l'Union fédérale des consommateurs sur les prix de vente des produits commercialisés à la cantine de la prison d'Osny, ou n° 03-D-18 du 10 avril 2003 relative à une saisine de la société GLEM sur les prix des droits de diffusion de documents télévisuels pratiqués par l'Institut national de l'audiovisuel). L'abus de position dominante est alors réputé prendre la forme d'un " abus d'exploitation ".

60. A titre d'exemple, dans la décision n° 00-D-27 précitée, après avoir rappelé : " (...) selon la jurisprudence de la CJCE, une pratique de prix abusifs à l'égard de particuliers ou de professionnels, dans le cadre d'un monopole, peut être établie, s'il existe une disproportion manifeste entre ce prix et la valeur du service correspondant (CJCE General Motors 13 novembre 1975 et CJCE 11 novembre 1986 British Leyland), ou si une telle anomalie manifeste apparaît à la suite d'une comparaison effectuée sur une base homogène dans le cadre d'une analyse des composants du prix pratiqué (CJCE 14 février 1978 UBC et CJCE 13 juillet 1989 Tournier) ; une telle pratique n'existera pas si la disproportion constatée comporte une justification (CJCE 8 juin 1971 Deutsche Grammophon et CJCE 13 juillet 1989 Tournier précité) ", le Conseil a relevé : " que la marge brute, de 1994 à 1996, a été, en moyenne, inférieure à 23 % et que, sur la même période, l'exploitation a été déficitaire ; que, dès lors, la méthode d'analyse globale ne révèle aucune disproportion manifeste entre les prix indiqués par la cantine et la valeur des produits vendus ; ... que si la méthode comparative est appliquée, l'on constate, en premier lieu, que les prix pratiqués dans cette cantine sont inférieurs à ceux des cantines de maison d'arrêt à gestion publique et sont dans la moyenne de ceux des cantines de maison d'arrêt à gestion déléguée ".

61. Il ressort de ces jurisprudences que la comparaison des prix dénoncés comme abusivement élevés avec d'autres prix, pratiqués pour des biens ou services offerts dans des conditions similaires, est un élément important d'appréciation de la pratique alléguée.

62. Néanmoins, en l'espèce, les évolutions juridiques évoquées précédemment ont engendré des incertitudes sur l'évaluation des coûts de l'assurance médicale des échographistes foetaux ; par ailleurs, c'est à la suite d'observations de la Commission de contrôle des assurances que les tarifs des assureurs restant sur le marché ont tous subi la même évolution à la hausse, ce qui offre une explication exogène plausible au parallélisme de leurs comportements.

63. Il peut, cependant, être relevé que sur le marché de la responsabilité civile médicale, les assurances n'ont pas besoin d'un agrément spécifique et qu'ainsi aucune barrière à l'entrée n'interdit à de nouveaux opérateurs de l'assurance de pénétrer ce marché. Or, malgré l'accroissement conséquent des primes et l'obligation d'assurance des médecins instituée par la loi Kouchner, aucun nouvel intervenant n'est arrivé sur le marché : au contraire, des sociétés d'assurance déjà présentes l'ont quitté. Cette sortie du marché indique que les marges obtenues par les acteurs ne leur offraient pas un profit attractif.

64. Si les prix avaient été abusivement élevés par rapport au niveau des risques et des coûts, ainsi que le dénonce la plaignante, de nouveaux opérateurs en auraient très vraisemblablement profité pour prendre des parts de marché. Le seul à le faire a été la compagnie irlandaise MIC, mais, comme il a été vu au point 48 de la présente décision, sur des bases différentes de celles de ses concurrents. Au moins, l'essentiel des assureurs présents serait resté afin de tirer profit de la rente engendrée par ces augmentations tarifaires injustifiées. Or, beaucoup, estimant que le risque était trop lourd, se sont retirés.

65. Compte tenu de ces éléments, il ne peut être établi que la MACSF et le Sou médical aient pratiqué des prix abusifs. Préconisée par la Commission de contrôle des assurances à la suite de la constatation de la dégradation des comptes, l'augmentation des primes a résulté de l'alourdissement soudain du risque supporté par les assureurs, consécutivement à l'arrêt Perruche, et de l'individualisation de ce risque dans les comptes des assureurs. La constatation d'un problème structurel du marché a d'ailleurs amené le législateur à adopter, en 2002, les lois Kouchner et About.

