Livv
Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 5 avril 2004, n° 03-02386

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Association Basco-Bearnaise des opticiens indépendants, Azoulay & Fils (SARL), Sainsevin, Optique de La Poste (SARL), Optique Contraires (SARL), Adour Optique (SARL), Galtie Optique (SARL), Anglet Optique (SNC), Adeux (SARL), Diribarne (SARL), Optique Saint Jean (SARL), Messanges et Lankar (SARL), Jalday Vision (SARL), Biarritz Optique (SARL), Optique du Helder (SARL), Optique du Musée (SARL), Eurovue (SARL)

Défendeur :

Pix Eyes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Larque

Conseillers :

M. Petriat, Mme Tribot Laspiere

Avoué :

SCP Longin

Avocat :

SCP Dartiguelongue Menaut

T. com. Bayonne, du 10 juill. 2003

10 juillet 2003

Faits et procédure

La SARL Pix Eyes exerce au n° 20 rue de la Marne à Biarritz une activité d'opticien sous l'enseigne" Optical Center";

Par acte d'huissier du 9 avril 2003, l'association Basco-Bearnaise des opticiens indépendants et 16 cabinets d'opticiens dont les noms sont rappelés au début du présent arrêt, exerçant la même activité, sur le territoire des communes de Bayonne, Biarritz et des environs, ont fait assigner la SARL Pix Eyes devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Bayonne à l'effet, principalement de voir interdire à cette société, de poursuivre ou de renouveler les actes de publicité qu'ils estiment contraires aux dispositions de l'arrêté du 2 septembre [1977] et à l'article L. [121]-1 du Code de la consommation et, d'obtenir la publication de cette décision dans deux quotidiens régionaux;

Par ordonnance du 10 juillet 2003, le juge des référés a considéré que la publicité incriminée était conforme aux exigences des textes visés par les demandeurs dans leur assignation et, les a déboutés de l'intégralité de leurs prétentions; la société Pix Eyes a été déboutée de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive et les demandeurs ont été condamnés solidairement entre eux à lui payer la somme de 1 700 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

L'association Basco-Bearnaise des opticiens indépendants et, l'ensemble des autres demandeurs à l'instance ont relevé appel de cette ordonnance;

Les appelants ont requis et ont obtenu par ordonnance du juge de la mise en état du 22 octobre 2003, la fixation de l'affaire à bref délai sur le fondement de l'article 910 du nouveau Code de procédure civile; l'audience de plaidoirie a été fixée au 9 février 2004 et la clôture au 10 décembre 2003;

Prétentions et moyens des parties

Les appelants prétendent que la société Pix Eyes effectue dans la région de Bayonne de vastes campagnes publicitaires, par la distribution et la diffusion, en quantité massive, de carts d'achat personnelles offrant à leurs détenteurs de prétendues réductions de prix et, de prospectus annonçant des prix les plus bas de France;

Ils soutiennent que ces campagnes offensives qui se succèdent sans interruption, violent la réglementation en matière de publicité et constituent, pour les cabinets d'opticiens concurrents, un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser;

Par conclusions du 12 septembre 2003, auxquelles la cour se réfère expressément en application de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, les appelants font grief à la décision entreprise, de ne pas avoir vérifié le prix de référence sur lesquels les rabais étaient appliqués et, d'avoir retenu le prix affiché et non celui effectivement pratiqué.

Ils prétendent que les réductions annoncées s'avèrent en fait illusoires dès lors qu'elles bénéficient en fait à la quasi-totalité de la clientèle à partir d'un prix affiché que la société Pix Eyes a toute liberté pour majorer par rapport aux prix habituellement pratiqués;

Les appelants font grief au premier juge de ne pas avoir vérifié la durée effective des campagnes publicitaires, ce qui lui aurait permis de constater que, la publicité s'exerçait pratiquement sur l'ensemble de l'exercice commercial annuel;

Ils déclarent rapporter la preuve que, les pratiques des opticiens exerçant sous l'enseigne "Optical Center" ont fait l'objet de plusieurs plaintes sur le territoire national auprès des parquets locaux et des services administratifs compétents;

Que la société Pix Eyes, qui était consciente d'être en infraction, a retiré l'affiche "opticien le moins cher" qu'elle avait apposée sur la vitrine de son magasin, mais elle a maintenu cette publicité dans ses documents publicitaires qu'elle a continué à distribuer sur toute la région;

Les appelants concluent à l'infirmation de la décision dont appel et demandent à la cour de:

- interdire à la société Pix Eyes de poursuivre ou de renouveler les actes de publicité effectués en violation de l'arrêté du 2 septembre 1977 et de l'article L. 121-1 de Code de la consommation sous astreinte quotidienne de 30 000 euro par infraction constatée;

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux quotidiens régionaux par annonces rectificatives d'une demi page chacune, au frais de la société Pix Eyes;

