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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ. A, 16 mars 2006, n° 04-01310

COLMAR

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Schwartzkopf & Henkel Production Europe GmbH & Co KG

Défendeur :

Soprema (SA), BTP Bari (SA), Eurometal (SA), Butzbach France (SA), Echamat (SARL), ITB (SARL), Hubert Wach (SARL), Ibéro GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Werl

Avocats :

Mes Wetzel & Frick, Bader, Heichelbech, Richard-Frick & Chevalier-Gaschy

TGI Colmar, du 5 févr. 2004

5 février 2004

Faits et procédure :

Courant 2001, aux termes d'un contrat rédigé en anglais - dont aucune traduction en français n'est versée aux débats mais dont les dispositions essentielles apparaissent des écritures concordantes des parties - la société de droit allemand Schwartzkopf & Henkel Production Europe (ci-après société Henkel) avait confié à la société de droit allemand Ibéro la construction d'une station d'épuration pour son unité de production située à Liepvre (GB) moyennant le prix de 2 300 000 euro.

Le 29 mai 2002 une procédure d'insolvabilité a été ouverte en Allemagne à l'encontre de la société Ibéro.

Soutenant avoir été liées par des contrats de sous-traitance avec la société Ibéro pour réaliser la station d'épuration considérée, et ne pas avoir été remplies de leurs droits à paiement de leurs marchés respectifs, les sociétés Soprema, BTP Bari Eurometal, Butzbach France, Echamat, ITB et Hubert Wach (ci-après les sous-traitantes), entendant exercer l'action directe issue de la loi du 31 décembre 1975 contre le maître d'ouvrage, ont, le 8 août 2002 fait citer à cette fin la société Henkel, en présence de la société Ibéro et de son administrateur judiciaire.

Par jugement du 5 février 2004 la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Colmar a, outre intérêts et frais, totalement accueilli les prétentions des sous-traitantes.

Le 3 mars 2004 la société Henkel a interjeté appel général de ce jugement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 août 2005.

Prétentions et moyens des parties :

Pour un plus ample exposé la cour se réfère expressément aux dernières conclusions déposées par les parties :

- le 24 mars 2005 par la société Henkel,

- le 2 novembre 2004 par les sous-traitantes intimées.

La société Ibéro, contre laquelle aucune demande n'est formée, n'a pas été assignée.

Pour conclure par voie d'infirmation du jugement entrepris au rejet de toutes les demandes des sous-traitantes, la société Henkel a essentiellement fait valoir :

- que c'est la loi allemande qui doit régir le litige et que celle-ci ignorant l'action directe des sous-traitant, les demandes seront déclarées irrecevables ;

- qu'au fond les intimées ne prouvent pas la réalité des contrats sur lesquels elles se fondent ;

- qu'elles n'ont jamais été agréées par elle et qu'elles ne l'ont jamais valablement mise en demeure de payer ;

- qu'elles ne prouvent pas qu'elle ait connaissance de leur présence sur le chantier et qu'en tout état de cause l'entrepreneur principal avait été totalement payé.

Les intimées qui ont repris leurs moyens de première instance retenus par les premiers juges, ont conclu à la confirmation du jugement.

Motifs :

Attendu que se pose liminaire ment la question de la détermination de la loi nationale qui doit régir le litige ;

Attendu que c'est sans encourir de critiques que le tribunal a constaté l'absence de stipulations contractuelles à cet égard et qu'il en a déduit qu'il convenait de faire application de la convention de Rome du 19 juin 1980 ;

Que l'analyse des premiers juges consistant à retenir que les prétendus contrats de sous-traitance seraient totalement distincts du contrat principal, de sorte qu'ils seraient dépourvus de liens étroits avec la loi allemande ne s'avère pas pertinente, alors que l'existence de ce dernier est le nécessaire préalable à la conclusion de liens contractuels de sous-traitance ;

Qu'en revanche, alors que le contrat conclu entre les sociétés Henkel et Ibéro avait pour objet la construction d'un ouvrage technique - de nature immobilière quand bien même il ressortissait à la catégorie des ouvrages de génie civil, les conditions de la présomption édictée par l'article 4-3 de la convention de Rome sont réunies ;

