Conseil Conc., 11 décembre 2006, n° 06-MC-03
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Combaldieu, par M. Lasserre, Président, M. Nasse, Mme Aubert, vice-présidents.
Le Conseil de la concurrence (Commission permanente)
Vu la lettre, enregistrée le 18 septembre 2006 sous les numéros 06/0061 F et 06/0062 M par laquelle la Compagnie Méridionale de Navigation a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Nationale Maritime Corse Méditerranée, de la collectivité territoriale de Corse et de l'office des transports de la Corse et a demandé le prononcé de mesures conservatoires ; Vu la lettre, enregistrée le 23 octobre 2006 sous les numéros 06/0072 F et 06/0073 M, par laquelle la société Corsica Ferries a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques de la société Nationale Maritime Corse Méditerranée et a demandé le prononcé de mesures conservatoires ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par la collectivité territoriale de Corse et l'office des transports de la Corse, la Compagnie Méridionale de Navigation, la société Corsica Ferries, la société Nationale Maritime Corse Méditerranée et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les décisions de secret des affaires n° 06-DSA-55 du 18 octobre 2006, n° 06-DSA-56 du 19 octobre 2006, n° 06-DSA-57 du 25 octobre 2006, n° 06-DSA-66 du10 novembre 2006, n° 06-DSA-67 du 15 novembre 2006, n° 06-DSA-70 du 21 novembre 2006, n° 06-DSA-75 du 22 novembre 2006, n° 06-DSA-76 du 27 novembre 2006, n° 06-DSA-77 du 27 novembre 2006, n° 06-DSA-78 du 27 novembre 2006 ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la collectivité territoriale de Corse, de l'office des transports de la Corse, de la Compagnie Méridionale de Navigation, de la société Corsica Ferries et la société Nationale Maritime Corse Méditerranée entendus lors de la séance du 29 novembre 2006. Les représentants des sociétés Veolia-Transport et Stef-TFE entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LES SAISINES
1. Dans sa saisine en date du 18 septembre 2006, la société Compagnie Méridionale de Navigation (ci-après CMN) dénonce en premier lieu des pratiques d'entente entre la société de Navigation Maritime Corse Méditerranée (ci-après SNCM) d'une part, la collectivité territoriale de Corse, et l'office des transports de la Corse (ci-après OTC), établissement public placé sous la tutelle de cette collectivité, d'autre part, lors de la préparation et du déroulement de l'appel d'offres pour l'attribution de la délégation de service public relative aux liaisons maritimes entre Marseille et la Corse. Elle reproche en deuxième lieu à la SNCM d'avoir abusé de sa position dominante. Dans sa saisine en date du 23 octobre 2006, la société Corsica Ferries invoque également le caractère abusif du comportement de la SNCM. Les deux saisines se fondent sur la violation du droit national (articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce) et communautaire (articles 81 et 82 du traité instituant la communauté européenne) de la concurrence.
2. S'agissant de l'entente alléguée, la CMN soutient que de nombreux éléments permettent de penser que la collectivité territoriale de Corse et l'OTC d'une part, la SNCM d'autre part, se seraient concertés lors de la rédaction du règlement de l'appel d'offres et du cahier des charges élaboré en vue du renouvellement, pour les années 2007 à 2012, du contrat de délégation de service public de desserte maritime entre le port de Marseille et les ports de Corse (ci-après la DSP). Cette entente aurait eu pour objet et pour effet de favoriser une candidature unique de la SNCM et d'exclure les offres de la CMN et de Corsica Ferries.
3. S'agissant du comportement unilatéral de la SNCM, il lui est essentiellement reproché en premier lieu d'avoir déposé une offre globale et indivisible qui ne peut, selon les saisissantes, avoir d'autre objet ni d'autre effet que d'éliminer toute concurrence pour l'attribution de la délégation de service public puisque aucune autre compagnie n'est à même de déposer une offre pour l'intégralité des lignes. Cette offre produirait des effets identiques à un couplage anticoncurrentiel. En deuxième lieu, le montant de la subvention demandée par la SNCM serait excessif si on le compare à celui dont bénéficierait la société Corsica Ferries dans des conditions identiques. Ce montant faciliterait les subventions croisées de la SNCM entre les lignes couvertes par l'activité de service public et celles au départ d'autres ports, et notamment de Nice. En troisième lieu, la prise de contrôle de la CMN par la SNCM serait constitutive d'un renforcement illicite de la position dominante de cette dernière, également contraire à l'article L. 420-2 du Code de commerce.
4. Les deux sociétés ont assorti leurs saisines au fond de demandes de mesures conservatoires en application de l'article L. 464-1 du Code de commerce.
B. LE SECTEUR
5. Le service de transport maritime entre le continent et la Corse est aujourd'hui assuré par six compagnies maritimes (SNCM, CMN, Corsica Ferries, MOBY, LAURO, SAREMAR) qui desservent l'île à partir de neuf ports (Marseille, Toulon, Nice, quatre ports situés sur le continent italien et deux en Sardaigne). En 2005, 3.619.844 passagers ont utilisé ces liaisons maritimes dont 2.310.390 au départ des ports français. Depuis 2000, le trafic maritime entre la France et la Corse a progressé de 33 % alors que celui avec l'Italie a baissé de 13 %. En 2005, deux compagnies, la SNCM et Corsica Ferries, ont assuré 83 % du trafic, hors liaisons entre la Corse et la Sardaigne.
6. La Commission européenne a relevé, dans sa décision n° 2004-166-CE du 9 juillet 2003, concernant l'aide à la restructuration que la France envisage de verser à la SNCM, que le marché du transport de passagers vers la Corse se caractérise par " une forte saisonnalité : traditionnellement, les mois de juillet et août représentent près de 50 % du trafic annuel. De fortes variations interviennent aussi pendant les périodes de vacances scolaires et certains week-ends. Cette saisonnalité se double d'une asymétrie des trafics en période de pointe entre les deux sens en début et fin de semaine ". En 2006, la progression des trafics estivaux a été particulièrement nette.
7. Concernant le fret, 1.658.094 mètres linéaires de fret ont été acheminés en 2005 vers la Corse au départ des ports de Nice, Marseille et Toulon. A l'inverse du trafic passager, le trafic fret se caractérise par une faible saisonnalité et par un fort déséquilibre entre les entrées et les sorties. Ainsi, les navires effectuent des " retours à vide " à partir des ports de Corse, ce qui a des incidences non négligeables en terme d'exploitation pour les transporteurs routiers, les compagnies étant appelées à assurer le transport de longueur identique dans les deux sens.
8. Depuis 1948, les services de transport maritime réguliers entre la France continentale et la Corse sont assurés dans le cadre d'obligations de service public. La loi du 30 juillet 1982 portant statut particulier de la région de Corse a transféré à l'assemblée de Corse la gestion de la continuité territoriale dans un cadre contractuel avec l'État. Par la suite, la loi du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de la Corse, a donné pleine compétence à cette dernière pour gérer la desserte de l'île. Depuis lors, cette organisation est mise en œuvre par l'office des transports de la Corse, établissement public placé sous la tutelle de la collectivité. Ainsi, la collectivité territoriale, assistée de l'OTC, définit les modalités d'organisation des transports maritimes entre l'île et les ports de la France continentale, notamment par la fixation d'obligations de service public au départ de Marseille.
C. LES ACTEURS
1. L'OFFICE DES TRANSPORTS DE LA CORSE
9. L'OTC, créé par la collectivité territoriale de Corse le 26 mai 1992, est un établissement public à caractère industriel et commercial chargé de la mise en œuvre de la politique des transports aériens et maritimes de l'île. Son conseil d'administration est composé d'élus de l'assemblée de Corse, mais également de divers acteurs de la société civile, (transporteurs, syndicalistes, membres des chambres consulaires, représentants des conseils généraux, etc..). Il a notamment pour mission de gérer l'enveloppe budgétaire allouée par la collectivité territoriale pour assurer la continuité territoriale destinée à réduire le coût du transport Corse - continent et de répartir les crédits de continuité territoriale entre les deux modes de transport aérien et maritime. A ce titre, c'est l'office qui conclut, avec les compagnies de transport concessionnaires, des délégations de service public, les conventions définissant les tarifs, les conditions d'exécution et la qualité du service ainsi que les modalités de son contrôle.
2. LA SNCM
10. La SNCM est une compagnie maritime qui assure, à partir de différents ports continentaux, des liaisons régulières vers la Corse et vers le Maghreb (Tunisie et Algérie) ainsi que des liaisons saisonnières, d'avril à septembre, vers la Sardaigne. Détenue, jusqu'en mai 2006, à 80 % par la Compagnie générale maritime et financière (CGMF) et à 20 % par la société nationale des chemins de fer (SNCF), son statut a été modifié à cette date. 75 % des parts ont été cédés au secteur privé : 38 % au fonds d'investissement Butler Capital Partners, 28 % à Veolia Transport, qui devient l'opérateur industriel de la société, et 9 % à ses salariés. La privatisation de la SNCM a été autorisée par le décret n° 2006-606 du 26 mai 2006, après que l'Etat a recapitalisé la société par un plan d'aide soumis au contrôle de la Commission européenne. En effet, en raison des difficultés financières récurrentes de la SNCM, des aides successives à la restructuration lui ont, été accordées, ces dernières années, pour un montant cumulé de 217 millions d'euro.
11. La compagnie, dont le siège est à Marseille, comptait 2 400 salariés et employait en moyenne annuelle 1 644 salariés en équivalent temps plein en 2004, dont environ 600 résidants en Corse.
