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Décisions

CA Aix-en-Provence, 8e ch. B, 30 juin 2006, n° 03-17861

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kérrie (SARL), Benoît (ès qual.)

Défendeur :

L'Occitane (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cadiot

Conseillers :

M. Astier, Mme Bourrel

Avoués :

SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Blanc Amsellem-Mimran Cherfils

Avocats :

Mes Bouyssou, Baillis

T. com. Manosque, du 6 mai 2003

6 mai 2003

Etat du litige

Après avoir signé le 16 avril 1997 un pré-contrat et reçu l'information prévue par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989 et l'article 1er du décret du 4 avril 1991 la SARL Kérrie a conclu le 2 juin 1997 avec la SA L'Occitane un "contrat de concession exclusive" pour le territoire de la Ville de Toulouse prévoyant notamment qu'il s'achèvera le 31 décembre 2000 et " prendra automatiquement fin à son échéance et ne sera pas renouvelable par tacite reconduction" (article 4.1) mais que "Les parties engageront des pourparlers contractuels 3 mois avant l'échéance afin d'envisager le renouvellement du présent contrat. L'initiative de ces pourparlers appartiendra à l'une ou l'autre des parties" (article 4.2).

Par courrier recommandé du 31 juillet 2000 avec demande d'avis de réception la SA L'Occitane, sous la plume de son directeur général, informait sa partenaire "que L'Occitane ne renouvellera pas votre contrat à l'échéance sous sa forme actuelle" en précisant "je me tiens à votre disposition pour m'entretenir avec vous des possibilités de prolonger notre collaboration, soit sous une autre forme, soit dans un cadre territorial modifié".

Par un nouveau courrier recommandé du 15 septembre 2000 avec demande d'avis de réception la SA L'Occitane notifiait à la SARL Kérrie:

"Nous avons bien reçu votre courrier en réponse du 16 août demandant à pouvoir nous rencontrer et vous avez eu l'occasion de vous entretenir récemment avec Monsieur Recouvrot, de L'Occitane.

Suite à cet entretien et après réflexion, il nous est apparu qu'il n'existait aucune solution alternative permettant la poursuite de nos relations qui soit satisfaisante pour chaque partie. Nous vous confirmons donc, en tant que de besoin, qu'il sera mis un terme définitif à votre contrat, et donc à nos relations commerciales, à la fin de cette année.

Nous vous indiquons par ailleurs que, conformément aux termes de l'article 12 de notre contrat, nous procéderons au rachat à la fin de l'année des produits L'Occitane que vous resterez détenir à cette date."

Ensuite de l'intervention du conseil de la SARL Kérrie par courrier recommandé du 4 octobre 2000 avec demande d'avis de réception la SA L'Occitane répondait le 11 octobre sous la même forme qu'elle maintenait sa décision l'estimant conforme au contrat et acceptait que la SARL Kérrie puisse "poursuivre la revente de nos produits sans exclusivité pendant une période de trois mois afin de lui permettre, soit de céder son point de vente, soit de rechercher de nouveaux fournisseurs". Elle confirmait à sa partenaire par courrier recommandé du 5 janvier 2001 avec demande d'avis de réception que le contrat de concession exclusive était "venu à expiration le 31 décembre de cette année" (sic) et, rappelant la position énoncée dans le courrier du 11 octobre 2000, que "dans l'attente des pourparlers engagés par nos conseils respectifs, nous poursuivrons donc les livraisons jusqu'au 31 mars, hors exclusivité".

Par un nouveau courrier recommandé du 4 mai 2001 avec demande d'avis de réception la SA L'Occitane, exposant que des discussions s'étaient tenues entre leurs conseils respectifs jusqu'à la fin du mois de mars et, faisant grief à sa partenaire "d'avoir agi depuis cette date et jusqu'à ce jour, avec une parfaite mauvaise foi et ce à seule fin de dépasser la limite fixée au 31 mars", lui indiquait qu'elle cessait à compter de ce jour de l'approvisionner et prendrait contact pour organiser la reprise des produits encore détenus et qu'elle la mettait en demeure à réception de ce courrier de cesser la revente des produits et l'usage de la marque L'Occitane.

