CA Nîmes, 2e ch. com. B, 1 juin 2006, n° 05-01977
NÎMES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Martinot
Défendeur :
Mayenne Diffusion (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Conseillers :
M. Bertrand, Mme Brissy-Prouvost
Avoués :
SCP Tardieu, SCP Curat-Jarricot
Avocats :
SCP Dubos-Leprince-David, SCP Bellat-Petit Le Dressay
Faits - procédure - prétentions et moyens des parties
Pour un plus ample exposé de la cause, la cour fait expressément référence:
- au jugement contradictoire rendu le 8 avril 2005 par le Tribunal de commerce d'Avignon,
- aux conclusions et bordereau de pièces signifiés et déposés à la mise en état par Vincent Martinot le 12 avril 2006,
- aux conclusions et bordereau de pièces signifiés et déposés à la mise en état par la SAS Mayenne diffusion le 11 avril 2006.
Vincent Martinot exerce, à Aix-en-Provence, sous l'enseigne VM Diff, une activité commerciale de diffusion de fournitures aux grossistes en sanitaires, chauffage et plomberie.
Le 1er janvier 2000, il a signé avec la SAS Mayenne diffusion (siège social 53410 la Brulatte) créée le 6 juin 1989, un contrat d'agent commercial relatif à la vente de parois et cabines de douche PDP avec exclusivité dans 14 départements de la région Paca.
Par courrier du 18 novembre 2003, la SAS Mayenne Diffusion a informé Vincent Martinot de sa participation (stand) au salon d'Idéo Bain à Paris du 4 au 9 février 2004.
Par LR-AR du 19 février 2004, cette société a notifié à Vincent Martinot la rupture du contrat d'agent commercial pour faute lourde sans préavis ni indemnité en raison, d'une part, de son absence sur son stand pendant cette période, d'autre part, de sa qualité d'acteur principal d'une marque sanitaire vendant des produits directement concurrents.
Dans ces conditions, Vincent Martinot a, par acte du 26 mai 2004, saisi le Tribunal de commerce d'Avignon afin qu'il :
- condamne la SAS Mayenne diffusion à paiement :
+ de la somme de 1 628,97 euro TTC correspondant "à l'indemnité de préavis",
+ de la somme de 8 915,04 euro au titre de l'indemnité de clientèle,
+ de la somme de 761,60 euro pour rappel de commissions,
+ de la somme de 2 317,91 euro au titre de l'indemnité de remploi,
+ de la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la décision à intervenir devant être assortie de l'exécution provisoire.
Cette juridiction, estimant d'une part, que si Vincent Martinot n'a pas commis de faute grave dans l'exécution des relations contractuelles, il a toutefois fait preuve d'un manque de loyauté de nature à entraîner une réduction de l'indemnité compensatrice, d'autre part, que les pièces produites ne permettent pas de calculer les commissions,
- a condamné la SAS Mayenne diffusion à paiement des sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter du 19 février 2004;
+ 1 114,38 euro au titre de l'indemnité de préavis,
+ 1 114,38 euro au titre de l'indemnité compensatrice,
- a débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- a condamné la SAS Mayenne diffusion aux entiers dépens.
Vincent Martinot, qui a interjeté appel par acte du 2 mai 2005, conclut à la réformation de cette décision uniquement en ce qui concerne le montant des condamnations prononcées.
Au visa des articles L. 134-11 et L. 134-16 du Code de commerce, il demande à la cour de:
- condamner la SAS Mayenne diffusion à payer, avec intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2004 et application de l'article 1154 du Code civil à compter des conclusions signifiées le 2 septembre 2005,
+ 1 828,97 euro TTC au titre de l'indemnité de préavis,
+ 8 915,04 euro HT au titre de l'indemnité compensatrice,
+ 761,60 euro à titre de rappel de commissions,
+ 2 407,06 euro à titre d'indemnité de remploi,
- condamner la SAS Mayenne diffusion à payer la somme de 3 000 euro au titre des frais irrépétibles ainsi que les entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP d'avoués Tardieu ;
La SAS Mayenne diffusion, qui interjette appel incident, conclut à la réformation cette décision et prie la juridiction d'appel :
- de constater que la concurrence déloyale commise par Vincent Martinot constitue une faute grave de nature à porter atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun,
- de débouter Vincent Martinot de ses demandes,
- de le condamner à payer la somme de 3588 euro au titre des frais irrépétibles ainsi que les entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Curat-Jarricot
En l'accord des parties, l'ordonnance de clôture rendue le 17 mars 2006 a été révoquée par le conseiller de la mise en état. La procédure a été à nouveau clôturée le 12 avril 2006 avant ouverture des débats.