12. En 2004, sur l'ensemble de ses lignes, la SNCM a transporté au total 1 238 000 passagers et 795 km de linéaire fret, dont 936 000 passagers et 719 km linéaires de fret sur la Corse, réalisant un chiffre d'affaires de 257 M, dont une subvention de continuité territoriale de 63 M. En 2005, le chiffre d'affaires global de la SNCM (subventions comprises) s'est élevé à 249 M. En outre, la SNCM bénéficie du système d'aide aux passagers qui permet de diminuer le "tarif social" acquitté par certains usagers au départ de Nice (port au départ duquel fonctionne le service assuré par le NGV Liamoné).
13. Sur les 10 navires que compte la compagnie, 6 sont affectés au service public de la desserte maritime de la Corse au départ de Marseille : 4 cargos mixtes pour le transport du fret et des passagers toute l'année (service dit " de base ") auxquels s'ajoutent 2 cruise-ferries au départ de Marseille pour les passagers et leurs véhicules en saison et pendant les vacances scolaires (service dit " complémentaire") :
<emplacement tableau>
* Les navires affectés au service public de la desserte maritime de la Corse sont indiqués avec un astérisque
3. LA COMPAGNIE MÉRIDIONALE DE NAVIGATION
14. La Compagnie Méridionale de Navigation est un armement privé fondé en 1931, dont le siège social est également à Marseille. La société a pour activité principale la desserte maritime de la Corse (fret et passagers), ainsi que de la Sardaigne. La CMN est contrôlée par la Compagnie Méridionale de Participations (CMP) qui détient 53,1 % de son capital et de ses droits de vote, le solde étant détenu pour 45 % par la société Nationale Maritime Corse Méditerranée (ci-après "la SNCM") et pour 1,9 % par ses salariés. La CMP est elle-même détenue à 55 % par la société de travaux industriels et maritimes d'Orbigny (ci-après : " STIM d'Orbigny "), filiale du groupe STEF-TFE et à 45 % par la Compagnie Générale de Tourisme et d'Hôtellerie (CGTH), filiale à 100 % de la SNCM.
15. Spécialisée à l'origine dans le transport du fret et plus particulièrement dans le transport de produits pétroliers, la CMN transporte des marchandises conventionnelles au départ de Marseille vers les ports corses de Bastia, Ajaccio et Propriano et vers Porto Torrès, en Sardaigne. Depuis 1988, et à la demande de l'OTC, la compagnie privée s'est dotée de navires mixtes, c'est-à-dire aptes à transporter des passagers et leurs véhicules, en sus des remorques routières contenant des marchandises diverses. La CMN emploie environ 460 personnes au total, dont près de 30 % travaillent en Corse. En 2005, le chiffre d'affaires de la CMN s'élevait à 75 millions d'euro, dont 27 provenaient de la subvention de continuité territoriale.
16. Deuxième transporteur de fret de l'île, derrière la SNCM, la compagnie a convoyé 703 km de linéaire fret en 2004 ainsi que 212 000 passagers sur ses lignes vers ou au départ de la Corse. En 2005, elle a transporté sur les mêmes lignes, 728 km de fret, 195 650 passagers et leurs 3800 voitures. Elle assure toute l'année 18 à 20 traversées par semaine entre la Corse et le continent ainsi que 4 traversées par semaine entre la Sardaigne et le continent, via Propriano ou Ajaccio.
17. L'ensemble des 3 navires que compte la CMN est affecté au service public de la desserte maritime de la Corse au départ de Marseille :
<emplacement tableau>
4. LA SOCIETE CORSICA FERRIES
18. La société Corsica Ferries, fondée en 1968 par l'armateur bastiais Pascal Lota, sous le nom de Corsica Line, est spécialisée dans le transport des passagers et de leurs véhicules, à l'origine au départ des ports italiens, puis depuis la France à partir de 1996. Corsica Ferries dessert au total onze lignes, dont six entre la Corse et la France continentale, trois entre la Corse et l'Italie et deux entre la Sardaigne et l'Italie continentale. En saison, elle assure jusqu'à six allers et retours par jour sur la Sardaigne et jusqu'à douze sur la Corse. Elle s'est dotée d'un réseau d'agences commerciales dans les principales villes (Paris, Lyon et Marseille) et ports desservis (Bastia, Toulon, Nice) et dispose de nombreuses représentations en Europe.
19. Actuellement la holding Lota Maritime, elle-même possédée par une société holding familiale à Genève, la société Lozali, détient 99,9 % de la société Corsica Ferries France SAS.
20. La compagnie emploie jusqu'à 300 personnes en Corse sur les 1 300 employés qu'elle compte au total en saison. La plupart des navigants sont de nationalité italienne, les navires battant eux-même pavillon italien. En 2005, Corsica Ferries France a réalisé un chiffre d'affaires de 132 M.
21. En 2002, la Corsica Ferries a transporté plus de 1,6 million de passagers vers la Corse, devenant le premier transporteur de passagers sur les liaisons avec le continent, tous modes de transport confondus. En 2004, elle a transporté 2,6 millions de passagers, dont 1,8 millions sur ses lignes vers la Corse. Historiquement spécialisée dans les flux touristiques, Corsica Ferries est la compagnie qui offre le plus grand nombre de départs quotidiens vers la Corse pendant la saison estivale (jusqu'à douze départs par jour en 2006), mais elle assure aussi toute l'année la desserte au départ de Nice, depuis 1999, et de Toulon, depuis décembre 2000, contribuant ainsi au développement du trafic passagers de la Corse en basse saison. Comme la SNCM, sa billetterie bénéficie d'une subvention à certains passagers au titre du " tarif social " pour la période 2002-2006, sur les lignes au départ de Toulon et Nice. Ce système d'aide au passager, distinct de la subvention accordée au délégataire retenu au départ de Marseille, sera reconduit par la collectivité territoriale au départ de Toulon et Nice pour la période 2007- 2012.
22. La société Corsica Ferries arme actuellement 2 NGV (Navire à grande vitesse), 5 car-ferries traditionnels dont 4 sur la Corse, 2 car-ferries Mega express (II et III) dont les caractéristiques sont les suivantes :
<emplacement tableau>
D. LA CHRONOLOGIE DES FAITS ET DES DIFFERENTES CONTESTATIONS AUXQUELLES ILS ONT DONNÉ LIEU
23. Le 26 janvier 2005, le gouvernement a engagé un processus de privatisation de la SNCM par la recherche d'un partenaire privé capable d'assurer la pérennité et le développement de la compagnie, processus devant s'achever en février 2006. A été retenue la candidature de Butler Capital Partners associé au groupe Connex, filiale de Véolia. Toutefois, le gouvernement a consenti à Butler Capital Partners et à Véolia, d'une part, une clause résolutoire à la cession des parts qu'ils détiennent dans la SNCM si le cahier des charges de la nouvelle délégation de service public entre le port de Marseille et les ports de Corse, pour 2006-2012, n'était pas similaire au cahier des charges de la précédente délégation et, d'autre part, une clause de retour qui permet à ces acquéreurs de sortir du capital de la SNCM si la délégation de service public n'était pas renouvelée, dans sa totalité, au profit de la SNCM.
24. En mars 2006, dans un courrier adressé au président de la SNCM, la CMN a dénoncé le pacte d'actionnaires qui unissait les deux compagnies depuis 1992.
25. Par une délibération du 24 mars 2006, l'assemblée territoriale de Corse a adopté le " principe de l'organisation générale de la desserte maritime de service public entre le port de Marseille et les ports corses à compter du 1er janvier 2007 " et le règlement de l'appel d'offres ainsi que le cahier des charges. Par la même délibération, elle a donné mandat au président de l'office des transports pour lancer, au nom de la collectivité, la procédure d'appel d'offres, procéder à l'instruction technique des dossiers et assister la collectivité pour la mise en œuvre de la procédure d'attribution de la délégation de service public.
26. L'attribution de la délégation de service public de continuité territoriale ayant fait l'objet d'un appel d'offres communautaire, plusieurs offres concurrentes ont été déposées le 4 août 2006, date limite de remise des offres :
- une offre globale de la SNCM portant sur l'ensemble des lignes ;
- une offre de la société Corsica Ferries comportant différentes options et portant alternativement sur les lignes Marseille-Bastia, Marseille-Ajaccio, Marseille-Balagne, Marseille-Propriano et Marseille-Porto-Vecchio ;
- une offre de la Compagnie méridionale de navigation (CMN) portant sur six propositions individuelles différentes, s'excluant mutuellement et comprenant soit des demi-services permanents, soit des services complets, permanents et supplémentaires ;
- et, enfin, une offre d'un groupement momentané constitué par la société Corsica Ferries et la CMN portant alternativement soit sur les lignes Marseille-Bastia et Marseille-Propriano, soit sur les lignes Marseille-Ajaccio et Marseille-Propriano.
27. Le 4 août 2006, soit le même jour que celui du dépôt des candidatures, la SNCM, actionnaire minoritaire de la CMN, a assigné, devant le tribunal de commerce de Paris, la STEF-TFE, actionnaire majoritaire de cette compagnie, afin, d'une part, de faire constater la violation du pacte conclu en 1992 entre ces actionnaires et, d'autre part, de prononcer la vente forcée des actions de la STEF-TFE à la SNCM.
28. Le 7 août 2006, la commission d'ouverture des plis a ouvert les enveloppes extérieures des offres et admis la recevabilité des offres individuelles de Corsica Ferries soit sur la ligne de Balagne soit sur celle de Porto-Vecchio, et de l'offre globale de la SNCM.
29. Le 13 septembre 2006, la Commission européenne a ouvert une enquête approfondie sur le plan de restructuration et de privatisation de la SNCM.
30. Le 19 septembre 2006, la CMN a saisi, comme il l'a été indiqué, le Conseil de la concurrence.
31. Le 5 octobre 2006, la société Corsica Ferries a saisi le tribunal administratif de Bastia de deux référés pré-contractuels : le premier en sa qualité de membre du groupement momentané constitué avec la CMN, le second en sa qualité de candidat individuel. Elle a demandé au juge des référés pré-contractuels d'enjoindre à l'office des transports de Corse de reprendre la procédure à un stade qui permette sa poursuite dans des conditions régulières.