B. SUR LA CONCERTATION ALLÉGUÉE ENTRE LES ASSUREURS QUI AURAIT ÉTÉ FACILITEE PAR LA CONSTITUTION DU GTAM (PLAINTE DE L'UCF, N° 03/0014F)

66. Aucune observation, hormis celles du commissaire du Gouvernement, n'a non plus été adressée au Conseil de la concurrence pour cette partie du dossier à la suite du rapport de non-lieu présenté par la rapporteure.

1. SUR L'ACCROISSEMENT DES PRIMES

67. Le niveau des primes d'assurance de la responsabilité civile médicale à destination des professions de santé à risques lourds, des chirurgiens en particulier, s'est effectivement accru de façon conséquente et simultanée pour toutes les compagnies d'assurance restant présentes sur ce marché, comme le souligne la plaignante.

68. Néanmoins, au-delà de la constatation de ce parallélisme de comportement, aucun élément n'a pu être relevé au cours de l'instruction qui permette d'affirmer que les accroissements de primes constatés résultent d'une entente anticoncurrentielle organisée par les sociétés d'assurance après qu'elles aient orchestré une pénurie d'offres, et en particulier qui permette d'étayer la thèse selon laquelle les assureurs auraient échangé des informations ayant pour objectif de préparer une augmentation des primes généralisée et auraient accrû parallèlement le niveau des primes d'un même montant après concertation.

69. Au contraire, les éléments recueillis, notamment auprès de la Commission de contrôle des assurances, donnent des explications objectives, permettant d'expliquer le parallélisme de comportement des assurances :

- une sous-évaluation des primes par rapport à l'évolution du risque, ayant provoqué un rattrapage brutal : cet état de fait a été confirmé par le commissaire contrôleur des assurances présent en séance ;

- une réévaluation des primes de réassurance liée aux évènements internationaux ;

- une baisse importante des recettes sur les marchés financiers, ce qui, dans le contexte de contrats susceptibles d'entraîner des règlements de sinistres à plusieurs années et supposant de ce fait la constitution et le placement de provisions techniques importantes, a des répercussions lourdes sur les équilibres de la branche en partie fondés sur les revenus des marchés financiers ;

- des évolutions juridiques rapides, conséquentes, et, tout au moins dans un premier temps, non stabilisées, modifiant en profondeur l'environnement, ayant un impact très important sur les équilibres des assurances de la responsabilité civile médicale ;

- une individualisation des classes des risques " lourds " dans les comptes des assureurs afin d'éviter, en l'absence d'intervention des pouvoirs publics, le phénomène d'anti-sélection connu en assurance dans un environnement concurrentiel ;

- une judiciarisation croissante des rapports entre les prestataires de soins et les patients ou leurs ayant-droit en cas de problèmes liés à la prestation des soins.

70. Ces évènements ont eu comme conséquence un fort accroissement de l'incertitude et donc une diminution de la prévisibilité des coûts, une augmentation des charges et des primes et une contraction de l'offre très marquée. La plupart des acteurs présents sur le marché de la responsabilité civile des risques lourds avant les années 2000 s'en sont écartés, y compris des assureurs avertis comme la Médicale de France. Aucun n'a souhaité y revenir après les votes des lois Kouchner et About, malgré des niveaux de primes élevés. Ces éléments expliquent le parallélisme de comportement observé des assureurs qui sont restés sur le marché, se traduisant par les hausses tarifaires en cause.

2. EN PARTICULIER SUR LE RÔLE DU GTAM

71. C'est la constatation des phénomènes décrits précédemment qui a mené à la création du GTAM. Le GTAM, pool d'assurances, a été constitué à la demande des pouvoirs publics (ministères chargés de la santé et de l'économie), pour offrir, en urgence, une assurance responsabilité civile, rendue obligatoire par la loi, à chaque professionnel ne trouvant pas à s'assurer.

