CJCE, 14 décembre 1976, n° 25-76
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Galeries Segoura SPRL
Défendeur :
Rahim Bonakdarian (Sté)
LA COUR,
1 Attendu que, par ordonnance du 18 février 1976, parvenue au greffe de la Cour le 11 mars suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (appelée ci-après 'la convention'), des questions portant sur l'interprétation de l'article 17 de ladite convention ;
2 Qu'il apparaît de l'ordonnance de renvoi qu'à ce stade, le litige, porté par voie de révision devant le Bundesgerichtshof, concerne la compétence du Landgericht de Hambourg pour connaitre d'un procès introduit par une entreprise commerciale établie dans le ressort de cette juridiction contre une société commerciale ayant son siège à Bruxelles, en paiement d'un restant du prix d'un lot de tapis acheté à Hambourg par la firme bruxelloise ;
Que le contrat, conclu verbalement entre parties, a été exécuté le jour même par le vendeur contre paiement d'un acompte par l'acheteur ;
Qu'au moment de délivrer la marchandise, le vendeur a remis à l'acheteur un document intitulé 'confirmation de commande et facture', aux termes duquel la vente et la livraison avaient eu lieu' aux conditions mentionnées au verso' ;
Que les 'conditions de vente, de livraison et de paiement' imprimées au verso de ce document comportent, entre autres, une clause stipulant la compétence exclusive des tribunaux de Hambourg pour tout litige éventuel ;
Que ce document n'a pas reçu confirmation de la part de l'acheteur ;
3 Que ce dernier étant resté en demeure de régler le solde du prix d'achat, le vendeur s'est pourvu devant le Landgericht de Hambourg qui, par jugement rendu par défaut le 16 mai 1973, a condamné l'acheteur au paiement du solde, majoré d'intérêts moratoires ;
Que, sur opposition de celui-ci, le Landgericht a, par jugement du 17 décembre 1973, rapporté son premier jugement et décliné sa compétence, au motif que les parties n'auraient pas conclu de convention attributive de juridiction au sens de l'article 17 de la convention ;
Que, sur appel introduit par le vendeur devant le Hanseatisches Oberlandesgericht, cette juridiction, considérant qu'une attribution de compétence a été valablement convenue entre parties en vertu de l'article 17 de la convention, a infirmé le jugement du Landgericht et renvoyé l'affaire devant celui-ci ;
4 Que cet arrêt fait actuellement l'objet d'un recours en révision, de la part de l'acheteur, devant le Bundesgerichtshof ;
Qu'à ce sujet, le Bundesgerichtshof a posé deux questions relatives à l'interprétation de l'alinéa 1 de l'article 17 ;
Sur l'interprétation de l'article 17 de la convention en général
5 Attendu qu'aux termes de l'article 17, alinéa 1, de la convention, 'si, par une convention écrite ou par une convention verbale confirmée par écrit, les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un état contractant, ont désigné un tribunal ou les tribunaux d'un état contractant pour connaitre des différends nés ou à naitre à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet état sont seuls compétents' ;
6 Que les conditions d'application de cette disposition doivent être interprétées à la lumière de l'effet de la prorogation de compétence, qui est d'exclure tant la compétence déterminée par le principe général consacré par l'article 2 que les compétences spéciales des articles 5 et 6 de la convention ;
Que, compte tenu des conséquences qu'une telle option peut avoir pour la position des parties dans le procès, les conditions auxquelles l'article 17 subordonne la validité des clauses attributives de juridiction sont d'interprétation stricte ;
Qu'en subordonnant celle-ci à l'existence d'une 'convention' entre parties, l'article 17 impose au juge saisi l'obligation d'examiner, en premier lieu, si la clause qui lui attribue compétence a fait effectivement l'objet d'un consentement entre parties, qui doit se manifester d'une manière claire et précise ;
Que les formes exigées par l'article 17 ont pour fonction d'assurer que le consentement entre parties soit effectivement établi ;
Que c'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'examiner les questions posées par le Bundesgerichtshof ;
Sur les questions posées par le Bundesgerichtshof
7 Attendu que, par la première question, il est demandé si les conditions prévues par l'article 17 de la convention sont remplies lorsque, à l'occasion de la conclusion verbale d'un contrat d'achat, le vendeur a indiqué qu'il entendait traiter à ses conditions générales de vente et lorsqu'il a ensuite confirmé ce contrat à l'acheteur par écrit, en joignant à cette confirmation ses conditions générales de vente, qui comprennent une clause attributive de juridiction ;
