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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 19 juin 2006, n° 2006-380

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Souat

Défendeur :

Agifim Provence Immobilier (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Blin, Fohlen

Avoués :

SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Sider

Avocats :

Mes Amsellem, Lavignac

T. com. Marseille, du 29 mars 2004

29 mars 2004

Faits, procédure et prétentions des parties

Madame Muriel Souat et la SARL Agifim Provence Immobilier ont conclu, le 27 décembre 2000, un contrat d'agent commercial à effet au 1er janvier 2001 par lequel Madame Muriel Souat était chargée de procéder à la recherche de vendeurs et d'acheteurs, de propriétaires et de locataires pour le compte de la SARL Agifim Provence Immobilier. Madame Muriel Souat a mis fin à la relation commerciale par lettre en date du 22 avril 2002 invoquant l'incompatibilité d'humeur avec sa mandante, le désir de celle-ci de changer son statut libéral en statut salarié et un projet de sectorisation.

Par jugement contradictoire en date du 29 mars 2004, le Tribunal de commerce de Marseille a, notamment, débouté la SARL Agifim Provence Immobilier, demanderesse, de sa demande en paiement de dommages et intérêts dirigée contre Madame Muriel Souat pour manquement de celle-ci à ses obligations professionnelles, condamné Madame Muriel Souat à payer à la SARL Agifim Provence Immobilier la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture du contrat d'agent commercial, condamné "reconventionnellement " la SARL Agifim Provence Immobilier à payer à Madame Muriel Souat la somme de 29 057,46 euro à titre de commissions dues sur affaires en cours, et débouté Madame Muriel Souat de sa demande en nullité de la clause de non-concurrence insérée au contrat d'agent commercial, le jugement étant assorti de l'exécution provisoire pour l'ensemble de ses dispositions et les dépens étant partagés entre les parties.

Madame Muriel Souat a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998;

Vu les prétentions et moyens de Madame Muriel Souat dans ses conclusions en date du 23 août 2004 tendant à faire juger :

- qu'elle n'a commis aucune faute tant pendant l'exécution de son mandat que lors de sa rupture qui ne peut être qualifiée de brutale, la mandante ayant entériné sa démission c'est-à-dire ayant accepté la rupture du contrat d'agent commercial sans obligation pour l'agent commercial d'effectuer son préavis de deux mois,

- qu'elle ne saurait être condamnée à restituer à la SARL Agifim Provence Immobilier des documents professionnels qu'elle lui a déjà restitués,

- que la SARL Agifim Provence Immobilier lui doit des commissions sur les affaires réalisées et sur les affaires en cours, soit 29 057,46 euro au total comme l'ont reconnu les premiers juges, et devra fournir tous renseignements concernant l'état d'autres affaires encore en cours,

- que la clause de non-concurrence est nulle pour ne pas comporter de contrepartie pécuniaire et que le fait qu'elle l'a, néanmoins, scrupuleusement respectée l'a gênée dans l'exercice de son activité professionnelle et lui a causé un préjudice évaluable à 20 000 euro,

- que l'attitude procédurale de la SARL Agifim Provence Immobilier a été abusive et est justiciable de dommages et intérêts à hauteur de 15 000 euro ;

Vu les prétentions et moyens de la SARL Agifim Provence Immobilier dans ses conclusions en date du 6 février 2006 tendant à faire juger:

- que Madame Muriel Souat, sa mandante, a commis des fautes dans l'exécution de ses obligations découlant du contrat d'agent commercial (difficultés relationnelles avec le personnel salarié de l'agence, insuffisance de résultats...) et lors de la rupture de celui-ci, notamment en rompant brutalement (brusquement) le contrat d'agent commercial,

- que Madame Muriel Souat n'a pas restitué des documents professionnels (la "bible ", le fichier clients, les cartes de visite...),

- que la demande de Madame Muriel Souat concernant les commissions dues est exagérée et ne devra être admise qu'à hauteur de 18 386,12 euro, certains mandats "rentrés " par Madame Muriel Souat ayant dû être "renégociés " à la baisse par le gérant de la SARL Agifim Provence Immobilier,

- que la clause de non-concurrence n'a pas à être assortie d'une contrepartie pécuniaire pour sa validité et est limitée géographiquement;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 2 mai 2006.

