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Décisions

CCE, 4 juillet 2006, n° 2006-938

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

Aide d'État que la Belgique envisage d'accorder à Ford Genk

CCE n° 2006-938

4 juillet 2006

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

Vu le traité instituant la Communauté européenne, et notamment son article 88, paragraphe 2, premier alinéa, vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a), après avoir invité les intéressés à présenter leurs observations conformément auxdits articles (1), considérant ce qui suit:

PROCÉDURE

(1) Par lettre du 22 juin 2005, enregistrée le 27 juin 2005, la Belgique a notifié à la Commission son projet d'aide à Ford, à Genk. La Commission a demandé des renseignements complémentaires par une lettre du 27 juillet 2005, à laquelle les autorités belges ont répondu par lettre datée du 15 septembre 2005 et enregistrée le même jour.

(2) Par lettre du 9 novembre 2005, la Commission a informé la Belgique de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, du traité à l'encontre de cette aide. Une réunion avec les autorités belges s'est ensuite tenue le 25 novembre 2005.

(3) Les autorités belges ont présenté leurs observations dans une lettre datée du 13 janvier 2006 et enregistrée le même jour.

(4) La décision de la Commission d'ouvrir la procédure a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 25 février 2006 (2). La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure en cause, mais elle n'a reçu aucune observation de leur part.

DESCRIPTION DE L'AIDE

Le bénéficiaire

(5) Le bénéficiaire de l'aide est Ford-Werke GmbH, Fabrieken te Genk (ci-après dénommé "Ford Genk"). Ford-Werke GmbH fait partie de Ford Motor Company. L'usine a ouvert en 1964. Fin 2003, elle a subi, dans le cadre d'une restructuration générale de Ford Europe, une réduction importante de ses effectifs, qui a concerné environ 3 000 salariés. Dans le même temps, la société a annoncé un programme d'investissements d'environ 700 millions d'euro, essentiellement destinés à un nouveau système de production flexible. Ce programme prévoyait que la production en cours du modèle Mondeo serait complétée par la production de la nouvelle génération de Galaxy et d'un troisième véhicule. L'usine emploie actuellement 5 000 personnes environ. En 2004, 207 163 véhicules ont été produits sur le site. En Belgique, le groupe Ford est aussi présent à Gand, avec une usine Volvo.

Le projet de formation

(6) Selon les renseignements fournis par la Belgique, les coûts admissibles totaux du programme de formation s'élèvent à 33,84 millions d'euro. Ce total inclut des éléments de formation spécifique à hauteur de 25,34 millions d'euro et des mesures de formation générale à hauteur de 8,5 millions d'euro.

(7) Les coûts admissibles ainsi que leurs montants respectifs pris en compte dans le programme sont :

- les coûts de services de conseil: pour financer les services de formateurs externes ;

- la formation sur le poste de travail: le coût des opérateurs en formation sur la chaîne de production (polyvalence). Les ouvriers doivent être capables de travailler à 3 postes différents dans l'équipe. Selon les objectifs de formation de Ford, cela représente en moyenne 1,35 jour de formation par an ;

- l'organisation allégée: coût du personnel de l'équipe chargée de la formation aux méthodes de production allégées, flexibles et efficaces selon le nouveau système de production Ford ("FPS": Ford Production System) ;

- les frais de personnel hors chaîne: coût de la main d'œuvre pendant les activités de formation en salle de cours. Selon les objectifs de formation de Ford, cela représente en moyenne 1,95 jour de formation par an ;

- les "locaux de formation": grandes salles vitrées avec des coins lecture et de socialisation, équipées de panneaux d'affichage pour les informations concernant la production et la qualité. La Belgique propose que l'amortissement de ces locaux soit classé parmi les coûts admissibles pendant la période considérée, dans la mesure où ils serviront à des activités de formation ;

- les frais de personnel du service Formation: le salaire des salariés du service Formation de l'entreprise, qui sont chargés de ce programme de formation ;

- la gestion "en cascade" : le directeur de l'usine réunit l'ensemble du personnel trois fois par an, afin de l'informer sur la mise en œuvre du système d'"organisation allégée" de Ford ("FPS"). Le coût de la main-d'œuvre pendant cette assemblée ;

- Six Sigma: dépenses liées au coût du personnel de l'équipe chargée de la formation selon la méthode "DMAIC" ("define-measure-analyse-improve-control" : définir, mesurer, analyser, améliorer, maîtriser) ;

