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Décisions

Cass. crim., 30 mai 2006, n° 05-85.921

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Delbano

Avocat général :

M. Mouton

Avocats :

SCP Monod, Colin

Aix-en-Provence, 5e ch., du 7 sept. 2005

7 septembre 2005

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par X Jean-Pascal, Y Tony, contre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 5e chambre, en date du 7 septembre 2005, qui, pour tromperie sur les qualités d'une marchandise, les a condamnés à 3 mois d'emprisonnement avec sursis, a ordonné l'affichage de l'arrêt pendant un mois à la porte de l'entreprise et sa publication ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 213-3, L. 216-2 et L. 216-3 du Code de la consommation, 121-4 et 121-5 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Jean-Pascal X et Tony Georges Y coupables d'avoir trompé, ou tenté de tromper, le contractant sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises, de les avoir, en conséquence, condamnés à une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis, et d'avoir ordonné l'affichage du présent arrêt, pendant une durée d'un mois, à la porte de l'entreprise où l'infraction a été commise, ainsi que la publication, par extrait du présent arrêt, dans le journal Nice Matin, aux frais des condamnés, sans que le coût de la publication puisse dépasser la somme de 800 euro ;

"1°) aux motifs qu'il résulte des constatations effectuées par les agents de la DGCCRF qu'un même produit, déjà conditionné une première fois à une date qui, dans certains cas, était celle du 2 novembre 2000, avec une date limite de consommation au 6 novembre 2000, avait été remis sous film avec une nouvelle étiquette mentionnant la date du 6 novembre comme étant celle du conditionnement et la date du 10 novembre comme date limite de consommation ; que, si le contrôle n'avait pas eu lieu, le même produit aurait été présenté plusieurs fois à la clientèle avec un étiquetage différent, et comportant des indications incompatibles entre elles, quant aux dates de fraîcheur ; qu'on en tirera la conséquence que les mentions figurant sur la deuxième étiquette sont mensongères et constituent à elles seules la tromperie punissable ; que, d'autre part, s'agissant de viande de boucherie préemballée, les dates de conditionnement et de limite de consommation font partie des qualités substantielles de la marchandise, au sens de l'article L. 213-3 du Code de la consommation ; qu'en second lieu, les énonciations du procès-verbal dressé par la DGCCRF font apparaître que ces conditionnements successifs de la viande préemballée étaient de pratique habituelle dans l'hypermarché, et qu'il avait lieu de façon régulière le lundi matin, notamment, après que les invendus aient séjourné pendant le week-end en chambre froide ; que le procédé décrit faisait intervenir une dizaine de membres du personnel, organisé en une véritable chaîne de travail ; qu'on n'est donc manifestement pas en présence d'une faute d'exécutant, la responsabilité d'un tel dispositif relève au contraire des décisions de la direction ; que, ceci étant, des délégations de pouvoirs ayant été alléguées et justifiées devant les premiers juges, et n'ont d'ailleurs pas été contestées par les deux prévenus, selon qui la direction n'était pas informée de la situation ayant donné lieu aux poursuites ; qu'on doit donc en tirer les conséquences de ces délégations, qui conduisent à déclarer les deux prévenus coupables des faits, Jean-Pascal X en tant qu'auteur direct, et Tony Georges Y, son supérieur hiérarchique, en tant qu'il n'a pas veillé à interdire des pratiques contraires aux normes de sincérité de l'étiquetage, alors qu'une telle obligation entrait précisément dans ses attributions personnelles, selon le texte de la délégation qu'il a fournie ;

"alors, d'une part, que la tromperie sur les qualités de la chose vendue, pour être punissable, doit porter sur les qualités substantielles de la marchandise vendue ; que la date de conditionnement et la date limite de consommation d'une viande préemballée, en l'absence de réglementation spécifique à ce type de produit, ne constituent pas une qualité substantielle de la marchandise vendue, dès lors que la marchandise vendue demeure consommable ; qu'en l'espèce, les demandeurs faisaient valoir que la fixation d'une nouvelle date limite de consommation, par reconditionnement de la viande, n'impliquait pas en soi que le produit n'ait plus été de bonne qualité ou consommable à la nouvelle date fixée, et que la fixation d'une nouvelle date limite de consommation impliquait au contraire que le produit était de qualité suffisamment bonne pour que sa date limite de consommation puisse être reportée (conclusions d'appel, page 12, 1 et 2) ; que, dès lors, en se bornant à affirmer, s'agissant de viande de boucherie préemballée, que les dates de conditionnement et de limite de consommation faisaient nécessairement partie des qualités substantielles de la marchandise, sans rechercher, en l'absence de réglementation spécifique imposant un délai entre la date de conditionnement et la date limite de consommation, si, à la date à laquelle elle a été reconditionnée, la viande n'était pas toujours de bonne qualité et consommable, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, d'autre part, que la tromperie sur les qualités de la chose vendue, pour être punissable, doit résulter d'une intention frauduleuse et porter sur les qualités substantielles du produit ; qu'il appartient au juge de constater les circonstances d'où se déduit la mauvaise foi du prévenu ; qu'en l'espèce, les demandeurs faisaient valoir que le délit de tromperie suppose une inexactitude volontaire et que la modification de la date limite de mise en vente n'était pas incriminable, seule l'étant la modification de date faisant croire au consommateur que le produit qu'il achetait était de bonne qualité, ou d'une fraîcheur garantie, alors qu'il ne l'était plus (conclusions d'appel, page 12, in fine) ; que, dès lors, en se bornant à retenir que les mentions figurant sur la deuxième étiquette, après reconditionnement, étaient mensongères, et constituaient à elles seules la tromperie punissable, sans constater que les demandeurs avaient eu l'intention de tromper le consommateur en lui faisant croire que le produit qu'il achetait était de bonne qualité, ou d'une fraîcheur garantie, cependant qu'il ne l'aurait plus été, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, de troisième part, que Tony Georges Y faisait valoir qu'il n'était pas responsable des fautes commises dans le rayon boucherie, dès lors que Jean-Pascal X disposait d'une délégation de pouvoirs du chef d'entreprise, M. Z (conclusions d'appel, page 7) ; qu'en retenant qu'une dizaine de membres du personnel participait au reconditionnement de la viande préemballée, pour en déduire qu'un tel dispositif relevait des décisions de la direction, tout en constatant que la direction n'était pas informée de la situation ayant donné lieu aux poursuites, pour en tirer comme conséquence que Tony Georges Y, en sa qualité de supérieur hiérarchique de Jean-Pascal X, devait être déclaré coupable, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, privant ainsi sa décision de fondement légal ;

