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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 21 février 2006, n° 04-03168

PAU

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Xa Plast (SARL), Gay (ès qual.), Becheret (ès qual.)

Défendeur :

Câbleries de Bagnères de Bigorre (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mettas

Conseillers :

Mme Tribot Laspiere, M. Darracq

Avoués :

SCP Rodon, SCP Longin

Avocats :

Mes Demoly, Aries

T. com. Tarbes, du 13 sept. 2004

13 septembre 2004

Faits, procédure, moyens et prétentions des parties

La SARL XA Plast et la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre étaient en relations d'affaires, la première fabricant par moulage ou injection des pièces en matière plastique.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 20 janvier 2004 la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre a informé la SARL XA Plast "que la direction générale de notre groupe Electraline a décidé à compter de ce jour de ne plus vous confier l'ensemble de nos travaux de sous-traitante" et lui a demandé "d'avoir l'aimable obligeance de mettre à disposition dans un délai de 15 jours, à dater de la présente, l'ensemble des outillages et moules nous appartenant, afin que nous puissions procéder à l'enlèvement".

La SARL XA Plast qui rétorquait le 18 février, saisissait le Tribunal de commerce de Tarbes par assignation à bref délai du 30 juin 2004.

Par jugement du 13 septembre 2004 le Tribunal de commerce de Tarbes:

- déboutait la SARL XA Plast de toutes ses demandes en considérant que les deux écrits antérieurs à la lettre de rupture indiquaient clairement les intentions de rupture de la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre et que le délai d'un peu plus de 9 mois était suffisant,

- condamnait la SARL XA Plast à payer à la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre 5 000 euro à titre de dommages et intérêts en considérant que la procédure avait été pour la SARL XA Plast le moyen de pallier un manque de prévoyance devant une rupture inéluctable,

- condamnait la SARL XA Plast à payer 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

La SARL XA Plast a relevé appel le 5 octobre 2004 et obtenu l'autorisation d'assigner à jour fixe.

Me Gay et Me Becheret sont intervenus volontairement à l'instance en leurs qualités d'administrateur et de représentant des créanciers de la SARL XA Plast désignés par jugement du 8 décembre 2004.

Dans leurs dernières conclusions en date du 29 mars 2005, Me Gay et Me Becheret demandent de:

- leur donner acte de leur intervention volontaire,

- réformer le jugement,

- dire que la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre s'est rendue coupable de brusque rupture de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce,

- dire qu'elle aurait dû respecter un préavis écrit de dix-huit mois et de la condamner à payer la somme de 500 528 euro à titre de dommages-intérêts représentant son gain manqué sur cette période,

- condamner la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre à lui payer 10 000 euro pour la perte subie du fait du licenciement d'un salarié,

- condamner la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre à payer 8 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens avec le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Ils font valoir que la SARL XA Plast avait recueilli le fonds de la société Sit Plast en 2000 ; que cette société entretenait des relations suivies avec la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre depuis quatre ans et que ces relations se sont poursuivies ; que les commandes de la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre représentaient 60 % de son chiffre d'affaires.

Ils contestent que les télécopies des 4 mars et 6 mai 2003 aient constitué une rupture et relèvent que ces écrits ne contiennent pas de préavis.

Ils disent que la rupture du 20 janvier 2004 qui ne comporte pas de préavis est brutale.

Ils soutiennent qu'il n'y a pas eu de rupture du fait de la SARL XA Plast pour inexécution contractuelle et que la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre ne peut prétendre que la rupture est à l'initiative de la SARL XA Plast.

Ils soutiennent que la durée des relations commerciales doit comprendre la période antérieure à la reprise de l'activité de la société Sit Plast.

Ils font état d'un chiffre d'affaires en progression constante en 2002 et 2003; d'investissements ; de la spécificité des produits et du temps nécessaire à une reconversion.

Dans ses dernières conclusions en date du 17 mai 2005 la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre conclut à la confirmation du jugement et à l'octroi d'une indemnité complémentaire de 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile avec le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose qu'elle est le fournisseur notamment de la société Leroy Merlin et de grossistes.

Elle dit que la SARL XA Plast ne peut se prévaloir des relations nouées avec Sit Plast dont il est inexact de dire qu'elle a recueilli le fonds, et n'accepte de considérer l'existence de relations suivies que depuis le mois de février 2000.

Elle soutient que l'auteur de la rupture est la SARL XA Plast qui a cherché à lui imposer en février puis en décembre 2003 une augmentation de ses tarifs de 15,1 % au total qu'elle ne pouvait répercuter sur ses clients de grande surface et dit, subsidiairement, qu'il conviendrait de dire que les relations commerciales ont été modifiées en 2003 et qu'en conséquence les nouvelles relations ne pouvaient être considérées comme établies au jour de la rupture.

Elle considère que les mises en demeure de respecter les délais et les termes du marché faites en 2003 à la SARL XA Plast constituaient de justes motifs de résiliation et, en tout cas, ôtaient tout caractère brutal et imprévisible à la rupture et rappelle la teneur de la fin du 5e paragraphe de l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Elle se prévaut de la poursuite de relations contractuelles pendant neuf mois depuis la télécopie de mars 2003 mais sur des conditions de règlement non acceptées.

Elle observe que Me Gay et Me Becheret contestent le caractère probant des télécopies mais qu'ils en font état et qu'elles manifestent l'intention de ne pas poursuivre les relations commerciales dans les conditions antérieures.

Elle dit encore que la SARL XA Plast confond les notions de chiffre d'affaires et de bénéfices et qu'elle ne peut prétendre qu'à la réparation du préjudice qui ressort de la brutalité de la rupture et non du préjudice qui résulte de la rupture elle-même.