8 Attendu que, conformément aux considérations générales qui précèdent, la renonciation, par une partie, à l'avantage des attributions de compétence prévues par la convention ne saurait être présumée ;
Que l'acheteur, même s'il accepte, dans un contrat conclu verbalement, de traiter aux conditions générales du vendeur, n'est dès lors pas censé avoir accepté une clause attributive de juridiction qui peut éventuellement figurer dans ces conditions générales ;
Qu'il en résulte qu'une confirmation écrite du contrat par le vendeur, avec communication du texte de ses conditions générales, reste inopérante, en ce qui concerne une éventuelle clause attributive de juridiction, à moins d'acceptation écrite de l'acheteur ;
9 Attendu que, par la deuxième question, il est encore demandé si l'article 17 de la convention trouve application lorsque, entre commerçants, le vendeur, après la conclusion verbale du contrat, délivre à l'acheteur une confirmation écrite de la conclusion de celui-ci à ses conditions générales de vente, en joignant à cet écrit le texte de ses conditions générales qui comprennent une clause attributive de juridiction, et lorsque l'acheteur ne contredit pas cette confirmation écrite ;
10 Attendu qu'il résulte d'une comparaison entre le libellé des deux questions et des explications données en cours de procédure que la deuxième question vise l'hypothèse d'une vente conclue sans référence aucune à l'existence de conditions générales de vente ;
Que, dans un tel cas, il est manifesté qu'une clause attributive de juridiction, faisant éventuellement partie intégrante de ces conditions générales, n'a pas fait l'objet du contrat conclu verbalement entre parties ;
Que la communication ultérieure de conditions générales contenant une telle clause n'est donc pas de nature à modifier les dispositions convenues entre parties, sauf si ces conditions donnent lieu à une acceptation expresse et écrite de la part de l'acheteur ;
11 Attendu qu'il résulte de ce qui précède, dans l'une comme dans l'autre hypothèse posée par le Bundesgerichtshof, qu'une déclaration écrite unilatérale telle que dans l'espèce n'est pas suffisante pour constituer un accord sur la prorogation de compétence ;
Qu'il en serait cependant autrement dans le cas où une convention verbale ferait partie de rapports commerciaux courants entre parties, s'il était établi au surplus que ces rapports sont, dans leur ensemble, régis par les conditions générales de l'auteur de la confirmation, comportant une clause attributive de juridiction ;
Qu'en effet, dans un tel contexte, il serait contraire à la bonne foi, pour le destinataire de la confirmation, de denier l'existence d'une prorogation de compétence, même à défaut d'une acceptation écrite de sa part ;
12 Qu'il est donc possible de répondre conjointement aux deux questions posées, en ce sens qu'il n'est satisfait aux exigences de forme posées par l'article 17, alinéa 1, dans le cas d'un contrat conclu verbalement, que si la confirmation écrite du vendeur avec communication des conditions générales de vente a donné lieu à une acceptation écrite de l'acheteur ;
Que le fait, pour l'acheteur, de ne pas élever d'objections contre une confirmation émanée unilatéralement de l'autre partie ne vaut pas acceptation en ce qui concerne la clause attributive de juridiction, sauf si l'accord verbal se situe dans le cadre de rapports commerciaux courants entre parties, établis sur base des conditions générales de l'une d'entre elles, comportant une clause attributive de juridiction ;
Quant aux dépens
13 Attendu que les frais exposés par la Commission des Communautés européennes, qui a soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement ;
Que la procédure revêtant à l'égard des parties au principal le caractère d'un incident soulevé au cours du litige pendant devant le Bundesgerichtshof, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens ;
Par ces motifs,
LA COUR,
Statuant sur les questions à elle soumises par le Bundesgerichtshof par ordonnance du 18 février 1976, dit pour droit :
Il n'est satisfait aux exigences de forme posées par l'article 17, alinéa 1, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dans le cas d'un contrat conclu verbalement, que si la confirmation écrite du vendeur avec communication des conditions générales de vente a donné lieu à une acceptation écrite de l'acheteur.
Le fait, pour l'acheteur, de ne pas élever d'objections contre une confirmation émanée unilatéralement de l'autre partie ne vaut pas acceptation en ce qui concerne la clause attributive de juridiction, sauf si l'accord verbal se situe dans le cadre de rapports commerciaux courants entre parties, établis sur base des conditions générales de l'une d'entre elles, comportant une clause attributive de juridiction.