CJCE, 2e ch., 8 juin 2006, n° C-517/04
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Visserijbedrijf D. J. Koornstra & Zn. vof
Défendeur :
Productschap Vis
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Avocat général :
Mme Stix-Hackl
Juges :
MM. Makarczyk, Kuris, Klucka, Mme Silva de Lapuerta
Avocats :
Mes Rotshuizen, van Schooten
LA COUR (deuxième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 25 CE et 90 CE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant la société Visserijbedrijf D. J. Koornstra & Zn. vof (ci-après "Koornstra") au Productschap Vis au sujet du prélèvement que ce dernier a imposé à Koornstra pour le transport de crevettes au Danemark durant l'exercice 2000.
Le cadre juridique
3 Le Productschap Vis est un organisme professionnel néerlandais de droit public institué pour les entreprises pratiquant la pêche, traitant le poisson afin d'obtenir, le cas échéant après transformation de celui-ci, des produits susceptibles de servir à l'alimentation humaine ou animale, et commercialisant du poisson ou des produits dérivés du poisson susceptibles de servir à l'alimentation humaine, après transformation ou non.
4 L'article 2, paragraphe 1, du règlement sur le financement des tamis et des décortiqueuses de crevettes dans les criées pour l'exercice 2000 (Verordening financiering garnalenzeven en garnalenkrakers visafslagen 2000, ci-après le "règlement") dispose:
"À partir du premier lundi suivant le jour d'entrée en vigueur du présent règlement, un entrepreneur qui achemine des crevettes à bord d'un bateau de pêche néerlandais est redevable envers le Productschap d'un prélèvement de 0,01 florin par kg de crevettes qu'il transporte et vend en vue de la consommation humaine."
5 L'article 3, paragraphe 1, du même règlement prévoit que le produit du prélèvement est destiné au financement de l'achat, par le Productschap Vis, de tamis et décortiqueuses ainsi qu'au financement de leur placement et de leur entretien.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
6 Koornstra est une entreprise qui transporte des crevettes à bord du bateau de pêche Elizabeth. Selon sa déclaration du 1er août 2002, Koornstra a transporté 52 984 kg de crevettes pendant l'exercice 2000, dont 28 774 kg ont été vendus à la criée aux Pays-Bas et 24 210 kg ont été directement livrés au Danemark afin d'y être commercialisés.
7 En application de l'article 2, paragraphe 1, du règlement, le Productschap Vis a, par décision du 19 septembre 2002, soumis Koornstra à un prélèvement de 109,86 euro au titre de ces 24 210 kg de crevettes.
8 Par lettre du 25 octobre 2002, Koornstra a introduit une réclamation contre cette décision.
9 Par décision du 19 mars 2003 (ci-après la "décision litigieuse"), le Productschap Vis a rejeté la réclamation de Koornstra.
10 Par requête du 25 avril 2003, Koornstra a fait appel de la décision litigieuse devant le College van Beroep voor het bedrijfsleven. Ayant des doutes sur la compatibilité du prélèvement prévu à l'article 2, paragraphe 1, du règlement (ci-après le "prélèvement litigieux") avec le droit communautaire, ce dernier a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) Un prélèvement tel que le prélèvement litigieux imposé à une entreprise d'un État membre pour le transport de crevettes au moyen d'un bateau de pêche immatriculé dans cet État membre et qui vise au financement des tamis et décortiqueuses de crevettes dans cet État membre est-il compatible avec le droit communautaire, en particulier avec les articles 25 CE et 90 CE, dans la mesure où ce prélèvement est également perçu pour des crevettes transportées par cette entreprise ailleurs dans la Communauté?
2) La réponse à la question précédente est-elle influencée:
a) par le lieu où les crevettes ont été prises;
b) par le fait que, après avoir été transportées ailleurs dans la Communauté, les crevettes sont ensuite transportées vers l'État membre d'immatriculation du bateau de pêche;
c) par le fait que, en cas de transport ailleurs dans la Communauté, le criblage et le décorticage des crevettes doivent également y faire l'objet d'une rémunération?"
Sur les questions préjudicielles
11 Par ses questions, qu'il convient d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si un prélèvement tel que celui en cause au principal est susceptible de constituer une taxe d'effet équivalent à des droits de douane au sens de l'article 25 CE ou une imposition intérieure discriminatoire interdite par l'article 90 CE.
12 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que les dispositions relatives aux taxes d'effet équivalent et celles relatives aux impositions discriminatoires ne sont pas applicables cumulativement, de sorte qu'une même imposition ne saurait, dans le système du traité, appartenir simultanément à ces deux catégories (arrêts du 17 septembre 1997, UCAL, C-347-95, Rec. p. I-4911, point 17; du 22 mai 2003, Freskot, C-355-00, Rec. p. I-5263, point 39, et du 27 novembre 2003, Enirisorse, C-34-01 à C-38-01, Rec. p. I-14243, point 59).
