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Décisions

CJCE, 1re ch., 18 novembre 2004, n° C-126/03

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

République fédérale d'Allemagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jann

Avocat général :

M. Geelhoed

Juges :

M. Rosas, Lenaerts, Schiemann, Mme Silva de Lapuerta

Avocat :

Me Prieß

CJCE n° C-126/03

18 novembre 2004

LA COUR (première chambre),

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, le marché relatif au transport des déchets à partir des points de déversement dans la région de Donauwald (Allemagne) jusqu'à la centrale thermique de Munich-Nord ayant été attribué par la ville de Munich (Allemagne) en violation des règles de procédure prévues à l'article 8 de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1), lu en combinaison avec l'article 11, paragraphe 1, de cette directive, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

Le cadre juridique

2 Selon l'article 1er, sous a), de la directive 92-50, les "marchés publics de services" sont "des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur", à l'exclusion des contrats énumérés aux points i) à ix) de cette disposition.

3 Selon l'article 1er, sous b), de la même directive, sont considérés comme "pouvoirs adjudicateurs", "l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public".

4 En vertu de l'article 8 de la directive 92-50, "les marchés qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I A sont passés conformément aux dispositions des titres III à VI".

5 L'article 11, paragraphe 1, de la directive 92-50 dispose que, pour passer leurs marchés publics de services, les pouvoirs adjudicateurs appliquent les procédures ouvertes, restreintes ou négociées, telles que définies respectivement à l'article 1er, sous d), e) et f), de cette directive.

Les faits et la procédure précontentieuse

6 En 1997, la ville de Munich, exploitante de la centrale thermique de Munich-Nord, a conclu un contrat avec une entreprise privée, la société Rethmann Entsorgungswirtschaft GmbH & Co. KG (ci-après "Rethmann"), en vertu duquel elle s'est engagée à confier à cette société le transport de déchets à partir des points de déversement jusqu'à ladite centrale si elle obtenait le marché d'élimination des déchets de la région de Donauwald, ce marché ayant fait l'objet d'un appel d'offres lancé par l'Abfallwirtschaftsgesellschaft Donau-Wald mbH (ci-après l'"AWG Donau-Wald") et auquel la ville de Munich avait répondu.

7 Ayant obtenu ledit marché, la ville de Munich a, conformément à l'accord conclu avec Rethmann, confié à cette dernière le transport des déchets, sans que, toutefois, l'attribution de cette activité ait fait l'objet d'un appel d'offres prévu par la directive 92-50.

8 Après avoir mis la République fédérale d'Allemagne en mesure de présenter ses observations à cet égard, la Commission a, le 25 juillet 2001, adressé un avis motivé à cet État membre, relevant que le marché relatif au transport des déchets à partir des points de déversement dans la région de Donauwald jusqu'à la centrale thermique de Munich-Nord (ci-après le "marché litigieux") aurait dû faire l'objet d'un appel d'offres publié au Journal officiel des Communautés européennes, conformément à la directive 92-50. Elle a invité ledit État membre à se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis. À la suite de la réponse des autorités allemandes du 30 octobre 2001, par laquelle celles-ci ont contesté le manquement, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le recours

Sur le manquement

9 À l'appui de son recours, la Commission invoque un seul grief, tiré de la violation de l'article 8 de la directive 92-50, lu en combinaison avec l'article 11, paragraphe 1, de cette directive, au motif que la ville de Munich n'a pas soumis le marché litigieux à un appel d'offres.

10 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 8 de la directive 92-50, lu en combinaison avec l'article 11, paragraphe 1, de celle-ci, les marchés publics qui ont pour objet des services figurant à l'annexe I A doivent être passés conformément aux dispositions des titres III à VI de cette directive, en appliquant une procédure ouverte, restreinte ou négociée au sens de ladite directive.

11 La notion de "marchés publics de services" est définie à l'article 1er, sous a), de la directive 92-50, selon lequel ces marchés sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur.

12 La notion de "pouvoir adjudicateur" est, quant à elle, définie à l'article 1er, sous b), de la directive 92-50, comme "l'État, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public".

13 Par conséquent, l'article 8 de la directive 92-50, lu en combinaison avec les articles 1er, sous a) et b), et 11, paragraphe 1, de celle-ci prévoit que les contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et une collectivité territoriale doivent faire l'objet d'une procédure ouverte, restreinte ou négociée au sens de ladite directive, dès lors qu'ils ont pour objet des services figurant à l'annexe I A de celle-ci.

14 En l'espèce, il convient de constater que le marché litigieux est un marché public au sens des articles 8 et 11 de la directive 92-50, lequel marché aurait dû être passé conformément aux titres III à VI de cette directive.