Qu'il s'en infère que le contrat présente les liens les plus étroits avec la France où est situé l'immeuble objet du contrat ;

Que ce moyen commande de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré que la loi française régissait le litige et donc que les demandes des sous-traitantes devaient être déclarées recevables ;

Attendu que dans les rapports entre la société Henkel et les sociétés intimées, qui ne sont pas liées par les contrats de sous-traitance litigieux et qui sont toutes commerçantes, la preuve desdits contrats pouvait être rapportée par tous moyens ;

Que par suite en application de l'article 1353 du Code civil, les premiers juges étaient fondés à admettre que les devis et ordres de service concordants justifiaient suffisamment de l'existence des contrats allégués ;

Attendu que c'est encore par des motifs pertinents et non querellés en appel que le tribunal a constaté qu'il n'était pas établi que la société Henkel ait accepté l'intervention des sous-traitantes de la société Ibéro - étant ajouté que le recours à la sous-traitance n'était pas visé dans le contrat principal et que l'objet social de la société Ibéro tel qu'il est décrit dans le rapport de son administrateur et incluant outre la conception d'installations industrielles. La construction de celles-ci n'induisait pas automatiquement pour sa cocontractante connaissance de la décision de celle-là de sous-traiter l'exécution des travaux - ni agréé leurs conditions de paiement ;

Attendu qu'en supposant même que les sous-traitantes aient été acceptées par le maître d'ouvrage, les premiers juges ont à bon droit relevé que les conditions de l'action directe n'étaient pas réunies ;

Qu'en effet lorsque le 4 juillet 2002 les sous-traitantes ont, par lettre recommandée avec accusé de réception, mis en demeure la société Henkel de les payer directement, elles se sont abstenues, contrevenant ainsi à l'exigence impérative de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975, de lui adresser copie de la mise en demeure préalablement envoyée à l'entreprise principale et demeurée infructueuse pendant le délai d'un mois après son envoi ;

Que les sous-traitantes n'ont jamais justifié de l'envoi d'une mise en demeure à la société Ibéro ;

Que si elles font pertinemment valoir que l'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 ne soumet la mise en demeure adressée à l'entrepreneur principal à aucun formalisme et que s'analyse comme telle une déclaration de créance à la procédure collective de ce dernier, il leur appartenait néanmoins de prouver qu'elles avaient déclaré leurs créances au passif de la société Ibéro avant de mettre en demeure la société Henkel et qu'elles avaient simultanément transmis copies de ces déclarations de créances au maître d'ouvrage ;

Qu'il apparaît des pièces produites que les déclarations de créance n'ont été effectuées que les 28 août 2002, 2 septembre 2002 et 23 octobre 2002, soit postérieurement à la mise en demeure du 4 juillet 2002, ce qui à l'évidence excluait à cette dernière date toute transmission des copies de celles-là ;

Que l'obligation d'accomplissement de ces formalités légales ne saurait être regardée comme remplie du fait que dans leur mise en demeure du 4 juillet 2002 les intimées informaient l'appelante de l'ouverture de la procédure collective de la société Ibéro ;

Attendu on outre que la société Henkel démontre qu'au 4 juillet 2002, date de sa mise en demeure, elle ne devait plus rien à la société Ibéro à laquelle elle avait réglé toutes les prestations contractuelles dont elle était bénéficiaire, ce qui rend en application de l'article 13 de la loi du 31 décembre 1975, de plus fort mal fondées les sous-traitantes en leur action directe ;

Qu'en effet en produisant deux ordres de paiement datés du 5 décembre 2001 émis à l'ordre de la société Ibéro la société Henkel justifie avoir payé à celle-là au titre du marché considéré les sommes de 690 000 euro et 460 000 euro soit au total 1 150 000 euro.