- la restructuration: Ford Europe a tenté, ces dernières années, d'adapter sa capacité de production à une demande en stagnation. Dans ce contexte, Ford Genk a réorganisé sa production, entre décembre 2003 et avril 2004, et licencié ou mis en préretraite (pour les salariés bénéficiant d'un nombre d'années d'activité suffisant) 2 770 personnes. Afin de garantir la continuité de la production et de la qualité, il a été demandé à 279 salariés expérimentés de rester quelques semaines ou mois supplémentaires pour former leurs successeurs ;

- les coûts de lancement: les frais de personnel des "coaches" produits, c'est-à-dire les premiers ouvriers à intervenir dans le lancement de nouveaux modèles. On les forme aux nouveaux produits (construction, utilisation de la nouvelle installation, procédé) afin qu'ils transmettent leur savoir aux autres ouvriers.

<emplacement tableau>

(8) Les coûts admissibles totaux se répartissent de la manière suivante, selon le type de dépenses :

<emplacement tableau>

L'aide

(9) L'aide proposée consiste en une subvention directe en faveur de Ford Genk pour un montant de 12 279 423 euro, sur la période 2004-2006. Sur cette somme, 4 677 408 euro (38 %) correspondent à l'aide à la formation générale, et 7 602 015 euro (61 %) à l'aide à la formation spécifique. L'aide doit être accordée sous la forme d'une aide "ad hoc" par la Communauté flamande (Vlaamse Gemeenschap). La Belgique a assuré que l'aide à la formation ne sera pas cumulée avec d'autres aides pour couvrir les mêmes coûts.

(10) Le montant des aides susmentionnées aboutit à des intensités d'aide de 55 % pour la formation générale et de 30 % pour la formation spécifique.

DÉCISION D'OUVRIR LA PROCÉDURE PRÉVUE À L'ARTICLE 88, PARAGRAPHE 2, DU TRAITÉ

(11) Dans sa décision d'ouverture d'une procédure formelle d'examen, la Commission a exprimé des doutes quant à 1) l'interprétation donnée par les autorités belges de l'étendue des coûts admissibles et 2) la catégorisation proposée de certains postes en tant que formation spécifique ou formation générale.

(12) En ce qui concerne les coûts admissibles, la Commission s'est interrogée sur la compatibilité avec l'article 4, paragraphe 7, du règlement (CE) n° 68-2001 de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides à la formation (3), d'un certain nombre de dépenses envisagées par la Belgique, notamment :

- les "locaux de formation": la Commission s'est demandée si les bâtiments ou d'autres types d'infrastructures peuvent entrer dans le champ d'application de l'article 4, paragraphe 7, point d), du règlement (CE) n° 68-2001 ;

- les coûts de personnel du service Formation: la Commission a émis des doutes quant à la possibilité d'assimiler ces coûts à des "coûts des services de conseil concernant l'action de formation" (article 4, paragraphe 7, point e), du règlement (CE) n° 68-2001) ;

- la gestion "en cascade" : la Commission s'est demandée si la gestion en cascade inclut un quelconque contenu de formation et va au-delà d'une simple pratique de gestion. Elle a également exprimé des réserves quant au fait que l'entreprise ait besoin d'une aide d'État pour cette activité de gestion "en cascade", qui fait apparemment partie intégrante des pratiques de gestion courantes de Ford Genk ;

- les coûts de restructuration et coûts de lancement: la Commission s'est demandée si une aide liée aux coûts de restructuration et aux coûts de lancement incite réellement l'entreprise à organiser des actions de formation. En outre, la Commission a émis des réserves sur le fait que les coûts de restructuration soient admissibles en vertu de l'article 4, paragraphe 7, du règlement (CE) n° 68-2001, dans la mesure où ils semblent résulter exclusivement de la restructuration récente de l'usine ;

- les dépenses relatives à 2004: une partie des coûts admissibles correspond à des dépenses qui ont déjà été effectuées en 2004. Dans la mesure où cette aide est destinée à alléger des dépenses passées, la Commission s'est demandée si elle a pu avoir une quelconque incidence sur les actions de formation de la société au cours de cette période.

(13) En ce qui concerne la répartition entre formation "générale" et "spécifique", la Commission a craint que les autorités belges aient appliqué à certaines dépenses du projet une définition excessivement large de la formation générale. Les doutes de la Commission ont concerné notamment les postes "coûts des services de conseil" et "frais de personnel hors chaîne". D'après les autorités belges, le service Formation de Ford Genk estime qu'environ 70 % de ces dépenses ont concerné la formation de portée générale. Aucune preuve à l'appui de cette allégation n'avait toutefois été fournie.

