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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 22 juin 2006, n° 04-12947

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cartier (SA)

Défendeur :

Bousquet Triangle (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

MM. Faucher, Remenieras

Avoués :

Me Thevenier, Nut

Avocats :

Mes Guilloteau, Verine

T. com. Paris, du 19 févr. 2004

19 février 2004

Vu l'appel interjeté par la SA Cartier du jugement contradictoirement rendu le 19 février 2004 par le Tribunal de commerce de Paris qui, dans le litige l'opposant à la SARL Bousquet Triangle, l'a, après avoir débouté l'intimée de sa demande tendant à obtenir sa réintégration dans le réseau Cartier, condamnée, outre aux dépens et au règlement d'une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à payer à la société Bousquet Triangle la somme de 84 451 euro à titre de préjudice commercial.

Vu les dernières conclusions signifiées par la société Cartier le 15 mars 2006.

Vu les ultimes écritures signifiées par l'intimée le 16 novembre 2004.

Sur quoi :

Considérant que les parties ont signé le 1er décembre 1994 un "contrat de distribution sélective (tous produits) par lequel la société Cartier a concédé à la société Bousquet Triangle le droit de vendre au détail les produits de sa marque;

Considérant que, prenant initialement fin "le 31 décembre de l'année en cours", il était ensuite renouvelable "pour des périodes contractuelles d'une année chacune, à moins d'être dénoncé par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée envoyée trois (3) mois avant le terme du présent contrat ou l'échéance d'une quelconque période contractuelle ultérieure, sans qu'une telle dénonciation n'entraîne pour l'une ou l'autre partie un droit à une quelconque indemnité de ce fait" (article 7 - Durée du contrat);

Considérant que, après avoir décidé, suite à une "réflexion globale sur le positionnement et la préservation de (sa) marque en Europe", "de cesser toutes relations commerciales avec un certain nombre de points de vente sur le territoire français, ces points de vente n'étant plus en conformité avec les critères de qualité, de sélectivité et de potentiel de vente appliqués à la marque", la société Cartier a, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 septembre 2002, manifesté sa volonté de mettre un terme au contrat la liant à la société Bousquet Triangle "avec effet au 31 décembre 2002";

Considérant que, suite à la cessation des relations contractuelles, la société Bousquet Triangle a fait assigner la société Cartier devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir tant sa réintégration dans le réseau ou des dommages-intérêts du fait du retrait de la marque Cartier que la réparation du préjudice résultant, selon elle, de l'inobservation de ses obligations contractuelles par la défenderesse;

Considérant que, appelante du jugement l'ayant, après avoir refusé la réintégration de la demanderesse, condamnée à lui payer 81 451 euro à titre de dommages-intérêts pour préjudice commercial, la société Cartier conclut au rejet des demandes de la société Bousquet Triangle concernant l'absence de livraison de commandes au cours du second semestre 2002 et, pour le surplus, à la confirmation du jugement;

Considérant que, pour sa part, arguant du caractère abusif de la rupture de son contrat et reprochant à l'appelante de ne lui avoir pas livré de montres, la société Bousquet Triangle, appelante incidente, conclut d'une part à sa réintégration, sous astreinte, ou, à défaut, à la condamnation de sa cocontractante à lui payer 152 450 euro pour préjudice commercial en raison du retrait de la marque Cartier, d'autre part à la confirmation du jugement en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre de l'appelante pour inexécution fautive de ses obligations pendant le second semestre 2002;

Considérant, en droit, sur le premier point, que, en l'absence de circonstances permettant de caractériser un abus de droit, la société Cartier pouvait, sans avoir à justifier sa décision, mettre un terme chaque année au contrat à condition, cependant, d'en informer son distributeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception trois mois avant l'arrivée du terme;

Considérant, en fait, que, peu important la justesse de l'explication par elle donnée, la société Cartier, qui a respecté le délai de préavis contractuel de trois mois, n'a fait que mettre en œuvre le principe de la liberté des contrats, ce qui ne peut légitimement lui être reproché;