13 Il convient donc d'examiner, en premier lieu, si le prélèvement litigieux peut être qualifié de taxe d'effet équivalent à des droits de douane à l'exportation au sens des articles 23 CE et 25 CE. Si tel n'est pas le cas, il conviendra de vérifier, en second lieu, si ledit prélèvement constitue une imposition intérieure discriminatoire interdite par l'article 90 CE.
14 Dans l'affaire au principal, il est constant que le prélèvement litigieux n'est pas perçu en raison du fait que les marchandises franchissent la frontière de l'État membre concerné, mais qu'il frappe de façon systématique et uniforme les crevettes transportées à bord d'un bateau de pêche néerlandais, que celles-ci soient destinées au marché national ou à l'exportation, et que le produit de ce prélèvement sert à financer l'achat, le placement et l'entretien, par le Productschap Vis, de tamis et de décortiqueuses.
15 Selon une jurisprudence constante, toute charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises en raison du fait qu'elles franchissent la frontière, lorsqu'elle n'est pas un droit de douane proprement dit, constitue une taxe d'effet équivalent au sens des articles 23 CE et 25 CE, alors même que ladite charge pécuniaire n'est pas perçue au profit de l'État (arrêts UCAL, précité, point 18; du 9 septembre 2004, Carbonati Apuani, C-72-03, Rec. p. I-8027, point 20, et du 8 novembre 2005, Jersey Produce Marketing Organisation, C-293-02, Rec. p. I-9543, point 55).
16 Cependant, une telle charge constitue non pas une taxe d'effet équivalent à un droit de douane, mais une imposition intérieure au sens de l'article 90 CE, si elle relève d'un régime général de redevances intérieures appréhendant systématiquement des catégories de produits selon des critères objectifs appliqués indépendamment de l'origine ou de la destination des produits (arrêts du 23 avril 2002, Nygård, C-234-99, Rec. p. I-3657, point 19, et Carbonati Apuani, précité, point 17).
17 Dans ce contexte, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, aux fins de la qualification juridique d'une taxe qui frappe les produits nationaux transformés ou commercialisés sur le marché national et les produits nationaux exportés en l'état sur la base de critères identiques, il peut être nécessaire de tenir compte de la destination du produit de l'imposition (arrêt Nygård, précité, point 21).
18 Ainsi, lorsque le produit d'une telle imposition est destiné à alimenter des activités qui profitent spécialement à ceux des produits nationaux qui sont transformés ou commercialisés sur le marché national, il peut en résulter que la contribution prélevée selon les mêmes critères constitue néanmoins une taxation discriminatoire, dans la mesure où la charge fiscale grevant les produits transformés ou commercialisés sur le marché national est neutralisée par des avantages qu'elle sert à financer, tandis que celle grevant les produits exportés en l'état représente une charge nette (arrêt Nygård, précité, point 22).
19 À cet égard, si les avantages résultant de l'affectation du produit d'une taxe, relevant d'un régime général d'impositions intérieures et frappant systématiquement les produits nationaux transformés ou commercialisés sur le marché national et ceux exportés en l'état, compensent intégralement la charge supportée par le produit national transformé ou commercialisé sur le marché national lors de sa mise dans le commerce, cette imposition constitue une taxe d'effet équivalent à un droit de douane, contraire aux articles 23 CE et 25 CE. En revanche, une telle taxe constituerait une violation de l'interdiction de discrimination édictée à l'article 90 CE si les avantages que comporte l'affectation de la recette de l'imposition pour ceux des produits nationaux qui sont transformés ou commercialisés sur le marché national ne compensaient que partiellement la charge supportée par ceux-ci (arrêt Nygård, précité, point 23).
20 Dans l'hypothèse où ces avantages pour la production nationale transformée ou commercialisée sur le marché national compensent en totalité la charge supportée par celle-ci, la taxe perçue sur le produit devra, en tant que taxe d'effet équivalent à un droit de douane, être considérée comme illégale dans son intégralité. Dans l'hypothèse où, au contraire, les avantages compensent en partie la charge grevant les produits nationaux transformés ou commercialisés sur le marché national, la taxe perçue sur les produits nationaux exportés, en principe légale, devra être interdite dans la mesure où elle compense ladite charge et faire l'objet d'une réduction proportionnelle (voir, en ce sens, arrêts précités UCAL, point 23, et Nygård, point 42).
