Conseil Conc., 20 octobre 2006, n° 06-A-20
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Avis
Relatif à l'acquisition de la société Marine Harvest NV par la société Pan Fish ASA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de MM. Berkani, Lesur, par M. Lasserre, président, Mme Aubert, Mme Perrot, M. Nasse, vice-présidents, Mme Behar-Touchais, M. Flichy, M. Bidaud, membres.
Le Conseil de la concurrence (section III A),
Vu la lettre du 21 juillet 2006 enregistrée sous le numéro 06/0049 A, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application des dispositions des articles L. 430-1 à L. 430-7 du Code de commerce, d'une demande d'avis relative à l'acquisition par la société Pan Fish ASA de la société Marine Harvest NV ; Vu les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7, ainsi que le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ; Vu les observations présentées par les représentants de la société Pan Fish ASA et le commissaire du gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du gouvernement, les représentants de la société Pan Fish ASA entendus au cours de la séance du 10 octobre 2006 ; Les représentants des sociétés Hallvard Leroy, Prilam, Carrefour et Labeyrie entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 430-6, alinéa 3 du Code de commerce ; Adopte l'avis fondé sur les constatations et les motifs ci-après exposés :
I. Les entreprises parties à l'opération
A. LA SOCIETE PAN FISH ASA
1. PRESENTATION
1. Le groupe Pan Fish est actif dans le secteur de la production, de la transformation et de la vente du saumon. Il est composé de plus de 20 entreprises, présentes dans 7 pays. Le chiffre d'affaires cumulé du groupe Pan Fish, en tenant compte de celui réalisé par le groupe Kritsen, acquis le 2 janvier 2006, et le groupe Fjord Seafood, acheté progressivement entre mars et avril 2006, s'est élevé à 767,1 millions d'euro.
2. La société-mère du groupe, Pan Fish ASA, est une société de droit norvégien cotée à la bourse d'Oslo, l'Oslo Stock Echange. Son principal actionnaire est la société Geveran Trading Co Ltd.
3. Les deux principales activités de Pan Fish sont l'aquaculture, qui consiste en la production et la vente de saumon d'élevage, et la production de produits à valeur ajoutée à base de saumon (en France notamment) : transformation de saumon frais, saumon fumé, préparation à base de produits de la mer.
2. LES ACTIFS DU GROUPE PAN FISH EN FRANCE
4. Le groupe Pan Fish exerce en France différentes activités : la société Pan Fish France SA produit du saumon fumé à destination des marchés français et italien, pour les principaux groupes de distribution et la restauration collective, directement ou sous marque de distributeur. La société dispose d'une capacité de production de [...] tonnes, sa production en 2005 s'élevant à [...] tonnes. Son chiffre d'affaires pour 2005 est d'environ [<50] millions d'euro.
5. La société Kritsen SAS, acquise en janvier 2006 en même temps que la holding Kritsen ASA, produit du saumon fumé (deux unités de production) ainsi que des préparations à base de produits de la mer (une unité de production), à destination des marchés français et italien, pour la vente au détail à la restauration, directement ou sous marque de distributeur. Sa production en 2005 s'élevait à [...] tonnes. Son chiffre d'affaires pour 2005 est d'environ [<50] millions d'euro.
6. La société Fjord Seafood est contrôlée par Pan Fish depuis juin 2006. Le groupe Fjord Seafood réalise un chiffre d'affaires cumulé en France qui dépasse les 50 millions d'euro et le chiffre d'affaires mondial des deux groupes concernés dépasse 150 millions d'euro. L'opération de concentration, qui n'atteint pas les seuils communautaires, aurait dû être notifiée en France, ce qui n'a pas été fait. Une notification tardive, postérieure à l'acquisition, sera effectuée après que le Conseil a été saisi de l'opération qui fait l'objet du présent avis et la procédure prévue au I de l'article L. 430-8 du Code de commerce a été engagée par les services du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
7. Le présent avis prend en compte la situation de fait à la date à laquelle il est rendu. Dès lors, le chiffre d'affaires de Fjord Seafood, réalisé aussi bien en Norvège qu'en France, est pris en compte dans le chiffre d'affaires des parties. Toutes les conclusions auxquelles aboutit le Conseil sur la base de la puissance de marché cumulée des deux entreprises sont présentées sous réserve que l'acquisition de Fjord Seafood ne soit pas interdite a posteriori par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
8. Fjord Seafood dispose de trois filiales en France : Fjord Seafood Rolmer, dont l'activité est la préparation de produits frais à base de poissons et qui a réalisé un chiffre d'affaires pour 2005 d'environ [<50] millions d'euro ; Fjord Seafood Appéti' Marine, dont l'activité est la préparation de produits surgelés à base de poissons et qui a réalisé en 2005 un chiffre d'affaires d'environ [<50] millions d'euro ; Fjord Seafood LMB (ex-Les Mareyeurs Boulonnais), dont l'activité est la transformation en poisson frais découpé (mareyage, filetage,...) et dont le chiffre d'affaires pour 2005 est d'environ [<50] millions d'euro. D'après le rapport annuel 2005 du groupe Fjord Seafood, ces trois entreprises généraient en 2005 un chiffre d'affaires cumulé de 48,5 millions d'euro, ramené à 38,3 millions en excluant les échanges internes au groupe.