Motifs et décision

Attendu que selon l'article L. 134-4 du Code de commerce, "l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel " et est donc susceptible d'engager sa responsabilité en cas de manquements avérés à cette obligation générale de diligences et de bonne foi dans l'exécution du mandat; qu'en l'espèce, la SARL Agifim Provence Immobilier ne démontre pas que son agent commercial, Madame Muriel Souat, a commis des manquements caractérisés à cette obligation ; qu'il n'est pas démontré que les manifestations du prétendu "caractère très difficile " de Madame Muriel Souat, dont la SARL Agifim Provence Immobilier ne s'est jamais plainte avant la démission de l'agent commercial, le 22 avril 2002, ont eu des répercussions sur son activité et ses résultats ; que l'existence de conflits préjudiciable n'est pas démontrée, la simple allégation de difficultés relationnelles ou d'incompatibilité ressentie subjectivement par des salariés de la SARL Agifim Provence Immobilier hors de toute manifestation objectivée dans le comportement de Madame Muriel Souat ne constituant pas à l'évidence un manquement avéré; que le fait d'avoir fait signer des mandats de négociations d'immeubles à des prix revus légèrement à la baisse (sauf pour une opération) lors de la transaction définitive ne constitue pas un manquement professionnel, le prix de présentation du bien à la vente étant toujours susceptible de révision avec l'accord ultérieur écrit du vendeur; que le fait que Madame Muriel Souat, ayant la qualité d'agent commercial, qui selon le contrat d'agent commercial peut "organiser son activité comme elle l'entend et qui n'a pas à informer l'agence de ses absences ", ne se présente pas pendant une semaine dans les bureaux de sa mandante, ne peut constituer à l'évidence un manquement professionnel ; que, enfin il n'est pas reproché à Madame Muriel Souat de ne pas avoir satisfait au quota (chiffre d'affaires minimum) convenu dans le contrat d'agent commercial ;

Attendu que Madame Muriel Souat a mis fin à la relation commerciale par courrier en date du 22 avril 2002 en alléguant la prétendue intention de la SARL Agifim Provence immobilier " de la priver du droit du préavis " et en proposant l'élaboration d'un protocole d'accord sur ce point; que Madame Muriel Souat n'établit pas par des éléments sûrs que la SARL Agifim Provence Immobilier entendait la priver du "droit au préavis "; que Madame Muriel Souat a annoncé sa décision de rupture sans la faire précéder d'une information si bien que la SARL Agifim Provence immobilier qui n'avait pas envisagé l'hypothèse de la démission de Madame Muriel Souat, n'a pu faire connaître à Madame Muriel Souat avant et lors de la remise de la lettre de démission qu'elle s'opposerait à l'exécution du préavis; qu'au contraire, la SARL Agifim Provence Immobilier a, par courrier du 25 avril 2002, fait savoir à Madame Muriel Souat que son attitude "irresponsable ", "manifestant une volonté de départ immédiat sans préavis " met l'entreprise dans " une situation particulièrement délicate " au regard de la permanence de l'activité de prospection; qu'il ne peut être soutenu que la SARL Agifim Provence Immobilier a dispensé Madame Muriel Souat de l'exécution de son préavis ou a entendu empêcher sa mandataire de l'exécuter ; que Madame Muriel Souat était désireuse de créer immédiatement une activité indépendante d'agent immobilier (qu'elle a commencée dès le 27 juillet 2002 après l'obtention des autorisations nécessaires) et, donc, de ne pas exécuter son préavis ; qu'elle ne peut soutenir que la formule de sa mandante : "nous entérinons la rupture du contrat d'agent commercial, de votre fait, le 22 avril 2002" constitue une dispense expresse de la part de la SARL Agifim Provence Immobilier d'exécution du préavis ; que les premiers juges ont justement retenu l'existence d'une faute de Madame Muriel Souat lors de la rupture du contrat d'agent commercial consistant à l'avoir rompu brutalement sans avoir ou l'intention d'exécuter le préavis de deux mois eu égard au projet professionnel qu'elle voulait réaliser rapidement ; que la réparation du préjudice en découlant pour la SARL Agifim Provence immobilier sera suffisamment assurée par l'allocation d'une somme de 10 000 euro en considération des éléments fournis par la SARL Agifim Provence Immobilier pour justifier de son étendue;

Attendu que la SARL Agifim Provence Immobilier ne justifie pas qu'elle n'aurait pas été la destinataire en retour d'un ensemble de documents professionnels qu'elle avait remis à Madame Muriel Souat ; que la SARL Agifim Provence Immobilier ne fournit aucun élément probant sur la non-restitution qu'elle allègue et de l'intérêt pour Madame Muriel Souat à conserver certains documents professionnels à l'en-tête commerciale de son ancienne mandante;