Motifs de l'arrêt
Sur la procédure
Attendu qu'au vu des pièces produites, la recevabilité de l'appel n'est ni contestée ni contestable;
Sur la rupture des relations commerciales
Attendu que Vincent Martinot fait valoir :
- qu'en violation des stipulations contractuelles, la SAS Mayenne Diffusion a modifié les modalités de rémunération (lettre du 29 août 2003) et a rétréci son secteur géographique (lettre du 5 janvier 2004),
- qu'exerçant son activité en toute indépendance, il n'a commis aucune faute en n'assistant pas au salon Idéo Bain 2004,
- que certes il est en relations commerciales avec la société Flaminia mais que les produits diffusés par cette marque et ceux diffusés par la SAS Mayenne Diffusion sont très différents de sorte qu'il n'existe aucune concurrence,
- que la SAS Mayenne Diffusion savait parfaitement que trois de ses agents commerciaux travaillaient également avec Flaminia.
Attendu que la SAS Mayenne Diffusion réplique :
- que Vincent Martinot ne tire aucune conséquence des reproches qu'il formule à son encontre et qu'en tout état de cause elle n'a pas modifié les conditions contractuelles,
- que Vincent Martinot, qui s'est abstenu de l'aviser de toute absence au salon précisé, y a toutefois participé en assurant la représentation d'une société (dont il est gérant) laquelle diffuse également des cabines et parois de douche de même gamme et même prix, d'où le reproche de concurrence déloyale qui a d'ailleurs été également formulé par son autre mandant, la société SEP,
- qu'elle n'a jamais été au courant d'un développement de la gamme Flaminia par ses agents commerciaux et qu'Isabelle Cadinot a vu son contrat rompu au motif qu'elle avait prospecté pour un fabricant concurrent;
Mais attendu que le contrat conclu pour une durée indéterminée pouvait être résilié par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis de trois mois par lettre recommandée (article 4);
Qu'en application de l'article L. 134-13 du Code de commerce, le paiement de l'indemnité compensatrice n'est pas dû si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial, c'est-à-dire une faute qui porte atteinte à la finalité du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel;
Attendu en l'espèce que Vincent Martinot formule divers reproches à l'encontre de la SAS Mayenne Diffusion mais n'en tire aucune conséquence juridique ;
Attendu dès lors qu'il convient uniquement de rechercher si la SAS Mayenne Diffusion établit ou non que Vincent Martinot a commis une faute grave dans l'exercice de son mandat;
Attendu, sur son absence de participation au stand Mayenne Diffusion au salon Idéo Bain 2004, qu'il convient de rappeler que l'agent commercial exerce sa profession de manière indépendante; qu'aucune obligation de ce type n'a été mise contractuellement à la charge de Vincent Martinot; qu'il importe de souligner que dans la lettre de résiliation, la SAS Mayenne Diffusion ne mentionne pas qu'il a participé à ce salon sur un stand concurrent;
Attendu en conséquence que ce reproche ne constitue pas une faute grave au sens du texte susvisé;
Attendu, sur les faits de concurrence, qu'il ressort des pièces produites que depuis 2000 environ, Vincent Martinot est en relations commerciales avec la société italienne Flaminia, laquelle a, grâce à lui, prospéré en France, puisqu'en 2005 il était directeur de la filiale française (cf page 26 de la revue " Décor bains " hiver 2005) ;
Que selon la brochure (48 pages) versée aux débats, Flaminia distribue principalement des articles sanitaires (lavabos - bidets - cuvettes WC - plans supports et accessoires);
Qu'elle vend seulement 3 types de douches avec parois :
- Twin space avec bac semi-circulaire
- Tatami et Bamboo avec bac de forme rectangulaire se posant à fleur du carrelage, couvert par des plaques plus ou moins nombreuses assurant un massage des pieds, et parois déclinées en 4 longueurs, l'espace de douche, très vaste, pouvant être adapté au choix du client; qu'à titre indicatif, le receveur de douche "Tatami" a reçu le prix du design Idéo Bain;
Que la marque Flaminia se distingue par une recherche esthétique poussée, un concept de design élevé, un style minimaliste innovant, cet ensemble de qualités lui conférant le qualificatif de haut de gamme; que ces produits intéressent plutôt les architectes (cf article de" Décor Bain");
Qu'en revanche, le catalogue de la SAS Mayenne Diffusion (168 pages) fait exclusivement mention de 32 sortes de bacs à douches avec parois; qu'il s'agit de produits courants/standard, de style plus traditionnel, de qualités diverses;
Que les cabines et parois de douche du type "Quality" (le haut de la gamme de la SAS Mayenne Diffusion), susceptibles de se rapprocher des trois formules susnommées, ne présentent pas les caractères relevés ci-dessus et qu'en outre les parois existent en trois dimensions variant seulement de 68 à 90 cm de largeur;
Que s'il n'est pas justifié du prix des articles Flaminia, il n'est pas contesté que celui-ci est élevé (2 000 euro la porte de douche) tandis que le prix des parois de douche des trois modèles "Quality" diffusés par la SAS Mayenne Diffusion varie de 1 120 euro à 1 971 euro;
Qu'il est ainsi démontré que les produits vendus sur un même marché par Vincent Martinot pour la société Flaminia et pour la SAS Mayenne Diffusion ne concernaient pas la même clientèle;
Qu'ils n'étaient donc pas concurrents mais complémentaires;
Attendu au surplus que la justification fournie par la SAS Mayenne Diffusion de sa prétendue ignorance des relations commerciales de Vincent Martinot avec la société Flaminia est erronée puisqu'elle a résilié le contrat d'agent d'Isabelle Cadinot en raison du faible chiffre d'affaires réalisé en 2004;
Attendu en définitive que Vincent Martinot a respecté tant son obligation contractuelle de ne pas accepter une représentation directement concurrente (article 2) que son obligation de loyauté à laquelle il était tenu en application de l'article L. 134-4 du Code de commerce;
Attendu en conséquence que le moyen tiré de la faute grave commise par l'agent commercial n'est pas fondé;
Sur les demandes en paiement formulées par Vincent Martinot
Attendu que ces demandes ont été formulées dans l'assignation en date du 26 mai 2004;
qu'en conséquence, il sera fait droit, pour l'ensemble des sommes allouées, à la demande en paiement des intérêts au taux légal à compter de cette date ainsi qu'à la demande de capitalisation des intérêts compter du 2 septembre 2005;
- au titre du rappel de commissions pour janvier et février 2004.