OBSERVATIONS PRÉSENTÉES PAR LA BELGIQUE

(14) Dans leur réponse à l'ouverture de la procédure formelle d'examen, les autorités belges ont fait les commentaires suivants :

- "locaux de formation": les autorités belges soutiennent que ces espaces équipés délimités par des parois en verre sont utilisés la majeure partie du temps pour des activités de formation, et qu'ils doivent donc être considérés comme un coût admissible ;

- coûts de personnel du service Formation: la Belgique fait valoir que ces coûts sont couverts par l'article 4, paragraphe 7, point e), du règlement (CE) n° 68-2001 ("coûts des services de conseil concernant l'action de formation"), que les employés en question ont été détachés pour trois ans pour s'occuper du programme, que cela entraîne des dépenses de personnel supplémentaire pendant cette période, et que, pour leur classement, ces coûts doivent être portés aux comptes de la formation générale ;

- gestion "en cascade" : les autorités belges admettent le point de vue de la Commission selon lequel la gestion en cascade doit être considérée comme un instrument de gestion plutôt que comme un instrument de formation ;

- coûts de restructuration: selon les autorités belges, le licenciement de 2 770 salariés de Ford Genk au cours de la période 2003-2004 ne peut être considéré comme une mesure normale de restructuration à la suite d'un changement dans les conditions du marché. La réduction des effectifs, qui a été mise en œuvre dans le respect total des conditions sociales, et après consultation des représentants du personnel, a, au contraire, conduit à un changement radical dans l'organisation de l'usine. Elle a toutefois provoqué le départ soudain des ouvriers les plus expérimentés, c'est-à-dire ceux qui sont capables de former leurs jeunes collègues. Dans ces conditions, et pour éviter d'avoir à faire appel à des coaches extérieurs, l'entreprise a décidé de demander à quelques-uns de ces travailleurs de rester en service pour assurer uniquement la formation ;

- coûts de lancement: les autorités belges font valoir que l'on ne peut assimiler le cas présent à une formation normale qui se déroule suite au renouvellement total ou partiel d'un modèle existant. L'usine de Genk a, en particulier, été entièrement reconvertie pour pouvoir produire trois modèles sur une seule plate-forme: trois modèles entièrement nouveaux vont ainsi être mis en production, sur une période de 18 mois ;

- dépenses relatives à 2004: les autorités belges ont fourni l'assurance, d'une part, que le programme de formation 2004-2006 a été élaboré après que le gouvernement flamand a promis une aide, en novembre 2003, et, d'autre part, que le premier cours du programme s'est tenu après que Ford Genk a officiellement demandé l'aide de l'administration flamande ;

- en ce qui concerne la distinction entre la formation "générale" et la formation "spécifique", la Belgique a présenté une classification détaillés des cours, et notamment le nom des consultants extérieurs chargés de les dispenser. En outre, les autorités belges se sont également engagées à corriger, ex-post, tout écart par rapport à la part de la formation générale qui a été retenue à des fins budgétaires (70 %), sur la base de l'expérience passée de l'entreprise.

APPRÉCIATION DE L'AIDE

Existence d'une aide d'État

(15) La mesure notifiée par la Belgique en faveur de Ford Genk constitue une aide d'État au sens de l'article 87, paragraphe 1, du traité. Elle est en effet attribuée sous la forme d'une subvention qui sera financée par l'État ou par des ressources d'État. La mesure est sélective puisqu'elle ne concerne que Ford Genk et elle est susceptible de fausser la concurrence dans la Communauté en conférant à cette entreprise un avantage sur d'autres concurrents qui ne bénéficient pas de l'aide. Enfin, le marché automobile se caractérise par des échanges intensifs entre les États membres, et l'aide pourrait donc affecter les échanges entre les États membres.

Base juridique de l'appréciation

(16) La Belgique demande que l'aide soit approuvée sur la base du règlement (CE) n° 68-2001. L'aide est en effet liée à un programme de formation.

(17) Conformément à l'article 5 du règlement (CE) n° 68-2001, si le montant de l'aide accordée à une même entreprise pour un projet individuel de formation est supérieur à 1 million d'euro, l'aide n'est pas exemptée de l'obligation de notification prévue à l'article 88, paragraphe 3, du traité. La Commission note qu'en l'espèce, l'aide prévue s'élève à 12 279 423 euro, qu'elle doit être accordée à une seule entreprise, et que le projet de formation est un projet individuel. La Commission considère donc que l'obligation de notification s'applique à l'aide proposée et qu'elle a été respectée par la Belgique.