Attendu que selon le contrat d'agent commercial, "les commissions ne sont acquises qu'après la conclusion définitive de l'affaire que l'Agent Commercial aura personnellement négociée et conclue ..., soit généralement lorsque l'agence aura reçu sa propre commission " ; que selon l'article 3 du décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958, "le relevé de commissions remis à l'agent commercial par le mandant mentionne tous les éléments sur la base desquels le montant des commissions a été calculé et que l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier, un extrait des documents comptables, nécessaires pour vérifier les commissions qui lui sont dues" ; que la SARL Agifim Provence Immobilier n'a pas satisfait à cette obligation légale se contentant de produire au débat malgré des réclamations réitérées de Madame Muriel Souat, un document établi de la main de son gérant (intitulé : analyse de la production de Madame Muriel Souat) et portant quelques annotations ; qu'il appartient à la SARL Agifim Provence Immobilier d'étayer autrement que par un seul document unilatéral annoté sommairement pour certains dossiers, ses affirmations concernant certaines affaires en cours ; que, ainsi les commissions sont dues pour le dossier Lorenzatti/Bargigli, l'affirmation : " dossier avec problème ", sans autre explicitation et/ou justificatifs, étant insuffisante pour priver Madame Muriel Souat de son droit à commission ; pour les dossiers Berthe, Reynaud et Fourloubeyx, concernant des mandats " rentrés " par Madame Muriel Souat, le fait que le prix définitivement arrêté lors de la vente authentique soit différent du prix fixé dans les mandats auquel le bien devait être présenté à la vente étant sans effet sur le droit à commission dès lors que les mandats prévoyaient qu'un accord écrit ultérieur pourrait intervenir entre les parties pour réviser le prix offert à la vente et que la révision (au demeurant limitée) du prix fixé dans les mandats est inhérente à la négociation de biens immobiliers et pour le dossier Lorca soit 20 % de 69 958 F : 13 991,60 F ou 2 133,01 euro la SARL Agifim Provence Immobilier reconnaissant expressément l'existence de la vente et le principe du droit à commission de Madame Muriel Souat, sans offrir de la régler ; que, par contre les droits à commission pour les deux dossiers Millo et pour le dossier Subrini ne sont pas ouverts en l'état des informations suffisantes fournies par la SARL Agifim Provence Immobilier quant à la révocation des mandats en question par les propriétaires des biens immobiliers ;

Attendu que l'article L. 134-14 du Code de commerce permet au mandant d'insérer une clause de non-concurrence dans le contrat d'agent commercial après la cessation du contrat, sauf à ce qu'elle concerne le secteur géographique pour lequel l'agent commercial exerce la représentation aux termes du contrat et à ce qu'elle soit limitée à une période maximale de deux années après la cessation du contrat ; que la loi ne subordonne pas la validité de telle clause à l'existence d'une contrepartie pécuniaire ; que la clause litigieuse prévoyait une interdiction d'établissement concurrent dans un rayon de dix kilomètres autour d'une agence portant l'enseigne de la SARL Agifim Provence Immobilier (deux agences étant ouvertes dans la région marseillaise) ; que le contrat d'agent commercial stipulait que l'agent commercial n'avait pas de "secteur géographique spécialement attribué, ni de catégorie de clientèle particulière ", " pouvant prospecter auprès de toute personne et sur tout le territoire" ; que la formulation de la clause de non-concurrence post-contractuelle n'est pas critiquable en ce que, l'agent pouvant travailler théoriquement sur tout le territoire français, elle en a limité les effets à un secteur géographique déterminé couvrant une zone raisonnable comprenant l'aire réelle dans laquelle Madame Muriel Souat a exercé son activité; que la protection des intérêts légitimes de la SARL Agifim Provence Immobilier passait par une interdiction sur une aire géographique raisonnablement limitée dans le contrat d'agent commercial ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; que les parties seront déboutées de leur demande faite à ce titre ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel de Madame Muriel Souat comme régulier en la forme. Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé à 15 000 euro le montant des dommages et intérêts dus par Madame Muriel Souat pour la rupture brutale du contrat d'agent commercial et ce qu'il a débouté Madame Muriel Souat de sa demande en paiement de commissions pour le dossier Lorca. Statuant à nouveau, condamne Madame Muriel Souat à porter et payer à la SARL Agifim Provence Immobilier la somme de 10 000 euro avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement frappé d'appel, à titre de dommages et intérêts pour brusque rupture du contrat d'agent commercial et condamne la SARL Agifim Provence Immobilier à porter et payer à Madame Muriel Souat la somme de 2 133,01 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation en justice. Condamne la SARL Agifim Provence Immobilier aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'avoués Marie-José de Saint Ferréol & Colette Touboul, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.