CA Versailles, 1re ch. sect. 1, 16 février 2006, n° 04-07621
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cosma, Lam Larghetto Music BV (Sté), Studio Canal Image (SA), Beineix
Défendeur :
Young et Rubicam France (Sté), Bouygues Télécom (SA), Odier, Van Hamme
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bardy
Conseillers :
Mmes Liauzun, Simonnot
Avoués :
SCP Bommart Minault, SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertier, SCP Jupin Algrin, SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod, SCP Gas
Avocats :
Mes Stibbe, Boissard, Boulland, Desprez, Greffe
En décembre 1998 la société Bouygues Télécom a fait réaliser par l'agence Young & Rubicam trois spots de publicité dont l'un intitulé "opéra" vantant le son digital haute résolution et qui utilisait à cette fin l'air de La Wally d'Alfredo Catalini œuvre tombée dans le domaine public.
Vladimir Cosma avait composé en 1981 la musique originale du film "Diva" dont Jean-Jacques Beineix est le réalisateur en intégrant cet air d'opéra, étant l'auteur de l'arrangement musical, le directeur de l'interprétation par la chanteuse Wilhelmenia Wiggins Fernandez, ses droits d'exploitation de l'arrangement ayant été cédés à la société Lam Larghetto Music BV.
Monsieur Cosma et la société Lam Larghetto Music BV ont fait assigner la société Bouygues Télécom et la société Young & Rubicam en contrefaçon et subsidiairement parasitisme devant le Tribunal de grande instance de Nanterre puis ont fait assigner en intervention forcée Jean-Jacques Beineix réalisateur et coauteur de l'adaptation cinématographique du livre Diva, ainsi que le coadaptateur Daniel Odier et Jean Van Hamme auteur du livre.
La société Studio Canal Image est intervenue volontairement en tant que producteur aux droits du producteur initial pour s'associer à l'action tendant à faire sanctionner les actes de contrefaçons.
Par le jugement déféré prononcé le 22 septembre 2004 après jonction des procédures, le Tribunal de grande instance de Nanterre a:
- déclaré irrecevable la demande additionnelle de Jean-Jacques Beineix fondée sur la contrefaçon de son film "Roselyne et les lions" par le spot publicitaire "La dompteuse ",
- déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société Studio Canal Image pour défaut d'enregistrement de ses droits d'exploitation au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel,
- déclaré irrecevables les demandes fondées sur la contrefaçon de la bande originale du film Diva et sur le parasitisme formées par la société Lam Larghetto Music BV et Vladimir Cosma en leur qualité de titulaires des droits moraux et d'exploitation de la bande originale du film Diva,
- déclaré mal fondée la demande en contrefaçon de Jean-Jacques Beineix et de Vladimir Cosma,
- condamné in solidum la société Lam Larghetto Music BV, Vladimir Cosma et Jean-Jacques Beineix à payer à la société Bouygues Télécom et la société Young & Rubicam la somme de 6 000 euro chacune en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Trois appels ont été diligentés contre le jugement par la société Studio Canal Image d'une part, Vladimir Cosma et la société Lam Larghetto Music BV d'autre part et Jean-Jacques Beineix de troisième part. Les procédures ont été jointes.
Vladimir Cosma et la société Lam Larghetto concluent aux termes de leurs dernières écritures en date du 11 janvier 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé:
- qu'il soit pris acte du désistement d'appel de la société Lam Larghetto,
- à l'infirmation du jugement sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société Studio Canal Image,
- à la recevabilité et au bien fondé des demandes de Vladimir Cosma,
- à la condamnation in solidum de la société Bouygues Télécom et la société Young & Rubicam à lui payer la somme de 150 000 euro au titre de son préjudice patrimonial et celle de 30 000 euro au titre de son préjudice moral du chef de la contrefaçon de l'œuvre ou subsidiairement du chef du parasitisme et la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Studio Canal Image conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 10 janvier 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, à l'infirmation du jugement et prie la cour de la déclarer recevable et fondée et de condamner in solidum les sociétés intimées à lui payer la somme de 100 000 euro de dommages et intérêts du chef de l'atteinte portée à ses droits patrimoniaux exclusifs, d'ordonner à titre de réparation complémentaire la publication de l'arrêt et subsidiairement de retenir les agissements parasitaires et lui allouer la somme de 80 000 euro de dommages et intérêts et ordonner la publication de l'arrêt à titre de réparation complémentaire et lui allouer une indemnité pour frais irrépétibles de 6 000 euro.
Jean-Jacques Beineix conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 25 novembre 2005 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de la société Studio Canal Image et recevable et fondé à agir sur le fondement de son droit d'auteur du film Diva, à son infirmation pour le surplus et prie la cour de le déclarer recevable en sa demande fondée sur la contrefaçon de son film Roselyne et les lions par le spot La dompteuse, constater les agissements de contrefaçons du chef des deux films, condamner in solidum les sociétés Bouygues Télécom et Young & Rubicam à lui verser la somme de 2 000 000 euro en réparation du préjudice subi au titre du film Diva et celle de 1 000 000 euro en réparation du préjudice subi au titre du film " Roselyne et les lions ", à ce que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir, subsidiairement de retenir s'agissant du film Diva les agissements parasitaires et condamner les sociétés intimées à lui payer la somme de 1 000 000 euro de dommages et intérêts en sus de la publication de la décision à titre de réparation complémentaire et lui allouer une indemnité pour frais irrépétibles de 6 000 euro.