(18) Le considérant 16 du règlement (CE) n° 68-2001 explique pourquoi ce type d'aide ne peut être exempté de l'obligation de notification: "Les aides d'un montant élevé doivent continuer à être évaluées individuellement par la Commission avant d'être attribuées".

(19) Lorsqu'elle apprécie une aide individuelle à la formation qui, en raison de son montant, ne bénéficie pas de l'exemption prévue par le règlement (CE) n° 68-2001 et qui doit donc être évaluée sur la base de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité, la Commission recourt aux mêmes principes directeurs que ceux figurant dans le règlement (CE) n° 68-2001. Compte tenu du considérant 4 du règlement (CE) n° 68-2001, selon lequel la Commission examinera les notifications notamment à la lumière des critères fixés par ledit règlement, la Commission vérifie en outre si tous les coûts admissibles peuvent être approuvés, faisant de nouveau usage de son large pouvoir d'appréciation sur la base de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité. De telles mesures doivent être appréciées de façon à assurer la cohérence de la pratique décisionnelle et l'égalité de traitement (4).

Compatibilité avec le Marché commun

(20) L'appréciation par la Commission de la compatibilité de la mesure en cause avec le Marché commun doit donc vérifier si l'ensemble des points sur lesquels elle avait émis des doutes lors de l'ouverture de la procédure formelle d'examen sont conformes au Marché commun au regard du règlement (CE) n° 68-2001 et de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité. En particulier:

I) En ce qui concerne les coûts admissibles

(21) La Commission note que l'article 4, paragraphe 7, du règlement (CE) n° 68-2001 prévoit que les coûts admissibles d'un projet d'aide à la formation sont les suivants:

a) coûts de personnel des formateurs;

b) frais de déplacement des formateurs et des participants à la formation;

c) autres dépenses courantes (telles que les dépenses au titre des matériaux et des fournitures);

d) amortissement des instruments et des équipements au prorata de leur utilisation exclusive pour le projet de formation en cause;

e) coûts des services de conseil concernant l'action de formation;

f) coûts de personnel des participants au projet de formation jusqu'à concurrence du total des autres coûts éligibles figurant aux points a) à e).

(22) La Belgique a fourni un aperçu des coûts de formation qui permet à la Commission d'identifier les coûts admissibles proposés. D'après les renseignements fournis par la Belgique, les coûts de personnel des participants au projet de formation ne sont pas supérieurs au total des autres coûts admissibles.

i) "Locaux de formation" (1,5 million d'euro)

(23) L'article 4, paragraphe 7, point d), du règlement (CE) n° 68-2001 prévoit que l'on peut admettre comme coûts potentiellement admissibles l'amortissement des instruments et des équipements au prorata de leur utilisation exclusive pour le projet de formation en cause. Il n'est fait aucune mention des bâtiments parmi les coûts potentiellement admissibles. Dans la présente affaire, les "locaux de formation" consistent en des équipements différents, installés dans des salles délimitées par des parois en verre. Ces salles servent à des activités de formation. Comme elles sont situées dans les halls de l'usine, elles ne constituent pas des bâtiments et peuvent être considérées comme relevant de la catégorie "instruments et équipements" définie dans le règlement (CE) n° 68-2001.

(24) Dans ces conditions, la Commission considère que ces locaux constituent des coûts admissibles.

ii) Coûts de personnel du service Formation (1 million d'euro)

(25) La Commission note que les grandes entreprises ont en principe davantage de chances de posséder leur propre service Formation et sont donc moins inclines à demander l'aide de services de conseil extérieurs. Pour être compatible avec l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité, la mesure d'aide doit également être proportionnée à l'objectif et ne pas fausser la concurrence dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Dans ces conditions, la Commission considère qu'il serait discriminatoire pour la catégorie des grandes entreprises de refuser d'appliquer l'article 4, paragraphe 7, point e), du règlement (CE) n° 68-2001 aux coûts provenant des services de formation interne. La Commission accepte donc de classer ces coûts dans les dépenses admissibles.

(26) La Commission appliquera les mêmes critères que dans la présente décision à tout cas analogue qui lui sera notifié.

