CA Paris, 13e ch. A, 22 mai 2006, n° 06-00814
PARIS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guilbaud
Conseillers :
M. Waechter, Mme Géraud-Charvet
Avocats :
Mes Haye, Marville
Rappel de la procédure :
La prévention :
X Frédéric et Y Danièle sont poursuivis pour avoir à Montreuil, le 20 juin 2002, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription :
- effectué une publicité comportant des allégations, indications ou présentations faussée ou de nature à induire en erreur portant sur la nature de biens ou de services, en l'espèce, en plaçant dans un même présentoir des médicaments et des compléments alimentaires, répondant aux mêmes codes couleurs, et directement accessibles aux clients,
- par quelque moyen que ce soit, trompé ou tenté de tromper les clients contractants sur les qualités substantielles de marchandises avec cette circonstance que les faits ont eu pour conséquence de rendre leur utilisation dangereuse pour la santé de l'homme ou de l'animal, en l'espèce, en commercialisant des compléments alimentaires (liste sur le procès-verbal DDCCRF) renfermant notamment du Konjac et du Millepertuis,
Le jugement :
Le tribunal, par jugement contradictoire à l'encontre des prévenus, a :
- déclaré X Frédéric :
- coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis le 20 juin 2002, à Montreuil, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
- coupable de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, faits commis le 20 juin 2002, à Montreuil, infraction prévue par les articles L. 213-2 1°, L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-2, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation,
- déclaré Y Danièle :
- coupable de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, faits commis le 20 juin 2002, à Montreuil, infraction prévue par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al. 1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation,
- coupable de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ou de l'animal, faits commis le 20 juin 2002, à Montreuil, infraction prévue par les articles L. 213-2 1°, L. 213-1 du Code de la consommation et réprimée par les articles L. 213-2, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8 du Code de la consommation,
Et par application de ces articles, a condamné :
- X Frédéric à une amende délictuelle de deux mille euro (2 000 euro)
- Y Danièle à une amende délictuelle de deux mille euro (2 000 euro),
- a dit que la présente décision était assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de quatre vingt dix euro (90 euro) dont est redevable chaque condamné,
Les appels :
Appel a été interjeté par :
- Monsieur X Frédéric, le 4 juin 2004, des dispositions pénales,
- Monsieur le Procureur de la République, le 4 juin 2004 contre Monsieur X Frédéric,
- Madame Y Danièle, le 4 juin 2004, des dispositions pénales,
- Monsieur le Procureur de la République, le 4 juin 2004 contre Madame Y Danièle,
Décision :
Rendue contradictoirement à l'encontre des prévenus, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant sur les appels des prévenus et du Ministère public, interjetés à l'encontre du jugement entrepris ;
Frédéric X et Danièle Y comparaissent, assistés de leur avocat.
Rappel des faits et demandes :
Le 20 juin 2002 les services de la DDCCRF de Seine-Saint-Denis procédaient, dans le cadre du suivi du secteur des compléments alimentaires, à un contrôle dans la pharmacie Z située <adresse> à Montreuil, gérée par Frédéric X et Danièle Y pharmaciens titulaires ; ils s'intéressaient particulièrement à deux présentoirs installés dans la partie accessible à la clientèle de l'officine, l'un comprenant les produits de la société A, l'autre les produits de la société B.
Ils relevaient notamment que sur le présentoir A, étaient exposés à la fois des médicaments et des compléments alimentaires, alors que les médicaments doivent être détenus dans la partie de la pharmacie non accessible au public qui leur est réservée et que leur publicité ne peut être commune ; ils dénonçaient à cet égard des faits de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur.
Ils procédaient ensuite à une étude des plantes utilisées dans les compléments alimentaires des gammes A et B exposées, relevant pour chaque plante en quoi leur utilisation n'était pas conforme à la réglementation en raison d'un usage avant tout médicinal ; ils dénonçaient à cet égard des faits de tromperie sur les qualités substantielles des marchandises, avec la circonstance aggravante du caractère dangereux pour la santé de l'homme en ce qui concerne le Konjac (avis défavorable du CSHPF) et le Millepertuis (avis défavorable de l'Agence Française de sécurité sanitaire).