72. Les tarifs proposés par le groupement, soit 15 000 euro, se sont rapprochés des tarifs pratiqués sur le marché, en particulier de ceux proposés par les assureurs spécialistes de ce type de risques, disposant de l'expertise la plus fine en la matière. En 2003, la Médicale de France et la MACSF ont proposé une prime commerciale moyenne autour de 15 000 euro pour les chirurgiens, variant en fonction de chaque praticien pour tenir compte des situations individuelles. Les assureurs généralistes proposaient des primes plus élevées, de 16 500 euro pour la MMA, la moins chère du marché, mais la plupart d'entre elles ont réduit considérablement leurs niveaux de souscription. A titre d'exemple, AXA, chef de file du GTAM, a réduit le nombre de contrats risques lourds de 1 387 contrats en 1999 à 611 en 2003, les AGF en ont gardé 80 en 2003. Initialement, les assureurs généralistes, plus habitués au risque de masse, comptabilisaient la responsabilité civile médicale au sein de la responsabilité civile globale. Un représentant des AGF l'a confirmé : " La prise de conscience des assureurs généralistes de la sous-évaluation des primes en matière de RCM date de 2000-2001. En effet, à cette époque, il s'est su que les assureurs spécialisés avaient reçu des mises en garde de la Commission de contrôle des assurances au sujet de la sous-évaluation de leurs primes. Les assureurs généralistes, eux, n'avaient pas une vue précise de leur partie RCM car elle était confondue avec la RC générale ". Leur connaissance moins fine du marché spécifique de la responsabilité civile médicale a, d'ailleurs, précipité leur retrait du marché.

73. Le fait que le GTAM ait lui-même appliqué des tarifs voisins de ceux des assureurs spécialisés s'explique par la circonstance qu'il ne pouvait avoir d'autres références que celles des assureurs encore présents sur le marché, alors qu'il était constitué pour une durée d'un an. Ainsi, afin de déterminer les primes, " le Président du GTAM s'est fait communiquer par les assureurs le maximum d'informations statistiques pour déterminer un juste prix tenant compte d'impératifs commerciaux et d'impératifs politiques ". Le président du GTAM précise : " Pour fixer les tarifs GTAM des praticiens, j'ai pris en compte les statistiques de sinistres des assureurs spécialisés tels la MACSF/Le Sou, la Médicale de France et les agrégats transmis par la FFSA (le problème en la matière étant la volatilité des sinistres). Je suis arrivé à un tarif unique de 16 200 euro pour les gynécologues, obstétriciens, et les chirurgiens, ramené ensuite à 15 000 euro ".

74. En admettant qu'une telle démarche puisse être considérée comme anticoncurrentielle alors qu'elle vise à permettre de pallier une insuffisance du marché, elle s'inscrit en tout état de cause dans le cadre des échanges statistiques du type de ceux autorisés par les règlements d'exemption communautaires n° 3932-92 et n° 358-2003 pour déterminer le coût de couverture moyen d'un risque, dès lors qu'aucun élément du dossier ne montre que le GTAM aurait fixé ses primes commerciales autrement qu'en fonction de considérations liées à la mission d'intérêt général qui lui était impartie.

75. Aucun objet ni effet anticoncurrentiel ne peut donc être relevé dans la constitution ou le fonctionnement du GTAM.

C. SUR LES PRATIQUES ALLÉGUÉES D'ORGANISATION DE LA PÉNURIE DE L'OFFRE ET D'AUGMENTATION DES PRIMES D'ASSURANCE DES CLINIQUES " MCO " (PLAINTE DE LA FÉDÉRATION DE L'HOSPITALISATION PRIVÉE DU LANGUEDOC-ROUSSILLON, N° 03/0039F)

76. Aucune observation, hormis celles du commissaire du Gouvernement, n'a non plus été adressée au Conseil de la concurrence pour cette partie du dossier à la suite du rapport de non-lieu présenté par la rapporteure.

77. Les assureurs les plus présents sur ce type de risque, les entreprises américaines, ACE et Saint-Paul, se sont retirés du marché. A la suite de ces retraits, les compagnies restantes étaient principalement AXA, la SHAM et MMA. Il ressort du dossier que les assureurs ont cherché à travers un questionnaire d'activités à cerner au plus près le risque de chaque établissement. Les primes ont été individualisées en fonction des caractéristiques de chacun.