32. Le 17 octobre 2006, le tribunal de commerce de Paris a donné satisfaction à la SNCM en jugeant que le pacte d'actionnaires conclu en 1992 restait valide, contraignant par là même STEF-TFE à céder une partie de ses actions à la SNCM qui devient majoritaire au capital de la CMN. STEF a interjeté appel de ce jugement et la Cour d'appel de Paris, dont le premier Président a suspendu l'exécution provisoire du jugement contesté, devrait rendre son arrêt le 22 décembre.
33. Le 23 octobre 2006, la société Corsica Ferries a saisi à son tour le Conseil de la concurrence.
34. Le même jour, le juge des référés pré-contractuel du tribunal administratif de Bastia a suspendu la procédure de passation de la convention de délégation de service public maritime et enjoint à la collectivité territoriale de Corse et à l'OTC de procéder à un nouvel examen de la candidature et des offres du groupement constitué entre les sociétés Corsica Ferries et CMN.
35. Le 7 novembre, la société Corsica Ferries a formé un pourvoi en cassation, devant le Conseil d'Etat, à l'encontre de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Bastia. Les parties ont indiqué à l'audience que le juge de cassation devrait se prononcer le 15 décembre prochain.
II. Discussion
36. L'article 42 du décret du 30 avril 2002 énonce que "la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. Elle peut être présentée à tout moment de la procédure et doit être motivée". Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas déclarée irrecevable, en application du premier alinéa de l'article L. 462-8 du Code de commerce qui dispose que le Conseil peut déclarer la saisine irrecevable, notamment s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence, ou rejetée sur le fondement du deuxième alinéa du même article lorsque les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants.
37. Le Conseil a écarté le mémoire de la CMN qui lui est parvenu par fax le 28 novembre à 23h, veille de la séance qui s'est tenue le 29 novembre à 9h, une telle production étant en effet trop tardive pour permettre assurer le respect du contradictoire. Il a également décidé de ne pas tenir compte, pour les mêmes raisons et a fortiori, de la lettre que lui a adressée l'office des transports de la Corse le 6 décembre 2006, soit postérieurement à la séance.
A. SUR LA RECEVABILITÉ DES SAISINES AU FOND
38. L'article L. 410-1 du Code de commerce soumet aux règles définies notamment au titre II du livre IV du Code de commerce, consacré aux pratiques anti-concurrentielles, "toutes les activité de production, de distribution et de service" y compris celles qui sont le fait de personnes publiques " notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public ".
39. Selon la jurisprudence issue de la décision du tribunal des conflits, Aéroports de Paris en date du 18 octobre 1999, il convient de faire le départ, s'agissant de l'activité des personnes publiques, entre
- d'une part les actes par lesquels les personnes publiques font usage, pour l'organisation du service public dont elles ont la charge, de prérogatives de puissance publique : leur légalité, et notamment leur conformité au droit de la concurrence, ne peut être appréciée que par le juge administratif ;
- d'autre part les activités des mêmes personnes publiques, intervenant dans la sphère économique, qui sont détachables de leurs actes de puissance publique : comme celles de toute entreprise, elles peuvent être qualifiées par le Conseil de la concurrence et le juge judiciaire qui le contrôle, au regard du droit des ententes et des abus de position dominante.
40. Le règlement particulier de l'appel d'offres lancé pour l'attribution de la délégation de service public relative aux liaisons maritimes entre Marseille et la Corse, de même que la dévolution de cette délégation au (ou aux) candidat(s) retenu(s) à l'issue de cet appel d'offres, constituent des actes par lesquels la collectivité territoriale de Corse et l'OTC font usage, pour l'organisation du service public de continuité territoriale entre la Corse et le continent, de prérogatives de puissance publique.
41. Les comportements de la collectivité territoriale de Corse et de l'OTC, dénoncés par la CMN, qui auraient, au moyen d'une entente anti-concurrentielle avec la SNCM, cherché à favoriser cette dernière en élaborant un règlement d'appel d'offres conçu "sur mesure" pour elle et en examinant les autres offres de manière discriminatoire, voire en les "boycottant", ne sont pas détachables des actes de puissance publique décrits au paragraphe précédent : leur qualification échappe donc à la compétence du Conseil de la concurrence. Il appartiendra au juge administratif qui, comme il a été dit ci-dessus, a d'ailleurs été saisi par le biais d'un référé pré-contractuel, de se prononcer sur ce point.
42. Les abus de position dominante reprochés à la SNCM, y compris celui ayant consisté à déposer une offre globale pourtant autorisée par le règlement de l'appel d'offres, sont, en revanche, détachables de l'appréciation de la légalité de ce dernier : le Conseil de la concurrence est donc compétent pour les examiner dans le cadre des saisines au fond qui les dénoncent.
43. Il convient en particulier de noter à cet égard, que le juge des référés pré-contractuels du tribunal administratif de Bastia a considéré " qu'en autorisant simultanément les offres globales et les offres individualisées par ligne, le règlement particulier de l'appel d'offres (...) ne peut être regardé comme créant une rupture d'égalité entre les candidats, ni, en conséquence, et en tout état de cause, comme favorisant ou rendant possible une exploitation abusive d'une position dominante ".
44. Dans cette ordonnance, le juge des référés administratifs considère donc, d'une part, que les soumissionnaires avaient le choix, sans être contraints par le règlement de l'appel d'offres, de présenter une offre globale ou une offre ligne par ligne, et, d'autre part, que cette possibilité d'option n'était pas de nature à créer, par elle même, un abus automatique de position dominante de la part d'un soumissionnaire. Cette position laisse donc à l'entière compétence du Conseil de la concurrence l'appréciation du comportement unilatéral d'une entreprise, si elle est en position dominante, au regard des dispositions des articles L.420-2 du Code de commerce et, éventuellement, 82 du traité CE.
B. SUR LES PRATIQUES DE LA SNCM
45. Trois types d'abus sont reprochés à la SNCM par ses concurrents: en premier lieu le fait de solliciter une subvention d'un niveau excessif, comportant par là même des risques de subventions croisées ; en deuxième lieu, le fait de chercher à renforcer sa position dominante en prenant le contrôle de la CMN et, en troisième et dernier lieu, le fait de déposer une offre globale portant de manière indivisible sur l'ensemble des lignes faisant l'objet de l'appel d'offres.
46. Sur le premier point, le fait que la subvention nécessaire aux sociétés Corsica Ferries et CMN pour couvrir les charges d'une offre globale serait, selon les saisissantes, très inférieure à celle accordée pour l'actuelle délégation de service public et à celle que pourrait vraisemblablement demander la SNCM n'induit pas nécessairement que le montant de cette subvention serait excessif, car la saisissante se base sur le montant passé de la subvention. Seuls le résultat de la mise en concurrence, lot par lot ou globalement, est susceptible de révéler que des demandes de subventions seraient excessives.
47. Surtout, les saisissantes n'apportent aucun élément permettant de présumer que la SNCM pourrait, dans l'hypothèse où elle serait retenue comme délégataire et recevrait la subvention qu'elle demande, utiliser cette dernière pour financer d'autres liaisons notamment au départ de Nice, en faussant la concurrence sur ces lignes. Une telle vérification ne pourrait être faite que dans le cadre d'une instruction distincte de celle relative au renouvellement de la délégation de service public. Les saisines ne sont donc pas, sur ce point, étayées par des éléments suffisamment probants et doivent être rejetées sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 462-8 du Code de commerce.
48. S'agissant de la prise de contrôle de la CMN par l'invocation, devant le juge commercial, du pacte d'actionnaires conclu en 1992, le Conseil relève que l'appréciation des droits que la SNCM estime devoir tirer de cette convention entre actionnaires, ne relève pas de sa compétence. Il appartiendra à la Cour d'appel de Paris, qui devrait se prononcer le 22 décembre prochain, de prendre parti sur ce point. Par ailleurs, aucun élément au dossier ne permet de soutenir que la saisine du tribunal de commerce par la SNCM pourrait être qualifiée d'abusive. Les saisines doivent, sur ce point également, être rejetées pour défaut d'éléments suffisamment probants.
49. Reste à examiner la question de savoir si, en déposant une offre globale qui porte de manière indivisible sur l'ensemble des lignes concernées par l'appel d'offres, la SNCM a abusé de sa position dominante afin d'évincer, de la compétition organisée par la collectivité territoriale et l'OTC, ses concurrents, incapables, comme ils le soutiennent dans leur saisine, de déposer eux-mêmes une offre globale. Pour ce faire, il convient successivement :
- de délimiter le marché pertinent sur lequel doit être apprécié le pouvoir de la SNCM,
- de rechercher l'existence d'un éventuelle position dominante de la même entreprise,
- d'apprécier si le comportement décrit ci-dessus, et sur lequel la présente décision reviendra plus en détail, peut être qualifié d'abusif.
50. Le Conseil statuant non pas au fond mais dans le cadre de mesures conservatoires telles que celles sollicitées par les deux saisissantes, il ne lui appartiendra pas de trancher ces trois questions, mais d'apporter suffisamment d'éléments pour démontrer que la pratique reprochée à la SNCM est, selon l'arrêt de la Cour de cassation en date du 8 novembre 2005, société Neuf Télécom, "susceptible", en l'état de l'instruction, d'être regardée comme contraire aux articles L. 420-2 du Code de commerce et, éventuellement, 82 du traité européen.
1 - Sur la définition du marché pertinent :
51. Selon la jurisprudence du Conseil de la concurrence, des marchés publics ou des délégations de service public constituent autant de marchés pertinents sur lesquels des comportements anticoncurrentiels peuvent être constatés. Toutefois, pour déterminer si une ou plusieurs entreprises actives dans un secteur où les marchés sont attribués par appels d'offres détiennent une position dominante, " il convient d'examiner non pas le marché particulier résultant du croisement d'un appel d'offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le marché plus général où sont actifs l'ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l'appel d'offres concerné. " (Rapport public 2001)
52. Cette jurisprudence n'a pas été remise en cause par la décision, invoquée par les saisissantes, qu'a rendue le Conseil le 27 juin 2006 lorsqu'il a statué sur la demande de mesures conservatoires formée par la commune de Bouc Bel Air (décision n° 06-MC-02).
