CA Grenoble, ch. soc., 28 juin 2004, n° 04-00351
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dittmar
Défendeur :
Comasud (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gallice
Conseillers :
Mmes Klajnberg, Cuny
Avocats :
Mes Fessler, Ferre
Monsieur Dittmar a été embauché le 3 juillet 1989 par la société Monier qui a été reprise par la société Comasud appartenant au groupe Point P. Il a occupé les postes d'agent technico-commercial, de chef de dépôt non cadre puis cadre et enfin celui d'agent technico-commercial Major et était lié par une clause de non-concurrence. Il a démissionné le 30 novembre 2002, son préavis ayant expiré le 28 février 2003.
Contestant la validité de la clause de non-concurrence, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Montélimar qui, par jugement du 8 décembre 2003 auquel le présent arrêt se réfère pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, a dit que la clause est licite, l'a débouté de toutes ses prétentions et l'a condamné à payer à la société Comasud la somme de 500 euro pour frais irrépétibles.
Monsieur Dittmar a interjeté appel de cette décision et soutient, qu'il a demandé à être libéré de la clause de non-concurrence, qu'à la suite de sa démission il a été embauché par la société Samse et affecté dans le département du Rhône non visé par la clause, que cette clause doit être déclarée nulle car trop restrictive, non justifiée par l'intérêt légitime de l'entreprise et disproportionnée au but recherché.
Il ajoute que la contrepartie financière prévue est dérisoire ce qui équivaut à une absence de toute contrepartie financière et que donc, pour ce seul motif, la clause de non-concurrence est illicite.
Il soutient encore que l'application de la clause doit être écartée car la société Comasud ne s'est pas acquittée régulièrement de l'indemnité mensuelle prévue, manquant ainsi à son obligation contractuelle de réciprocité.
Il demande en conséquence, à titre principal, que la société Comasud soit condamnée à lui payer la somme de 58 560 euro à titre de dommages-intérêts résultant de la nullité de la clause de non-concurrence et subsidiairement de dire qu'elle est inapplicable. Il sollicite enfin le versement de la somme de 1 500 euro pour frais irrépétibles.
La société Comasud Groupe Point P, expliquant d'abord que ce n'est que tardivement que Monsieur Dittmar a régularisé une lettre avenant du 6 mars 2000 et que donc il ne peut lui être reproché de ne pas avoir immédiatement payé la contrepartie financière de la clause de non-concurrence, soutient que cette clause est parfaitement valable et comporte une contrepartie financière négociée.
Elle ajoute que Monsieur Dittmar ne justifie pas du préjudice qu'il invoque et demande qu'il soit condamné à lui payer une somme de 1 500 euro pour frais irrépétibles.
Motifs de la décision
Attendu qu'il est constant que Monsieur Dittmar a été lié par une clause de non-concurrence à la société Comasud au moins à compter du 24 mai 1996;
Qu'en dernier lieu les termes de cette clause résultent d'un avenant daté du 24 février 2000 rédigé comme suit:
"Pour tenir compte des contacts établis avec une clientèle spécifique, de la formation et des connaissances acquises au service de l'entreprise au titre de votre fonction, vous vous engagez, en cas de cessation du présent contrat, pour quelque cause que ce soit, à ne pas exercer directement ou indirectement, sous quelque forme et en quelque qualité que ce soit, toute activité susceptible de porter concurrence à notre société et au Groupe Point P. Sont visés les activités de négoce en matériaux de construction".
"Cette interdiction entrera en vigueur dés la date d'effet du présent avenant. Cette interdiction est limitée à une période de deux ans à compter de la cessation effective de vos fonctions et s'étend aux départements Drome, Ardèche, Vaucluse et Isère."
"En contrepartie, vous percevrez une indemnité mensuelle spéciale égale à 1/10 du salaire brut perçu au mois de janvier de la dernière année d'activité au sein de la société, durant le nombre de mois composant la période de non-concurrence sous réserve de justifier de votre situation personnelle durant cette période."
