CJCE, 5e ch., 11 juillet 1985, n° 221-84
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
F. Berghoefer GmbH & Co. KG
Défendeur :
ASA (SA)
LA COUR,
1 Par ordonnance en date du 28 juin 1984, parvenue au greffe de la Cour le 18 août 1984, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après la convention) deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 17, premier alinéa, de cette convention.
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société Berghoefer, dont le siège est à Mönchengladbach (République fédérale d'Allemagne) (ci-après la demanderesse) à la société anonyme ASA, dont le siège est à Villeurbanne (France) (ci-après la défenderesse) et portant sur la validité d'une clause attributive de juridiction convenue initialement par écrit et modifiée, par la suite, oralement.
3 La société Berghoefer était depuis environ vingt années agent commercial ('Handelsvertreter') de la société ASA. A la suite de la cessation de ce contrat d'agent, Berghoefer a réclamé à ASA une indemnité compensatrice au titre de l'article 89 ter du Code de commerce allemand et une indemnité pour obligation de non-concurrence.
4 Les parties au principal se sont opposées sur la compétence du Landgericht Mönchengladbach, saisi par la demanderesse. En effet, alors que dans le contrat de 'Handelsvertreter', conclu en 1964, les parties étaient convenues initialement d'attribuer compétence au Tribunal de commerce de Roanne (France), la demanderesse a affirmé être convenue verbalement avec la défenderesse, le 8 octobre 1975, de modifier cette convention initiale attributive de juridiction et d'attribuer compétence aux tribunaux de Mönchengladbach, en contrepartie du fait que la demanderesse supporterait désormais, à la place de la défenderesse, les frais de traduction entrainés par leurs échanges commerciaux.
5 La demanderesse a soutenu avoir confirmé cette convention verbale par une lettre du 27 octobre 1975 adressée à la défenderesse. Selon elle, la défenderesse aurait bien reçu cette lettre et n'aurait formulé aucune objection à son encontre. A l'inverse, la défenderesse a contesté l'existence de cette prétendue convention verbale et a soutenu n'avoir jamais reçu la lettre qui était censée la confirmer.
6 Par jugement du 19 février 1981, le Landgericht Mönchengladbach s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige, après avoir considéré comme établi que les parties avaient effectivement convenu verbalement de designer Mönchengladbach comme juridiction compétente et que la confirmation de cette convention était bien parvenue à la défenderesse.
7 Saisi en appel, l'Oberlandesgericht Düsseldorf a jugé, dans un arrêt du 12 mars 1982, qu'à les supposer exacts, les faits exposés par la demanderesse ne suffiraient pas à fonder la compétence des tribunaux de Mönchengladbach, la confirmation écrite dont la demanderesse affirme l'existence ne satisfaisant pas aux exigences des stipulations de l'article 17, premier alinéa, de la convention. En effet, selon l'Oberlandesgericht, une convention attributive de juridiction conclue verbalement ne serait valable que lorsqu'elle a fait l'objet d'une confirmation écrite émanant de la partie à laquelle elle doit être opposée en cas de litige. Or, en l'espèce, c'est la demanderesse, en faveur de laquelle la convention a été conclue, qui a confirmé par écrit cette convention verbale, et non la défenderesse, à laquelle cette convention est opposée.
8 La demanderesse a alors formé un recours en révision devant le Bundesgerichtshof en contestant cette position sur ce point de l'Oberlandesgericht. D'une part, elle a fait valoir que selon la lettre et l'esprit de l'article 17, premier alinéa, de la convention, une convention attributive de juridiction peut également être confirmée valablement par la partie en faveur de laquelle elle a été conclue, et d'autre part, elle a invoqué la mauvaise foi de la défenderesse consistant à alléguer ce prétendu vice de forme de la convention attributive de juridiction, tout en ayant fait usage, sans l'avoir contestée, de la disposition favorable, convenue précisément en contrepartie de la modification verbale de la clause attributive de juridiction.
9 C'est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof a sursis à statuer et posé à la Cour les deux questions préjudicielles suivantes :
'1) Eu égard à l'article 17, premier alinéa, de la Convention de la Communauté européenne du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, suffit-il, au regard de la validité formelle d'une convention attributive de juridiction, verbalement conclue, que cette dernière ait fait l'objet d'une confirmation écrite émanant de la partie en faveur de laquelle elle a été stipulée?
Pour le cas où la question recevrait une réponse négative :
2) Le principe du 'treu und glauben' (principe de bonne foi) interdit-il à la partie à laquelle la convention attributive de juridiction doit être opposée d'invoquer sa nullité en la forme lorsqu'elle n'a pas protesté à l'encontre de la confirmation écrite, qu'elle a profité de la prestation contractuellement convenue en contrepartie de l'attribution de juridiction et qu'enfin les parties, qui sont des commerçants, sont en relations d'affaires continues depuis un certain temps?'