(27) La Commission rejette toutefois l'argument des autorités belges selon lequel la totalité des coûts en question est à considérer comme entrant dans le volet formation générale. Elle considère en fait que les services de conseil ont la même portée (générale/spécifique) que les actions de formation auxquelles ils se rapportent. Afin d'éviter toute surcompensation de ces coûts de services de conseil, les dépenses du service Formation au titre de la formation de portée "générale" ou "spécifique" doivent en conséquence être soumises à la même intensité d'aide maximale que l'action de formation correspondante. Dans le cadre du projet général de formation, les coûts du service Formation seront donc répartis en coûts "généraux" et "spécifiques" au prorata des actions de formation "générale" et "spécifique" contenues dans le projet. Dans le cas d'espèce, en prenant pour base les actions de formation pour lesquelles la Commission autorise une aide, on obtiendra un pourcentage de 57,8 % pour la formation générale et de 42,2 % pour la formation spécifique.

(28) Des intensités d'aide plus élevées entraîneraient une distorsion de concurrence disproportionnée. La Commission estime notamment que l'obligation pour les entreprises de prendre à leur charge une partie raisonnable des coûts contribue à l'efficacité et à la faisabilité de la mesure. C'est pourquoi elle considère qu'une intensité d'aide plus élevée altèrerait les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Ce volet de la mesure ne peut donc être considéré comme compatible avec le Marché commun au titre de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité.

iii) Coûts de restructuration (4,4 millions d'euro)

(29) Avant de décider de mesures de restructuration, une entreprise compare la valeur actuelle de la diminution attendue des coûts dans l'avenir avec les coûts de la restructuration. Les dépenses de formation des employés qui occuperont de nouvelles fonctions après la restructuration sont une partie des coûts normaux et indispensables de la restructuration. En fait, une fois que l'entreprise a décidé de licencier une bonne partie de son personnel, la formation temporaire des employés susmentionnés est indispensable pour assurer la continuité de la production et de la qualité. L'entreprise n'a pas d'autre choix que de supporter ces frais de formation en faveur de la main d'œuvre qui reste afin de remplacer le savoir-faire du personnel licencié. L'aide en cause aurait par conséquent tout simplement pour effet de subventionner les coûts normaux et indispensables de la restructuration de l'entreprise, qu'elle aurait de toute façon dû supporter, même en l'absence d'une aide. Elle ne paraît donc pas nécessaire et, de toute façon, elle ne débouchera pas sur une formation complémentaire.

(30) De plus, le considérant 10 du règlement (CE) n° 68-2001 explique la logique des aides d'État à la formation: la formation a généralement des effets externes positifs pour la société dans son ensemble, dans la mesure où elle augmente le vivier de travailleurs qualifiés dans lequel d'autres entreprises peuvent puiser, et où elle améliore la compétitivité de l'industrie communautaire. Toutefois, dans le cas d'espèce, la restructuration en cause aboutira à une réduction du vivier de travailleurs qualifiés; elle semble donc être contraire à l'objectif explicite du règlement (CE) n° 68-2001.

(31) Pour être compatible avec l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité, la mesure d'aide doit également être proportionnée à l'objectif et ne pas fausser la concurrence dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Or, puisque Ford Europe est l'un des principaux acteurs du marché communautaire de la construction automobile, il s'avère que les forces du marché devraient, à elles seules, suffire à assurer la formation résultant de la restructuration en cause. Toute aide d'État en faveur de cette formation serait donc, selon les termes du considérant 11 du règlement (CE) n° 68-2001, supérieure au minimum nécessaire pour réaliser l'objectif communautaire que les forces du marché ne permettraient pas, à elles seules, d'atteindre, et aboutirait par conséquent à une distorsion de concurrence indue. À cet égard, la Commission observe en particulier que, malgré les doutes exprimés dans la décision d'ouverture, la Belgique n'a pas expliqué pourquoi l'entreprise n'aurait pas entrepris les activités de formation sans aide.

