Livv
Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 19 janvier 2004, n° 01-02602

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Club Sportif Sedan Ardennes (SA)

Défendeur :

Sport Concept (SARL), Pierboni

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Ruffier

Conseillers :

MM. Perrot, Alesandrini

Avoués :

SCP Thoma-Le Runigo-Delaveau-Gaudeaux, SCP Delvincourt Jacquemet

Avocats :

SCP Blocquaux-Brocard, Mes Billet, Lemistre

T. com. Sedan, prés., du 17 déc. 2001

17 décembre 2001

Faits et procédure :

Par acte du 5 décembre 2001, la SA Club Sportif Sedan Ardennes (la société CSSA) a fait assigner en référé la SARL Sport Concept afin de voir constater la confusion existante entre les "produits dérivés" commercialisés par ces deux sociétés, notamment dans la grande distribution, en raison de l'utilisation de mêmes couleurs (vert et rouge) et d'un slogan publicitaire comparable (100 % Sedan Ardennes et 100 % Sedanais), et de voir ordonner à la société Sport Concept de cesser la commercialisation des produits litigieux, qui constituerait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, sous astreinte de 10 000 F (1 524,49 euro) par infraction constatée. Elle demandait de plus une somme de 500 000 F (76 224,51 euro) à titre de provision sur le préjudice subi, et la désignation d'un expert comptable pour déterminer ledit préjudice.

La société Sport Concept exposait qu'elle était liée à Monsieur Yves Pierboni par un accord de distribution de produits portant la marque d'usage "100 %", et distribuait depuis 1997 des vêtements portant la marque "100 % Sedanais", laquelle avait été déposée le 28 juillet 2000. Considérant qu'il n'y avait pas urgence, mais une contestation sérieuse, elle concluait à l'irrecevabilité des demandes de la société CSSA, ou au moins à leur débouté.

Monsieur Yves Pierboni, intervenant volontairement à l'instance, confirmait distribuer depuis 1997 des vêtements de sport portant la marque d'usage "100 % Sedanais", par l'intermédiaire de distributeurs locaux, et faisait grief au club d'avoir lui-même repris le slogan "100 %" dans sa dernière collection. Il concluait au débouté des demandes de la société CSSA.

Par ordonnance rendue le 17 décembre 2001, le juge des référés du Tribunal de commerce de Sedan a :

- donné acte à Monsieur Yves Pierboni de son intervention volontaire,

- débouté la SA Club Sportif Sedan Ardennes de ses demandes,

- condamné la SA Club Sportif Sedan Ardennes à payer à la SARL Sport Concept la somme de 5 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens.

La société CSSA a relevé appel de cette décision.

Un premier incident de communication de pièces, soulevé par l'appelante, a donné lieu à une ordonnance du conseiller de la mise en état, en date du 5 décembre 2002, par laquelle il était ordonné la communication par la société Sport Concept et Monsieur Pierboni au Club Sportif Sedan Ardennes, dans le mois de la signification de ladite ordonnance, des prix et tarifs 1999-2000 et 2000-2001 des articles de sport et des articles de supporters frappés du slogan "100 % Sedanais" et de couleur vert et rouge vendus par la société Sport Concept et Monsieur Pierboni, ainsi que de l'évolution des ventes de maillots de couleurs identiques à celles du Club Sportif Sedan Ardennes depuis 1997. Cette injonction fut assortie d'une astreinte de 50 euro par jour de retard après l'expiration du délai fixé, l'astreinte ne devant cependant courir que durant 2 mois à l'issue desquels il devait de nouveau être dit droit.

Un second incident fut soulevé par la société CSSA qui, reprochant à la société Sport Concept de n'avoir satisfait que partiellement au prescrit de l'ordonnance du 5 décembre 2002, et à Monsieur Pierboni de ne pas y avoir déféré du tout, a sollicité la liquidation des astreintes et une nouvelle injonction de produire avec augmentation du montant de l'astreinte journalière. Les intimés soulevaient l'incompétence du conseiller de la mise en état pour liquider l'astreinte et affirmaient par ailleurs ne pas être en mesure de produire des éléments supplémentaires. Par ordonnance rendue le 5 juin 2003, le conseiller de la mise en état s'est déclaré incompétent pour liquider l'astreinte ordonnée par sa précédente décision, et a rejeté la nouvelle demande de communication de pièces.

Prétentions des parties

La SA Club Sportif Sedan Ardennes, appelante, soutient que l'attitude de la société Sport Concept et de Monsieur Pierboni serait constitutive d'une concurrence déloyale caractérisée par la confusion et le parasitisme. Elle considère en conséquence que le juge des référés devait faire cesser le trouble qui en aurait résulté, même en présence d'une contestation sérieuse, en interdisant toute commercialisation des produits litigieux, et demande à la cour d'ordonner cette interdiction, en l'assortissant d'une astreinte de 1 500 euro par infraction constatée.

La société CSSA prétend que cette attitude parasitaire lui aurait causé un préjudice l'autorisant à réclamer une provision de 76 224,51 euro à valoir sur l'indemnisation définitive dont l'évaluation devrait donner lieu à une expertise qu'elle sollicite.