La SARL Kérrie répondait le 23 mai 2001 pour contester toute mauvaise foi, demander un inventaire contradictoire des invendus et faire valoir qu'alors qu'elle avait déposé la marque L'Occitane celle-ci persistait à la désigner, notamment sur Internet, comme faisant partie du réseau L'Occitane ce qu'elle considérait comme une utilisation abusive de son magasin.

Faisant état d'un entretien téléphonique du 22 mai 2001, la SA L'Occitane par courrier recommandé du 25 avec demande d'avis de réception notifiait à la SARL Kérrie qu'elle acceptait à sa demande de racheter au prix d'achat les produits livrés sans appliquer la décote prévue au contrat, de reprendre du mobilier pour 7 500 F TTC et de lui laisser un ultime délai jusqu'au 28 mai afin de pouvoir bénéficier de la période de fête des mères en précisant que cet accord avait pour contrepartie de renoncer à toute autre réclamation faute de quoi elle demanderait en cas de contentieux devant les tribunaux l'application de l'article 12 du contrat quant aux meubles et aux stocks.

Par exploit du 12 juin 2002 la SARL Kérrie, sollicitant une indemnisation à hauteur de 279 416 euro, a attrait la SA L'Occitane en référé devant le Tribunal de commerce de Manosque et, après accord entre les parties, l'affaire a été fixée au fond.

Statuant au contradictoire des parties par jugement du 6 mai 2003 la juridiction consulaire a débouté la SARL Kérrie de la totalité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, déboutant aussi la SA L'Occitane tant de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts que de sa demande au titre de l'article 700 du NCPC.

Aux termes de ses dernières écritures, ici tenues pour expressément reprises, déposées et notifiées le 29 novembre 2005 au soutien de l'appel qu'elle a interjeté de ce jugement par déclaration enregistrée céans le 3 juin 2003, la SARL Kérrie, frappée de liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Toulouse en date du 7 octobre 2005, pour laquelle Maître Olivier Benoît intervient volontairement à la cause en qualité de liquidateur judiciaire demande à la cour de:

"... Réformer en l'ensemble de ses dispositions le jugement de première instance.

Y venir Maître Benoît, ès qualités (ès qualités) de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Kérrie, s'entendre dire et juger que:

Vu les articles 1134 al. 1 et 2, 1135, 1147 du Code civil

• La société L'Occitane a fixé une longueur anormalement courte, pour l'exécution du contrat de concession qui l'unissait à la société Kérrie,

• La société L'Occitane a abusé de son droit de ne pas renouveler le contrat avec l'intention de nuire à la société Kérrie,

• Que compte tenu de l'importance des investissements qu'elle lui demandait et des pertes d'exploitation constatée(s) au cours de l'exécution du contrat; cette situation a entraîné des difficultés financières supportées par la société Kérrie qui n'ont pu être équilibrées sur la durée d'exécution du contrat ou par son renouvellement,

• Qu'il devra être attribué à Maître Benoît, ès qualité (ès qualités) de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Kérrie la somme totale de 76 496 euro de dommages et intérêts au titre du préjudice total résultant d'une durée trop courte du contrat et de son renouvellement.

Vu les articles 1134 al. 1 et 2, 1135, 1147 du Code civil et de l'article L. 442-6, I 5 ° du nouveau Code de commerce,

• La société L'Occitane a rompu les relations commerciales dans des circonstances fautives, en ne respectant pas ses engagements contractuels et notamment par:

L'absence de négociation au terme du contrat initial,

Le renouvellement du contrat pour une durée de trois mois,

La rupture brutale et sans préavis des relations commerciales,

Le non-respect des obligations contractuelles quant à la reprise des stocks.

• Qu'il devra être attribué à Maître Benoît ès qualité (ès qualités) de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Kérrie, la somme totale de 105 675 euro de dommages et intérêts au titre du préjudice total résultant de la possibilité de réaliser une marge brute sur l'année suivant celle de rupture des relations.

Vu les articles 1382 et 1383 du Code civil

• Que la société Kérrie ne contrevient pas au principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles en demandant l'indemnisation de préjudices distincts pour chacun des fondements.

• La société L'Occitane en rompant sans indemnité le contrat d'intérêt commun l'unissant à la société Kérrie doit verser une indemnité représentative de la clientèle perdue, égale à une année de chiffre d'affaires, soit la somme de 182 885 euro.