Que dans son rapport l'administrateur judiciaire de la société Ibéro expose qu'à l'ouverture de la procédure d'insolvabilité - le 29 mai 2002 - la société Henkel avait déjà payé 50 % du marché litigieux, dont plus de 50 % des prestations restaient encore à réaliser et que le contrat, faute d'accord amiable a été résilié ;

Qu'il appert clairement de ce rapport qu'au 29 mai 2002 les travaux de construction ont été interrompus et que la société Henkel avait payé un prix supérieur aux prestations effectivement exécutées ;

Que les sous-traitantes avaient à cette même date remplie l'objet de leurs contrats dont les montants totaux impayés ne s'élèvent qu'à la somme de 122,845 euro ;

Qu'il est donc patent que la société Henkel avait payé à la société Ibéro toutes les prestations réalisées par elle et par ses sous-traitantes ;

Attendu que c'est à tort que le tribunal, aux termes de motifs dubitatifs, a accueilli les demandes dos sous-traitantes sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, en retenant que la société Henkel, qui avait connaissance de la présence de celles-là sur le chantier avait engagé sa responsabilité et se trouvait obligée à réparation de leurs préjudices financiers ;

Attendu que les intimées supportent la charge de prouver que la société Henkel savait que la société Ibéro avait recours à elles ;

Que sur ce point les consignes générales d'intervention rédigées sous en-tête de la société Henkel et qui se bornent à satisfaire aux obligations légales de sécurité du chantier envers les personnes qui y pénétreraient à quelque titre que ce soit, s'avèrent dépourvues de valeur probante ;

Qu'il en est de même du procès-verbal des mesures de sécurité signé le 17 mai 2002 par les représentants des sociétés Henkel et Ibéro ainsi que par celui de la société ITB dans la mesure où la qualité de cette dernière mentionnée seulement comme suit "Résine fourniture ITB" en face de la rubrique "Produits Chimiques" était ambiguë et pouvait ne désigner qu'un fournisseur de matériaux ;

Qu'il est indifférent que la société Henkel figure, ainsi que les sous- traitantes, sur le compte rendu de chantier du 11 janvier 2002 rédigé par l'architecte dès lors qu'il ne s'évince d'aucun élément que l'appelante ait assisté à cette réunion, ni qu'elle ait été effectivement destinataire de ce document comme se borne à l'alléguer les intimées, et avec elles les premiers juges ;

Qu'il a déjà été observé que ni les termes du contrat, ni l'objet social de la société Ibéro ne permettait à la société Henkel de prévoir que le recours à des sous-traitants serait nécessaire ;

Attendu que rien n'établit que la société Henkel ait connu l'intervention des sous-traitantes avant le 21 juin 2002 ;

Qu'à cette date elle a reçu une convocation à une réunion de chantier en présence des sous-traitantes et elle en a expressément accusé réception par courrier du 25 juin 2002 adressé à l'architecte en précisant qu'elle n'y participerait pas, n'étant contractuellement liée qu'avec la société Ibéro ;

Que cependant cette preuve de la découverte des sous-traitants s'avère sans emport puisqu'il a précédemment été démontré qu'à la date du 21 juin 2002 - et ce depuis le 29 mai 2002 - la société Henkel n'était plus débitrice de la société Ibéro à quelque titre que ce soit du chef du chantier litigieux ;

Que la société Henkel n'a commis aucune faute en payant la société Ibéro à une époque où il n'est pas prouvé qu'elle connaissait la présence des sous-traitants, ni en s'abstenant d'exiger que celle-ci s'acquitte des obligations imposées par les articles 3, 5 et 6 de la loi du 31 décembre 1975 ;

Que les sous-traitantes doivent donc être déboutées de leurs demandes de réparation ;

Attendu que cette analyse commande d'infirmer au fond totalement le jugement entrepris ;

Attendu que les intimées qui succombent principalement seront in solidum condamnées aux entiers dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement à l'appelante d'une indemnité de 2 000 euro pour frais irrépétibles de première instance et d'appel, leurs propres demandes à ce titre étant rejetées ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris seulement en ce qu'il a dit que le litige était régi par la loi française ; l'Infirme totalement pour le surplus ; Statuant à nouveau et y ajoutant ; Déboute les SA Soprema, SA BTP Bari, SA Eurometal, SA Butzbach France, SARL Echamat, SARL ITB et SARL Hubert Wach de toutes leurs demandes ; Les Condamne in solidum à payer à la société Schwartzkopf & Henkel Production Europe GmbH la somme de 2 000 euro (deux mille euro) pour frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Condamne in solidum les intimées aux dépens de première instance et d'appel.