53. L'affaire citée ci-dessus se présentait en effet sous une forme inédite dans laquelle le titulaire du marché sortant disposait, du fait de la nature de l'activité de garde d'enfants, qui consiste essentiellement en la mise à disposition d'un personnel spécialisé et de l'utilisation très exceptionnelle qu'il avait faite de l'article L. 122-12 du Code du travail, du pouvoir d'écarter du marché en cours de renouvellement les autres compétiteurs, en transférant sur ces derniers des charges de personnel dissuasives que lui-même n'avait pas à supporter. Dans ces circonstances très particulières, le Conseil a admis la possibilité qu'un abus de position dominante puisse être commis par le titulaire d'un marché ou d'une délégation, à l'occasion du renouvellement de ces contrats, en considérant que deux délégations successives portant sur la même prestation exécutée avec les mêmes moyens (au moins à titre transitoire) pouvaient être considérés comme deux marchés connexes, et qu'il n'était pas exclu que la position du titulaire sortant puisse être qualifiée de dominante compte tenu du "pouvoir de marché" exorbitant qu'il s'était octroyé, et qui lui a permis à la fois de s'abstraire de la pression concurrentielle des autres offreurs et de faire échec à la procédure de mise en concurrence voulue par le demandeur.
54. Ce lien n'existe pas en l'espèce puisque chaque candidat soumissionne avec ses propres navires et ses propres salariés sans que le titulaire sortant ne dispose, indépendamment de la nature de l'offre qu'il a déposée, du pouvoir d'écarter en pratique les autres compétiteurs.
55. Le marché sur lequel il convient d'apprécier la position de la SNCM est donc celui mettant en présence la demande de l'OTC et, du côté de l'offre, toutes les entreprises pouvant, dans les faits, répondre à la consultation lancée en vue de l'attribution de la délégation de service public de la desserte maritime de la Corse à partir du port de Marseille.
56. Si, en théorie, plusieurs compagnies disposaient des navires nécessaires et auraient pu répondre à l'appel d'offres, un certain nombre de particularités du règlement de consultation, les délais impartis pour y répondre ainsi que plusieurs contraintes de nature technique ou commerciale ont réduit en pratique leur nombre aux trois compagnies déjà actives sur le service de la Corse depuis les ports de Marseille, Toulon et Nice.
57. En premier lieu, le délai très court entre la décision de lancer la consultation prise le 24 mars 2006, et la date limite de dépôt des plis fixée au 4 août 2006 pour une exécution de la délégation à compter du 1er janvier 2007, a nécessairement réduit la possibilité pratique d'attirer de nouveaux candidats. On peut, à ce titre, rappeler que l'appel d'offres relatif à la desserte Marseille-Corse organisée par l'OTC en 2001 n'avait pu attirer de candidats autres que les délégataires sortants, alors même que les délais étaient deux fois plus longs : l'assemblée de Corse s'était réunie en novembre 2000, l'appel d'offres avait fait l'objet d'une publication le 16 janvier 2001 et la remise des plis avait été fixée au 29 mars 2001 pour une mise en service de la desserte au 1er janvier 2002.
58. En deuxième lieu, l'obstacle de la brièveté des délais de réponse a été renforcé par des contraintes administratives ou commerciales. Les compagnies éventuellement intéressées et non présentes sur la desserte de la Corse devaient, en effet, prévoir de déployer certains de leurs navires à partir d'autres lignes ou acquérir de nouveaux navires, modifier leurs pavillons et leurs contrats de travail avec leurs salariés puisque le règlement d'appel d'offres impose de se conformer au décret n° 99-195 du 16 mars 1999 et donc d'embaucher du personnel sous contrat de droit français. De même, la clause relative aux propositions des candidats pour favoriser le développement économique de l'île implique que les compagnies souhaitant répondre à l'appel d'offres aient une connaissance préalable de l'économie de l'île et établissent des projets pour son développement. Enfin, cette disposition oblige les compagnies à disposer en pratique d'un réseau de distribution déjà en place et dont le personnel parle français
59. En troisième lieu, le cahier des charges impose de mobiliser, au minimum, neuf navires de moins de 20 ans pour répondre aux besoins de la totalité des lignes maritimes de service public entre Marseille et la Corse.
60. Même s'il est possible de ne se porter candidat que sur une ou plusieurs lignes, il convient de souligner que certains des navires utilisés doivent répondre à des critères précis pour pouvoir manœuvrer dans certains ports comme le port de Bastia ou de Porto Vecchio. A Bastia, les bateaux pouvant manœuvrer ne doivent pas mesurer plus de 180 mètres. Par ailleurs, l'exigence d'un nombre important de mètres de fret linéaire prévu par le cahier des charges (2300ML), nécessite, pour se conformer simultanément à ces deux impératifs, la construction de bateaux presque sur mesure (comme c'est le cas du Kalliste, du Paglia d'Orba ou du Pascal Paoli). Or deux navires sont nécessaires pour assurer le service permanent et de pointe sur cette seule ligne. L'acquisition de navires d'occasion, répondant à ces contraintes techniques apparaît donc, de fait, problématique, peu de navires adaptés aux spécificités des ports corses étant disponibles à la vente ou à la location. Enfin, le coût des navires doit également être pris en considération comme étant une barrière à l'entrée du marché vis à vis du délégataire sortant puisque les navires de la SNCM (à condition d'y adjoindre ceux de la CMN) répondent exactement aux clauses exigées par le règlement de l'appel d'offres. Dans son procès-verbal d'audition du 20 novembre 2006, la société Veolia a indiqué qu'un bateau d'occasion valait environ 80 millions d'euro. Le " Spirit of Tasmania " a été récemment acquis par Corsica Ferries au prix de 65 millions d'euro.
61. Ajoutons enfin que l'interdiction d'affréter, pour le service public délégué, des navires âgés de plus de vingt ans, règle plus sévère que celle découlant de la réglementation européenne sur le cabotage maritime, restreint encore le nombre d'armateurs susceptibles de se porter candidats. A cet égard, rien n'indique que la "dérogation" à cette règle, prévue par le règlement de l'appel d'offres, sans que les motifs en soient d'ailleurs précisés, soit accessible aisément aux entreprises dont la flotte ne respecterait pas ces conditions.
62. En quatrième lieu, l'annonce qu'une offre globale serait privilégiée par la collectivité, constitue également une barrière stratégique, puisqu'il est hautement probable que les nouveaux entrants auraient été, au contraire, plutôt enclins à entrer de manière progressive sur un marché nouveau en privilégiant des offres ligne par ligne.
63. Enfin en cinquième et dernier lieu, la clause, peu claire au demeurant, prévoyant que " le candidat fera connaître les dispositions qu'il entend prendre vis-à-vis des salariés et conformément au Code du travail dans le cas où le précédent délégataire serait écarté " pourrait décourager certaines compagnies à se porter candidates, et ce, en raison du contexte entourant ce renouvellement et des risques liés à l'attitude des organisations syndicales corses.
64. L'ensemble de ces contraintes a donc restreint le nombre potentiel des compagnies en état de répondre à l'appel d'offres : une telle possibilité a été limitée, en pratique, aux compagnies déjà actives sur la desserte maritime de la Corse. Cette remarque étant faite, il convient de délimiter plus précisément, à l'intérieur de l'activité de desserte maritime de la Corse, les marchés pertinents - dans leur dimension fonctionnelle et géographique - sur lesquels doit être apprécié le pouvoir de marché de la SNCM.
En ce qui concerne les marchés de services où sont actives les compagnies candidates
65. Du point de vue de la demande, la Commission Européenne, à l'occasion de la prise de participation de Veolia Transport et Butler Capital Partners dans le capital de la SNCM, a considéré dans une décision du 29 mai 2006 que " les principaux marchés concernés par l'opération sont les marchés des services de transport maritime régulier de passagers et de marchandises (activité de ferry)". Aucun élément versé au dossier ne permet de contredire cette analyse qui considère que, pour les demandeurs de services de transport, l'offre de places de passagers et l'offre de fret linéaire ne sont pas substituables, nonobstant le fait que ces deux services peuvent être assurés sur les mêmes navires mixtes.
66. Cette position rejoint celle que le Conseil avait déjà adoptée dans son avis 05-A-13 du 24 juin 2005 relatif à l'acquisition de France Handling par la société Vinci Services aéroportuaires : il avait été relevé dans cette affaire que la circonstance que l'essentiel du fret soit, en pratique, transporté sur des vols commerciaux de passagers et non sur des avions cargos n'était pas de nature à remettre en cause l'existence d'un marché pertinent du fret. Sur ce point, on peut également se reporter aux analyses de l'arrêt T-128-98 du TPICE Aéroport de Paris/Alpha Flight, du 12 décembre 2000.
En ce qui concerne les marchés de transport de passagers
67. S'agissant du marché du transport maritime de passagers, la Commission européenne a précisé dans sa décision du 29 mai 2006 précitée que : " le marché pertinent inclut le transport de passagers et des véhicules de tourisme". Dans sa décision 04-D-79 du 23 décembre 2004, concernant les liaisons maritimes pour les passagers entre l'île d'Yeu et le continent, le Conseil a examiné la possibilité de distinguer entre les périodes de basse saison et celle de l'été pendant laquelle des entreprises privées proposent une offre supplémentaire aux passagers. Il a indiqué : " En ce qui concerne la substituabilité entre les ferries et les vedettes rapides, elle n'existe pas pour les passagers qui, transportant des bagages volumineux ou voyageant avec leurs véhicules, doivent obligatoirement emprunter les ferries. En revanche, bien que le temps de traversée soit plus rapide pour les vedettes (40 minutes contre 70 minutes pour les ferries), les deux modes de transport apparaissent suffisamment substituables du point de vue des " escapadeurs ", comme le montre le nombre de passagers voyageant sur les ferries de la régie en période estivale, comparé à celui de la période hivernale.".