(32) La Commission considère donc que ces coûts de restructuration ne peuvent pas bénéficier d'une aide à la formation.

iv) Coûts de lancement (7,5 millions d'euro)

(33) Depuis un an, la Commission a accumulé des preuves que certains constructeurs automobiles mettent en concurrence, les unes avec les autres, leurs usines de production situées dans différents États membres pour la production de leurs nouveaux modèles. Ils comparent plusieurs sites dans la perspective de la production d'un nouveau produit, puis décident du site à retenir en se fondant sur l'ensemble des coûts de production, c'est-à-dire tous les types de coûts, mais aussi sur les aides gouvernementales quelles qu'elles soient, notamment les aides à la formation. Face à cette réalité économique et compte tenu du risque qui en résulte que certaines aides à la formation ne contribuent pas à l'objectif de l'intérêt commun fixé dans le considérant 10 du règlement (CE) n° 68-2001, mais constituent simplement une aide au fonctionnement qui fausse la concurrence, la Commission doit examiner plus soigneusement le caractère nécessaire de l'aide "afin que les aides d'État soient limitées au minimum nécessaire pour réaliser l'objectif communautaire que les forces du marché ne permettraient pas, à elles seules, d'atteindre" (considérant 11 dudit règlement) (5). Cette appréciation se justifie d'autant plus que, actuellement, le secteur automobile se caractérise par des surcapacités importantes.

(34) Dans des affaires antérieures, la Commission n'a pas analysé en détail la nécessité d'une aide spécifique à la formation pour des coûts de lancement (6). Elle peut toutefois être amenée à le faire lorsqu'elle constate que les conditions économiques ont évolué sur les marchés en cause. Au point 52 de l'arrêt du 30 septembre 2003 dans les affaires jointes C-57-00 P et C-61-00 P (7), la Cour de justice des Communautés européennes a indiqué que "quelle que soit l'interprétation donnée par la Commission de l'article 92, paragraphe 2, sous c) [devenu article 87, paragraphe 2, point c)], du traité dans le passé, celle-ci ne saurait affecter le bien-fondé de l'interprétation de la Commission de la même disposition dans la décision litigieuse et, partant, sa validité." De la même manière, le Tribunal de première instance des Communautés européennes a indiqué, au point 177 de son arrêt du 15 juin 2005 dans l'affaire T-171/02 (8): "c'est dans le seul cadre de l'article 87, paragraphe 3, sous c), CE que doit être appréciée la légalité d'une décision de la Commission constatant qu'une aide nouvelle ne répond pas aux conditions d'application de cette dérogation, et non au regard d'une pratique décisionnelle antérieure de la Commission, à supposer celle-ci établie".

(35) La Commission note que dans l'industrie automobile, la production d'un nouveau modèle est nécessaire au maintien de la compétitivité. Le lancement d'un nouveau modèle est donc un facteur normal et régulier de l'industrie automobile. Pour produire de nouveaux modèles, les constructeurs automobiles doivent former leur main-d'œuvre aux nouvelles techniques à adopter. Les frais de formation associés et nécessaires au lancement d'un nouveau modèle sont donc généralement supportés par les constructeurs automobiles sur la seule base de l'incitation commerciale. Par conséquent, les activités de formation en question auraient de toute façon été organisées par l'entreprise et notamment en l'absence d'aide. L'aide à la formation n'est donc pas nécessaire dans ce contexte. Elle n'encourage pas l'entreprise à entreprendre des activités de formation "supplémentaires", en plus de celles déjà réalisées sur la base des seules forces du marché. Elle couvrirait des dépenses de fonctionnement normalement supportées par l'entreprise et constituerait de ce fait une aide au fonctionnement qui fausse la concurrence.

(36) De plus, l'installation d'une plate-forme unique dans l'usine de Genk permettra sans doute une production plus efficace des nouveaux modèles. L'entreprise tirera donc profit de manière directe d'une plate-forme unique. Les forces du marché suffisent donc, à elles seules, à inciter la société à entreprendre cette rationalisation du processus de fabrication et à supporter les frais de formation correspondants. Dans ces conditions, l'aide n'est pas nécessaire puisqu'elle couvrirait des frais normaux de réorganisation d'une entreprise.

(37) De plus, les mêmes arguments que ceux qui sont exposés au considérant 31 concernant le caractère proportionné de l'aide et l'interdiction d'une distorsion de concurrence indue, en tant que conditions pour assurer la compatibilité avec les dispositions de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité, s'appliquent aussi à la formation associée au lancement de nouveaux modèles. Toute aide d'État en faveur de cette formation serait donc supérieure au minimum nécessaire pour réaliser l'objectif communautaire que les forces du marché ne permettraient pas, à elles seules, d'atteindre, et aurait pour effet de fausser la concurrence dans une mesure contraire à l'intérêt commun. À cet égard, la Commission observe en particulier que, malgré les doutes exprimés dans la décision d'ouverture, la Belgique n'a pas expliqué pourquoi l'entreprise n'aurait pas entrepris les activités de formation sans aide.