15 En effet, le contrat conclu entre la ville de Munich et Rethmann, en vertu duquel cette société s'est engagée à effectuer le transport des déchets à partir des points de déversement dans la région de Donauwald jusqu'à la centrale thermique de Munich-Nord, a pour objet un service relevant de l'annexe I A de ladite directive et qui est rendu par une entreprise à une collectivité territoriale. Il s'agit donc d'un contrat à titre onéreux, conclu par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur.

16 À cet égard, l'argumentation invoquée par le Gouvernement allemand pour écarter la qualification de marché public du marché litigieux au sens des articles 8 et 11 de la directive 92-50 ne saurait être accueilli.

17 Tout d'abord, le Gouvernement allemand fait valoir que, s'agissant du marché litigieux, la ville de Munich n'est pas un "pouvoir adjudicateur" au sens de l'article 1er, sous b), de la directive 92-50 et que ce marché n'est pas un "marché public" au sens de l'article 1er, sous a), de la même directive. Selon ce gouvernement, ledit marché ne s'inscrit pas dans le cadre des activités d'intérêt général de la ville de Munich, mais dans celui d'une activité économique indépendante, clairement distincte et soumise à la concurrence, à savoir l'exploitation de la centrale thermique de Munich-Nord.

18 À cet égard, il convient de répondre que, selon l'article 1er, sous b), de la directive 92-50, les collectivités territoriales sont, par définition, des pouvoirs adjudicateurs. Or, il ressort de la jurisprudence que l'article 1er, sous a), de la même directive ne fait pas de distinction entre les marchés passés par un pouvoir adjudicateur pour accomplir sa mission de satisfaire des besoins d'intérêt général et ceux qui n'ont pas de rapport avec cette mission [voir, par analogie, à propos de la directive 93-37-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 199, p. 54), arrêt du 15 janvier 1998, Mannesmann Anlagenbau Austria e.a., C-44-96, Rec. p. I-73, point 32]. De même, il est sans importance que le pouvoir adjudicateur entende opérer lui-même comme prestataire de services et que le marché en cause vise, dans ce cadre, la sous-traitance d'une partie des activités à un tiers. En effet, il n'est pas exclu que la décision du pouvoir adjudicateur concernant le choix de ce tiers repose sur des considérations autres qu'économiques. Il s'ensuit que, quels que puissent être la nature et le contexte du marché litigieux, celui-ci constitue un "marché public" au sens de l'article 1er, sous a), de la directive 92-50.

19 S'agissant de l'argument selon lequel l'activité de transport de déchets assurée par Rethmann fait, en définitive, l'objet d'un double appel d'offres, il suffit de relever que cette activité relève, en effet, de deux marchés publics distincts, à savoir celui attribué par la ville de Munich et celui concernant plus largement l'élimination des déchets de la région de Donauwald, attribué par l'AWG Donau-Wald, qui devaient chacun faire l'objet d'un appel d'offres, et que l'application de la directive 92-50 conduit donc à soumettre le service fourni par Rethmann à deux appels d'offres successifs.

20 S'agissant de l'argument selon lequel, dans le cas d'espèce, il n'y aurait pas emploi de ressources publiques de la ville de Munich, il convient de constater qu'un tel emploi n'est pas un élément constitutif de l'existence ou non d'un marché public au sens des articles 8 et 11 de la directive 92-50.

21 Le Gouvernement allemand soutient par ailleurs que, en tant que marché passé à des fins de revente à des tiers, le marché litigieux est exclu du champ d'application de la directive 92-50 en vertu de l'article 1er, sous a), ii), de celle-ci, lu en combinaison avec l'article 7 de la directive sectorielle 93-38-CEE du Conseil, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JO L 199, p. 84). À cet égard, ainsi qu'il a été relevé par M. l'avocat général au point 34 de ses conclusions, il convient de constater que l'article 1er sous a), ii), de la directive 92-50 exclut de son champ d'application les marchés passés dans les domaines concernés par la directive 93-38, parce que le législateur communautaire a voulu que lesdits marchés soient couverts uniquement par cette dernière directive. L'exception prévue à l'article 7 de la directive sectorielle 93-38 n'est donc applicable que dans l'hypothèse où le marché litigieux tomberait dans le champ d'application de cette directive. Or, dans la mesure où ce marché ne relève pas des activités visées à l'article 2, paragraphe 2, de la directive sectorielle 93-38, l'exception prévue à l'article 7 de cette même directive ne peut pas être applicable en l'espèce.