Le procès-verbal établi le 3 mars 2003 a été transmis à Monsieur le Procureur de la République de Bobigny qui a engagé des poursuites.
Devant la cour ;
Monsieur l'avocat général requiert la confirmation du jugement déféré.
Par conclusions, les prévenus sollicitent l'infirmation du jugement et leur relaxe, en présentant les arguments suivants :
- ils soutiennent en premier lieu que les termes de la prévention, pour chacune des deux infractions visées, ne sont pas suffisamment précis de sorte qu'il leur est impossible de préparer efficacement leur défense ce qui constitue une violation du droit à un procès équitable ; ils en concluent que la cour n'est pas en mesure de caractériser les éléments constitutifs des infractions poursuivies ;
- sur la prévention de publicité trompeuse : ils font valoir que la présentation des produits A ne peut pas induire le consommateur en erreur quant à leur nature, qu'au contraire le code couleur mis un place ainsi que les étiquettes constituent un élément d'information et d'accessibilité, que réunir certains médicaments avec des produits voisins est une pratique courante, que la qualité du produit demeure vérifiable sur chaque emballage et que la présence du pharmacien garantit la parfaite information du consommateur ; ils relèvent que le défaut dans l'organisation de l'officine constitue l'infraction spécifique de l'article R. 5015-55 du Code de la santé publique, laquelle n'est pas visée à la prévention ; ils soutiennent enfin qu'ils n'ont pas agi avec l'intention frauduleuse de tromper la clientèle puisque c'est la société A qui impose à ses distributeurs les présentoirs de ses produits ;
- sur la prévention de tromperie : ils font valoir que l'étiquetage des produits litigieux fait fidèlement état de leurs qualités substantielles ; qu'en réalité les services de la DGCCRF reprochent à ces produits de n'être pas conformes à la réglementation française, ce qui ne ressort pas de la qualification de tromperie mais de celle de falsification définie à l'article L. 231-3 du Code de la consommation, laquelle suppose une expertise qui n'a pas été réalisée en l'espèce ; qu'en outre le produit A composé de millepertuis est un médicament qui a reçu au cours de l'année 2002 une autorisation de mise sur le marché (AMM) ; ils rappellent qu'en tout état de cause, le principe de libre circulation des marchandises posé par les articles 28 et 30 du traité instituant la Communauté européenne, les autorise à commercialiser les compléments alimentaires litigieux puisqu'ils sont légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres Etats membres, notamment un Belgique ; qu'enfin les contrôleurs ne rapportent pas la preuve d'un quelconque danger pour la santé publique, les avis cités n'ayant qu'une valeur consultative.
Sur ce,
Considérant que les termes de la prévention, tant pour les faits de publicité mensongère que pour ceux de tromperie, sont suffisamment précis dès lors que les caractéristiques propres au cas d'espèce sont énoncées dans chaque prévention, peu important que les marques A et B ne soient pas citées puisqu'il est constant que le contrôle de la DDCCRF qui sert de base aux poursuites et dont la date est rappelée dans la prévention, effectué en présence des intéressés et sur lequel ils ont été entendus par les services de police, ne visait que les deux présentoirs de ces marques ; qu'en conséquence la cour ne relève aucune atteinte aux droits de la défense.
Sur le délit de publicité mensongère ou de nature à induire en erreur ;
Considérant qu'il résulte du procès-verbal établi par la DDCCRF de Seine-Saint-Denis que sur le présentoir de la société A, dans la partie de l'officine directement accessible à la clientèle, étaient exposés en vue de la mise en vente des compléments alimentaires et des médicaments, regroupés par couleur correspondant à une propriété sur la santé, mais mélangés sans distinction immédiatement apparente entre les médicaments et les aliments ; qu'ainsi il est relevé que pour une même couleur et parfois pour une même allégation de santé, on retrouve les deux types de produits.