Ou à titre subsidiaire, Vu la jurisprudence et les articles 1382 et 1383 du Code civil,

• Que la société L'Occitane a bénéficié d'un enrichissement sans cause, lors du non-renouvellement du contrat de concession exclusive.

• Qu'elle doit verser à Maître Benoît ès qualité (ès qualités) de liquidateur à la liquidation judiciaire de la SARL Kérrie une indemnité compensatrice d'un montant de 182 885 euro.

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

• Qu'il serait inéquitable de lui faire supporter les frais irrépétibles que la société Kérrie a dû engager.

• Que la société L'Occitane doit verser la somme de 6 000 euro au titre de l'indemnisation des frais irrépétibles.

Et en conséquence,

Conformément aux positions de la jurisprudence et aux articles 1134 al. 1 et 2, 1135, 1147, 1382 et 1383 du Code civil, il est demandé que soit réparé le préjudice subi par la société Kérrie, évalué à la somme totale de 371 056 euro.

Condamner la société L'Occitane aux entiers dépens, ... "

Aux termes de ses uniques écritures, ici tenues pour expressément reprises, déposées et notifiées le 8 janvier 2004 la SA L'Occitane demande à la cour de:

"Vu les pièces versées aux débats,

Vu les articles 1134 et 1135 du Code civil,

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la SARL Kérrie de la totalité de ses demandes

La reformer pour le surplus et condamner la SARL Kérrie au paiement des sommes ci-après :

• 20 000 euro au titre de la procédure particulièrement abusive diligentée contre L'Occitane,

• 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC et aux dépens... "

Motifs de la décision

Le contrat l'unissant à la SA L'Occitane étant stipulé pour une durée déterminée exempte de reconduction tacite, la SARL Kérrie, qui a contracté en connaissance de cause et accepté cette durée en sachant qu'aucun droit à renouvellement ne lui était acquis ne peut soutenir à présent que celle-ci, serait anormalement courte.

L'argument économique est sans portée juridique ce d'autant que le contrat définitif a été précédé d'un pré-contrat entre les parties à l'occasion duquel ont été fournis les documents prévus à l'article L. 330-3 du Code de commerce contre lesquels aucun grief d'inexactitude n'est soutenu ni a fortiori démontré. Plus encore le concessionnaire durant une pratique commerciale de 3 ans et sept mois ne justifie d'aucune critique de fond du mode de commercialisation prévu (la lettre du 6 décembre 1999 déplorant des livraisons incomplètes sur les commandes de fin d'année n'étant à l'évidence qu'une critique ponctuelle), des produits commercialisés ni des objectifs convenus. Il s'est donc engagé en connaissance de cause sur la rentabilité de l'opération en ses formes et durée ce que la pratique de la relation commerciale a confirmé.

La preuve d'une rupture empreinte d'intention de nuire n'est pas rapportée. Outre le fait qu'il n'a été mis fin au contrat qu'à l'échéance convenue et que des prolongations temporaires n'ont été concédées qu'à la demande et pour les convenances de la SARL Kérrie, ce qui ne caractérise aucun mode fautif de rupture, la volonté de la SA L'Occitane d'organiser différemment son réseau de vente lui restait légitimement ouverte au terme normal du contrat d'autant que sa cocontractante était spécialement avertie par les termes de l'article 4 de ce contrat que les conditions consenties ne se pérenniseraient pas au-delà de l'échéance.