"alors, enfin, que la cour d'appel a retenu au soutien de sa décision que les énonciations du procès-verbal dressé par la DGCCRF faisaient apparaître que les conditionnements successifs de la viande préemballée étaient de pratique habituelle dans l'hypermarché et qu'il avait lieu de façon régulière le lundi matin, notamment, après que les invendus aient séjourné pendant le week-end en chambre froide ; qu'en se bornant à dire que la pratique était habituelle, sans s'expliquer davantage sur cette circonstance ni dire de quels éléments elle résultait, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de motifs et n'a pas légalement justifié sa décision ;

"et aux motifs que, en ce qui concerne les peines prononcées, le contexte ci-dessus décrit justifie la condamnation des deux prévenus à trois mois d'emprisonnement avec sursis, sur l'appel incident du ministère public, mais sans amende ; que le jugement doit, en outre, être confirmé en ce qu'il a pris des mesures d'affichage et la publication, qui sont des moyens efficaces d'empêcher le renouvellement de ce type d'infractions ;

"alors que, dans le cas où les tribunaux sont autorisés à ordonner l'affichage de leur jugement à titre de pénalité pour la répression des fraudes, notamment aux portes du domicile, des magasins, usines et ateliers du condamné, ils devront fixer le temps pendant lequel cet affichage devra être maintenu sans que la durée puisse excéder sept jours ; qu'en ordonnant l'affichage de sa décision, pendant une durée d'un mois à la porte de l'entreprise où l'infraction a été commise, la cour d'appel a violé l'article L. 216-3 du Code de la consommation" ;

Sur le moyen pris en ses quatre premières branches : - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, lors d'un contrôle inopiné de l'atelier de découpe et de conditionnement de la boucherie de l'hypermarché Leclerc, au Cannet (Alpes-Maritimes), les agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, ont constaté, le 6 novembre 2000, que des employés du magasin procédaient au déballage de pièces de viande préemballées, dont la date de conditionnement initiale était comprise entre le 2 et le 4 novembre 2000 et celle limite de consommation entre le 6 et le 8 novembre 2000, à leur découpe et à leur parage, avant de les conditionner dans des barquettes neuves mises sous film plastique et comportant une date d'emballage du 6 novembre 2000, ainsi qu'une date limite de consommation fixée au 10 novembre 2000 ; que ces produits étaient placés sur des chariots devant être acheminés vers les rayons de la grande surface ;

Attendu que, pour condamner Jean-Pascal X et Tony Y du chef de tromperie, l'arrêt énonce que, si le contrôle n'avait pas eu lieu, le même produit aurait été présenté plusieurs fois à la clientèle avec un étiquetage différent et comportant des indications incompatibles entre elles, quant aux dates de fraîcheur ; que ces mentions figurant sur la seconde étiquette sont mensongères et constituent à elles seules la tromperie punissable, s'agissant de viande de boucherie préemballée, les dates de conditionnement et de limite de consommation faisant partie des qualités substantielles de la marchandise, au sens de l'article L. 213-3 du Code de la consommation ; que les juges retiennent que les énonciations du procès-verbal dressé par les contrôleurs font apparaître que ces conditionnements successifs de la viande préemballée étaient une pratique habituelle, qui avait lieu notamment le lundi matin, et qui faisait intervenir une dizaine de membres du personnel, organisés en une véritable chaîne de travail ; que la responsabilité d'un tel dispositif relève non d'une faute d'exécutant, mais de décisions de la direction ; que les deux prévenus, bénéficiaires de délégations de pouvoir, sont coupables de la tromperie, Jean-Pascal X comme auteur direct des faits, et Tony Y, son supérieur hiérarchique, en tant qu'il n'a pas veillé à interdire des pratiques contraires aux normes de sincérité de l'étiquetage, alors qu'une telle obligation entrait dans ses attributions personnelles, selon sa délégation ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que les griefs allégués ne sont pas fondés ;

Mais sur le moyen pris en sa cinquième branche : - Vu les articles 111-3 du Code pénal et L. 216-3 du Code de la consommation ; - Attendu que les juges ne sauraient prononcer une peine d'une durée supérieure à celle fixée par la loi ;

Attendu que, par l'arrêt attaqué, la cour d'appel a ordonné l'affichage de sa décision pour une durée de un mois à la porte de l'entreprise où l'infraction a été commise ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que le temps pendant lequel l'affichage doit être maintenu ne peut, selon l'article L. 216-3 du Code de la consommation, excéder sept jours, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs, Casse et annule l'arrêt précité de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 7 septembre 2005, en ses seules dispositions relatives à la durée de l'affichage de la décision de condamnation, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Dit que la durée de l'affichage de l'arrêt de la cour d'appel à la porte de l'entreprise où l'infraction a été commise est fixée à sept jours ; Dit n'y avoir lieu à renvoi ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.