Considérant que si la société Bousquet Triangle a, le 19 septembre 2002, adressé à la société Cartier une lettre rédigée en ces termes : "En réponse à votre demande concernant le changement de la façade de mon magasin, la bijouterie Bousquet, allée Jules Milhau, je vous prie de trouver ci-joint l'accusé de réception du rendez-vous pris avec ma décoratrice ...", rien ne permet de voir là une circonstance de nature à caractériser un abus de droit de l'appelante dans la mesure où la "demande" de celle-ci n'est pas en la possession de la cour qui, en particulier, ignore sa date, ses circonstances et ses conditions et où, en outre, aucun des travaux envisagés n'avait alors été entrepris;

Considérant en conséquence que les demandes de réintégration du réseau ou de dommages-intérêts pour retrait de la marque ne sont pas fondées et que le jugement déféré à la cour sera, sur ce point, confirmé;

Considérant, sur le second point, que, se prévalant de l'absence, en dépit de commandes, de livraison de montres au cours du second semestre 2002, la société Bousquet Triangle sollicite la condamnation de la société Cartier à lui payer, en raison de l'inexécution du contrat, une indemnité de 81 451 euro réparant une atteinte à son image et une désorganisation commerciale;

Considérant que pour s'opposer à cette demande l'appelante fait valoir que des commandes n'ont pas été enregistrées, que, en raison d'incidents de paiement de son distributeur, elle était fondée à ne pas les satisfaire et que, en tout état de cause, au regard des commandes non honorées, le préjudice invoqué est excessif;

Considérant, à cet égard, que les éléments précis, non sérieusement discutés, communiqués par l'appelante établissent que, entre le mois de juin et le mois d'octobre 2002, des montres, pour une valeur totale de commande HT de 35 751,05 euro, n'ont pas été livrées;

Considérant que si, au cours des années 2000, 2001 et 2002, des retards de paiement ont été enregistrés, il n'en demeure pas moins qu'ils ont été régularisés et n'ont, à la connaissance de la cour, jamais donné lieu à des mises en demeure ou des suspensions de livraison de la part de la société Cartier qui, depuis de très nombreuses années, avant même la signature du contrat en 1994, était en relations d'affaires et n'a jamais dénoncé cette pratique commerciale par elle acceptée en connaissance de cause;

Considérant dès lors que le grief tenant aux incidents de paiement ne peut être retenu, de même, d'ailleurs, que ne peut l'être celui relatif à l'absence d'enregistrement de commandes, alors que celles-ci sont communiquées, que des accusés de réception de télécopies sont versés au débat et que, en première instance, comme l'observe l'intimée, la société Cartier n'a jamais discuté la réception de ces commandes;

Considérant en conséquence que c'est en méconnaissance de ses obligations contractuelles que l'appelante s'est refusée de livrer les montres commandées par la société Bousquet Triangle qui, de son côté, est en droit de voir réparé son préjudice;

Considérant que la faute de la société Cartier a, en particulier dans la perspective des fêtes de fin d'année, privé l'intimée d'un potentiel non négligeable de ventes qu'elle n'a pu satisfaire et, de ce fait, outre une désorganisation commerciale, porté atteinte à son image auprès de sa clientèle, ce d'autant que, comme le relève le tribunal, la famille Bousquet jouit à Montpellier, où elle exerce son commerce de bijouterie depuis 1845, d'une notoriété certaine; que, compte tenu de ce qui précède et des éléments chiffrés communiqués en cause d'appel, il y a lieu, toutes causes de préjudice confondus, d'évaluer à 50 000 euro le préjudice de la société Bousquet Triangle;

Considérant que, débitrice envers celle-ci, l'appelante supportera la charge de ses frais irrépétibles et des dépens de première instance et d'appel;

Considérant que l'indemnité allouée à la société Bousquet Triangle par le tribunal sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile est suffisante et qu'il n'y a pas lieu de la majorer;

Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ses dispositions non contraires au présent arrêt, le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau, condamne la société Cartier à payer une somme de 50 000 euro à la société Bousquet Triangle qui sera déboutée de toutes autres demandes, Condamne la société Cartier aux dépens de première instance et d'appel; admet Maître Bruno Nut, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.