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Décisions

CJCE, 2e ch., 4 juillet 1985, n° 220-84

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AS-Autoteile Service GmbH

Défendeur :

Pierre Malhé

CJCE n° 220-84

4 juillet 1985

LA COUR,

1. Par ordonnance du 9 juillet 1984, parvenue à la Cour le 28 août suivant, le Bundesgerichtshof a posé, en vertu du protocole du 3 juin 1971 relatif à l'interprétation, par la Cour de justice, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (ci-après : la convention), trois questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 16, numéro 5, de cette convention.

2. Il apparaît du dossier que la requérante au principal, la société As-Autoteile, ayant son siège a Buhl, s'occupe de la récupération de pièces automobiles usagées et qu'elle a été en relation d'affaires avec la société Pat Gmbh, ayant son siège à Meckenheim, près de Bonn, dont l'un des sociétaires est M. Pierre Malhe, exploitant de la société de récupération de pièces automobiles, domicilie à Saleux (France), défendeur au principal. A un moment donné, As-Autoteile a obtenu du Landgericht Bonn, à l'encontre de la société Pat, une condamnation par défaut, datée du 5 avril 1978, portant sur la somme de 1 001 476,95 DM plus les intérêts, à la suite de la livraison de marchandises défectueuses.

3. Au moment ou As-Autoteile a tenté d'exécuter cette condamnation à l'encontre de la société Pat, elle a du constater que celle-ci était insolvable. As-autoteile considère que cette insolvabilité est due au fait que les liquidités de la société Pat ont été transférées illicitement à l'un des sociétaires, M. Malhe, domicilié en France, sous forme de bénéfices fictifs. As-autoteile a demande en conséquence et obtenu, le 6 mars 1980, de la part de l'Amtsgericht Rheinbach, une ordonnance de saisie et de transfert de la créance que, selon la requérante au principal, Pat pourrait faire valoir contre Malhe du chef d'un enrichissement sans cause.

4. En vertu de cette ordonnance, As-Autoteile a introduit une action en paiement contre Malhe devant le Landgericht Baden-Baden. Il ne ressort pas du dossier sur quelle base ce tribunal a été saisi. Quoi qu'il en soit, le Landgericht Baden-Baden, considérant qu'il était internationalement compétent, a condamne Malhe, par jugement du 17 novembre 1981, à verser à As-Autoteile, à concurrence de la créance de celle-ci, les sommes constitutives de l'enrichissement sans cause aux dépens de la société Pat.

5. Contre ce jugement, Malhe a interjeté appel devant l'Oberlandesgericht Karlsruhe, qui, par arrêt du 15 octobre 1982, s'est déclare incompétent sur base de l'article 2 de la convention, le prétendu débiteur étant domicilie en France. Selon l'Oberlandesgericht, la compétence appartient, dans ce cas, aux juridictions françaises. Contre cet arrêt, As-Autoteile a introduit un recours en révision devant le Bundesgerichtshof, qui a été rejeté par ordonnance du 7 novembre 1983. Désormais, la question de compétence est donc définitivement tranchée pour ce qui est du fond de l'affaire.

6. A une époque ou cette procédure était encore en cours, le Landgericht Baden-Baden avait émis, le 17 décembre 1982, une ordonnance imposant les dépens du litige à As-Autoteile. Cette ordonnance étant exécutoire, As-Autoteile a fourni a Malhe, afin d'éviter l'exécution forcée, une caution bancaire de 40 000 DM, dont ce dernier détient actuellement le titre.

7. C'est dans cette situation que As-Autoteile a introduit contre Malhe, devant le même tribunal, une action en opposition a exécution, selon l'article 767 du Code allemand de procédure civile (ZPO), qui est libellée comme suit :

1) il appartient au débiteur de faire valoir, par voie de demande devant le tribunal saisi du procès en première instance, les objections qui concernent la créance reconnue par le jugement.

2) ces objections ne sont recevables que si les motifs sur lesquels elles se fondent ne se sont produits qu'après la clôture des débats oraux dans lesquels, au plus tard, les objections auraient du obligatoirement être soulevées conformément aux dispositions du présent Code, et pour autant qu'elles ne puissent plus être soulevées par voie d'opposition.

3) le débiteur doit obligatoirement, dans la demande qu'il formera, soulever les objections qu'il était en état de faire valoir au moment de l'introduction de la demande.

8. A l'appui de son action, As-Autoteile invoque la compensation de la dette, résultant de sa condamnation aux dépens, avec la créance découlant de l'enrichissement sans cause de Malhe aux dépens de la société Pat, créance qui lui avait été attribuée aux fins de recouvrement. A titre accessoire, As-Autoteile demande la restitution du titre de la garantie bancaire qu'elle a fournie.

9. Saisi de cette action, le Landgericht Baden-Baden s'est déclaré incompétent par jugement du 4 avril 1983, compte tenu du fait que la plainte se rattache a une action en justice déjà déclarée irrecevable pour incompétence des juridictions allemandes.

10. Contre ce jugement d'incompétence du Landgericht, As-Autoteile a introduit un recours en révision direct devant le Bundesgerichtshof. C'est dans le cadre de ce recours que le Bundesgerichtshof a posé trois questions préjudicielles, libellées comme suit :

1) les actions en opposition à exécution au sens de l'article 767 du Zivilprozess-Ordnung (Code de procédure civile) allemand tombent-elles sous le coup de la règle de compétence de l'article 16, numéro 5, de la convention?