68. En l'espèce, le trafic vers la Corse est marqué par une très forte saisonnalité, reconnue par la Commission européenne dans sa décision de 2003 déjà citée. L'Observatoire régional des transports corse (ORTC) observe d'ailleurs l'existence d'une " super saisonnalité, 77 % des trafics estivaux y étaient réalisés en juillet et août contre 60 % pour l'ensemble des lignes françaises. Ainsi, l'Île Rousse/Nice est devenue en juillet et août la 1ère ligne maritime française. " L'appel d'offres a lui-même pris en compte ces données en prévoyant deux types de service : le service de base et le service complémentaire couvrant les périodes de pointe.
69. Or, le nombre de passagers utilisant le service de base reste stable pendant les mois concernés alors que le nombre de touristes augmente considérablement d'avril à septembre. A titre d'exemple, en 2006, et au départ des ports français, 59 000 passagers ont voyagé au cours du mois de janvier et 612 000 au mois d'août. De plus, en période de basse saison, les traversées s'effectuent la nuit, par ferry ou cargo, alors qu'elles sont très nombreuses en période de pointe et s'effectuent également de jour, par NGV et Mega Express, ce qui réduit non seulement les temps de traversée mais également leur prix, la traversée de nuit nécessitant la location d'une cabine.
70. Ainsi, concernant le trafic maritime de passagers vers la Corse, il n'est pas exclu qu'il existe deux marchés de services : le marché de passagers voyageant en période de basse saison et le marché de passagers voyageant en période de pointe, sur lequel la demande est essentiellement constituée par la clientèle des touristes.
En ce qui concerne les marchés de transport de fret
71. S'agissant du fret, les saisissantes ont distingué le fret tracté et le fret inerte. Dans le cas du fret tracté, les remorques sont mobiles et autonomes et peuvent dont être embarquées et débarquées sans l'assistance des entreprises de manutention portuaire. A l'inverse, dans le cas du fret inerte, les remorques sont dételées par les entreprises de transport, stabilisées à l'aide de béquilles et laissées sur les quais du port de départ pour un embarquement futur. L'embarquement et le débarquement nécessitent l'utilisation de tracteurs et une manutention spécifique sur le port et à bord.
72. Néanmoins, la Commission européenne, dans des décisions de concentration concernant les compagnies P&O - Stena Lines qui sont actives dans le secteur du transport par navire roulier (qui embarque ce qui roule), n'a pas retenu cette distinction (décision du 30 octobre 1996, IV/34.503, décision du 26 janvier 1999, IV/36.253, décision du 30 août 2002, IV/M.2838), étant rappelé que les analyses de marché faites pour les seuls besoins d'une décision de concentration ne sont pas nécessairement pertinentes pour l'examen contradictoire d'une affaire contentieuse au fond.
En ce qui concerne les marchés géographiques
73. Dans son rapport annuel pour 2001 (p. 102), le Conseil a considéré que "la délimitation d'un marché de produits s'entend sur une zone géographique définie, soit parce que l'analyse faite du comportement de la demande n'est valable que sur cette zone géographique, soit parce qu'il s'agit de la zone géographique à l'intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou le service en question".
74. S'agissant plus particulièrement de l'appréciation de la position dominante dans un marché géographique donné, la Cour de justice des communautés européennes a, dans son arrêt United Brands, considéré que l'on devait définir le marché pertinent "par référence à une zone géographique définie dans laquelle (le produit en cause) est commercialisé et où les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes pour pouvoir apprécier le jeu de la puissance économique de l'entreprise intéressée" (CJCE, 14 février 1978, Aff 27-76, United Brands).
75. Concernant le transport maritime, la Commission Européenne a indiqué, dans sa décision du 29 mai 2006 déjà citée, que " d'un point de vue géographique, les marchés de transport maritime régulier de passagers sont traditionnellement examinés route par route, en termes de points d'origine/point de destination, chaque liaison représentant un marché distinct ". La Commission a ainsi distingué les différentes routes maritimes à destination des ports de Corse selon les ports de départ français suivants : Marseille, Nice et Toulon. Elle a toutefois laissé ouverte la question d'un regroupement de ces lignes par faisceau : " Il n'est pas nécessaire de se prononcer plus avant sur le point de savoir si certains de ces ports sont substituables entre eux compte tenu de leur proximité géographique (...) ".
76. En l'espèce, si l'appel d'offres litigieux ne porte que sur les lignes au départ de Marseille vers les différents ports de Corse, il existe d'autres possibilités de transporter des passagers et du fret par voie maritime vers la Corse, au départ des villes de Nice et de Toulon ou des ports italiens de Gêne ou Savone. Il convient donc de vérifier si les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes entre ces ports pour considérer qu'ils sont substituables entre eux.
77. Cette analyse sera menée successivement du point de vue de la demande et du point de vue de l'offre.
- Examen du point de vue de la demande :
78. Cette demande provient soit des passagers, soit des transporteurs de fret .
79. Du point de vue de la demande des passagers, la dimension géographique du marché est susceptible de varier selon que l'on examine le marché en période de pointe ou en période de basse saison.
80. Le passager utilisant les services de pointe a essentiellement pour objectif de réaliser ses traversées à des dates données, correspondant à celles de son séjour, cette priorité l'emportant sur le choix du port de départ et d'arrivée, même s'il peut avoir des préférences tenant compte des temps de parcours et des prix proposés. Ainsi, sur le marché des passagers voyageant en période de pointe entre le continent et la Corse (France continentale et Italie), on ne peut exclure que les ports de Nice, Toulon, Marseille, Livourne, Savone et Gênes exercent les uns sur les autres une certaine pression concurrentielle. Il faut également tenir compte du fait que le transport aérien représente une part importante du trafic en raison de son prix attractif et concourt à l'existence d'une concurrence intermodale avec le transport maritime, du moins pour les passagers sans voiture.
81. Il faut cependant relever que les tarifs entre les ports de France et d'Italie diffèrent pour les passagers bénéficiant de tarifs sociaux. L'aide publique aux passagers n'étant pas offerte au départ de l'Italie, les "passagers sociaux" voyageant à destination d'Ajaccio payent leur traversée 5 euro au départ de Nice et 25 euro au départ, par exemple, de Savone. Or, l'Observatoire régional des transports corse évalue à 65 % en moyenne la part des passagers qui relèvent du tarif subventionné. Il n'est donc pas exclu, à ce stade de l'instruction, que les ports français et italiens ne soient pas substituables pour une part significative de la demande.
82. S'agissant des passagers voyageant en période de basse saison, la substituabilité entre les ports est moindre, y compris entre les ports français, dans la mesure où, d'une manière générale, en raison du lieu de leur résidence ou de leurs activités les passagers ont une préférence pour l'un des ports de départ et d'arrivée. De leur point de vue, chaque port répond plus ou moins bien à leur demande.
83. Afin de savoir si les ports de Marseille, Toulon et Nice sont substituables pour ce type de passagers, plusieurs critères doivent ainsi être pris en compte comme notamment les temps de trajets terrestres dus à la distance entre les ports, les temps de navigation, les prix ou les bateaux utilisés. En premier lieu, le temps de déplacement par la route entre les ports de Marseille et de Nice est de plus de 2h. Il est de plus d'une heure trente minutes entre Toulon et Nice. Les temps de navigation vers la Corse sont également très différents selon que l'on embarque à Nice d'une part ou à Marseille ou à Toulon d'autre part. Nice étant plus proche des ports corses et le temps de traversée étant donc plus court, l'embarquement à partir de ce port permet des départs de jour alors qu'à partir de Toulon et de Marseille les traversées sont organisées la nuit. Cet élément influe également sur le prix puisque les traversées de nuit nécessitent de réserver une cabine.
84. Ainsi il n'est pas exclu que Nice ne soit pas substituable aux ports de Marseille et de Toulon.
85. En revanche, entre les ports de Marseille et de Toulon, les temps de transport sont moindres qu'entre ces deux ports et Nice (environ 1h) et les temps de traversée vers les ports de Corse sont à peu près équivalentes.
86. Néanmoins, l'observation du trafic de passagers au départ de ces ports permet de constater qu'au départ de Marseille le trafic est resté relativement stable (en moyenne pour la période de 2000 à 2005, 885 000 passagers transitent annuellement par Marseille), sans qu'il ait été affecté par l'augmentation des passagers observée au départ de Toulon. Il semble que cette hausse résulte d'une demande nouvelle qui n'a pas modifié significativement le nombre de passagers au départ de Marseille. Seules les années 2004 et 2005 font apparaître, selon différentes sources, que le port de Marseille aurait perdu environ 130 000 passagers, alors que, pendant cette même période, une augmentation du même ordre est observée au départ du port de Toulon. Interrogées sur ce point, les parties ont indiqué que ce transfert était dû à des mouvements de grève à Marseille, obligeant les passagers à se reporter sur Toulon. En effet, lors de ce conflit, de nombreuses traversées à destination de la Corse ont été annulées en raison de la grève des personnels de la SNCM.
87. Ainsi, il ne peut être exclu, à ce stade de l'instruction, qu'il existe pour les passagers voyageant en basse saison, comme pour ceux navigant en période de pointe, trois marchés pertinents au départ de Nice, Toulon et Marseille.
88. Du point de vue de la demande des transporteurs de fret, il ne semble pas que les ports français et italiens soient substituables du fait des conditions douanières, mais il n'apparaît pas non plus que les ports français soient substituables entre eux.