Motifs

Attendu qu'il convient de donner acte à Me Gay et à Me Becheret de leur intervention volontaire ;

Attendu que la rupture brutale, même partielle, d'une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et des accords interprofessionnels, engage la responsabilité de son auteur qui est tenu de réparer le préjudice qui en résulte;

Attendu que la lettre de rupture du 20 janvier 2004 ne comporte aucun préavis;

Qu'il échet de déterminer si les télécopies et échanges de courriers dont la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre se prévaut peuvent valoir rupture des relations commerciales avec préavis ainsi qu'elle le soutient;

Attendu que les représentants de la SARL XA Plast qui disent que les télécopies ne sont pas assorties des accusés d'envoi ne prétendent pas cependant que la société n'en a pas eu connaissance;

Attendu qu'à la suite d'une augmentation de tarif proposée le 28 février 2003 pour une entrée en vigueur au 15 mars la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre a fait parvenir une télécopie le 4 mars par laquelle elle disait ne pas accepter les nouveaux tarifs et demandait la restitution des outillages lui appartenant dans les 24 heures;

Que, cependant, les relations commerciales ont perduré jusqu'à la lettre de rupture sans que la question des tarifs soit à nouveau évoquée ni qu'il soit fait état d'un quelconque préavis;

Qu'il ne saurait être admis que la rupture des relations remonterait à la télécopie du 4 mars et qu'elle serait le fait de la SARL XA Plast;

Attendu qu'il est vrai que la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre a, à plusieurs reprises en 2003, fait des observations à la SARL XA Plast soit sur le non-respect des délais (lettres du 23 janvier et du 6 mai), soit sur la qualité des produits (lettre du 12 février) mais que la menace de prise de "dispositions afin de préserver les intérêts de notre clientèle ainsi que ceux de notre société" qui ressort du courrier du 6 mai est trop vague pour qu'il puisse être considéré que dès ce moment, la rupture était consommée;

Attendu qu'il doit être jugé que la rupture des relations est intervenue par le courrier du 20 janvier 2004 sans préavis;

Attendu qu'une rupture sans préavis a un caractère brutal et engage la responsabilité de son auteur à moins d'inexécution par l'autre partie de ses obligations;

Attendu qu'il n'est pas fait état d'autres manquements quant à la qualité de la prestation ou à des retards de livraison que ceux déjà évoqués et qui ont été résolus par une baisse du devis (23 janvier) ou par la prise en charge des envois de pièces en express (6 mai) ; que la hausse de tarif annoncée le 1er décembre 2003 à effet du 1er janvier suivant n'a pas donné lieu à réaction de la part de la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre;

Que rien ne permet de considérer que c'est par suite de faits dus à la SARL XA Plast que la rupture a été consommée;

Attendu que le préjudice à prendre en compte est celui qui résulte de l'absence de préavis ; que la durée de celui-ci s'apprécie, à défaut de durée minimale fixée ou d'usages, en fonction de la durée et de la nature des relations commerciales ; et de la spécificité de l'activité;

Attendu qu'il est acquis au débat que la SARL XA Plast a repris les activités d'une société en liquidation et que la part de la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre dans son chiffre d'affaires (de 57,69 % pour l'exercice 04/2000 au 31/08/2001 jusqu'à 66,67 % pour le dernier exercice complet de 09/2002 au 31 août 2003) avait régulièrement progressé et représentait pour elle une part prépondérante dans son activité;

Attendu que néanmoins les conditions de cette reprise ne sont pas connues et qu'il ne peut être considéré que les relations commerciales existant entre les parties au procès doivent remonter à une période antérieure au mois de février 2000;

Attendu que, compte tenu de la pérennité des relations commerciales ; de la spécificité de l'activité de la SARL XA Plast ; de la part prépondérante de la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre dans le chiffre d'affaires de la SARL XA Plast et de la nécessité de combler la perte de ce client, la durée du préavis qui aurait dû exister sera fixée à six mois;

Attendu que le préjudice résulte de la brutalité de la rupture et de la perte de la marge que la SARL XA Plast pouvait espérer mais doit être pondéré en fonction des avertissements que la SARL XA Plast avait reçus ; d'une baisse des commandes de septembre à décembre 2003 (le chiffre d'affaires réalisé avec l'intimée ne représentait plus que 47,46 %) et qui auraient dû l'inciter à diversifier sa clientèle;

Attendu que le chiffre d'affaires de la SARL XA Plast a été de 1 733 378 euro globalement depuis le début des relations commerciales sur une période de 44 mois et que la part de la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre dans ce chiffre qui a été de 1 031 693 euro a été en moyenne de 59,52%;

Attendu que la SARL XA Plast justifie avoir procédé au licenciement économique d'un salarié en raison d'une forte baisse d'activité mais que ce licenciement est intervenu en juin 2004, six mois après la lettre de rupture des relations commerciales et il n'existe pas de lien suffisant de causalité entre la rupture des relations suivies et ce licenciement;

Attendu que le préjudice de la SARL XA Plast résultant de la brutalité de la rupture sera réparé par la somme de 45 000 euro;

Attendu que la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre qui succombe doit les dépens de première instance et d'appel, et la somme de 2 500 euro.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort, Déclare l'appel recevable en la forme, Donne acte à Me Gay et à Me Becheret de leurs interventions volontaires, Infirme le jugement, Dit que les relations commerciales ont été rompues brutalement par la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre, Condamne la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre à payer à Me Gay et Me Becheret, ès qualités d'administrateur et de représentant des créanciers de la SARL XA Plast, en réparation du préjudice subi par la SARL XA Plast la somme de 45 000 euro et en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile la somme de 2 500 euro, Condamne la SA Câbleries de Bagnères de Bigorre aux entiers dépens, Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, la SCP Rodon, avoués, à recouvrer directement contre la partie condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.