Attendu que Vincent Martinot réclame à ce titre la somme de 761,60 euro calculée sur la moyenne des ventes qu'il a réalisées en 2003 (4 457,57 euro : 12 mois = 371,46 euro X 2 mois = 761,60 euro);
Attendu que la SAS Mayenne Diffusion n'a pas conclu sur ce point;
Mais attendu que le droit à paiement de commissions n'est pas contesté dans son principe; que la SAS Mayenne Diffusion ne produit pas les commandes permettant d'en calculer le montant; qu'il est justifié des résultats de l'activité 2003;
Attendu en conséquence que la SAS Mayenne Diffusion sera condamnée à payer la somme de 761,80 euro TTC;
Attendu en définitive que le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a débouté Vincent Martinot de sa demande de ce chef;
- au titre de "l'indemnité de préavis"
Attendu que Vincent Martinot réclame paiement d'une " indemnité de préavis " de 1 628,97 euro TTC; qu'il s'agit en réalité d'une demande en paiement de dommages-intérêts;
Attendu que la SAS Mayenne Diffusion n'a pas conclu sur ce point;
Mais attendu que Vincent Martinot, qui n'a pas commis de faute, a été brusquement privé de la possibilité de percevoir des commissions provenant de la vente des produits de la SAS Mayenne Diffusion ; que cette rupture brutale lui a causé un préjudice qu'il convient de réparer, au vu des résultats commerciaux de l'année 2003, par l'allocation d'une somme de 1 114, 38 euro hors taxes;
Attendu en définitive que le jugement déféré sera confirmé sur le montant de la somme allouée à titre principal; que toutefois, la condamnation à paiement des intérêts au taux légal avec application de l'article 1154 du Code civil y sera ajoutée;
- sur l'indemnité compensatrice et "l'indemnité de remploi"
Attendu que Vincent Martinot réclame à titre d'indemnité compensatrice la somme de 8 915,04 euro correspondant à 24 mois de commissions par référence à l'année 2003; qu'il sollicite également paiement de la somme de 2 407,06 euro correspondant à l'imposition sur la plus-value (16 %) et à la CSG et la CRDS (11 %) ; qu'il devra acquitter sur cette somme;
Attendu que la SAS Mayenne Diffusion n'a pas conclu sur ce point;
Mais attendu, en application de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi; que compte-tenu des circonstances de l'espèce, il convient de chiffrer l'indemnité compensatrice à la somme de 7 000 euro hors taxes;
Attendu qu'il ne saurait être valablement ajouté à ce texte en prétendant que cette indemnité doit, au final, être dégrevée de toutes incidences fiscales; que Vincent Martinot sera donc débouté de sa demande en paiement d'une indemnité de remploi;
Attendu en conséquence que la SAS Mayenne Diffusion sera condamnée à payer à Vincent Martinot la somme de 7 000 euro hors taxes;
Attendu que le jugement déféré sera réformé de ce chef;
Sur les dépens de première instance et d'appel ainsi que les frais irrépétibles
Attendu que les entiers dépens seront supportés par la SAS Mayenne Diffusion qui succombe mais qu'il ne s'avère pas équitable de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au profit de Vincent Martinot ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, publiquement, en matière commerciale et en dernier ressort - déclare l'appel recevable, - infirme la décision déférée mais seulement en ce qu'elle a débouté Vincent Martinot de sa demande en paiement de commissions, chiffré l'indemnité compensatrice à la somme de 1 114,38 euro ; Statuant à nouveau sur les chefs infirmés, - condamne la SAS Mayenne Diffusion à verser à Vincent Martinot avec intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2004 et application de l'article 1154 du Code civil à compter des conclusions signifiées le 2 septembre 2005, la somme de 761,60 euro TTC au titre de rappel de commissions, la somme de 7 000 euro hors taxes à titre d'indemnité compensatrice, y ajoutant - dit que les sommes allouées à Vincent Martinot par le jugement déféré porteront intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2004 avec capitalisation des intérêts à compter des conclusions signifiées le 2 septembre 2005, - confirme en ses autres dispositions la décision dont appel - rejette le surplus des demandes, - condamne la SAS Mayenne Diffusion aux entiers dépens dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Tardieu.