89. En effet, pour le fret inerte, le port de départ dépend de l'endroit où se trouve l'entrepôt et où aboutit la chaîne logistique. Or, le fait que la grande majorité des centrales d'achats de marchandises soient établies à proximité de Marseille (port ou aéroport) conduit à considérer que, s'agissant du transport de fret inerte, le faisceau des lignes maritimes entre Marseille et la Corse constitue un marché géographique distinct.
90. Le transport de fret par des remorques tractées, qui nécessite uniquement la présence de dockers sans aucun investissement en termes de matériels roulants, pourrait en revanche s'effectuer, au besoin, au départ du port de Marseille, de Toulon ou de Nice, mais, en pratique, seuls les ports de Marseille et de Toulon possèdent les infrastructures nécessaires à l'accueil des camions.
91. A ce stade de l'instruction, il ne peut donc être exclu, du point de vue de la demande, que les ports de Toulon et Marseille constituent un marché pertinent pour le fret tracté, distinct de celui du port de Nice, et que le port de Marseille forme à lui seul un marché pertinent pour le fret inerte.
- Examen du point de vue de l'offre
92. L'analyse du point de vue de l'offre doit tenir compte de l'homogénéité de la concurrence, conformément à la jurisprudence rappelée au paragraphe 72. Ceci confirme cette délimitation géographique des marchés, les conditions de concurrence étant sensiblement différentes selon les lignes puisque seules celles au départ de Marseille sont régies par une délégation de service public. En effet, les compagnies exploitant des lignes au départ de Marseille, qui sont soumises à des obligations précises de service public, reçoivent en contrepartie une subvention globale de fonctionnement, alors qu'à partir de Toulon et Nice, le dispositif de desserte maritime prévoit, depuis le 1er janvier 2002, l'octroi d'aides sociales versées à certaines catégories de passagers (délibération n° 01/02 AC de l'assemblée de Corse du 1er février 2001) en contrepartie d'obligations de service public "généralisées" plus légères s'appliquant à l'ensemble des transporteurs et indiquant notamment les tarifs sociaux maximum. Ces obligations comprennent celle d'assurer une liaison par semaine entre Toulon et la Corse. Entre Nice et la Corse, les compagnies doivent assurer une rotation par semaine de novembre à mars, trois rotations par semaine du 1er avril au 31 octobre (à l'exception des 11 semaines d'été) et six rotations par semaine pendant ces onze semaines d'été de fin juin à début septembre.
93. Certes, la délégation de service public n'attribue pas d'exclusivité à son titulaire au départ de Marseille de sorte que, des concurrents éventuels pourraient demander d'assurer un service, sans bénéficier de la contrepartie financière. Mais, d'une part les conditions pour pouvoir affréter un navire au départ de Marseille, telles que prévues par le RPAO sont restrictives puisque la compagnie éventuellement intéressée doit effectuer, sans compensation financière, "au minimum deux rotations par semaine qui devra se faire dans des conditions telles qu'il ne pourra obérer les conditions économique de l'opérateur du service public (...)". D'autre part, il n'est guère vraisemblable qu'un armateur, devant arbitrer entre les différentes destinations pour y affréter ses navires, juge les conditions de concurrence au départ du port de Marseille équivalentes à celles qu'il rencontre au départ de Toulon et de Nice et, en conséquence, choisir entre ces ports en fonction de l'évolution de la demande. Il convient, à cet égard, de noter que jusqu'à présent aucune compagnie n'a fait le choix de Marseille comme port de départ, en dehors des titulaires de la délégation de service public.
94. Du point de vue de l'offre, les conditions de concurrence entre Marseille et les autres ports, ne paraissent donc pas homogènes au sens de la jurisprudence communautaire " United brands " précitée et le faisceau de lignes au départ de Marseille est donc susceptible de constituer un marché géographique pertinent.
95. Une telle analyse rejoint, par un raisonnement différent, celle exprimée par le commissaire du gouvernement qui mentionne un " marché de la gestion déléguée de la desserte maritime entre Marseille et la Corse ", et par les saisissantes, qui considèrent également que les conditions d'exploitation particulières imposées par la gestion déléguée pour les lignes entre Marseille et la Corse conduisent à distinguer un marché pertinent de l'exécution de cette délégation. Elle est également confortée par la collectivité délégante elle-même, qui a justifié le choix d'une délégation de service public pour les lignes à partir de Marseille par les considérations stratégiques suivantes : " Ce choix repose sur l'intérêt que revêt le port de Marseille comme pôle économique, bassin de vie et débouché historique pour les échanges entre la Corse et le Continent. ".
96. Il faut noter que cette prise de position qui se fonde sur les conditions juridiques d'exercice de la concurrence au départ de Marseille, conditions qui sont déterminantes du point de vue des offreurs potentiels sur ce marché, converge avec l'examen des critères de substituabilité du point de vue de la demande, dès lors que ceux-ci conduisent à ne pas exclure un marché pertinent des liaisons au départ de Marseille aussi bien pour le fret que pour les passagers en basse saison.
97. Au terme de cette analyse qu'il faudra approfondir lors de l'instruction des saisines au fond, plusieurs marchés pertinents pourraient être identifiés en croisant des critères relatifs à la demande (fret et passagers), à la saisonnalité (haute et basse saison), à la substituabilité géographique, aux conditions de concurrence (existence ou non d'une délégation de service public). Mais l'ensemble des éléments rassemblés ci-dessus sont, à ce stade de l'instruction, suffisants pour conclure que les liaisons maritimes au départ de Marseille constituent un marché pertinent, aussi bien pour les passagers que pour le fret.
2 - Sur la position de la SNCM :
98. S'agissant du marché des passagers et sur le seul critère de la part de marché, la SNCM n'est pas en position dominante sur les liaisons au départ des trois ports français, Marseille, Toulon et Nice, pris dans leur ensemble, aussi bien en basse saison qu'en haute saison. Elle n'est pas non plus en position dominante sur les liaisons au départ de Nice et Toulon, pris séparément ou ensemble, quelle que soit la saison retenue. Enfin, elle n'est pas en position dominante sur l'ensemble des liaisons au départ de Marseille et Toulon, aussi bien en haute saison qu'en basse saison.
99. En revanche, concernant le transport de passagers au départ de Marseille, le nombre de passagers entre Marseille et la Corse, se répartit comme suit :
<emplacement tableau>
En part de marché
100. Sur le marché du transport maritime de passagers au départ de Marseille, la SNCM dispose donc d'une part de marché qui varie de 88 % en 2000 à 75 % en 2005 et 78 % au premier semestre 2006. Cette part de marché n'est pas sensiblement différente selon la saisonnalité. Compte tenu de ces parts de marché et des barrières à l'entrée déjà identifiées, notamment l'existence de la délégation de service public ouvrant droit à une subvention globale, il est possible de conclure, à ce stade de l'instruction, que la SNCM détient une position dominante sur le marché du transport maritime des passagers entre Marseille et la Corse, notamment pour les liaisons en basse saison si un tel marché devait être retenu.
101. Concernant le marché du transport de marchandises, il convient d'examiner le pouvoir du marché de la SNCM en fonction de sa part de marché, mais aussi du pouvoir de contestation du marché que d'éventuels concurrents seraient susceptibles de développer et, enfin, de la concurrence effective que lui porte la CMN. En ce qui concerne les parts de marché le trafic en mètres linéaires au départ de Marseille est le suivant :
<emplacement tableau>
102. Sur le marché du transport de fret, l'année 2005 ne peut être prise en considération en totalité, puisque la fermeture de lignes SNCM, consécutive aux grèves du personnel, a obligé la CMN à reprendre les mètres linéaires que la SNCM ne pouvait embarquer. L'examen du trafic lors des trimestres sans grèves, comme le troisième trimestre 2006, (208 148 mètres linéaires pour la SNCM, contre 177 958 pour la CMN et 57 908 pour Corsica Ferries) montrent que la SNCM dispose de la plus grosse part de marché.
103. La répartition des parts de marché, bien qu'elle fasse apparaître une part légèrement majoritaire pour la SNCM, ne permet pas, à elle, seule de présumer une position dominante, mais les conditions générales de la délégation de service public et d'autres indices permettent de penser que la SNCM dispose d'une certaine indépendance sur ce marché, notamment pour fixer le montant de la subvention qu'elle demande pour assurer ce service.
104. Tout d'abord, on peut considérer que la seconde compagnie chargée du service public, la CMN, malgré l'importance des volumes transportés, n'exerce pas une réelle pression concurrentielle sur la SNCM dès lors que ces deux compagnies sont conjointement titulaires de la délégation de service public dans le cadre d'un groupement momentané. En outre, la CMN ne dispose que de cargos mixtes et ne peut assurer seule des liaisons complètes (fret et passager en toutes saisons). Elle n'est donc opérateur important de fret que dans la limite d'un partenariat avec une compagnie spécialisée dans le transport de masse des passagers et des véhicules, notamment pour la haute saison pendant laquelle ces flux deviennent majoritaires. Sa marge de manœuvre n'est donc pas suffisante pour qu'elle puisse exercer seule une pression concurrentielle sur la SNCM pour le transport du fret au départ de Marseille.