- condamner cette société à payer à chacun des appelants la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SARL Pix Eyes a été assignée devant la cour par acte d'huissier du 25 septembre 2003, régulièrement remis au siège social à son responsable : M. Jacquin qui a accepté de le recevoir; cet acte comporte signification des conclusions des appelants;

L'intimée ne comparaît pas et n'est pas représentée devant la cour, le présent arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 473 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Attendu que l'article L. 121-1 du Code de la consommation, interdit toute publicité comportant, sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant notamment sur le prix et les conditions de vente de biens ou services qui font l'objet de la publicité;

Que l'article 2 de l'arrêté du 2 septembre 1977 relatif à la publicité à l'égard du consommateur, prévoit que toute publicité comportant une annonce de réduction de prix doit préciser les produits concernés, l'importance de la réduction, les modalités suivant lesquelles sont consentis les avantages annoncés, et notamment la période pendant laquelle le produit ou le service est offert à prix réduit ;

Attendu qu'en outre, pour être licite, l'annonce d'une réduction de prix, faite hors des lieux de la vente, doit pouvoir être appréciée par rapport à un prix de référence, lequel se définit comme ne pouvant excéder le prix le plus bas, effectivement pratiqué par l'annonceur pour un article similaire dans le même établissement de vente au détail au cours des 30 derniers jours précédant le début de la publicité;

Que l'article 3 de l'arrêté précise que l'annonceur doit être à même de justifier de l'ensemble des prix qu'il a effectivement pratiqués au cours de cette période;

Attendu qu'il résulte des pièces produites, que la société Pix Eyes qui exploite un magasin à l'enseigne "Optical Center" a diffusé auprès des comités d'entreprise, dont elle prétendait être " l'Opticien depuis 1991 ", des brochures publicitaires annonçant des rabais allant de 20 à 40 % sur tous les verres optiques, toutes les montures et sur toutes les lentilles de contact;

Qu'une minuscule astérix [sic] renvoie à une mention restrictive en petits caractères de laquelle il ressort que ces rabais ne sont applicables qu'à une sélection de produits;

Attendu que la disproportion existante entre les mentions attractives faisant état d'importants rabais et les mentions restrictives, est de nature à induire en erreur le consommateur, lequel est fondé à penser lorsqu'il reçoit cette publicité, qu'il suffit de se présenter au magasin pour bénéficier des réductions annoncées, sur tous les produits offerts à la vente;

Attendu que les autres cartes et prospectus, largement diffusés dans le public par la société Pix Eyes ne contiennent quant à eux, aucune référence sur les produits concernés et indiquent que les rabais sont pratiqués sur les prix affichés en magasin;

Attendu que le consommateur se trouve dans l'impossibilité de vérifier la portée exacte des réductions annoncées, dans la mesure où les prix affichés étant fixés par la société elle-même, celle-ci a toute possibilité pour en majorer le montant et appliquer sur ce prix des rabais qui s'avèrent dès lors purement fictifs, le coût du produit effectivement payé par le client se trouvant, après réduction être le prix habituellement pratiqué par l'annonceur pour le produit de référence;

Attendu que si la publicité incriminée indique la date limite de validité des réductions offertes, elle ne précise pas son point de départ;

Attendu que les appelants démontrent par la production des attestations de clients que les dates limites de validité figurant sur les documents publicitaires n'étaient pas respectées et que la société consentait à faire des rabais au-delà de la date indiquée;

Qu'il est en outre établi qu'en réalité, les campagnes de publicité se suivaient sans discontinuité, de sorte que la publicité couvrait pratiquement tout l'exercice commercial annuel et était reconduite l'année suivante ; qu'ainsi les campagnes se sont superposées ou succédées pendant toute les années 2001, 2002 et 2003;

Qu'il s'en déduit que les rabais sont proposés et pratiqués de façon permanente par la société Pix Eyes qui, sous couvert d'une publicité trompeuse, s'affiche, sans être en mesure de justifier des prix effectivement pratiqués, comme l'opticien le moins cher de France;

Attendu que les parties appelantes, qui exercent localement la même activité, justifient d'un intérêt certain à faire cesser sans délai, cette publicité manifestement illicite, constitutive à leur encontre d'une concurrence déloyale;

Attendu qu'il n'y a pas lieu compte tenu des circonstances de la cause, d'ordonner la publication du présent arrêt par voie de presse;

Qu'il apparaît en revanche inéquitable de laisser à la charge des appelants les frais qu'ils ont exposés pour assurer la défense de leurs droits en justice.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort; Réforme l'ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Bayonne du 10 juillet 2003; Dit que la publicité diffusée par la société Pix Eyes ne respecte pas les dispositions de l'arrêté du 2 septembre 1977 et de l'article L. 121-1 du Code de [la consommation]; Interdit à ladite société de poursuivre ou de renouveler des actes de publicité identiques sous astreinte de 2 000 euro par infraction constituée; Condamne la société Pix Eyes à payer aux appelants la somme globale de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Déboute les intimés de leurs autres prétentions; Condamne la société Pix Eyes aux dépens ; autorise la SCP Longin, avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.