Considérant qu'une telle présentation de produits de la même marque, selon un système alliant couleurs et allégations sur les propriétés de santé, constitue indubitablement une publicité ; que cette présentation est de nature à induire en erreur le consommateur quant à la nature du produit qu'il va acheter, les médicaments et les compléments alimentaires n'ayant ni les mêmes propriétés ni les mêmes destinataires ; que le risque d'erreur est d'autant plus important que selon le Code de la santé publique, dans une pharmacie les médicaments ne doivent pas être d'accès direct au public ;
Que les deux responsables de l'officine, pharmaciens titulaires, ne pouvaient ignorer cette dernière règle et ont en outre la responsabilité de contrôler la nature des produits contenus dans les présentoirs mis à leur disposition par un fabricant ; qu'ils ne peuvent arguer de ce que ce type de présentation est courant dans nombre de pharmacies pour se dégager de leur responsabilité propre ; que l'élément intentionnel est donc établi et l'infraction caractérisée ainsi que l'ont dit à juste titre les premiers juges.
Sur le délit de tromperie sur une marchandise entraînant un danger pour la santé de l'homme ;
Considérant qu'il est reproché à Frédéric X et à Danièle Y d'avoir commercialisé des compléments alimentaires renfermant notamment du Konjac et du Millepertuis ; qu'il ressort du procès-verbal de la DDCCRF que dans la gamme des produits A sont commercialisées des gélules comprenant ces ingrédients ; qu'il est précisé que le millepertuis est une plante médicinale qui ne peut être utilisée en alimentation humaine qu'à titre d'arôme mais ne peut pas être incorporée dans les compléments alimentaires en tant qu'ingrédient (avis défavorables de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, en date des 2 avril et 15 novembre 2001) ; que le Konjac peut être utilisé en tant qu'additif pour une quantité maximale de 10mg, alors que les gélules présentées en comportent 500 mg/gélule et qu'en outre le CSHPF a donné un avis défavorable à la présentation de poudre de Konjac sous forme de gélule dont la réhydratation s'effectue au moment de l'ingestion à cause des risques d'ulcération de la paroi de l'oesophage.
Considérant que l'élément matériel du délit de tromperie consiste en l'espèce en la mise en vente, en accès libre à la clientèle, en qualité de complément alimentaire, de plantes ou partie de plantes dont l'usage est avant tout médicinal ; que d'ailleurs les prévenus produisent eux-mêmes au débat la décision du 22 juillet 2002 portant autorisation de mise sur le marché du médicament (AMM) "xxxgélules millepertuis" des laboratoires A, ce qui confirme s'il en était besoin que ce produit, à caractère de médicament, ne pouvait se trouver sur un présentoir en accès libre de l'officine ; que la tromperie sur les qualités substantielles de ces deux produits est donc caractérisée, de même que la circonstance aggravante résultant de ce que leur utilisation en tant qu'aliment, pouvait être dangereuse pour la santé de l'homme (communiqué du 1er mars 2000 de l'AFSSA mettant en garde contre les risques d'utilisation du millepertuis et avis défavorable du CSHPF sur la présentation de poudre de Konjac en gélule) ; que l'argument tiré de la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne est sans effet en l'espèce puisqu'il ne s'agit pas de substances interdites en France, mais simplement de plantes dont l'usage, pour des raisons de santé publique, est qualifié de médical et non d'alimentaire ;
Qu'enfin l'élément intentionnel de l'infraction est établi à l'égard des chacun des deux pharmaciens qui, de par leur qualité, ne pouvaient ignorer la différence entre spécialité pharmaceutique et complément alimentaire alors qu'au surplus, à l'issue d'un précédent contrôle, les services de la DDCCRF les avait mis en garde par lettre du 16 juillet 2001 sur la réglementation concernant les produits A.
Considérant qu'en conséquence la cour confirmera le jugement déféré sur la déclaration de culpabilité, de même que sur les amendes prononcées à l'encontre de chacun des prévenus, qui constituent une juste application de la loi pénale.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement à l'encontre des prévenus, Reçoit les appels des prévenus et du Ministère public ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions.