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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 7 septembre 2006, n° 06-01066

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Derrick (SARL), Royal Trading (SAS)

Défendeur :

Façonnable (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Simon

Conseillers :

MM. Blin, Fohlen

Avoués :

SCP Blanc Amsellem-Mimran Cherfils, SCP Cohen-Guedj

Avocats :

Mes Benoliel-Claux, Arnaud

T. com. Nice, du 30 nov. 2005

30 novembre 2005

Faits, procédure et prétentions des parties

La SARL Derrick a entretenu, à partir d'une date aujourd'hui controversée, avec la société Airport aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la SAS Façonnable, des relations commerciales consistant pour la SARL Derrick à créer des articles de maroquinerie portant la marque Façonnable Sellier (essentiellement des ceintures), accessoires à une ligne de vêtements de prêt-à-porter de luxe "Façonnable ", à les faire fabriquer par la SAS Royal Trading et à les commercialiser tant auprès du réseau de distribution sélective constituée par la SAS Façonnable que des boutiques multi-marques agréées par la SAS Façonnable, moyennant une redevance (royalties) de 5 % du chiffres d'affaires à la charge de la SARL Derrick, qualifiée de licenciée. La relation d'affaire a fait l'objet de deux conventions en date des 19 juillet 1983 et courant 1984 (sans autre précision) et a pris fin dans des circonstances également controversées, la SAS Façonnable ayant notifié la fin de la relation commerciale (appelée "coopération"), suivant lettre en date du 15 mars 2004, stipulant la "poursuite du travail" jusqu'à la prochaine collection printemps/été 2005, préparée par une présentation à des "show-rooms" en début d'été 2004 et concrétisée par des prises de commandes "autour de la fin d'année 2004 ou du début d'année 2005".

Par jugement contradictoire en date du 30 novembre 2005, sur assignation de la SARL Derrick et de la SAS Royal Trading visant à obtenir des dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie et pour contrefaçon d'une ceinture, le Tribunal de commerce de Nice, a, avant dire droit au fond, ordonné une mesure d'instruction confiée à un expert aux fins notamment de "déterminer les relations juridiques et financières existantes entre les parties" et " d'examiner les éléments factuels de la rupture des relations contractuelles entre les parties ". Par ordonnance en date du 13 janvier 2006, Monsieur le Premier Président, constatant que la juridiction consulaire avait délégué à l'expert son pouvoir juridictionnel, a autorisé l'appel immédiat du jugement conformément à l'article 272 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les articles 910 alinéa 2, 760 à 762 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998;

Vu les prétentions et moyens de la SARL Derrick et de la SAS Royal Trading dans leurs conclusions au fond en date du 5 avril 2006 tendant à faire juger:

- que, depuis 1979, elle a développé de manière exclusive pour le compte de la SAS Façonnable, la création et la commercialisation d'accessoires de maroquinerie portant la marque Façonnable Sellier,

- que lors de la présentation aux show-rooms tenus en janvier-février 2004 de la collection automne 2004/hiver 2005, la SAS Façonnable (son réseau de boutiques en "propre") n'a commandé aucun article et sur la protestation émise auprès d'elle et sur la demande d'explication de la licenciée aboutissant à la fixation d'un rendez-vous au 1er avril 2004, elle a alors envoyé la lettre de rupture en date du 15 mars 2004,

- que la SAS Façonnable a rompu brutalement et partiellement la relation commerciale de 25 années, sans aucun préavis en s'abstenant de passer des commandes, à l'exception de réassorts d'articles de collections anciennes et de commandes émises par des boutiques espagnoles et portugaises autonomes,

- que la durée du préavis devant être donnée est fonction de plusieurs critères prenant en compte 1- la nature spécifique de la relation d'affaire décomposée en plusieurs étapes (conception et création d'articles de modes, leur fabrication et leur commercialisation dans le cadre de show-rooms organisés à dates périodiques et imposés par la SAS Façonnable), 2- la durée de la relation commerciale, 3- son caractère d'exclusivité, 4- le volume d'affaires réalisé (moyenne sur les cinq dernières années de 750 000 euro), 5- l'état de dépendance dans lequel se trouvaient la SARL Derrick, et la SAS Royal Trading et doit être fixée à cinq années, période nécessaire pour réorienter l'activité des deux sociétés et assurer leur reconversion,

- que la SAS Royal Trading à laquelle était confiée en exclusivité la fabrication des articles de maroquinerie, était concernée par les conventions initiales (les deux protocoles tripartites) et a souffert également de la brutalité de la rupture et que l'indemnisation devant revenir à la SARL Derrick pour son préjudice commercial doit être évaluée à 2 400 000 euro, celui de la SAS Royal Trading, à 600 000 euro,

- que la SAS Façonnable a commis des actes de contrefaçon de droits d'auteur portant sur une ceinture référence 170756 créée pour la collection automne 2004/hiver 2005, "refusée " par la SAS Façonnable et commercialisée dans ses boutiques en novembre 2004,

- que la SAS Façonnable devra indemniser la SARL Derrick et la SAS Royal Trading pour le stock de marchandises portant la marque "Façonnable" qu'elles détiennent,

- que la SARL Derrick était fondée à ne pas exécuter le préavis partiel visée lors de la rupture de la relation commerciale, le 15 mars 2004, et prévoyant une cessation après la présentation de la collection printemps/été 2005 dès lors que la SAS Façonnable l'avait rompue de fait en ne renouvelant pas ses commandes lors de la collection précédente,

- que, enfin, l'usage de la dénomination " Façonnable " sur le papier commercial après la rupture de la relation commerciale est purement fortuit et sans portée, ni intérêts réels.

Vu les prétentions et moyens de la SAS Façonnable dans ses conclusions au fond en date du 26 mai 2006 tendant à faire juger :

- que son réseau de distribution sélective comporte 62 boutiques "en propre ", outre 550 points de vente en boutiques multi-marques et en "corners " dans les grands magasins,

- que la relation commerciale a commencé le 19 juillet 1983 et que les deux "protocoles " organisant les relations entre les parties sont expirés, faute d'une réitération de la dernière convention expirée.

- qu'elle n'a entretenu aucune relation d'affaires avec la SAS Royal Trading, sa mention en qualité de fabricant figurant dans les protocoles n'emportant aucune conséquence juridique,

- que la SARL Derrick ne peut pas se prévaloir 1- d'une relation d'une durée de 25 années, 2- d'une exclusivité qu'elle aurait réservée au réseau "Façonnable " (elle pouvait fabriquer ou vendre à d'autres commerçants) et qui lui serait due (d'autres fabricants livraient des articles identiques) et 3- de la pérennité de relations teintées à l'origine d'un fort intuitu personae,

- que la SARL Derrick aurait dû anticiper la rupture parfaitement prévisible après l'effacement des dirigeants sociaux de la SAS Façonnable ayant entretenu des rapports personnels privilégiés et prolongés avec le gérant de la SARL Derrick,

* que la relation commerciale a été rompue après qu'un préavis d'une durée suffisante au regard de l'article L. 442-6,1 5° du Code de commerce a été notifiée à la SARL Derrick et non à la suite d'un refus de fait de la poursuivre (" le fait que la SAS Façonnable ait commandé moins de produits de la collection automne 2004/hiver 2005 ne pouvant être interprété comme signifiant la fin des relations commerciales "),

- que la durée du préavis, fonction de la seule durée de la relation commerciale, est suffisante et que la demande de reprise des stocks formée par un licencié indépendant, n'est fondée sur aucune pièce contractuelle,

- que la ceinture arguée de contrefaçon présente des différences notables avec celle pour laquelle la SARL Derrick revendique des droits d'auteur et que, de plus, des modèles de ceinture similaires étaient commercialisés antérieurement,

- que les demandes en indemnisation formées par les sociétés appelantes sont "surréalistes et extravagantes",

- que la SARL Derrick a refusé sans motifs d'exécuter son préavis et devra être condamnée 1 - à réparer le préjudice découlant de ce refus (30 000 euro), outre le préjudice découlant de l'usage de la dénomination "Façonnable " (20 000 euro) et 2- à payer les redevances pour la période postérieure au 1er mai 2004, la SARL Derrick reconnaissant avoir réalisé un chiffre d'affaires de 134 745 euro sur lequel des royalties au taux de 5 % sont dues, soit 6 737 euro ;

L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 1er juin 2006.

Motifs et décision

Attendu que la relation d'affaires entre la société Airport et la SARL Derrick, nouvellement créée, dont le début d'activité a été fixé au 20 juillet 1983, a été nouée à compter du protocole du 19 juillet 1983 prenant effet le jour même; que la SARL Derrick ne démontre pas qu'une relation d'affaires de même nature ou de nature voisine aurait débuté antérieurement et précisément à compter de 1979 ; que la seule attestation qu'elle verse au débat n'a pas de caractère pertinent en ce que le témoin, ancien représentant de la SARL Derrick, ne fait que rapporter les propos du gérant de la SARL Derrick sur l'existence de relation d'affaires entre les parties dès 1979, mais n'a pas été personnellement en relation d'affaires avec la SAS Façonnable, le futur gérant de la SARL Derrick, Monsieur Berkouk s'étant " réservé ", selon l'attestant, cette clientèle particulière avec laquelle "il aurait déjà réalisé un gros chiffre d'affaires" ; qu'il appartenait à la SARL Derrick qui aurait poursuivi l'activité initialement exercée en nom personnel par Monsieur Berkouk son actuel gérant, d'apporter d'autres éléments de preuve et notamment des attestations des dirigeants sociaux de la société Airport avec lesquels il entretenait des relations privilégiées et/ou tous documents commerciaux (catalogues, correspondances...), comptables ou bancaires révélant même sommairement une activité qu'il qualifie de soutenue ;

Attendu que la SARL Derrick créait, pour le compte de la SAS Façonnable des articles de maroquinerie (essentiellement des ceintures pour homme) sous la marque "Façonnable" dont la société Airport était titulaire, les faisait fabriquer et les commercialisait, en les présentant à des show-rooms organisés par les sociétés Airport puis Façonnable, au sein du réseau de distribution sélective "Façonnable" et des magasins multi-marques agréés par la SAS Façonnable moyennant une redevance de 5 % du chiffre d'affaires réalisé, versée à la SAS Façonnable ; que les deux protocoles " provisoires " organisant la collaboration entre les parties ont prévu l'obligation pour la SAS Royal Trading de fabriquer les produits commercialisés par la SARL Derrick et de les "remettre emballés prêts à être expédiés" et pour la société Airport de " racheter à la SAS Royal Trading au prix de revient les outils spéciaux créés pour la réalisation des modèles " en cas de rupture du contrat de licence ; que, cependant, le second protocole non daté précisément, mais à effet au 1er janvier 1984, conclu "pour la durée nécessaire à la mise au point des conventions définitives devant intervenir entre les parties ", stipulait qu'il prendrait fin le 31 décembre 1984, " si des conventions n'ont pu être établies à cette date, à savoir deux conventions distinctes l'une de concession de licence entre la société Airport et la SARL Derrick et l'autre de fabrication et de commercialisation entre la SARL Derrick et la SAS Royal Trading" ; qu'après le 31 décembre 1984, les relations se sont poursuivies sans conclusion des deux conventions envisagées qui distinguaient bien deux séries de rapports d'affaires ; que dans la pratique, il n'a plus existé de relations d'affaires entre le fabricant des articles de maroquinerie et les sociétés Airport puis Façonnable, la SARL Derrick ayant eu la liberté de faire fabriquer ou s'approvisionner où bon lui semblait, sans qu'aucun contrôle sur la provenance des articles n'ait été exercé par les titulaires successifs de la licence ; que la SAS Royal Trading, " sous-traitant " de la SARL Derrick n'était pas rémunérée par la SAS Façonnable, mais librement par la SARL Derrick; que la SAS Royal Trading ne peut donc se plaindre auprès de la SAS Façonnable de la brutalité de la rupture de la relation commerciale, mais, pourrait le faire, le cas échéant, auprès de son donneur d'ordres, la SARL Derrick;

Attendu que l'article L. 442-6 I. 5° du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 applicable aux faits de la cause (la date à prendre en considération étant celle de la rupture de la relation commerciale janvier/février ou mars 2004), dispose " qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait pour un commerçant de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminé, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ";

Attendu que selon cet article, en l'absence d'accords interprofessionnels déterminant la durée minimale du préavis de rupture, seul le critère de la durée de la relation commerciale établie est désormais à prendre en compte pour apprécier le délai du préavis nécessaire à la reconversion de la partie qui subit la rupture; que tous les autres critères anciennement retenus pour déterminer le caractère suffisant du délai du préavis (tels notamment l'état de dépendance économique d'une partie vis-à-vis de l'autre, l'exclusivité), ne doivent pas être pris en considération;

Attendu qu'en l'état non contesté et non contestable d'une relation commerciale établie s'étant déroulée de juillet 1983 au début d'année 2004, un préavis de rupture d'une durée de 18 mois apparaît satisfaisant et nécessaire pour assurer la protection des intérêts économiques et commerciaux de la SARL Derrick;

Attendu sur les circonstances de la rupture de la relation commerciale établie que la SAS Façonnable a mis fin de manière partielle au contrat de concession de licence dès les mois de janvier/février 2004, lorsqu'elle (son réseau de boutiques de distribution sélective) s'est abstenue de passer toute commande lors de la présentation de la collection automne 2004/hiver 2005; que la SAS Façonnable passait commande en moyenne de 2 200 pièces par collection (moyenne calculée sur les 5 dernières collections -deux collections par année-) ; qu'il est sans importance d'une part, que des magasins multi-marques nombreux et des boutiques situées en Espagne ou Portugal ont passé des commandes en janvier/février 2004, la SAS Façonnable ne pouvant immédiatement agir auprès de son vaste réseau de distributeurs agréés (550) pour lui signifier de cesser toute collaboration avec la SARL Derrick et d'autre part, que de modestes commandes de réassortiments d'articles de collections antérieures aient été passées, cette activité étant destinée à s'éteindre très vite ; que la part des commandes passées directement par la SAS Façonnable (son réseau de boutiques de distribution sélective) est appréciable ; que le chiffre d'affaires total des produits Façonnable diffusés et donnant lieu à redevances est de 635 438 euro pour la période du 1er mai 2003 au 30 avril 2004 (chiffre d'affaires figurant au bilan comptable de la SARL Derrick) et que le chiffre d'affaires inscrit au bilan comptable pour l'exercice clôturé le 30 avril 2005, représentant la moitié de l'activité annuelle réalisée par les seuls magasins multi-marques, est de 134 745 euro; que la part de produits diffusés directement par la SAS Façonnable s'apprécie à environ 60 % du montant total du chiffre d'affaires (rapport de deux valeurs extrapolées : 270 000 euro par rapport à 635 000 euro) ; qu'en outre, la SAS Façonnable a un poids décisionnel prépondérant sur le choix de ses fournisseurs, y compris en ce qui concerne les produits distribués par le biais du vaste réseau de distributeurs agréés qu'elle contrôle ; que, lorsque la SAS Façonnable a notifié la rupture à sa licenciée, le 15 mars 2004, elle l'a fait d'ailleurs au nom de l'ensemble des distributeurs (son réseau de boutiques et les magasins multi-marques agréés) ; que la SAS Façonnable a mis fin, de fait, dès les mois de janvier/février 2004, à la relation commerciale et pour une très large part de celle-ci, (sa rupture totale étant de plus inéluctable au regard du mode de distribution mis en place) ; que la lettre de rupture du 15 mars 2004 prévoyant un préavis à la durée incertaine ne constituait qu'une réplique (une manière de " régularisation" a posteriori) aux protestations formées aussitôt par la SARL Derrick ;

Attendu que la SARL Derrick était fondée à opposer à la SAS Façonnable l'exception d'inexécution suite à la lettre de rupture du 15 mars 2004 prévoyant la poursuite des relations d'affaires jusqu'à la mise en place de la collection printemps/été 2005 devant être présentée aux show-rooms du mois de juillet 2004 ; que la SARL Derrick qui avait préparé, en pure perte, la collection précédente automne 2004/hiver 2005, "refusée" en janvier/février 2004, avait de très légitimes craintes de n'être honorée d'aucune commande de la part de la SAS Façonnable lors la collection suivante; que la SAS Façonnable n'ayant pas exécuté, sans motifs valables (celui tiré de défectuosités d'articles étant sans fondement), son obligation de prendre sérieusement en considération la collection présentée et d'acheter des articles conçus et créés exclusivement pour elle, sauf manquements avérés de la part de la SARL Derrick, l'obligation de cette dernière de préparer une nouvelle collection était devenue sans cause; que la SAS Façonnable sera déboutée de sa demande en réparation de son préjudice;

Attendu que la SAS Façonnable ne peut arguer de l'imprévision de la SARL Derrick pour n'avoir su anticiper, suite à un changement de contrôle social intervenu en 2000 au sein de la SAS Façonnable, une éventuelle rupture en diversifiant son activité commerciale auprès d'autres clients ; que l'existence d'une faute de la SARL Derrick à ne pas s'extraire d'une situation de dépendance économique vis-à-vis de la SAS Façonnable n'est pas avérée, les deux parties ayant choisi, d'un commun accord et dans leurs intérêts respectifs, de se placer dans cette configuration économique, la SAS Façonnable l'ayant même souhaité initialement et encouragé ensuite ;

Attendu que les dommages et intérêts devant être alloués à la SARL Derrick tendent à réparer le préjudice découlant exclusivement du caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie et non de la rupture elle-même ; que ce préjudice est constitué par le gain manqué s'analysant en la perte de la marge bénéficiaire brute pendant la durée du préavis fixé à 18 mois à compter des mois de février/mars 2004 (période durant laquelle la totalité de la relation commerciale a été rompue) et les pertes éprouvées s'analysant en la charge financière supportée par la SARL Derrick de stocks utiles d'articles portant la marque "Façonnable " confectionnés et non susceptibles d'être vendus ; que les éléments du préjudice de perte d'image dans le milieu professionnel considéré ne sont nullement caractérisés, sa seule invocation étant insuffisante à lui donner vie ; que la SARL Derrick qui a choisi un état de dépendance économique vis-à-vis de la SAS Façonnable, sans que cela ne lui soit imputable à faute, ne peut invoquer la perte de chance de se rétablir ou de réussir une reconversion, liée précisément à son choix;

Attendu, eu égard aux éléments versés au débat sur l'étendue du préjudice (attestation du commissaire aux comptes, documents comptables, tableaux internes permettant de déterminer les taux ou coefficients de marge brute et leurs montants annuels - 410 000 euro pour le dernier exercice complet - et l'état des stocks récents réellement utiles et ayant une valeur marchande d'articles portant la marque " Façonnable "), il y a lieu de fixer le montant total des dommages et intérêts à 680 000 euro ;

Attendu que la SARL Derrick jouit sur l'œuvre de l'esprit que constitue la ceinture référence 170756, création de la parure, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui est protégé au titre de la législation sur les droits d'auteur; que la combinaison des éléments composant la ceinture litigieuse, créée pour la collection automne 2004/hiver 2005 présentée en février 2004 (deux empiètements en cuir d'une longueur inusitée sur le devant de la ceinture, reliés par des rectangles en laiton à une sangle en tissu de coton) est originale et révèle un réel effort de création; que la SAS Façonnable a commercialisé, en novembre 2004, dans l'une de ses boutiques de son réseau de distribution sélective, une ceinture reproduisant les caractéristiques essentielles de la ceinture litigieuse, à l'exception du fait que le rectangle en laiton est doublé d'un seul côté de la ceinture; que la reproduction de la ceinture, s'appréciant par les ressemblances et l'impression d'ensemble et non par les différences accessoires, est avérée; que la SAS Façonnable ne démontre pas qu'un fabricant ou fournisseur italien possédait dans son catalogue antérieur à 2004 un modèle très approchant de la ceinture litigieuse ; que la seule attestation de ce fabricant ou fournisseur faisant état de ce fait et du fait que ce modèle est courant, sans que la catalogue en question ou un quelconque autre ne soit versé au débat, est insuffisante pour démontrer une antériorité ; que les dessins et modèles publiés d'autres fabricants français concernent des modèles de ceintures ne présentant pas les caractéristiques de la ceinture créée par la SARL Derrick ; que son action en contrefaçon est bien fondée; qu'il lui sera alloué la somme de 12 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice assurément limité et non démontré précisément quant à son étendue exacte;

Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner, à titre de mesures réparatrices complémentaires, la publication du présent arrêt dans des revues ou journaux professionnels ou l'information;

Attendu que la demande de la SAS Façonnable en dommages et intérêts pour usage de sa dénomination sociale par la SARL Derrick sera rejetée; que la SARL Derrick autorisée pendant 21 années à utiliser sur son papier commercial la marque Façonnable Sellier a, dans deux échange de correspondances avec la SAS Façonnable après la rupture de leurs relations, continué à utiliser le même papier commercial et, sur l'observation qui lui en a été faite par la SAS Façonnable, a cessé aussitôt ; que cet usage occasionnel sans objectif commercial, fait à titre "accidentel", n'a causé à la SAS Façonnable aucun préjudice démontré;

Attendu que la SAS Façonnable est en droit d'obtenir la condamnation de la SARL Derrick à lui payer le montant des redevances calculée au taux de 5 % sur le chiffre d'affaires de 134 745 euro réalisé après le 1er mai 2004, soit la somme de 6 737,25 euro ; qu'en formant cette demande fondée sur le chiffre d'affaires total figurant au bilan comptable de la SARL Derrick, demande non contestée par cette dernière, la SAS Façonnable admet du même coup que sa licenciée travaillait de manière exclusive pour elle;

Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 15 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Vu l'arrêt rendu le 13 janvier 2006 en la forme des référés par Monsieur le Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, condamne la SAS Façonnable à porter et payer à la SARL Derrick la somme de 680 000 euro et celle de 12 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt, outre celle de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SARL Derrick à porter et payer à la SAS Façonnable la somme de 6 737,25 euro avec intérêts au taux légal à compter du 26 mai 2006, date de la demande en justice. Ordonne la compensation entre ces deux sommes. Condamne la SAS Façonnable aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'avoués associés Philippe Blanc, Colette Ansellem-Mimran - Romain Cherfils, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.