Intimée, la société Bouygues Télécom conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 26 octobre 2005 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, à la confirmation du jugement et y ajoutant au débouté des demandes de Vladimir Cosma et Jean-Jacques Beineix au titre des atteintes à leurs droits patrimoniaux d'auteur sur le film Diva, à la condamnation in solidum des appelants à lui payer la somme de 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 20 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Intimée, la société Young & Rubicam conclut aux termes de ses dernières écritures en date du 4 janvier 2006 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, à la confirmation du jugement, à l'absence de tout caractère extinctif du désistement d'appel de la société Lam Larghetto, à l'irrecevabilité et au mal fondé des demandes et à la condamnation solidaire des appelants à lui payer la somme de 50 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Messieurs Odier qui a adressé le 12 octobre 2005 une lettre à la cour l'informant de son intention de ne pas se faire représenter (pièce 29 bis) et Van Hamme régulièrement assignés n'ont pas constitué avoué.
Sur ce
I : Considérant que le jugement doit être confirmé pour avoir déclaré recevable l'intervention volontaire de la société Studio Canal Image et avoir déclaré irrecevable la demande additionnelle de Jean-Jacques Beineix assigné en intervention forcée par Vladimir Cosma et la société Lam Larghetto en sa qualité de coauteur du film Diva, formée contre les sociétés Bouygues Télécom et Young & Rubicam pour contrefaçons de son film "Roselyne et les lions" par le spot La dompteuse, faute de lien de connexité suffisant;
II : Considérant que le jugement doit être infirmé pour avoir déclaré irrecevables les demandes formées par la société Studio Canal Image aux motifs qu'elle ne justifiait pas de la publication de la transmission des droits d'exploitation du film Diva au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel conformément aux prescriptions de l'article 33 du Code de l'industrie cinématographique qui impose à peine d'inopposabilité des droits aux tiers, l'enregistrement au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel des apports en sociétés du droit de propriété ou d'exploitation ainsi que des concessions de droits d'exploitation d'un film;
Qu'en effet la société Studio Canal Image justifie par la production d'une lettre du conservateur du registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel en date du 6 décembre 2005 que le traité de fusion intervenu le 17 décembre 1999 entre la société Greenwich Film Production dont nul ne discute qu'elle était titulaire des droits d'exploitation du film Diva et la société Studio Canal Image a été inscrit le 30 novembre 2005 pour notamment le film Diva sous le n° 2005-14075 et copie du traité de fusion et ses annexes comportant expressément mention de l'inscription sur le film "Diva" et que, peu important que les actes de contrefaçons aient été commis antérieurement au traité de fusion et à son enregistrement, par application de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile la société Studio Canal Image aux droits et actions de la société précédemment titulaire des droits, établit, la situation qui avait donné lieu à fin de non-recevoir étant susceptible de régularisation, que la cause de l'irrecevabilité a disparu au jour où la cour statue ;
Qu'il s'ensuit que Jean-Jacques Beineix et Vladimir Cosma ne sont pas fondés à agir pour la défense de leurs droits patrimoniaux lesquels sont exercés par la société Studio Canal Image et qu'ils ne sont recevables à agir que pour la protection de leur droit moral d'auteurs ;
III : Considérant que le jugement n'est pas contesté en ce qu'il a débouté la société Lam Larghetto Music BV et Vladimir Cosma de leurs demandes au titre des droits moraux et patrimoniaux de la musique originale du film Diva dès lors qu'ils n'avaient pas prouvé que l'enregistrement utilisé pour le spot était celui utilisé dans le film Diva;
Que la société Lam Larghetto s'est désistée de son appel par conclusions en date du 15 novembre 2005, lequel doit être constaté sans préjudice, en application de l'article 401 du nouveau Code de procédure civile, des demandes incidentes formées par les intimées contre elle, antérieurement au désistement;
IV : Considérant que selon l'article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou ses ayants-droits ou ayants-cause est illicite, et qu'il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque;
Que les appelants soutiennent que la preuve de la contrefaçon est rapportée par l'analyse comparée des deux films, que le scénario, les personnages, les lieux, la mise en scène et la musique du spot litigieux ont été empruntés au film Diva dans l'intention manifeste d'évoquer auprès du public la scène inaugurale du film qui est l'un des plus populaires des dernières années, rappelant l'identité de titre des deux œuvres destinée à créer la confusion dans l'esprit du public, faisant grief aux premiers juges de s'être fondés non sur l'accumulation des ressemblances mais sur quelques différences parfaitement contestables;
Que toutefois l'analyse objective comparée des deux films dément cette affirmation et exclut le caractère contrefaisant du spot réalisé par la société Young & Rubicam;