Le grief de transgression de l'article 4.2 par refus de négocier n'est pas fondé, cet article ne faisant pas de la négociation un préalable nécessaire à l'extinction de l'effet du contrat, les pourparlers demeurant à l'initiative de l'une comme de l'autre des parties. En l'espèce c'est la SA L'Occitane qui par son courrier du 31 juillet a pris l'initiative d'un entretien en précisant bien, ainsi qu'elle était fondée à le faire puisque le contrat venait à expiration, qu'il s'agissait d'envisager sous une autre forme la poursuite de la collaboration entre les deux sociétés. La SARL Kérrie a soutenu sous la plume de son conseil dans sa missive du 4 octobre 2000 que l'entretien proposé n'avait pas eu lieu alors que la SA L'Occitane se prévaut du contraire en indiquant dans ses courriers le nom de son directeur de marketing Monsieur Thierry Recouvrot et qu'aucune preuve n'est rapportée que cela soit inexact, aucune forme particulière n'étant prévue pour l'entretien lequel pouvait autant être téléphonique qu'en face à face. Tout au plus la SARL Kérrie pourrait-elle faire grief à sa co-contractante de ce que Monsieur Emmanuel Osti, Directeur général de la SA L'Occitane, ne lui ait pas concédé personnellement d'entretien ainsi qu'il l'avait annoncé dans son courrier du 31 juillet 2000, mais ce grief demeure lui aussi sans emport dès lors que l'article 4.2 du contrat offrait à chacune des parties l'initiative des pourparlers et que la SARL Kérrie ne justifie pour sa part d'aucune proposition effective d'offre de collaboration autre que la prorogation pure et simple du contrat venant à échéance. Le courrier de son conseil en date du 4 octobre 2000 qui se limite à énumérer des griefs et à demander la mise en place d'une solution pour permettre à sa cliente de poursuivre son activité sans en définir une ni proposer la moindre est révélateur de cette carence.

Le moyen tiré de la rupture sans préavis suffisant d'une relation commerciale établie constitutive d'une faute contractuelle (définie par l'article L. 442-6 I, 5 du Code de commerce issu de la loi n° 2001-420 dite des nouvelles régulations économiques laquelle n'était pas applicable avant le 16 mai 2001 ou du 4° du même article avant cette loi) manque en fait, les échanges de courriers entre les parties démontrant qu'en l'espèce il n'y a pas eu après l'échéance contractuelle du 31 décembre 2000 de quelconque reprise des relations commerciales pour une durée cette fois indéterminée mais des prolongations déterminées consenties à la demande expresse de la SARL Kérrie qui a ainsi disposé d'un temps suffisant pour organiser sa reconversion étant observé que le contrat venu à expiration n'étant assorti d'aucune clause de non-concurrence post-contractuelle ni d'aucune autre contrainte d'agencement du commerce que celle de déposer l'enseigne et de ne plus proposer de produits L'Occitane à la chalandise, la SARL Kérrie demeurait libre de se tourner vers d'autres fournisseurs ou de s'affilier à une autre enseigne.

Il n'y a donc ni faute contractuelle ni faute extra-contractuelle. Aucune indemnité de clientèle n'étant prévue au contrat et la SARL Kérrie n'ayant pas la qualité d'agent commercial ne peut y prétendre. Il n'y a pas d'enrichissement sans cause dès lors que la relation entre les parties procède d'un contrat et s'est déroulée dans le cadre de celui-ci et qu'il peut être surabondamment rappelé que la SARL Kérrie demeurait libre, dès l'expiration du contrat, d'exploiter avec des produits concurrents la zone de chalandise qu'elle a su créer. Le rejet des demandes de la SARL Kérrie sera donc confirmé.

Alors que les énonciations contractuelles étaient claires et précises l'action de la SARL Kérrie, fondée sur une dénaturation de la portée des conventions intervenues entre les parties et reconnue comme telle tant par les premiers juges que par les seconds, a revêtu un caractère abusif. En conséquence, Maître Olivier Benoît, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Kérrie sera condamné à payer à la SA L'Occitane la somme de 3 000 euro, observation étant faite que cette condamnation postérieure à l'ouverture de la procédure collective procède du lien d'instance de sorte que les dispositions de l'article L. 621-40 I. 1° ne s'y appliquent pas.

L'article 700 du NCPC prévoit que le juge tient compte, notamment, de la situation économique de la partie condamnée, aucune indemnité pour frais irrépétibles ne sera donc mise à la charge de la liquidation des biens de la société Kérrie.

Maître Olivier Benoît, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Kérrie qui succombe supportera les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement en matière commerciale et en dernier ressort, Confirme en toutes ses dispositions la décision entreprise; Y ajoutant, condamne Maître Olivier Benoît, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Kérrie à payer à la SA L'Occitane la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive; Rejette toute autre demande; Condamne Maître Olivier Benoît, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL Kérrie aux dépens dont la distraction est autorisée, s'il échet, au profit de la SCP d'avoués Blanc, Amsellem-Mimran & Cherfils pour la part dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.