"Chaque infraction à l'interdiction de concurrence ci dessus, de quelque importance que ce soit, entraînera la cessation du versement de l'indemnité spéciale précitée et mettra à votre charge une indemnité fixée d'ores et déjà de façon forfaitaire au montant brut de vos douze derniers mois d'activité"
Attendu que cette clause ne peut souffrir de critique en ce qu'elle prend en compte la spécificité de l'emploi, qu'elle est limitée dans le temps et l'espace et est destinée à protéger les intérêts légitimes de l'entreprise et ce eu égard aux fonctions d'agent technico-commercial major avec statut cadre exercées par Monsieur Dittmar ;
Mais attendu qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle comporte obligation pour l'employeur de verser une contrepartie financière, un salarié ne pouvant en effet être privé de son libre droit au travail sans une compensation;
Qu'en effet, en application du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et des dispositions de l'article L. 120-2 du Code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne sauraient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir ni proportionnées au but recherché ;
Que l'exigence de la contrepartie financière répond ainsi à l'application de proportionnalité entre le droit légitime de l'ex-employeur de protéger les intérêts de son entreprise et le droit de l'ex-salarié d'exercer librement une activité professionnelle, droit qui suppose une indemnisation dés lors qu'il y a restriction à celui-ci du fait de l'existence d'une clause de non-concurrence ;
Que pour que la clause de non-concurrence reste valable, encore faut il que cette contrepartie financière soit significative pour valoir compensation des restrictions apportées aux droits du salarié;
Attendu en l'espèce que la contrepartie financière prévue au contrat est constituée par une indemnité mensuelle spéciale égale à 1/10 du salaire brut perçu par Monsieur Dittmar au mois de janvier soit la somme de 244 euro;
Qu'une telle contrepartie, qui pour les 24 mois de durée d'exécution de la clause de non-concurrence ne s'élève qu'à l'équivalent de 2,4 mois de salaire, est par conséquent dérisoire eu égard aux importantes restrictions auxquelles est soumis Monsieur Dittmar, lesquelles sont en effet disproportionnées par rapport à l'indemnité mensuelle qui devait en être la contrepartie;
Que ce manque de proportionnalité est encore accentué par le fait que la sanction prévue au contrat en cas de non respect par le salarié de la clause de non-concurrence est fixée au montant brut des salaires des douze derniers mois;
Que l'existence d'une contrepartie financière dérisoire équivaut à une absence de contrepartie ; que la clause de non-concurrence objet du présent litige est donc illicite et ce quelque soit les dispositions prévues en la matière par la convention collective du négoce des matériaux de construction qui précise simplement que la contrepartie financière doit être négociée entre les parties;
Et attendu que le salarié qui a respecté une clause de non-concurrence illicite en l'absence de contrepartie financière, peut prétendre à des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi de ce fait;
Qu'il n'est pas démontré ni même invoqué que Monsieur Dittmar n'a pas respecté la clause de non-concurrence illicite insérée dans son contrat de travail;
Qu'il peut donc prétendre au versement d'une indemnité qui sera fixée à la somme de 15 000 euro, ce montant tenant compte des restrictions apportées à ses droits jusqu' au présent arrêt et au fait qu'il a retrouvé rapidement un autre emploi correspondant à sa qualification mais qu'il n'a pu occuper qu'au prix de contraintes professionnelles et personnelles directement liées à l'existence de la clause de non-concurrence le liant à son précédent employeur;
Que de cette somme de 15 000 euro devront être déduites celles qu'il a déjà perçues au titre de la contrepartie financière de 1/10 de mois prévue par la clause de non-concurrence, les versements correspondants n'ayant plus .de cause, la clause ayant été déclarée illicite ;
Attendu qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de Monsieur Dittmar les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés ; qu'une somme de 1 200 euro lui sera donc allouée à ce titre en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Attendu que la société Comasud, qui succombe en ses prétentions et supportera les dépens, ne peut prétendre à l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a condamné Monsieur Dittmar à verser à la société Comasud la somme de 500 euro pour frais irrépétibles.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi, - réforme en toutes ses dispositions le jugement déféré et statuant à nouveau, - dit que la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de Monsieur Dittmar est illicite, - condamne en conséquence la société Comasud à payer à Monsieur Dittmar la somme de 15 000 euro à titre de dommages-intérêts, - dit que seront déduites de cette somme celles qui ont été versées par la société Comasud à Monsieur Dittmar au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence déclarée illicite, - condamne la société Comasud à payer à Monsieur Dittmar la somme de 1 200 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civil, - déboute la société Comasud de sa demande formée pour frais irrépétibles et l'a condamne aux dépens de première instance et d'appel.