105. En outre, ces deux sociétés ont de forts liens capitalistiques, ce qui conduit à admettre une dominance de la SNCM indépendamment de la solution que donnera le juge judiciaire au litige sur la validité du pacte d'actionnaire et sur le degré de contrôle dont disposerait la SNCM sur la CMN. En effet, dans l'hypothèse où le juge confirmerait la position soutenue par la SNCM et validerait le pacte d'actionnaire, on devrait constater que le groupement SNCM-CMN est en monopole de fait sur le transport du fret au départ de Marseille (et encore dominant en incluant Toulon). Mais, inversement, si le juge invalide ce pacte, il n'en demeurera pas moins que les liens structurels entre la SNCM et la CMN et les liens commerciaux noués pour l'exécution de la DSP devraient suffire pour constater une position de dominance collective de ces deux entreprises sur le transport du fret entre Marseille et la Corse. Or, comme l'a jugé le TPICE dans l'affaire Irish Sugar, lorsque plusieurs entreprises détiennent ensemble une position de dominance collective, l'abus de celle-ci peut n'être le fait que de l'une d'entre elles : " Si l'existence d'une position dominante collective se déduit de la position que détiennent ensemble les entités économiques concernées sur le marché en cause, l'abus ne doit pas nécessairement être le fait de toutes les entreprises en question. Il doit seulement être identifié comme l'une des manifestations de la détention d'une telle position dominante collective. Par conséquent, des entreprises occupant une position dominante collective peuvent avoir des comportements abusifs communs ou individuels. " TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar.
106. Enfin, la concurrence potentielle exercée par les autres transporteurs est inexistante, du fait des importantes barrières à l'entrée résultant de l'attribution de la délégation de service public pour une longue période. La situation au départ de Marseille s'analyse donc, malgré l'absence d'exclusivité juridique, comme une exclusivité de fait au profit des deux délégataires qui, en outre, disposent, du fait de leur position d'opérateurs historiques sur ces liaisons, des navires les plus adaptés pour assurer le trafic de fret et de passagers au départ de Marseille.
107. L'instruction menée jusqu'ici a donc rassemblé suffisamment d'éléments pour considérer que la SNCM est susceptible de détenir une position dominante sur les marchés du transport maritime entre Marseille et la Corse, aussi bien pour les passagers que pour le fret.
3 - Sur un éventuel abus constitué par le dépôt d'une offre indivisible de la SNCM :
108. Comme il a été dit plus haut, la réponse de la SNCM à l'appel d'offres a pris la forme d'une offre globale portant sur l'ensemble des lignes. Dans la note générale d'introduction qui précède cette réponse, il est indiqué que "comme l'y invite le règlement particulier de l'appel d'offres (...), la SNCM a opté pour une offre globale permettant d'optimiser la desserte de la Corse dans son ensemble aux meilleures conditions économiques".
109. La circonstance que le règlement de l'appel d'offres ait autorisé les soumissionnaires à présenter une offre globale en précisant que "les candidats présentant une offre globale, en conformité avec leurs possibilités, et qui seront de nature à optimiser la desserte de l'île dans son ensemble, bénéficieront d'une prise en compte privilégiée, ce qui n'exclut pas la possibilité de présenter des offres par lignes", n'interdit certainement pas de qualifier, au regard du droit de la concurrence, le dépôt d'une telle offre par une entreprise en position dominante.
110. La Cour de Justice des communautés européennes, dans son arrêt Hoffman Laroche du 13 février 1979, a ainsi jugé que : " Attendu que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier -- fût-ce à leur demande -- des acheteurs par une obligation ou promesse de s'approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d'une position dominante au sens de l'article 86 du traité, soit que l'obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu'elle trouve sa contrepartie dans l'octroi de rabais; [...] ". (Souligné par le Conseil).
111. De même, le Conseil de la concurrence, dans sa décision n° 01-D-46 du 23 juillet 2001, rendue à propos d'une offre sur mesure de France Télécom, a considéré que : " le fait que Renault ait, dans son appel d'offres, laissé la possibilité aux opérateurs, soit de proposer une offre globale pour l'ensemble des trafics, soit de limiter leur réponse à certains périmètres, ne donnait pas pour autant latitude à l'opérateur historique de demander un engagement de volume global portant sur l'ensemble du trafic. "
112. Dans cette même décision, le Conseil de la concurrence a également indiqué : " Considérant que, d'ailleurs, le Conseil de la concurrence, dans son avis du 16 décembre 1998, rendu à la demande de l'ART, avait mis en garde l'Autorité en précisant que " les offres et les remises doivent [....] être définies, présentées et justifiées segment par segment" ; que l'Autorité de régulation des télécommunications, dans ses observations en réponse au rapport, précise : " le principe de segmentation des offres est en effet essentiel au respect des règles de concurrence par France Télécom pour lesquelles elle a une responsabilité particulière liée à sa position sur le marché. ".
113. Inversement, le dépôt d'une offre globale, qu'il soit autorisé, voire encouragé, ou non, par l'entreprise ou la collectivité organisant la compétition, ne peut être considéré comme étant, par nature, abusif dès lors qu'il émane d'une entreprise en position dominante. L'existence d'une position dominante ne doit pas priver l'opérateur qui la détient de la possibilité de faire examiner son offre sur ses mérites propres, dans des conditions assurant une égalité de traitement effective avec les autres candidats.
114. Pour rechercher si, en l'espèce, le comportement de la SNCM est susceptible d'être qualifié d'abusif, il convient donc de rechercher si, dans le contexte où il s'inscrit, il peut avoir pour effet potentiel ou effectif d'évincer les autres entreprises du marché de la gestion déléguée de la liaison maritime entre Marseille et la Corse, portant en cela atteinte à la protection du consommateur- et également en l'espèce du contribuable- pour le bénéfice de laquelle la compétition a été, du moins faut-il le souhaiter, organisée.
115. La réponse à cette question dépend de savoir :
- s'il était possible aux autres candidats de déposer eux-mêmes des offres portant sur l'ensemble des lignes ;
- si, dans la négative, la présentation de l'offre de la SNCM, par le lien indivisible qu'elle a établi entre les lignes pour lesquelles elle s'est déclarée candidate, prive l'Office de la possibilité de comparer les différentes offres en concurrence sur leurs mérites propres, avec le risque de ne pouvoir, à priori, retenir que l'offre globale, dès lors que les offres individuelles ne sont pas suffisamment nombreuses pour couvrir la totalité du service public délégué.
En ce qui concerne les offres globales concurrentes :
116. Les sociétés Corsica Ferries et CMN ne pouvaient, seules ou en groupement, présenter une offre portant sur l'ensemble des lignes.
117. En effet, la société Corsica Ferries dispose de trois NGV qui, en raison de la distance séparant le port de Marseille et les ports de Corse, ne peuvent pas être affectés aux lignes maritimes de service public au départ de Marseille. De plus l'âge des navires réduit de cinq navires la flotte de la société Corsica Ferries. Enfin, le taux de remplissage (passagers et fret) exigé par le règlement particulier de l'appel d'offres, ne permet pas à Corsica Ferries d'exploiter au mieux les quatre navires qui restent à sa disposition. Il résulte de ces éléments que, même si la société Corsica Ferries utilisait ses quatre navires disponibles pour se porter candidate à la délégation de service public, aucun de ces quatre navires ne suffirait pour répondre aux exigences du seul service permanent de la ligne Marseille - Bastia. A fortiori, il en va de même pour la totalité des services des autres lignes de service public. Il n'est également pas contesté que la CMN avec uniquement trois cargos, est dans l'impossibilité de faire une offre globale. Enfin, le groupement Corsica Ferries/CMN n'était pas en mesure non plus de déposer une offre globale, contrairement à ce qu'allègue la SNCM. En effet, si l'offre déposée par le groupement était retenue sur la ligne Marseille - Bastia, la CMN ne disposerait plus de navire, et la Corsica Ferries disposerait encore de trois navires (Mega Express, Mega Express Two, Mega Express Four). Le Mega Express Four pourrait alors être affecté à la ligne Marseille - Porto-Vecchio, mais les deux autres navires ne seraient pas suffisants pour assurer les services des lignes Marseille - Ajaccio et Marseille - Balagne.
118. Par ailleurs, le dépôt d'une offre globale, ou un groupement avec les compagnies, candidates impliquerait pour une compagnie maritime autre que la SNCM, de choisir parmi les deux solutions suivantes : soit redéployer sa flotte de navires, soit acquérir de nouveaux navires neufs ou d'occasion. En effet, un redéploiement quasi immédiat impose de mettre fin à l'exploitation des navires à redéployer sur des lignes où des engagements commerciaux sont en cours. Quant à l'acquisition de nouveaux navires, elle n'est envisageable, dans des délais aussi brefs que par des navires d'occasion. Ainsi, les éléments décrits aux paragraphes 56 à 63 de la présente décision, à savoir notamment, les délais imposés par la collectivité, la surcapacité prévue par le cahier des charges, l'âge, nombre et la spécificité des navires, n'ont pas permis aux concurrents ou aux nouveaux entrants, d'interrompre des lignes existantes ou de se conformer à la réglementation sur le cabotage maritime, aux fins de s'associer aux sociétés Corsica Ferries et CMN, pour répondre globalement à l'appel d'offres.
119. Il faut en conclure, à ce stade de l'instruction, qu'aucune compagnie ou groupement de compagnies ne pouvait raisonnablement déposer dans les délais requis une offre portant sur l'ensemble des lignes, de nature à concurrencer une offre globale de la SNCM.
En ce qui concerne le caractère indivisible de l'offre de la SNCM
120. La note générale d'introduction qui explicite le contenu de l'offre déposée par la SNCM précise que "les demandes de compensations annuelles couvrent l'ensemble des lignes même si, conformément au règlement du cahier des charges, les comptes d'exploitation prévisionnels sont détaillés poste par poste et ligne par ligne. Il est donc expressément stipulé que notre offre constitue un tout indissociable et concerne l'ensemble des lignes Marseille - Corse sans possibilité de séparation. Les montants affectés à une ligne ne peuvent donc, en aucun cas, être considérés comme une proposition pour la desserte de cette ligne". Il est précisé plus loin que "la SNCM présentera un compte prévisionnel par ligne comme il est demandé au cahier des charges, mais son offre doit être considérée comme insécable puisqu'elle considère que c'est la meilleure réponse possible qu'elle puisse offrir à l'office des transports de Corse".