78. Le GTAM a compensé les retraits du marché en prenant en charge 500 établissements. Le président du GTAM a précisé ainsi la manière dont il déterminait les primes à l'adresse des cliniques privées : " Pour les établissements de soins, je me suis basé sur des embryons de statistiques de sinistralité de tous les établissements de France. Le niveau des accidents médicaux est à environ 1,5 % du budget des établissements. Il a fallu pondérer différents critères tels les activités pratiquées, le nombre de lits puis nous appliquons un taux au chiffre d'affaires. Le tarif est fixé par les services du GTAM (constitués principalement par des étudiants de l'École nationale d'assurance) établissement par établissement à partir d'un questionnaire et d'une feuille de barème ".

79. Dans ce secteur, les primes étaient semble-t-il sous-évaluées depuis un moment. Le directeur de la SHAM indique à ce propos : " Pendant longtemps les tarifs ont été tirés à la baisse par certains assureurs mais également par les courtiers jusqu'à ce que le système craque. Mais les cliniques ont bénéficié pendant de nombreuses années de primes très peu élevées pour les risques couverts. Nous avons eu conscience rapidement qu'il fallait revenir à un équilibre technique et augmenter nos cotisations ".

80. Ensuite, la loi Kouchner a contribué à la forte augmentation des primes en retenant le principe de la présomption de faute des cliniques lorsqu'une infection nosocomiale a été contractée par un patient y séjournant. La loi About a, certes, reporté une partie de ce risque vers la solidarité nationale. Néanmoins, les infections nosocomiales entraînant une invalidité inférieure à 25 % restent normalement à la charge des cliniques et de leurs assurances.

81. Par ailleurs, tout comme en ce qui concerne l'assurance des chirurgiens, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que les assureurs se seraient entendus pour accroître les primes des cliniques " MCO ". Aucun indice dans le dossier ne vient non plus conforter la thèse selon laquelle le GTAM n'a pas fixé ses tarifs de manière autonome par rapport aux différents assureurs participant à ce pool pour faire face à une situation d'urgence.

82. La Commission de contrôle des assurances a indiqué à cet égard : " En conclusion de notre point de vue, la sinistralité de la branche paraît justifier le tarif du GTAM, dont l'intervention n'est destinée qu'à pallier l'insuffisance de l'offre d'assurance sur le marché, d'autant qu'il supporte une évidente anti-sélection puisqu'il ne prend que des risques déjà refusés par des assureurs et que, même à ce tarif, ses opérations pourraient se révéler encore déficitaires ".

D. CONCLUSION

83. Aucun élément ne permet donc d'identifier des comportements contraires à l'article L. 420-1 ou à l'article L. 420-2 du Code de commerce.

84. Les problèmes économiques soulevés par la présente affaire ne résultent pas, au vu du dossier, de comportements anticoncurrentiels. Les primes d'assurance sont fixées en fonction d'une contrainte de rentabilité et de solvabilité face au risque, alors que les revenus des médecins sont liés aux tarifs des actes médicaux fixés par la sécurité sociale, en particulier pour les médecins exerçant en secteur 1. En effet, la tarification des prestations des médecins est régie par les règles de la sécurité sociale qui distinguent le secteur 1 pour lequel les tarifs sont conventionnés, le secteur 2, également conventionné mais qui autorise les médecins spécialistes en relevant à pratiquer des honoraires libres, la différence entre le tarif de la sécurité sociale et le prix payé au médecin restant à la charge du patient ou des assurances complémentaires, et enfin le secteur non conventionné, rarement utilisé, pour lequel le remboursement se fait sur la base de 1 euro. Les actes réalisés en secteur 1 doivent respecter strictement les honoraires de la convention sécurité sociale. La sécurité sociale a limité l'accès au secteur 2 ; les médecins doivent répondre à un certain nombre de critères pour en bénéficier. La plupart des anesthésistes travaillent en secteur 1 et ne peuvent pas ajuster leurs honoraires aux hausses des primes, alors que les chirurgiens, majoritairement en secteur 2 peuvent, dans une certaine mesure, répercuter l'accroissement des primes sur leurs honoraires et que la population des gynécologues -obstétriciens se partage entre secteur 1 et secteur 2. Aucun médecin du secteur 1 ne peut légalement compenser la hausse des primes par des dépassements d'honoraires. Faute d'une intervention publique visant à mutualiser davantage l'assurance des " bons " et des " mauvais " risques des professions de santé, cette distorsion risque de perdurer.

Décision

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.