CA Angers, ch. com., 31 janvier 2006, n° 05-00390
ANGERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Raphaële (EURL)
Défendeur :
Leleu (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Ferrari
Conseillers :
Mme Lourmet, M. Fau
Avoués :
SCP Gontier-Langlois, SCP Chatteleyn, George
Avocats :
SCP Levy-Roche-Lebel, Me de Mascureau
La société Leleu, fabricant de sièges, est titulaire de la marque Burov.
Elle est en relation d'affaires avec l'EURL Raphaële qui exploite un magasin d'ameublement à Lyon et commercialise de longue date les produits Burov.
Après des rapports informels, les deux parties ont signé le 27 mai 1999 un contrat de distribution sélective d'une durée de deux années, renouvelable.
Le 20 septembre 2002, le fournisseur du réseau Burov a notifié à son distributeur la résiliation du contrat à effet du 31 décembre 2002.
La société Leleu a fait assigner le 3 mars 2004 la société Raphaële en paiement des sommes restant dues en exécution de la convention résiliée.
Le distributeur a reconventionnellement demandé l'indemnisation de son préjudice résultant des conditions de la rupture du contrat.
Le Tribunal de commerce d'Angers, par jugement du 19 janvier 2005, écartant les prétentions indemnitaires de la société Raphaële, l'a condamnée à payer à la société Leleu la somme de 15 748,16 euro au titre des factures restant dues, condamné le fournisseur à payer à son distributeur un trop-perçu de 244 euro sur la régularisation des participations publicitaires, ordonné compensation, dit que le solde de 15 504,16 euro à la charge de la société Raphaële produirait intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2003 et condamné cette dernière à 1 500 euro au titre des frais de procédure.
LA COUR,
Vu l'appel formé contre ce jugement par la société Raphaële;
Vu les dernières conclusions du 20 octobre 2005 par lesquelles l'appelante, poursuivant la réformation du jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts, demande à la cour de condamner la société Leleu à lui payer une indemnité de 15 000 euro au titre de la concurrence déloyale et de 19 500 euro en compensation de l'insuffisance de la durée du préavis, confirmer le jugement sur le surplus, ordonner compensation des créances et lui allouer une indemnité de procédure;
Vu les dernières conclusions du 26 septembre 2005, par lesquelles la société Leleu, intimée, conclut à la confirmation du jugement et demande l'allocation d'une indemnité de procédure de 3 500 euro;
Sur ce
Attendu qu'aucune des parties ne conteste les dispositions du jugement relatives aux factures restant dues de part et d'autre ; que la décision sera donc confirmée de ce chef;
Attendu qu'en première instance, la société Raphaële a demandé l'indemnisation de la rupture abusive du contrat; qu'en cause d'appel, elle ne se plaint plus que de la rupture brutale des relations commerciales anciennes de 25 ans et demande l'indemnisation de son préjudice en découlant, sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce;
Attendu qu'aux termes de ce texte:
I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, (...)
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de le durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure;
Attendu que la société Raphaële se prévaut à juste titre d'une relation commerciale établie avec la société Leleu, au moins depuis 1984 ; qu'il est indifférent, pour l'application de ce texte, qu'après de nombreuses années de commercialisation des produits Burov par la société Raphaële, le fabricant, à la suite de la constitution de son réseau de distribution sélective et après l'avoir agréée comme distributeur, ait signé avec elle en 1999 un contrat écrit à durée déterminée;
Attendu que, cependant, le fournisseur du réseau invoque à juste titre une inexécution justifiant que soient écartées les dispositions de l'article précité;
Attendu qu'il est en effet établi que deux clients du magasin lyonnais se sont plaints des agissements du distributeur directement auprès du titulaire de la marque, par lettres des 30 octobre et 30 novembre 2001;
Que le premier a relaté comment il avait fait l'acquisition d'un canapé présenté par le revendeur comme un produit Burov, meuble dont il avait découvert, mais seulement après la vente, qu'il portait en réalité une marque autre, de moindre qualité;
Que le second a exposé que la société Raphaële, qui, malgré de multiples relances, ne donnait pas suite à sa demande de reprise des défauts affectant deux canapés Burov qu'il lui avait achetés, lui avait fait croire que le fabricant assurerait le service après-vente, information qui s'était avérée inexacte dès lors que la société Leleu ne traitait pas directement avec le client final ;
