CA Paris, 5e ch. B, 21 septembre 2006, n° 03-12352
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chimibat (SARL)
Défendeur :
Morant
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
MM. Faucher, Remenieras
Avoués :
Me Olivier, SCP Varin-Petit
Avocats :
Mes Courmont, Bara
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Chimibat du jugement du Tribunal de commerce de Créteil prononcé le 22 avril 2003:
- qui l'a condamnée à payer à M. Morant, avec qui elle avait été liée par un contrat d'agence commerciale, la somme de 13 725 euro à titre d'indemnité de préavis ainsi que la somme de 109 800 euro à titre d'indemnité de rupture avec intérêts au taux légal à compter du 6 juin 2001,
- qui a débouté M. Morant de sa demande de dommages et intérêts,
- qui l'a condamnée à lui verser la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et qui l'a condamnée aux dépens.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 27 avril 2006, par lesquelles la société Chimibat, appelante, demande à la cour:
- d'infirmer le jugement déféré,
- de condamner M. Morant à lui payer la somme de 100 000 euro à titre de dommages et intérêts,
- enfin de le condamner à lui verser une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les ultimes écritures, signifiées le 16 janvier 2004, par lesquelles M. Morant, intimé et incidemment appelant, prie la cour:
- de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- de condamner la société Chimibat à lui payer, à ce titre, la somme de 15 245 euro,
- de la condamner à lui verser une somme de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles et de la condamner aux dépens;
Sur ce,
Considérant que la société Chimibat a signé le 1er février 1999 avec M. Morant un contrat d'agence commerciale en vertu duquel cette entreprise lui confiait la prospection de certaines sociétés en vue du placement d'une série de produits ou de matériaux concernant le bâtiment ou l'industrie dont elle assurait la fabrication ou la vente, dont des becquets en béton préfabriqué, M. Morant étant tenu de lui en garantir l'entière exclusivité; que Chimibat déclare réaliser environ 30 % de son chiffre d'affaires avec la vente de ces becquets qu'elle fait poser par des entreprises agréées, dont la société IDF Prefa, constituée en avril 2000, dans laquelle M. Morant a détenu une participation de 20 % jusqu'à la fin de l'année 2000, avant de créer lui même une entreprise de pose, la société GSAM; que, par courrier du 7 mai 2001, la société Chimibat a notifié à M. Morant la résiliation immédiate de son contrat d'agence pour fautes graves, exclusives de préavis et d'indemnités; que Chimibat lui reprochait en particulier:
- une " diminution vertigineuse " de son chiffre d'affaires coïncidant avec la création de la société GSAM;
- d'avoir été contactée par plusieurs clients se plaignant d'une "confusion" qu'il aurait instaurée puisque "pensant avoir affaire à un agent commercial de Chimibat qui leur proposait un applicateur agréé pour la pose des produits Chimibat, ils se sont vus proposer les services de GSAM, non agréé Chimibat, pour la pose de pièces préfa, dont becquets" et "d'avoir profité de [sa] notoriété en tant qu'agent commercial Chimibat pour favoriser la promotion de [...] GSAM, proposant aux clients visités par cette société la pose de pièces préfa, alors qu'elle n'est pas agréée comme poseur par Chimibat et se procure des pièces préfa auprès d'autres fournisseurs ";
- d'avoir tenu des propos dénigrants à son égard auprès de ses salariés et d'avoir procédé à une tentative de débauchage;
- d'avoir refusé de fournir des rapports d'activité;
- d'avoir adopté un comportement provocateur dans ses locaux;
Considérant que, au soutien de son recours, Chimibat maintient que ce sont les manquements de M. Morant à ses obligations de loyauté et de non-concurrence et, plus généralement, la violation de ses obligations contractuelles, qui l'ont contrainte à prononcer la résiliation du contrat d'agence commerciale, entraînant un préjudice qu'elle évalue à 100 000 euro ;
Mais considérant que, concernant en premier lieu l'obligation de non-concurrence, la clause "conditions d'exercice du mandat" du contrat d'agence commerciale, stipule:
"[L'agent commercial] peut travailler sous quelque forme que ce soit, pour tous autres établissements, sans avoir à en demander l'autorisation. Il n'est pas tenu d'exercer sa profession de façon exclusive et constante et la société Chimibat n'a pas à connaître de ses activités pour son compte personnel ou pour le compte de tiers en dehors des présentes conventions";