10 L'ensemble des observations présentées devant la Cour par la demanderesse au principal, le Gouvernement du Royaume-Uni et la Commission sont concordantes pour affirmer que la première question appelle une réponse positive. A l'appui de cette thèse, ont été invoqués en premier lieu, des arguments de textes tirés de la lecture même de l'article 17, alinéa premier, de la convention, de l'analyse, par à contrario, de l'article 1er, deuxième alinéa, du protocole annexé à ladite convention et de l'examen de la convention du 9 octobre 1978, relative à l'adhésion du royaume du Danemark, de l'Irlande, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande de nord à la convention (JO L 304, du 30 octobre 1978) ; en deuxième lieu, des arguments tirés de l'analyse des travaux préparatoires de la convention, desquels il ressortirait qu'il convient d'éviter de tomber dans un formalisme excessif qui répugne à la pratique commerciale et qu'il est souvent malaise de déterminer en faveur de quelle partie une convention attributive de juridiction a été stipulée ; en troisième lieu, des arguments tirés de l'analyse de la jurisprudence de la Cour sur les fonctions de l'exigence de forme prévue à l'article 17, premier alinéa, de la convention.
11 Aux termes de l'article 17, premier alinéa, de la convention : 'si, par une convention écrite ou par une convention verbale confirmée par écrit, les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un état contractant ont désigné un tribunal ou les tribunaux d'un état contractant, pour connaitre des différends nés ou à naitre à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet état sont seuls compétents'.
12 La Cour observe que pour l'application de ces dispositions, il convient de se référer principalement au système de la convention et à ses objectifs en vue de leur assurer une pleine efficacité.
13 Selon une jurisprudence constante (arrêt du 14 décembre 1976, Salotti, 24-76, Rec. p. 1831 ; arrêt du 14 décembre 1976, Segoura, 25-76, Rec. p. 1851 ; arrêt du 6 mai 1980, Porta-Leasing, 784-79, Rec. p. 1517 ; arrêt du 19 juin 1984, Tilly Russ, 71-83, Rec. p. 2417), les conditions auxquelles l'article 17 subordonne la validité des clauses attributives de juridiction sont d'interprétation stricte en ce sens que ces conditions ont pour fonction d'assurer que le consentement des parties à une telle clause est effectivement établi et qu'il se manifeste d'une manière claire et précise.
14 A cet égard, il y a lieu de remarquer que la lettre de l'article 17 de la convention n'exige pas, à la différence de l'article I, deuxième alinéa, du protocole annexé à celle-ci en ce qui concerne les personnes domiciliées au Luxembourg, que la confirmation écrite d'une convention verbale émane de la partie à l'égard de laquelle celle-ci doit produire ses effets. Il convient d'ailleurs de reconnaitre, comme l'ont souligné, à juste titre, les différentes observations présentées devant la Cour, qu'il est parfois difficile de déterminer à l'avance en faveur de quelle partie une convention attributive de juridiction est stipulée, aussi longtemps qu'une procédure n'est pas effectivement engagée.
15 S'il est effectivement établi que l'attribution de juridiction a fait l'objet d'une convention verbale portant expressément sur ce point et si la confirmation de la convention verbale émanant de l'une des parties a été reçue par l'autre, laquelle n'a formulé aucune objection en temps utile, cette interprétation littérale de l'article 17 est en outre, ainsi que la Cour l'a déjà jugé dans un autre contexte (voir arrêt du 19 juin 1984, précité), conforme à la fonction de cet article consistant précisément à assurer que le consentement entre les deux parties est établi. Il serait alors contraire à la bonne foi, pour la partie qui s'est abstenue de formuler des objections, de contester l'application de la convention verbale. Il n'est pas nécessaire, en l'espèce, de trancher la question de savoir si et dans quelle mesure des objections qui auraient été formulées par l'autre partie contre la confirmation écrite d'une convention verbale pourraient, le cas échéant, être prises en considération.
16 Il y a donc lieu de répondre que l'article 17, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'il est satisfait à la condition de forme qu'il édicte lorsqu'il est établi que l'attribution de juridiction a fait l'objet d'une convention verbale portant expressément sur ce point, qu'une confirmation écrite de cette convention émanant de l'une quelconque des parties a été reçue par l'autre et que cette dernière n'a formulé aucune objection.
17 Compte tenu de la réponse apportée à la première question de la juridiction nationale, la seconde question est sans objet.
Sur les dépens
18 Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof (première chambre civile), par ordonnance du 28 juin 1984, dit pour droit :
L'article 17, premier alinéa, de la convention du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'il est satisfait à la condition de forme qu'il édicte lorsqu'il est établi que l'attribution de juridiction a fait l'objet d'une convention verbale portant expressément sur ce point, qu'une confirmation écrite de cette convention émanant de l'une quelconque des parties a été reçue par l'autre et que cette dernière n'a formulé aucune objection.