Qu'ainsi la première scène du film Diva montre le personnage du facteur se rendant à l'opéra avec aperçu du panneau affichant "complet", l'entrée du facteur dans le bâtiment, se dirigeant vers la salle, son entrée dans la salle, la caméra balayant le plafond jaune pâle patiné, puis les loges de même teinte et dévoilant la scène, sur laquelle se trouve le chef d'orchestre attendant l'entrée de la diva laquelle apparaît vêtue d'une robe longue de soie blanche, les épaules dénudées, les oreilles parées de boucles et qui salue longuement l'auditoire qui applaudit, qu'ensuite la caméra se fixe sur la diva en train de chanter, montrant en alternance les spectateurs figés par l'émotion et particulièrement le facteur ému aux larmes et réglant l'enregistrement de la chanteuse à laquelle il procède en cachette, les applaudissements de la salle et la sortie du facteur;
Qu'en revanche le spot débute par la vision d'un avion cloué au sol par une tempête de neige, la nuit, des hommes s'activant autour pour le dégager, sur fond de musique d'opéra, puis sans autre transition montre des portes qui s'ouvrent sur une salle d'opéra aux teintes éclatantes rouge et or, la caméra balayant le plafond et les loges puis montrant les spectateurs figés par l'émotion suscitée par la voix d'une cantatrice qu'on ne voit pas sur la scène mais dont on n'entrevoit que le visage en gros plan, puis apparaît la scène vide de la salle dévoilant que la voix est transmise par un micro qui la reçoit d'un téléphone mobile sur lequel la caméra se fixe, qu'ensuite apparaît la cantatrice noire vêtue d'un habit noir à ample col rouge assise dans une salle d'aéroport au milieu de multiples valises et voyageurs que l'on devine en attente du départ du vol et chantant l'air d'opéra, avec en bruit de fond les annonces provenant de la salle d'aéroport où se trouve la cantatrice ;
Qu'ainsi que l'énonce le jugement, les deux scénarios sont construits de façon différentes autour d'histoires différentes, de personnages différents, le facteur étant, avec la cantatrice, le personnage central de la scène du film Diva, le téléphone mobile étant le héros du spot télévisuel, de lieux et de situations différents hormis la référence à la salle d'opéra, une telle allusion étant banale et de libre parcours pour mettre en valeur un air d'opéra lequel sert dans le spot publicitaire à la promotion de la qualité du son haute résolution du téléphone mobile lequel est mis en évidence par la référence incontournable au ton cristallin de la voix d'une diva chantant un air d'opéra;
Que reste seulement la présence dans les deux films du personnage d'une cantatrice noire interprétant l'air de la Wally devant un public figé par l'émotion qui ne suffit pas à prouver le caractère contrefaisant du spot publicitaire;
Que les appelants invoquent subsidiairement les agissements parasitaires, reprochant aux intimées d'avoir sans bourse délier tiré profit de la notoriété du film Diva en économisant les efforts et les talents ayant fait la réussite et l'immense succès du film;
Que force est de constater qu'ils n'invoquent de fait autres que ceux sur lesquels ils agissent en contrefaçon, le seul fait d'avoir utilisé l'air de la Wally, au demeurant tombé dans le domaine public, quand bien même il aurait été popularisé et remis au goût du jour par le film Diva, et que la presse ait pu, à l'occasion de critiques du spot publicitaire à sa sortie, faire référence à ce film, ne suffisant pas à démontrer les agissements invoqués;
Considérant que le jugement sera confirmé pour avoir débouté les appelants de leurs demandes fondées tant sur la contrefaçon que sur le parasitisme ;
V : Considérant que les appelants n'ont fait que se méprendre sur l'étendue de leurs droits et qu'exercer les voies légales de recours, ce qui ne suffit pas à dégénérer en abus de droit;
Considérant que les sociétés intimées ont été en revanche contraintes d'exposer des frais irrépétibles pour se défendre en appel et que tous les appelants seront condamnés in solidum à leur payer chacune la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Que ces mêmes appelants doivent supporter la charge des dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Constate le désistement de la société Lam Larghetto Music BV non accepté par les intimées, Reforme le jugement en ce qu'il a déclaré la société Studio Canal Image irrecevable à agir, Statuant de ce chef, Réforme, Constate que la société Studio Canal Image a satisfait aux prescriptions de l'article 33 du Code de l'industrie cinématographique, Déclare ses demandes recevables, Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions non contraires, Déboute des autres demandes, Condamne in solidum la société Studio Canal Image, Vladimir Cosma et la société Lam Larghetto Music BV, et Jean-Jacques Beineix à payer à la société Young & Rubicam d'une part et à la société Bouygues Télécom d'autre part la somme de 10 000 euro chacune au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne in solidum la société Studio Canal Image, Vladimir Cosma et la société Lam Larghetto Music BV, et Jean-Jacques Beineix aux dépens avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile par ceux des avoués de la cause qui peuvent y prétendre.