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Décisions

Cass. crim., 7 novembre 2006, n° 06-80.318

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Guihal

Avocat général :

M. Charpenel

Avocats :

SCP Bore, Salve de Bruneton

Rennes, 3e ch., du 8 déc. 2005

8 décembre 2005

LA COUR : Statuant sur les pourvois formés par la société X, la société Y, la société Z, la société W, la société W1, la société W2, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Rennes, 3e chambre, en date du 8 décembre 2005, qui, sur renvoi après cassation, les a condamnées pour tromperie, chacune à 10 000 euro d'amende; - Joignant les pourvois en raison de la connexité; - Vu le mémoire et les observations complémentaires, communs aux demanderesses, produits;

sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 446 et 593 du Code de procédure pénale, L. 213-1 du Code de la consommation et 407 du Code de procédure pénale par fausse application;

"en ce qu'il ne résulte pas des mentions de l'arrêt attaqué que M. Grall, inspecteur de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ait prêté serment dans les termes de l'article 446 du Code de procédure pénale;

"alors que les témoins entendus à l'audience d'une juridiction de répression doivent, avant de commencer leur déposition, prêter serment dans les formes prévues par l'article 446 du Code de procédure pénale; que cette disposition s'applique même aux agents assermentés d'une administration ; qu'en faisant témoigner M. Grall, inspecteur à la DGCCRF, sans lui faire prêter le serment prévu par l'article 446 du Code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'un inspecteur de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a été entendu après avoir prêté serment dans les termes prévus par l'article 407 du Code de procédure pénale ; que, si le serment de ce fonctionnaire aurait dû être reçu dans les formes prévues par l'article 446 de ce Code pour l'audition des témoins, et non dans celles prescrites par l'article 407 pour les interprètes, l'arrêt n'encourt pas, pour autant, la censure dès lors qu'il n'est pas établi que ('inobservation de cette formalité ait eu pour effet de porter atteinte aux intérêts des prévenues, les juges ne s'étant pas fondés sur les déclarations de ce fonctionnaire pour asseoir en tout ou partie leur conviction sur la culpabilité; d'où il suit que le moyen ne peut être admis ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation de l'article 7 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, des articles L. 213-1, L. 213-3, L. 213-6, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, 111-2, 121-2, 121-4, 121-5, 122-3 du Code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale;

"en ce que l'arrêt a condamné les sociétés SA X, SA W, SARL Z, SAS W2, SARL Y et SA W1 du chef de tromperie et tentative de tromperie sur les qualités substantielles, la composition et la teneur en principes utiles de la marchandise en vendant des noix de coquilles Saint-Jacques dont le taux d'humidité aurait été fortement augmenté par imbibition d'eau douce et de les avoir, en conséquence, condamnées à payer chacune une amende de 10 000 euro;

"aux motifs que l'article L. 213-1 du Code de la consommation incrimine le fait pour quiconque qu'il soit ou non partie au contrat, de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers:

1°) soit sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises; 2°) soit sur la quantité des choses livrées ou sur leur identité par la livraison d'une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l'objet du contrat; dans le cas présent, les sociétés prévenues ont vendu et proposé à la vente des noix de coquilles Saint-Jacques auxquelles a été incorporée, par imbibition obtenue au moyen d'un trempage, une quantité d'eau faisant diminuer la teneur en protéines qui passe en moyenne de 17 % à 12,5 %, les taux d'humidité relevés allant de 81,7 % à 85,7 %, ce qui constitue une altération de la composition de ces mollusques pectinidés par rapport à leur état naturel d'origine avec pour conséquence la tromperie des acheteurs auxquels il n'est donné aucune information sur un traitement qui, ayant pour effet de modifier le rapport normal entre la teneur en humidité et la teneur en protéines au détriment de celles-ci, entraîne une altération des qualités substantielles et une modification de la teneur en principes utiles de cette marchandise; le fait que le rapport entre l'humidité et les protéines excède dans ce cas la valeur maximale de 5 fixée par la note de service précitée en date du 23 août 1988 - la quelle n'est pas retenue, comme énoncé ci-dessus, en tant que texte pouvant fonder une incrimination - n'est pas de nature à entraîner, comme le prétendent les sociétés prévenues, une distorsion de traitement du fait d'une " application distributive interne " s'opposant à une exonération injustifiée dont bénéficierait les produits de la mer venant de l'importation ; en effet, rien ne permet de dire que la mise en vente de tels produits échapperait aux dispositions précitées de l'article L. 213-1 du Code de la consommation ; d'autre part, et contrairement à ce qu'elles prétendent, les sociétés prévenues ne justifient d'aucune nécessité technique, consacrée ou non par un usage, qui imposerait le trempage comme seul procédé de rinçage efficace des coquilles Saint-Jacques ; l'attestation donnée le 15 novembre 2005 par André Delage, armateur de plusieurs bateaux spécialisés dans la pêche à la coquille Saint-Jacques et patron de bateau depuis 1952, d'une pratique ancienne et généralisée du trempage des noix de coquilles Saint-Jacques n'enlève rien à son caractère répréhensible et sa prétendue nécessité pour le nettoyage et la présentation est démentie parles constatations des fonctionnaires de la DGCCRF ayant procédé aux prélèvements de comparaison chez certains mareyeurs qui ne trempent pas les noix décoquillées avant la vente mais les lavent simplement à la douchette sur grille, technique qui permet un bon nettoyage des noix destinées aux clients recherchant un haut niveau de qualité des produits lorsque, notamment, ceux-ci sont destinés à la surgélation ; cette prétendue nécessité de l'opération de trempage est également démentie par les déclarations d'Yves Gouye en date du 11 mars 2003; les faits retenus dans la poursuite constituent donc le délit précité de tromperie ou de tentative de tromperie et il y a lieu de les requalifier en ce sens;

