Livv
Décisions

CA Limoges, ch. civ. sect. 1, 5 avril 2006, n° 05-01224

LIMOGES

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Conseillers :

MM. Pugnet, Soury

Avoués :

SCP Debernard-Dauriac, SCP Chabaud Durand-Marquet

Avocat :

Me Viennois

TI Bourganeuf, du 10 août 2005

10 août 2005

Faits et procédure

La société X a consenti deux prêts à Mme Y

- un prêt de 80 000 F le 10 février 1999 ;

- un prêt de 123 000 F le 27 avril 2000.

A la suite de la défaillance de Mme Y dans le remboursement de ces prêts, la banque, après mise en demeure du 24 novembre 2003 restée infructueuse, l'a assignée devant le Tribunal d'instance de Bourganeuf en paiement des sommes restant dues.

Mme Y n'a pas comparu à l'audience du tribunal d'instance.

Par jugement du 5 janvier 2005, le tribunal d'instance a rouvert les débats et sollicité d'office l'avis de la Commission des clauses abusives sur la clause de résiliation contenue dans les contrats de prêts libellée comme suit :

"Le contrat sera résilié et les sommes dues seront immédiatement et de plein droit exigibles, s'il convient au prêteur, dans les cas prévus par la loi et dans les cas suivants :

- renseignements ou documents fournis faux ou inexacts,

- non respect de l'un quelconque des engagements de l'emprunteur résultant du contrat, notamment défaut de règlement à son échéance d'une mensualité,

- décès de l'emprunteur, d'un co-emprunteur solidaire ou d'une caution,

- interdiction légale ou judiciaire d'émettre des chèques,

- règlement amiable ou redressement judiciaire civil de l'emprunteur."

La Commission des clauses abusives a rendu son avis le 24 février 2005. Elle conclut

"- que la clause litigieuse ne présente pas de caractère abusif en ce qu'elle prévoit la résiliation de plein droit du contrat d'une part en cas de défaut de règlement d'une mensualité à son échéance et, d'autre part, en cas de décès de l'emprunteur.

- que la clause présente un caractère abusif pour les autres causes de résiliation de plein droit qu'elle prévoit et qui sont étrangères au manquement par l'emprunteur à son obligation essentielle ou se rapportent à des informations qui ne sont pas de nature à éclairer le prêteur sur le risque de défaillance de l'emprunteur."

Cet avis a été communiqué aux parties.

Mme Y n'a pas comparu à l'audience de renvoi de l'affaire.

Par jugement du 10 août 2005, le tribunal d'instance a annulé les contrats de prêt et remis les parties dans leur état initial après avoir retenu que la clause litigieuse avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations de cocontractants au détriment de l'emprunteur et que le caractère non écrit de cette clause ne permettait pas aux contrats de subsister dès lors qu'elle constituait une disposition essentielle de leur économie.

La X a relevé appel de ce jugement.

Moyens et prétentions

La banque demande la condamnation de Mme Y à lui payer les sommes restant dues au titre des prêts avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 novembre 2003.

Elle expose que le juge ne pouvait relever d'office le moyen tiré du caractère abusif de la clause litigieuse.

Subsidiairement, elle se fonde sur l'avis de la Commission des clauses abusives du 24 février 2005 pour soutenir que cette clause est dépourvue de caractère abusif et que le tribunal d'instance ne pouvait revenir sur cet avis.

Mme Y conclut à la confirmation du jugement déféré.

Elle expose qu'en l'absence de comparution d'une partie, il appartenait au tribunal d'instance de vérifier le respect des dispositions d'ordre public, ce qui implique le contrôle du caractère abusif des clauses contenues dans les contrats de prêt.

Elle soutient que c'est à bon droit que le tribunal d'instance, qui, selon elle, a respecté l'avis rendu par la Commission des clauses abusives, a retenu que les conditions dans lesquelles la déchéance pouvait être mise en œuvre pouvaient créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l'emprunteur. Subsidiairement, elle fait état de versements effectués dont il doit être tenu compte.

Vu les conclusions de Mme Y du 28 décembre 2005 ;

Vu les conclusions de X du 17 janvier 2006 ;

Vu l'ordonnance de clôture du 1er février 2006 renvoyant l'affaire à l'audience du 15 février 2006.

Motifs

Attendu que le moyen tiré du caractère abusif de la clause de résiliation figurant dans les contrats de prêts, nonobstant son caractère d'ordre public, ne peut être opposé qu'à la demande de la personne que la réglementation des clauses abusives a pour objet de protéger ; que la débitrice n'ayant pas comparu à l'audience du tribunal d'instance et n'y étant pas représentée, cette juridiction ne pouvait relever ce moyen d'office ;

Attendu, néanmoins, que la cour d'appel se trouve désormais valablement saisie de ce moyen dès lors que Mme Y a conclu à la confirmation du jugement qui a retenu que la clause litigieuse avait pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de l'emprunteur et devait, en conséquence être réputée non écrite ;

Attendu que le litige faisant suite à la défaillance de l'emprunteur dans le remboursement des prêts, seule se trouve en cause la stipulation des contrats permettant à la banque de se prévaloir de leur résiliation de plein droit et de l'exigibilité immédiate des sommes restant dues en cas de non respect de l'un quelconque des engagements de l'emprunteur résultant du contrat, notamment le défaut de règlement à son échéance d'une mensualité ;

Attendu que dans son avis rendu le 24 février 2005, la Commission des clauses abusives a clairement conclu à l'absence de caractère abusif de cette stipulation ; qu'elle justifie cet avis en considérant que l'hypothèse du défaut de paiement par l'emprunteur d'une mensualité à son échéance représente un manquement à son obligation contractuelle essentielle qui est source de déchéance du terme selon les dispositions de l'article L. 311-30 du Code de la consommation ; que, dans la mesure où l'emprunteur a eu connaissance au moment de s'engager de l'échéancier de ses remboursements, cette clause n'est pas de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment de ce dernier ; que dès lors qu'elle n'a jamais prétendu n'avoir pas reçu cette information au moment de la signature de ses engagements, Mme Y n'est pas fondée en son moyen tiré du caractère abusif de la clause litigieuse ;

Attendu qu'au soutien de sa demande, X a produit les deux contrats de prêts signés par Mme Y ainsi qu'un décompte des sommes restant dues au titre de leur remboursement arrêté à la date du 10 janvier 2006 soit :

- 12 519,70 euro au titre du prêt du 27 avril 2000 ;

- 1 784,40 euro au titre du prêt du 10 février 1999.

Attendu que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter des lettres de mise en demeure du 24 novembre 2003 ;

Attendu que la condamnation de Mme Y au paiement des sommes précitées sera prononcée en deniers ou quittances pour tenir compte de l'éventualité de règlements intervenus en cours de procédure ;

Attendu que l'équité ne justifie pas de faire bénéficier la banque des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :

Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Condamne Mme Y à payer, en deniers ou quittances, à la société X : - 12 519,70 euro au titre du prêt du 27 avril 2000, - 1 784,40 euro au titre du prêt du 10 février 1999, avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2003 ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Mme Y aux dépens et accorde à la SCP Debernard Dauriac, avoué, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.