(38) Les coûts de lancement ne peuvent donc bénéficier d'une aide à la formation.

v) Dépenses relatives à 2004

(39) Dans leur réponse à la décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen, les autorités belges ont donné des garanties solides et détaillées que la demande officielle d'aide a précédé le début du programme de formation. La Commission estime que ces garanties sont suffisantes pour effacer les doutes qu'elle avait exprimés dans sa décision d'ouverture.

Ajustements du montant des coûts admissibles

(40) À la lumière des arguments qui précèdent, il convient d'ajuster à la baisse les coûts admissibles du projet, jusqu'au montant de 20,31 millions d'euro. Sur ce chiffre, 13,29 millions d'euro, soit 65 % du total, correspondent aux coûts de personnel des participants à la formation.

(41) La Commission note qu'en vertu de l'article 4, paragraphe 7, point f), du règlement (CE) n° 68-2001, ces coûts sont admissibles jusqu'à concurrence du total des autres coûts admissibles. Sur cette base, un ajustement supplémentaire est nécessaire dans le cas d'espèce pour ramener ces coûts à un niveau équivalent à la somme des autres coûts (9). Cet ajustement aboutit en fin de compte à une somme de 14,04 millions d'euro pour les coûts totaux admissibles.

II) Concernant la nature de la formation

(42) L'article 4 du règlement (CE) n° 68-2001 établit une distinction entre les actions de formation spécifique et les actions de formation générale.

(43) L'article 2, point d), du règlement (CE) n° 68-2001 définit la formation spécifique comme une formation comprenant un enseignement directement et principalement applicable au poste actuel ou prochain du salarié dans l'entreprise bénéficiaire et procurant des qualifications qui ne sont pas transférables à d'autres entreprises ou d'autres domaines de travail ou ne le sont que dans une mesure limitée.

(44) L'article 2, point e), du règlement (CE) n° 68-2001 définit la formation générale comme une formation comprenant un enseignement qui n'est pas uniquement ou principalement applicable au poste de travail actuel ou prochain du salarié dans l'entreprise bénéficiaire, mais qui procure des qualifications largement transférables à d'autres entreprises ou à d'autres domaines de travail et améliore par conséquent substantiellement la possibilité du salarié d'être employé. La formation est considérée comme générale si, par exemple, elle est organisée en commun par plusieurs entreprises indépendantes ou est ouverte aux travailleurs de plusieurs entreprises.

(45) Pour être compatible avec le Marché commun, l'aide à la formation ne doit pas dépasser les intensités d'aide maximales admissibles, par rapport aux coûts admissibles, fixées à l'article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement (CE) n° 68-2001. Ces seuils maximums dépendent, entre autres, de la taille de l'entreprise bénéficiaire, de la région dans laquelle elle est installée, et de la catégorie des salariés impliqués. La Commission note que Ford Genk est une grande entreprise, que le projet est situé dans une région (la province du Limbourg) qui peut bénéficier d'une aide en vertu de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité, et que, parmi les participants à la formation, on ne trouve aucune des catégories de travailleurs défavorisés visées à l'article 2, point g), du règlement (CE) n° 68-2001. Les intensités d'aide maximales autorisées s'élèvent dans ces circonstances à 30 % pour la formation spécifique et 55 % pour la formation générale.

(46) La Commission considère que dans sa réponse à la décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen, la Belgique lui a présenté des informations et des garanties suffisantes quant à la nature de la formation. Elle lui a en particulier communiqué les noms des entreprises extérieures chargées de la formation générale. Elle s'est également engagée à corriger, ex-post, tout écart dans la proportion de formation générale proposée. Ce type de correction suivra les conclusions de l'audit des services économiques de la région flamande (sur la base duquel le pourcentage exact de formation générale sera finalement déterminé).

Observations finales

(47) La Commission constate que dans le cas de la mesure d'aide en cause, les dérogations énoncées à l'article 87, paragraphe 2, du traité ne s'appliquent pas, car la mesure d'aide ne poursuit aucun des objectifs qu'elles précisent; du reste, la Belgique n'a développé aucun argument en ce sens. L'aide notifiée n'est pas destinée à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre ni à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine. C'est pourquoi la Commission estime que l'aide destinée à couvrir les coûts mentionnés au considérant 7 ne peut bénéficier, en vertu de l'article 87, paragraphe 3, point b) ou d), du traité, d'une dérogation à l'incompatibilité fondamentale des aides d'État avec le Marché commun. La dérogation énoncée à l'article 87, paragraphe 3, point a), du traité n'est pas non plus applicable, car les mesures sont destinées à promouvoir la formation dans une zone qui n'est pas couverte par cette disposition du traité. Enfin, l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité est applicable dans la mesure où il concerne la promotion de la formation et du développement régional, élément qui a déjà été pris en compte dans l'ensemble de l'examen qui précède.