"1°) alors qu'une condamnation ne saurait être fondée sur la méconnaissance des prescriptions d'une simple note dépourvue de force légale; que la violation d'une simple note de service ne saurait dès lors caractériser l'élément matériel du délit de tromperie sur les qualités substantielles d'une denrée alimentaire; qu'en retenant que le délit de tromperie et la tentative de tromperie sur les qualités substantielles des coquilles de noix de Saint-Jacques étaient constitués dès lors que le procédé de trempage rendait la marchandise non conforme aux prescriptions de la note de service en date du 23 août 1988, bien qu'une telle note n'ait eu aucune valeur contraignante, la cour d'appel a violé les textes susvisés;

"2°) alors qu'en l'absence de toute réglementation, les usages professionnels, même s'ils ne sont pas suivis par tous, déterminent les procédés de fabrication et la composition d'une denrée alimentaire ; qu'en écartant l'existence d'un usage professionnel justifiant le trempage des coquilles de noix de Saint-Jacques dans de l'eau douce afin de les dessabler au motif que cet usage n'était pas suivi par l'ensemble des professionnels et notamment par ceux qui entendaient conférer une qualité optimale à leurs mollusques, la cour d'appel a violé les textes susvisés;

"3°) alors que le délit de tromperie sur les qualités substantielles des denrées alimentaires suppose un élément intentionnel; que n'est pas pénalement responsable, la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit, pouvoir légitimement accomplir l'acte; qu'en présence d'un usage immémorial relatif au trempage des noix de Saint-Jacques dans de l'eau douce afin de les dessabler, usage qui n'a jamais été remis en cause par une quelconque réglementation, les demanderesses étaient fondées à considérer, de façon légitime, qu'une telle pratique n'était pas de nature à tromper les consommateurs; qu'en entrant en voie de condamnation à l'encontre des sociétés demanderesses du chef de tromperie sur les qualités substantielles de denrées alimentaires, bien que celles-ci aient légitimement pu croire que la pratique du trempage, admise par la profession, ne pouvait induire en erreur les consommateurs dans la mesure où elle n'avait pour unique dessein que de rendre présentables les mollusques, la cour d'appel a violé les textes sus visés";

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'un contrôle des noix de coquilles Saint-Jacques détenues, en vue de leur vente, par diverses sociétés commerciales de Dieppe, ainsi que par plusieurs de leurs revendeurs, a révélé que les opérations indispensables pour la présentation de ces mollusques, comportant le décoquillage, l'éviscération et un nettoyage à l'eau douce pendant quelques minutes, étaient suivies d'une opération de "trempage" impliquant un séjour dans l'eau de plusieurs heures qui permettait d'accroître le taux d'humidité du produit au détriment de la proportion de protéines;

Attendu que, pour déclarer les prévenues coupables de tromperie, l'arrêt, après avoir expressément écarté l'application d'une note administrative relative à la proportion admissible d'humidité dans les noix de coquilles Saint-Jacques, retient que le procédé du trempage, qui entraîne, sans que les consommateurs en soient informés, une altération des qualités substantielles ainsi qu'une modification de la teneur en principes utiles de cette marchandise, ne correspond pas à un usage professionnel établi ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation de l'existence d'un usage professionnel, la cour d'appel a justifié sa décision; d'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, et qui est mal fondé en ses autres branches, ne saurait être accueilli;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette les pourvois.