Attendu que, d'abord par lettre simple du 13 décembre 2001 puis par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 février 2002, la société Leleu a, en vain, demandé des explications à son distributeur en insistant sur la gravité de l'atteinte portée, par ces agissements délictueux, à l'image de sa marque;
Attendu qu'ensuite, se référant à leurs différents entretiens, la société Leleu a notifié à la société Raphaële la résiliation du contrat de distribution Burov par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 septembre 2002;
Que la destinataire ne l'ayant pas réclamée, la société Leleu a réitéré son envoi le 14 octobre 2002, non seulement par lettre simple mais encore en recommandé;
Attendu que la lettre de rupture ne vise aucun motif ; qu'il ressort néanmoins de l'échange de lettres qui a suivi qu'elle est consécutive aux manquements de la société Raphaële ; qu'ainsi, répondant à la réclamation de celle-ci, la société Leleu lui a rappelé, le 24 janvier 2003, que depuis plus d'une année, elle ne respectait pas ses engagements contractuels et n'avait pas daigné répondre à sa lettre du 15 février 2002, de sorte qu'elle avait perdu la confiance nécessaire à la poursuite de leurs relations commerciales;
Attendu que les faits imputés au distributeur sont attestés par ses propres clients, lesquels ne sont pas valablement contredits par les dénégations de la société Raphaële au cours de la procédure judiciaire;
Que ces faits contreviennent aux stipulations des parties ; que l'article 15-1 du contrat mettait à la charge du distributeur le service après-vente auprès du client et le suivi des garanties fournies par le fabricant ; que, surtout, le détournement de la marque Burov par la société Raphaële constitue une violation caractérisée des obligations découlant de son appartenance au réseau Burov;
Attendu que la société Raphaële, qui a fait preuve de déloyauté envers son fournisseur, cause de la dénonciation de la convention, ne peut dès lors se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6, 1, 5° du Code de commerce;
Attendu que, conformément aux prévisions du contrat, le distributeur a disposé d'un préavis de 3 mois avant la date d'effet de la rupture au 31 décembre 2002 ; qu'au regard de la gravité des fautes contractuelles qu'elle a commises, invoquées à sa charge par le fournisseur du réseau depuis la fin de l'année 2001, elle n'est pas fondée à se plaindre de l'insuffisance de la durée du préavis au regard de l'ancienneté de ses relations d'affaires ; que la demande d'indemnisation formée à ce titre doit être rejetée;
Attendu que l'appelante, se présentant comme distributeur exclusif des produits Burov sur Lyon, fait aussi grief à son fournisseur d'avoir mis en place un parasitage de la société Raphaële pour l'évincer comme distributeur au profit de la maison Favrot, son concurrent ; qu'elle soutient que la société Leleu l'avait sélectionnée comme nouveau distributeur bien avant la rupture;
Mais attendu que le contrat passé entre les parties dispose à l'article 3-2 que :
" ...il est expressément convenu que Burov ne confère, par les présentes, aucune exclusivité territoriale au profit du distributeur;
En conséquence, le distributeur reconnaît que Burov pourra sélectionner et autoriser de nouveaux distributeurs à vendre les produits contractuels notamment dans cette zone, sans qu'il puisse invoquer un quelconque préjudice à son profit ou ouvrir droit à résiliation du présent contrat."
Qu'il s'ensuit que l'appelante ne peut revendiquer aucun droit d'exclusivité;
Que la circonstance que la société Favrot, dont le magasin à Lyon est géographiquement proche de celui de la société Raphaële, ait fait diffuser, dans une revue spécialisée de novembre 2002, une publicité faisant mention de sa qualité de distributeur Burov, n'est pas de nature à établir une faute à la charge du fournisseur du réseau, qui avait d'ailleurs notifié depuis le mois de septembre sa lettre de rupture à la société Raphaële;
Qu'il ne peut être, de la même manière, tiré aucune conséquence de l'encart publicitaire figurant dans les pages jaunes de l'annuaire du Rhône, concernant la société Favrot;
Attendu que le jugement qui a débouté la société Raphaële de sa demande indemnitaire sera en conséquence confirmé;
Attendu que l'appelante, qui n'obtient pas gain de cause, supportera les dépens et les frais de procédure de l'intimée;
Par ces motifs, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Y ajoutant; Condamne la société Raphaële à payer à la société Leleu la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens, recouvrés dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.