22 De plus, le Gouvernement allemand fait valoir qu'il aurait été impossible, en pratique, de passer le marché litigieux conformément aux titres III à VI de la directive 92-50 dans la mesure où, pour pouvoir justifier de sa capacité technique au sens de l'article 32, paragraphe 2, sous c) et h), de cette directive lors de la procédure d'appel d'offres lancée par l'AWG Donau-Wald, la ville de Munich aurait dû communiquer, lors du dépôt de son offre, le nom du sous-traitant. À cet égard, il est vrai qu'il incombe à un prestataire, qui entend faire état des capacités d'organismes ou d'entreprises auxquels il est directement ou indirectement lié d'établir, en vue d'être admis à participer à une procédure d'appel d'offres, qu'il peut effectivement disposer des moyens de ces organismes ou entreprises qui sont nécessaires à l'exécution du marché mais qui ne lui appartiennent pas en propre (voir, en ce sens, arrêts du 2 décembre 1999, Holst Italia, C-176-98, Rec. p. I-8607, point 29; du 12 juillet 2001, Ordine degli Architetti e.a., C-399-98, Rec. p. I-5409, point 92, et du 18 mars 2004, Siemens et ARGE Telekom, C-314-01, non encore publié au Recueil, point 44). Or, en l'espèce, il aurait, en tout état de cause, été possible pour la ville de Munich de conduire une procédure restreinte accélérée au sens de l'article 20 de la directive 92-50 entre le lancement de l'appel d'offres et le dépôt de son offre.

23 Le Gouvernement allemand relève que le marché litigieux aurait pu, en vertu de l'article 11, paragraphe 3, sous d), de la directive 92-50, être passé en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché. À cet égard, il convient de rappeler que, en tant que dérogation aux règles visant à garantir l'effectivité des droits reconnus par le traité CE dans le secteur des marchés publics de services, l'article 11, paragraphe 3, de la directive 92-50 doit faire l'objet d'une interprétation stricte et que c'est à celui qui entend s'en prévaloir qu'incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (voir arrêt du 10 avril 2003, Commission/Allemagne, C-20-01 et C-28-01, Rec. p. I-3609, point 58). Ainsi, l'application dudit article 11, paragraphe 3, sous d), est subordonnée à trois conditions cumulatives. Elle suppose l'existence d'un événement imprévisible, d'une urgence impérieuse incompatible avec les délais exigés par d'autres procédures et d'un lien de causalité entre l'événement imprévisible et l'urgence impérieuse qui en résulte [voir, s'agissant de la directive 71-305-CEE du Conseil, du 26 juillet 1971, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux (JO L 185, p. 5), arrêts du 2 août 1993, Commission/Italie, C-107-92, Rec. p. I-4655, point 12, et du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C-318-94, Rec. p. I-1949, point 14]. En l'espèce, ainsi qu'il a été constaté au point 22 du présent arrêt, il aurait été possible pour la ville de Munich de conduire une procédure restreinte accélérée (voir, s'agissant de la directive 71-305, arrêts du 18 mars 1992, Commission/Espagne, C-24-91, Rec. p. I-1989, point 14, et Commission/Italie, précité, point 13). Il s'ensuit que la République fédérale d'Allemagne n'a pas démontré qu'il existait une situation d'urgence impérieuse.

24 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que, le marché relatif au transport des déchets à partir des points de déversement dans la région de Donauwald jusqu'à la centrale thermique de Munich-Nord ayant été attribué par la ville de Munich en violation des règles de procédure prévues à l'article 8 de la directive 92-50, lu en combinaison avec l'article 11, paragraphe 1, de cette directive, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive

Sur les conséquences d'un arrêt constatant un manquement

25 Le Gouvernement allemand soutient que, dans l'hypothèse où le manquement serait constaté, la République fédérale d'Allemagne ne serait pas obligée de résilier le contrat déjà conclu.

26 À cet égard, il suffit de répondre que, si, dans le cadre de la procédure en manquement au titre de l'article 226 CE, la Cour est uniquement tenue de constater qu'une disposition du droit communautaire a été violée, il ressort de l'article 228, paragraphe 1, CE que l'État membre concerné est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour.

Sur les dépens

27 En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d'Allemagne et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il convient de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (première chambre),

déclare et arrête:

1) Le marché relatif au transport des déchets à partir des points de déversement dans la région de Donauwald jusqu'à la centrale thermique de Munich-Nord ayant été attribué par la ville de Munich en violation des règles de procédure prévues à l'article 8 de la directive 92-50-CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, lu en combinaison avec l'article 11, paragraphe 1, de cette directive, la République fédérale d'Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

La République fédérale d'Allemagne est condamnée aux dépens.