2) l'article 16, numéro 5, de la convention permet-il de demander devant les tribunaux de l'état contractant du lieu d'exécution, par la voie d'une action en opposition à exécution, la compensation entre le droit en vertu duquel l'exécution est poursuivie et une créance sur laquelle les tribunaux de cet état contractant ne seraient pas compétents pour statuer si elle faisait l'objet d'une action autonome?

3) la compétence découlant de l'article 16, numéro 5, de la convention s'applique-t-elle à une procédure dans laquelle le débiteur invoque l'irrégularité de l'exécution pour demander la restitution de l'original d'un acte de cautionnement qu'il a fourni à titre de constitution de garantie pour éviter l'exécution?

11. Aux termes de l'article 16 de la convention,'sont seuls compétents, sans considération de domicile :.. .. 5* - en matière d'exécution des décisions, les tribunaux de l'état contractant du lieu de l'exécution.'

12. En réponse à la première question, il y a lieu de constater qu'une procédure du genre de celle qui est prévue par l'article 767 du Code allemand de procédure civile tombe en soi sous la règle de compétence de l'article 16, numéro 5, en raison de son lien étroit avec la procédure d'exécution. Toutefois, cette constatation laisse ouverte la question de savoir quelles sont les exceptions qu'une partie peut faire valoir, sans dépasser les limites de l'article 16, numéro 5, dans le cadre d'une telle procédure. Tel est l'objet de la deuxième question posée par le Bundesgerichtshof.

13. Cette question vise, en effet, à savoir si, à l'occasion d'une procédure d'exécution, une partie peut faire valoir, par voie d'exception, une créance sur laquelle les tribunaux de l'état contractant du lieu d'exécution n'auraient pas compétence de statuer si cette créance faisait l'objet d'une action autonome.

14. Cette question doit être résolue à la lumière du système de la convention et, plus particulièrement, en considération du rapport entre l'article 2 et l'article 16.

15. Aux termes de l'article 2, les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat contractant sont attraites devant les juridictions de cet Etat. Cette disposition vise à protéger les droits du défendeur et constitue à ce titre la contrepartie des facilites que la convention accorde en ce qui concerne la reconnaissance et l'exécution des décisions étrangères. En l'occurrence, les juridictions allemandes ont déjà reconnu que, le défendeur au principal étant domicilié en France, l'examen de la créance mise en avant par le requérant au principal relèverait de la compétence des juridictions françaises.

16. L'article 16 de la convention apporte à cette règle générale une série de dérogations, sous forme de compétences exclusives, pour certains litiges qui comportent des liens spéciaux avec le territoire d'un Etat contractant autre que celui désigné en vertu de l'article 2, en raison soit de la situation d'un immeuble, soit du siège d'une société, soit d'une inscription dans un registre public, soit, et c'est l'objet du numéro 5, du lieu ou une exécution judiciaire est poursuivie.

17. Il résulte de la spécificité du lien exigé par l'article 16 qu'une partie ne saurait se prévaloir de la compétence que le numéro 5 de cet article attribué aux tribunaux du lieu de l'exécution pour saisir ces tribunaux, par voie d'exception, d'un litige qui relève des tribunaux d'un autre Etat contractant en vertu de l'article 2. L'utilisation, à une telle fin, de l'action en opposition à exécution est contraire à la répartition des compétences entre le juge du domicile du défendeur et le juge du lieu de l'exécution, voulue par la convention.

18. Dans le cas d'espèce, les juridictions allemandes s'étant déjà déclarées incompétentes pour connaître de la créance mise en avant au titre de compensation, le fait d'invoquer cette créance, afin de rencontrer l'exécution d'une décision relative aux dépens judiciaires encourus dans la même procedure, constitue, de la part de la partie requérante, un détournement manifeste de procedure en vue d'obtenir indirectement, des juridictions allemandes, une décision portant sur une créance pour l'examen de laquelle ces juridictions n'ont pas compétence en vertu de la convention.

19. Il y a donc lieu de répondre aux deux premières questions du Bundesgerichtshof que les actions en opposition à exécution, telles qu'elles sont prévues par l'article 767 du Code allemand de procedure civile, relèvent, en tant que telles, de la règle de compétence de l'article 16, numéro 5, de la convention, mais que cette dernière disposition ne permet pas, pour autant, de demander devant les tribunaux de l'Etat contractant du lieu d'exécution, par la voie d'une action en opposition a exécution, la compensation entre le droit en vertu duquel l'exécution est poursuivie et une créance sur laquelle les tribunaux de cet Etat contractant ne seraient pas compétents pour statuer si elle faisait l'objet d'une action autonome.

20. Compte tenu de ces réponses, la troisième question est sans objet.

Sur les dépens

21. Les frais exposés par le Gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

Statuant sur les questions a elle soumises par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 9 juillet 1984, dit pour droit :

Les actions en opposition a exécution, telles qu'elles sont prévues par l'article 767 du Code allemand de procedure civile, relèvent, en tant que telles, de la règle de compétence de l'article 16, numéro 5, de la convention, mais cette dernière disposition ne permet pas, pour autant, de demander devant les tribunaux de l'Etat contractant du lieu d'exécution, par la voie d'une action en opposition à exécution, la compensation entre le droit en vertu duquel l'exécution est poursuivie et une créance sur laquelle les tribunaux de cet Etat contractant ne seraient pas compétents pour statuer si elle faisait l'objet d'une action autonome.