Que le contrat d'agence n'impose à l'agent commercial une obligation de non-concurrence qu'en ce qui concerne la vente de certains produits fabriqués par Chimibat, notamment les becquets en béton, et que la pose de ces matériaux, confiée à des tiers, constitue une activité étrangère au contrat d'agence;
Que l'exercice de cette activité par l'agent commercial ou par une entreprise qu'il dirige ou qu'il contrôle ne fait l'objet d'aucune restriction et que M. Morant est fondé à opposer à sa mandante qu'il a été activement associé aux activités de IDF Prefa, poseur agréé, qu'il présente, sans être contredit sur ce point, comme animée et contrôlée par le dirigeant de Chimibat et par des membres de sa famille;
Que l'attestation datée du 26 juin 2003 de M. Ancelin, dont la "réclamation" est visée par l'appelante dans son courrier de résiliation, fait seulement état d'un malentendu concernant l'activité de pose et non d'une promotion par M. Morant de produits d'entreprises concurrentes et qu'il est constant, par ailleurs, qu'aucune des pièces produites par l'appelante à l'appui de ses griefs ne fait état de ventes par M. Morant de produits d'autres entreprises en infraction avec la clause susvisée du contrat d'agence ;
Considérant que la baisse du chiffre d'affaires reprochée par Chimibat à son agent commercial, sur une période relativement brève et en ce qui concerne seulement les becquets en béton, n'est donc pas imputable à une violation de ses obligations contractuelles, l'intimé étant de surcroît fondé à opposer à sa mandante que le contrat d'agence ne lui imposait pas d'objectif de chiffres d'affaires;
Considérant que, concernant ensuite les griefs de Chimibat touchant à l'attitude de M. Morant ou les griefs de dénigrement, qui n'avaient donné lieu à aucune remarque ou à aucune mise en demeure avant la résiliation, les attestations de ses propres salariés produites par l'appelante sont, en soi, dépourvues de valeur probante;
Que s'agissant plus spécialement des propos dénigrants attribués à l'intimé, les attestations de tiers qui ont été versées aux débats se bornent à relater, le plus souvent de manière vague, des propos simplement critiques et tenus de surcroît dans des circonstances indéterminées sur la situation de Chimibat;
Considérant, enfin, que Chimibat n'était pas fondée à reprocher à son agent commercial le défaut de remise d'un rapport d'activité, l'agent n'étant en effet "soumis à aucun rapport périodique";
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que Chimibat a imputé à M. Morant des fautes graves privatives de préavis et d'indemnité de rupture;
Que s'agissant d'un contrat dont la troisième année avait commencé, les premiers juges ont en application de l'article L. 134-11 du Code de commerce exactement fixé à 3 mois la durée du préavis et justement alloué à M. Morant une indemnité de préavis de 13 725 euro représentant trois mois de commissions;
Que, eu égard à la durée des relations contractuelles, le préjudice causé à l'intimé par la rupture du contrat d'agence et consistant dans le manque à gagner consécutif à cette rupture sera, compte tenu du montant non discuté des commissions perçues telles qu'évaluées par M. Morant dans son assignation, fixé à la somme de 109 458,39 euro;
Que le jugement, qui lui a attribué une somme supérieure à celle qui était demandée, devra être réformé de ce chef;
Que l'intimé ne rapportant pas la preuve de l'existence d'un "préjudice moral et de réputation" distinct, c'est en revanche à juste titre que le tribunal l'a débouté de cette demande;
Considérant, enfin, que s'agissant de créances indemnitaires, le point de départ des intérêts au taux légal sur les sommes allouées doit être fixé à la date du jugement;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné la société Chimibat à payer à M. Morant la somme de 109 800 euro au titre de l'indemnité de rupture et en ce qu'il a fixé au 6 juin 2001 le point de départ des intérêts au taux légal, Le réformant de ces seuls chefs, Condamne la société Chimibat à payer à M. Morant la somme de 109 458,39 euro, Dit que les intérêts au taux légal sur cette somme ainsi que sur la somme de 13 725 euro courront à compter de la date du jugement, Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Chimibat à verser à M. Morant la somme de 5 000 euro au titre de ses frais irrépétibles d'appel, Déboute la société Chimibat de toutes ses demandes, Déboute M. Morant de ses autres demandes, Condamne la société Chimibat aux dépens d'appel et admet La SCP Varin Petit, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.