Conclusion

(48) La Commission considère qu'une partie des mesures notifiées par la Belgique, telles qu'elles sont décrites aux considérants 21 à 41, concernent des dépenses qui ne sont pas admissibles, ou des aides qui ne sont pas nécessaires pour que les actions de formation en cause soient entreprises. Cette aide n'est pas compatible avec le Marché commun en vertu d'une quelconque dérogation prévue par le traité et doit par conséquent être interdite. D'après les autorités belges, l'aide n'a pas encore été accordée; il n'y a donc pas lieu de procéder à son recouvrement.

(49) Les autres mesures de la proposition, qui représentent 14,04 millions d'euro de coûts admissibles, ce qui correspond à des aides pour un montant de 6 240 555 euro, respectent les critères de compatibilité avec le Marché commun en vertu de l'article 87, paragraphe 3, point c), du traité,

A arrêté la présente décision:

Article premier

L'aide d'État que la Belgique envisage de mettre à exécution pour un projet de formation chez Ford-Werke GmbH, Fabrieken te Genk est incompatible avec le Marché commun à hauteur de 6 038 868 euro.

Cette partie de l'aide ne peut, pour cette raison, être mise à exécution. Le reste de l'aide d'État, à hauteur de 6 240 555 euro, est compatible avec le Marché commun.

Article 2

La Belgique informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s'y conformer.

Article 3

Le Royaume de Belgique est destinataire de la présente décision.

Notes

(1) JO C 47 du 25.2.2006, p. 14.

(2) Voir note de bas de page no 1.

(3) JO L 10 du 13.1.2001, p. 20. Règlement modifié par le règlement (CE) n° 363-2004 (JO L 63 du 28.2.2004, p. 20).

(4) Voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du 24 mars 1993 dans l'affaire C- 313-90, Recueil p. I-1125, point 44, et l'article 4, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 994-98 du Conseil (JO L 142 du 14.5.1998, p. 1).

(5) Cette approche est conforme à l'approche adoptée dans les affaires General Motors Antwerp (Affaire n° N 624-2005, procédure formelle ouverte le 26.4.2006, non encore publiée au JO), Auto Europa (Affaire n° N 3-2006, procédure formelle ouverte le 16.5.2006, non encore publiée au JO) et WEBASTO Portugal (Affaire n° N 653- 2005, approuvée le 16.5.2006, non encore publiée au JO). Dans cette dernière affaire, la Commission a estimé que l'aide est nécessaire et que les effets positifs sur l'intérêt commun dépassent les distorsions éventuelles des conditions des échanges, grâce à la combinaison de plusieurs éléments: en particulier, le programme de formation dépasse les besoins fondamentaux du bénéficiaire, ce que reflète le fait que la grande majorité des cours de formation concerne des qualifications transférables (prédominance de la formation générale). La Commission a également constaté que la formation vise, dans une région assistée où les qualifications de la maind'œuvre sont limitées, à préparer les employés nouvellement recrutés à entamer de nouvelles activités dans une usine neuve qui utilise une technologie qui n'est pas encore disponible dans l'État membre concerné.

(6) Voir, par exemple, les affaires C 77-2002, Volvo Cars NV, décision 2003-665-CE de la Commission du 13 mai 2003 (JO L 235 du 23.9.2003, p. 24) et C 78-2002, décision 2003-592-CE de la Commission du 13 mai 2003, Opel Belgium NV (JO L 201 du 8.8.2003, p. 21).

(7) Arrêt de la Cour du 30 septembre 2003 dans les affaires C-57-00P et C-61-00P, Freistaat Sachsen, Volkswagen AG et Volkswagen Sachsen GmbH, Recueil p. I-9975.

(8) Arrêt du Tribunal du 15 juin 2005 dans l'affaire T-171-02, Regione autonoma della Sardegna, non encore publié au Recueil.

(9) En diminuant le montant des coûts de personnel des participants au projet de formation, qui sont admissibles, la Commission a réduit les coûts de personnel des participants qui constituaient la formation spécifique.