La société CSSA sollicite enfin, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, la condamnation in solidum de ses adversaires à lui payer la somme de 5 000 euro.

La SARL Sport Concept, intimée, soulève en premier lieu l'irrecevabilité des prétentions de la société CSSA, au regard des dispositions de l'article 872 du nouveau Code de procédure civile, et soutient que les conditions exigées par l'article 873 du même Code ne seraient pas remplies.

Elle conteste ensuite le risque de confusion entre les produits qu'elle commercialise et ceux diffusés par la société CSSA, ainsi que le grief de parasitisme, et conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise.

Subsidiairement, la société Sport Concept estime que l'existence du préjudice allégué par la société CSSA ne serait pas démontrée, et qu'il y aurait donc lieu de rejeter la demande de provision comme celle d'expertise. Pour le cas où, cependant, une condamnation serait prononcée à son encontre, elle demande à en être entièrement garantie par Monsieur Pierboni, sans cependant exposer le fondement de son recours en garantie.

La société Sport Concept sollicite enfin, sur le fondement de l'article 700 déjà visé, la condamnation de la société CSSA à lui payer la somme de 3 811,23 euro.

Monsieur Yves Pierboni, intimé, présente des moyens semblables à ceux de la société Sport Concept pour conclure à la confirmation de l'ordonnance critiquée. Il soulève de plus l'irrecevabilité de la demande de provision formée à son encontre par la société CSSA, aux motifs qu'étant intervenant volontaire à titre accessoire à l'instance, il n'existerait pas de lien d'instance entre cette société et lui, et que cette demande serait présentée pour la première fois en cause d'appel. Monsieur Pierboni ne présente par ailleurs aucun moyen concernant le recours en garantie de la société Sport Concept.

Sur quoi, LA COUR :

Attendu que si la société Club Sportif Sedan Ardennes n'avait pas mentionné dans son assignation en référé les textes de procédure en vertu desquels elle prétendait voir le juge des référés du tribunal de commerce accéder à ses demandes d'interdiction de commercialisation des produits litigieux et d'allocation d'une provision, elle a précisé à l'audience, comme cela résulte de l'exposé des moyens des parties par le premier juge, que cette commercialisation constituant un trouble manifestement illicite, le juge des référés pouvait, par application des dispositions de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile, faire cesser ce trouble même en présence d'une contestation sérieuse ; qu'elle reprend ce fondement dans ses écritures communiquées devant la cour ;

Attendu que pour établir le trouble manifestement illicite qui donnerait pouvoir au juge des référés d'ordonner l'interdiction de commercialisation qu'elle sollicite, la société CSSA fait valoir que le vert et le rouge sont les couleurs utilisées par le club sportif de Sedan, et que ces couleurs seraient associées à ce club tant sur le département des Ardennes que sur le territoire national, notamment par la retransmission médiatique des matchs de football ; qu'elle ajoute que le club de Sedan utilise le vert et le rouge dans toute sa communication et par voie de conséquence sur l'ensemble de ses produits dérivés ; qu'elle expose encore que le Club Sportif Sedan Ardennes aurait déposé à titre de marques les couleurs vert et rouge le 21 avril 2000; qu'elle fait grief à la société Sport Concept et à Monsieur Pierboni d'utiliser dans leur production le vert et le rouge pour créer la confusion dans l'esprit des consommateurs;

Attendu cependant qu'il ressort des pièces produites par la société CSSA elle-même que le dépôt fait auprès de l'Institut national de la propriété industrielle le 15 juin 1999, et ayant donné lieu à publication le 21 avril 2000, ne porte pas sur la simple association des deux couleurs, le vert et le rouge, mais sur un dessin complexe qui comporte certes un fond et un cerclage mi-parties rouge et vert, mais également la représentation d'un sanglier stylisé et le nom du "Club sportif Sedan Ardennes" ; qu'il n'est pas reproché aux intimés d'avoir reproduit, ou même imité, cette marque ; qu'à défaut de l'existence d'une protection particulière de la simple association de deux couleurs, l'une primaire et l'autre secondaire, il n'est pas manifeste que le trouble allégué, dont il n'est pas besoin de vérifier la réalité, soit illicite ; que l'une des conditions nécessaires à l'attribution au juge des référés du pouvoir d'ordonner la cessation de ce prétendu trouble étant absente, c'est à juste titre que le premier juge a débouté la société CSSA de sa demande d'interdiction de commercialisation; que son ordonnance sera donc confirmée sur ce point, par substitution de motifs dans la mesure utile;

Attendu, en ce qui concerne la demande de provision formulée par la CSSA, qu'elle n'avait pas été formée à l'encontre de Monsieur Pierboni en première instance, même au cours des débats à l'audience auxquels ce dernier est intervenu volontairement;