121. Dans ses observations devant le Conseil, la SNCM confirme la nature indivisible - au moins sur le plan financier - de son offre : elle indique "n'avoir jamais exigé de se voir attribuer la totalité des lignes ou rien" et précise qu'elle "a simplement voulu éviter d'être engagée, en cas d'attribution non globale, sur des conditions financières par ligne qui n'étaient pertinentes que dans un contexte d'ensemble cohérent de lignes".
122. Le Conseil ne remet pas en cause le fait qu'une offre globale peut s'appuyer sur une justification économique dès lors qu'elle est susceptible d'apporter des économies d'échelle ou d'envergure à l'entreprise choisie et par-là même de permettre une baisse du montant de la subvention demandée, les gains d'efficacité du titulaire étant pour partie transmis à la collectivité et au contribuable de l'île. De même, le déploiement de plusieurs bateaux au départ d'un même port peut permettre de mieux faire face à l'interruption provisoire d'une desserte pour cause d'avarie d'un navire, de force majeure ou de grève. Mais force est de constater que la mesure de ces gains de productivité rétrocédés à la collectivité est purement théorique dès lors que les offres par ligne ne font l'objet d'aucun chiffrage engageant de manière ferme l'auteur de l'offre.
123. La situation créée par la SNCM, telle qu'elle résulte de la rédaction de son offre et de l'éclairage qu'elle lui a donné ultérieurement, comporte, à cet égard, plus d'effets potentiellement anticoncurrentiels que celle examinée par le Conseil dans le cadre de sa décision 03-MC-01 du 23 janvier 2003 accordant des mesures conservatoires à la demande de la société TPS qui l'avait saisi de pratiques constatées lors de la consultation organisée par la ligue de football professionnelle pour la cession des droits de diffusion télévisuelle. Dans cette dernière affaire, la société Canal Plus avait en effet répondu lot par lot, en formulant des offres relativement basses, tout en proposant une prime d'exclusivité importante dans le cas où la totalité des lots lui serait attribuée : le Conseil avait estimé que "le fait pour une entreprise en position dominante d'offreur sur le marché de la télévision à péage, dans le cadre d'une consultation par lots, d'une part de sous-estimer la valeur de chacun des lots et d'autre part, de faire une offre avec une prime d'exclusivité égale à 150 % de l'offre de base, peut s'analyser comme une offre ayant pour objet et pouvant avoir pour effet d'évincer le seul concurrent du marché". Il n'avait donc pas exclu que le dépôt d'une telle offre constitue un abus de position dominante.
124. Dans la présente espèce, l'effet d'éviction de l'offre présentée par la SNCM est encore plus incontestable dans la mesure où d'une part, le recours - au moins partiel - au service de cette société est incontournable pour la collectivité, faute pour les autres concurrents de pouvoir formuler des offres portant sur l'ensemble des lignes, et d'autre part, le refus de la SNCM de s'engager de manière ferme sur le montant de la subvention demandé ligne par ligne interdit à l'office la possibilité même de comparer les résultats de la compétition. Ces deux facteurs combinés risquent de ne laisser à l'office aucun autre choix possible que la SNCM pour assurer le service public délégué, sauf à ne pas couvrir la totalité de ce service.
125. Il résulte de ce qui précède qu'en faisant une telle offre, la SNCM est susceptible d'avoir commis un abus de sa position dominante prohibé par l'article L.420-2 du Code de commerce.
126. S'agissant de l'affectation du commerce entre les États membres et de l'application du droit communautaire, il faut relever, d'une part, que le marché en cause relève d'une procédure de consultation ouverte aux entreprises communautaires sur lequel une des entreprises effectivement soumissionnaire affrète des navires sous pavillon italien et emploie des salariés ressortissants d'états de la communauté européenne et, d'autre part, que la demande de traversées entre le continent et la Corse, notamment en haute saison, émane potentiellement de consommateurs de l'ensemble de la communauté européenne. En conséquence, l'abus susceptible d'avoir été commis par la SNCM est de nature à méconnaître également l'article 82 du traité européen.
D. SUR LES DEMANDES DE MESURES CONSERVATOIRES
127. Au terme de l'article L. 464-1 du Code de commerce, " le Conseil de la concurrence peut [...] prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à l'entreprise plaignante. Elles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur. Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ".
128. En l'espèce, il est possible, à ce stade de l'instruction, que l'attribution à la SNCM de la délégation de service public pour l'ensemble des lignes maritimes entre Marseille et la Corse prive les sociétés CMN et Corsica Ferries d'un élément essentiel à leur développement. Mais la surface financière de ces sociétés et leur capacité à exercer leur activité sur d'autres lignes que celles visées par la délégation de service public ne permettent pas de considérer que cette circonstance constitue à elle seule une atteinte grave et immédiate à l'intérêt des entreprises plaignantes.
129. En revanche, le fait d'attribuer pour six ans une délégation de service public à l'issue d'une mise en concurrence qui ne permettrait pas de garantir à la collectivité délégante et, à travers elle, aux contribuables corses, payeurs en dernier ressort de la subvention, qu'a été recherchée, au travers d'une comparaison la plus complète des offres, la solution de nature à satisfaire les besoins du service public au meilleur prix, c'est-à-dire à optimiser la qualité de la desserte de l'île au moindre coût pour la collectivité, constitue bien une atteinte grave et immédiate au marché et au consommateur ou en l'espèce au contribuable, du fait du caractère difficilement réversible du contrat de délégation qui pourrait être signé et qui ferait obstacle à l'effet utile de l'ouverture de cette délégation à la concurrence.
130. L'imminence de la décision de la collectivité territoriale de Corse, ainsi que la nature actuelle de l'offre de la SNCM, rapprochées du préjudice immédiat pour les intérêts des consommateurs ainsi que pour l'économie du secteur que pourrait causer cette décision, caractérisent bien la situation d'urgence qui justifie, au sens de l'article L.464-1 du Code de commerce, le prononcé de mesures conservatoires. Ces mesures conservatoires ne peuvent, compte tenu du fait que les risques anticoncurrentiels les justifiant proviennent du comportement unilatéral de la SNCM évoqué ci-dessus, être enjointes qu'à cette dernière société.
131. L'atteinte grave et immédiate relevée ci-dessus ne peut être prévenue que si la SNCM met la collectivité territoriale de Corse en mesure de comparer son offre avec celles des concurrents, et donc de rendre son offre divisible en indiquant à l'OTC quelles sont ses demandes de subvention ligne par ligne dans l'hypothèse d'une attribution partielle de ces lignes, au principe de laquelle elle ne peut s'opposer.
132. Interrogée en séance sur cette éventualité, la SNCM a indiqué qu'elle était en mesure de détailler sa demande de subvention ligne par ligne et de faire apparaître les gains financiers pour la collectivité d'une attribution globale dans un délai de deux à trois jours.
133. En conséquence, il y a lieu d'enjoindre à la SNCM de transmettre à l'OTC, dans un délai de 48 heures à compter de la notification de la présente décision, le détail de ses cinq demandes de subvention pour l'attribution des cinq lignes entre Marseille et, respectivement, Ajaccio, Bastia, Porto-Vecchio, Propriano et la Balagne, et qui seraient de nature à l'engager de manière ferme dans le cas où l'office ne souhaiterait lui attribuer que l'une ou plusieurs de ces lignes.
134. Il y a également lieu de lui enjoindre de répondre à toute demande de l'OTC sur le montant des rabais qu'elle serait prête à consentir pour l'attribution groupée de plusieurs de ces cinq lignes, voire de l'ensemble des lignes.
135. Il y a lieu, enfin, d'enjoindre à la SNCM de ne signer aucun contrat de délégation de service public pour la période 2007/2012 ou 2007/2013 tant qu'elle n'aura pas justifié avoir exécuté les obligations résultant des injonctions décrites aux paragraphes 133 et 134.
136. Les mesures conservatoires qui viennent d'être indiquées sont d'autant plus proportionnées au dommage qu'il faut, en urgence, prévenir que, dans ses observations, la SNCM elle-même n'a pas exclu de détailler son offre ligne par ligne dans le cadre d'une négociation future avec l'office des transports. Le Conseil en prend acte, sans qu'il lui appartienne de trancher la question de savoir si une telle modification peut être proposée dans le cadre de la négociation prévue, après remise des offres, par les articles L. 1411-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales ou suppose la reprise de l'appel d'offres.
Décision
Article 1 : Les saisines n° 06/0061 F et 06/0072 F sont déclarées irrecevables en tant qu'elles dénoncent l'entente anticoncurrentielle imputée à la collectivité territoriale de Corse, à l'office des transports de la Corse et à la société Nationale Corse Méditerranée.
Article 2 : Il est enjoint à la société Nationale Corse Méditerranée, dans les quarante-huit heures suivant la notification de la présente décision :
- en premier lieu, d'indiquer à l'office des transports de la Corse le montant ferme de la subvention sur lequel elle s'engage ligne par ligne dans l'offre qu'elle a déposée ;
- en deuxième lieu, de faire droit, dans les mêmes quarante-huit heures, à toute demande de l'office permettant à ce dernier d'évaluer le montant demandé, de manière ferme, pour les offres groupées qu'il souhaiterait étudier ;
- en troisième lieu, de préciser explicitement à l'office qu'elle ne s'oppose ni à un examen par ce dernier, dans des conditions assurant le respect effectif de l'égalité de traitement entre les différentes candidatures, de son offre ligne par ligne ou regroupée, selon les critères auxquels entend recourir l'office, ni - au terme de cet examen - à la possibilité d'une attribution partielle de la délégation.
Article 3 : Il est enjoint à la société Nationale Corse Méditerranée de s'abstenir de signer tout projet de contrat qui lui serait proposé pour une nouvelle délégation de service public relative à la desserte maritime de la Corse à partir de Marseille tant qu'elle n'aura pas justifié, par une lettre adressée au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, avoir exécuté l'injonction prononcée à l'article 2 ci-dessus.