21 Pour être utilement et correctement appliqué, le critère de la compensation suppose que soit vérifiée, au cours d'une période de référence, l'équivalence pécuniaire entre les montants globalement perçus sur les produits nationaux transformés ou commercialisés sur le marché national au titre de la taxe considérée et les avantages dont ces produits bénéficient à titre exclusif (arrêts du 17 septembre 1997, Fricarnes, C-28-96, Rec. p. I-4939, point 27, et Nygård, précité, point 43).
22 Eu égard aux principes qui viennent d'être rappelés, il appartient donc à la juridiction de renvoi de s'assurer que les produits nationaux transformés ou commercialisés sur le marché national ne tirent pas, de facto, un profit exclusif ou proportionnellement plus important que les produits nationaux exportés des prestations de l'organisme destinataire du prélèvement litigieux, susceptible de compenser totalement ou partiellement la charge que constitue ledit prélèvement (voir, en ce sens, arrêts UCAL, précité, point 26, et Fricarnes, précité, point 29).
23 Il ressort de l'ordonnance de renvoi que les installations de tamisage et de décorticage financées par le prélèvement litigieux profitent exclusivement aux entreprises acheminant des crevettes vers les Pays-Bas.
24 Par ailleurs, la juridiction de renvoi tient également pour acquis que, bien qu'elles soient soumises au prélèvement litigieux, les entreprises transportant des crevettes vers d'autres États membres à bord de bateaux de pêche néerlandais ne profitent pas desdites installations.
25 Il en résulte que le prélèvement litigieux fait peser sur les produits destinés à l'exportation une charge plus lourde que celle qui est supportée par les produits destinés au marché néerlandais.
26 Dès lors, s'il s'avérait que les avantages résultant de l'affectation du produit du prélèvement litigieux compensent intégralement la charge supportée par les entreprises transportant, à bord de bateaux de pêche néerlandais, des crevettes destinées à la transformation ou à la commercialisation sur le marché national, l'application dudit prélèvement aux produits destinés à l'exportation constituerait une taxe d'effet équivalent à un droit de douane, contraire aux articles 23 CE et 25 CE, devant être considérée comme illégale dans son intégralité. En revanche, un tel prélèvement constituerait une violation de l'interdiction de discrimination édictée à l'article 90 CE si les avantages que comporte l'affectation de la recette de ce prélèvement pour ceux des produits nationaux qui sont transformés ou commercialisés sur le marché national ne compensaient que partiellement la charge supportée par ceux-ci.
27 Le lieu où les crevettes ont été prises, le fait que, après avoir été transportées dans un autre État membre, celles-ci sont ensuite acheminées vers celui dans lequel le bateau de pêche est immatriculé, et la circonstance que, en cas de transport dans un autre État membre, le criblage et le décorticage des crevettes doivent également faire l'objet d'une rémunération dans ce dernier État sont sans incidence sur cette appréciation.
28 Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions préjudicielles qu'un prélèvement perçu par un organisme de droit public d'un État membre selon des critères identiques sur des produits nationaux destinés au marché national ou à l'exportation vers d'autres États membres constitue une taxe d'effet équivalent à un droit de douane à l'exportation, interdite par les articles 23 CE et 25 CE, si le produit de ce prélèvement sert à financer des activités dont bénéficient les seuls produits nationaux destinés au marché national et si les avantages résultant de l'affectation du produit dudit prélèvement compensent intégralement la charge supportée par lesdits produits. En revanche, un tel prélèvement constituerait une violation de l'interdiction de discrimination édictée à l'article 90 CE si les avantages que comporte l'affectation de la recette de ce prélèvement pour ceux des produits nationaux qui sont transformés ou commercialisés sur le marché national ne compensaient que partiellement la charge supportée par ceux-ci.
Sur les dépens
29 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
dit pour droit:
Un prélèvement perçu par un organisme de droit public d'un État membre selon des critères identiques sur des produits nationaux destinés au marché national ou à l'exportation vers d'autres États membres constitue une taxe d'effet équivalent à un droit de douane à l'exportation, interdite par les articles 23 CE et 25 CE, si le produit de ce prélèvement sert à financer des activités dont bénéficient les seuls produits nationaux destinés au marché national et si les avantages résultant de l'affectation du produit dudit prélèvement compensent intégralement la charge supportée par lesdits produits. En revanche, un tel prélèvement constituerait une violation de l'interdiction de discrimination édictée à l'article 90 CE si les avantages que comporte l'affectation de la recette de ce prélèvement pour ceux des produits nationaux qui sont transformés ou commercialisés sur le marché national ne compensaient que partiellement la charge supportée par ceux-ci.