Attendu que Monsieur Pierboni est mal fondé à prétendre qu'il n'existerait aucun lien d'instance entre la société CSSA et lui pour soutenir que la demande dirigée contre lui en appel serait irrecevable; qu'en effet, n'ayant pas été mis en cause par la société Sport Concept, il n'a pu être amené à intervenir volontairement que parce qu'il se sentait directement concerné par l'action de la CSSA, en sa qualité de titulaire de la marque "100 pour cent Sedanais", déposée le 28 juillet 2000, et de distributeur depuis 1997 des produits "100 % Sedanais" à l'origine du présent litige ; que par cette intervention volontaire, il a créé le lien d'instance autorisant la société CSSA à formuler des demandes à son encontre par voie de simples conclusions ;

Attendu qu'il est en revanche bien fondé à soulever l'irrecevabilité de cette demande de provision comme formée contre lui pour la première fois en cause d'appel, en invoquant les dispositions de l'article 564 du nouveau Code de procédure civile ; qu'ajoutant à l'ordonnance entreprise, la demande de provision de la société CSSA sera donc déclarée irrecevable en ce qu'elle est dirigée contre Monsieur Pierboni;

Attendu que formée contre la société Sport Concept, cette même demande repose nécessairement sur les dispositions de l'alinéa 2 de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ; que le juge des référés ne peut donc y satisfaire que s'il n'existe pas de contestation sérieuse;

Attendu que la simple utilisation de couleurs similaires, même si elle s'applique à des produits de même type (maillots sportifs et divers accessoires de supporters) et vise un même public (les amateurs de football, plus particulièrement intéressés par le sort du club de Sedan), ne suffit pas à établir à l'évidence l'existence d'une concurrence déloyale; qu'en effet, comme cela a déjà été rappelé, l'association des couleurs vert et rouge n'est pas particulièrement protégée, et un club de sport ne peut prétendre à un monopole de commercialisation de tous produits destinés à permettre à ses supporters de manifester leur affection et leur enthousiasme ;

Attendu en outre que la société CSSA ne démontre aucunement le caractère prétendument parasitaire de l'activité des intimés alors qu'elle ne justifie pas avoir exercé une activité de vente de produits dérivés avant 1999 et que l'accord de distribution des produits litigieux conclu entre la société Sport Concept et Monsieur Pierboni date de 1998 et qu'elle ne conteste pas que cette diffusion ait commencé en 1997;

Attendu qu'il résulte suffisamment de ces éléments l'existence d'une contestation sérieuse relativement aux fautes prétendues des intimés qui pourraient être à l'origine du préjudice dont il est demandé réparation au moins partielle ; que le juge des référés n'a donc pas pouvoir d'allouer la provision demandée ; que l'ordonnance critiquée sera en conséquence également confirmée, par substitution de motifs dans la mesure utile, en ce qu'elle a rejeté la demande de provision ;

Attendu qu'au vu de ce qui précède, il n'y a pas lieu d'examiner la demande de garantie formulée par la société Sport Concept à l'encontre de Monsieur Pierboni ;

Attendu que la demande de la société CSSA tendant à voir désigner un expert pour évaluer le montant du préjudice qu'elle aurait subi ne peut reposer sur les dispositions de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile, ni sur celles de l'article 872 du même Code car il n'apparaît pas qu'il y ait urgence à procéder à cette expertise ; qu'elle ne peut donc avoir pour fondement que les dispositions de l'article 145 du même Code;

Attendu que la société CSSA expose que son préjudice serait constitué par une perte de chiffre d'affaires, et serait démontré par les différences tarifaires pratiquées par les deux sociétés ; qu'une simple différence tarifaire, normale dans une situation de concurrence, ne démontre pas l'existence d'un préjudice; que si une attestation établie par son expert-comptable fait apparaître une baisse importante du chiffre d'affaires du mois de décembre lié aux produits dérivés entre 2000 et 2001, aucun des éléments produits ne fait apparaître de lien entre cette baisse et l'activité des intimés, étant rappelé que celle-ci se poursuit depuis 1998 au moins;

Attendu qu'à défaut d'établissement, ou au moins de présomption, d'un tel lien, la société CSSA ne justifie pas d'un intérêt légitime à voir ordonner la mesure d'instruction qu'elle sollicite ;

Attendu que l'ordonnance entreprise sera encore confirmée en ce qu'elle a rejeté cette demande ;

Attendu que la société CSSA, qui succombe en son appel, supportera l'intégralité des dépens;

Attendu que, partie tenue aux dépens, elle devra verser à la société Sport Concept la somme de 1 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens; que sa propre demande sur le même fondement sera en revanche rejetée;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare irrecevable la demande de provision formée par la SA Club Sportif Sedan Ardennes en ce qu'elle est dirigée contre Monsieur Yves Pierboni, Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 17 décembre 2001 par le juge des référés du Tribunal de commerce de Sedan, Y ajoutant, Condamne la SA Club Sportif Sedan Ardennes, par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à payer à la SARL Sport Concept la somme de 1 000 euro, La déboute de sa demande de même fondement, La condamne aux dépens d'appel, avec faculté de recouvrement direct de la part des dépens afférents à la présente instance qui la concerne, selon les termes de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, au bénéfice de la SCP Delvincourt-Jacquemet, avoués.