9. La société Fjord Seafood a également racheté, en juin 2006, les entreprises Charly Guennec Ultra Frais. Charly Guennec Ultra Frais Lorient est une entreprise de première et seconde transformation de saumon et de poisson à chair blanche en filets ou en portions ainsi que de préparation de produits élaborés. Son chiffre d'affaires est de [<50] millions d'euro. Charly Guennec Ultra Frais Boulogne est une entreprise de première et seconde transformation de saumon et de poisson à chair blanche en filets ou en portions. Son chiffre d'affaires est de [<50] millions d'euro. Solimer est une entreprise immobilière possédant le bâtiment de Charly Guennec Ultra Frais Lorient et dont le chiffre d'affaires s'élève à [...] euro.
3. LA SOCIETE AALESUNDFISK
10. A l'occasion du rachat, en 2005, du groupe Aquafarms, la société Pan Fish a porté à 44,2 % sa participation dans le capital de la société Aalesundfisk, société norvégienne dont les ventes représentent environ [0-5] % ([...] tonnes) du saumon Atlantique d'élevage vendu en Europe. Pan Fish a déclaré ne pas exercer d'influence déterminante sur la société norvégienne, seule ou conjointement avec la société Wartdal qui détient 35,2 % des parts de celle-ci.
11. Cependant, les éléments du dossier indiquent que la société Pan Fish exerce un contrôle sur la société Aalesundfisk conjointement avec la société Wartdal.
12. Ces sociétés possèdent en effet à elles deux près de 80 % des parts de la société norvégienne, les autres actionnaires possédant au maximum 6,80 % des parts. Ce contrôle capitalistique est renforcé par les droits de préemption exclusifs et réciproques concernant l'achat des actions de l'autre que se sont accordés chacun des deux actionnaires majoritaires dans un accord signé entre eux et la société Aalesundfisk le 29 décembre 2005 (article 4). Ce pacte d'actionnaires réserve également aux membres du conseil d'administration nommés par Pan Fish et Wartdal un pouvoir de décision relatif à l'achat d'actions par les employés (article 5).
13. De plus, l'article 9 du pacte d'actionnaires prévoit l'exercice d'un pouvoir conjoint des deux actionnaires au sein du conseil d'administration : le nombre de membres est fixé conjointement ; les deux actionnaires désignent chacun un membre (Wartdal s'étant engagé à voter pour un candidat de Pan Fish au Conseil) ; la désignation du président nécessite l'accord des deux actionnaires ; enfin, ceux-ci " sont d'accord pour accorder le droit aux autres actionnaires de désigner un membre en commun ".
14. Enfin, les deux sociétés influencent la politique commerciale de la société Aalesundfisk. Ivar Wartdal, président de la société Wartdal, est en effet le dirigeant de la société Aalesundfisk. La société Pan Fish est, quant à elle, clairement impliquée dans la stratégie commerciale d'Aalesundfisk, comme l'indiquent les articles 8 du pacte d'actionnaires ([...]). Le contrôle exercé par le groupe Pan Fish sur la politique commerciale de la société Aalesundfisk est, au surplus, confirmé sur le site Internet de Pan Fish, qui présente Aalesundfisk comme un complément à sa stratégie de distribution, ainsi que par un client d'Aalesundfisk, entendu comme témoin en séance, pour lequel Aalesundfisk appartient désormais au groupe Pan Fish.
15. Il ressort de ces éléments que Pan Fish et Wartdal ont conjointement une influence déterminante sur la société Aalesundfisk. Conformément à la pratique décisionnelle de la Commission européenne sur le calcul du chiffre d'affaires, dont on peut utilement s'inspirer au niveau national, 50 % du chiffre d'affaires de la société Aalesundfisk doit être attribué à la société Pan Fish pour le calcul des seuils de contrôle et des parts de marché.
B. LA SOCIETE MARINE HARVEST NV
16. Le groupe Marine Harvest est également un groupe actif dans le secteur de la production, transformation et vente de saumon, mais également d'autres poissons (dans de faibles proportions). Il est composé de plus de 30 entreprises, actives dans 17 pays. Son chiffre d'affaires s'est élevé en 2005 à 724,2 millions d'euro.
17. La société-mère du groupe, Marine Harvest NV, a été acquise en 1999 par Nutreco. Depuis avril 2005, elle est conjointement contrôlée par Nutreco Holding NV (à hauteur de 75 %) et Stolt Sea Farm Investment BV (à hauteur de 25 %).
18. Les deux principales activités de Marine Harvest sont l'aquaculture, qui consiste en la production et la vente de saumon d'élevage (ainsi que d'un peu de truite saumonée) et la production de produits à valeur ajoutée à base de saumon : transformation de saumon frais (en France notamment), saumon fumé (en Belgique), préparation à base de produits de la mer.
19. La société Marine Harvest France SNC a une activité de découpe et de transformation de saumon frais, pour la distribution, les grossistes ou la restauration, en France et en Europe. La production a atteint en 2005 à [...] tonnes. Son chiffre d'affaires en 2005 s'est élevé à [>50] millions d'euro.
II. L'opération notifiée
20. Un contrat d'acquisition, en date du 6 mars 2006, prévoit l'acquisition par Geveran Trading - principal actionnaire de Pan Fish ASA- de la totalité des actions de Marine Harvest détenues par Nutreco et Stolt Sea Farm, respectivement à hauteur de 75 % et de 25 %. Ce contrat stipule, en son article 11.6, que Geveran Trading peut céder à Pam Fish les droits et obligations nés du contrat, soit à la date de réalisation de l'opération, soit au jour du paiement du prix si cette date est antérieure à celle de réalisation de l'opération.
21. Un contrat de cession d'actions du même jour prévoit que Geveran Trading s'engage à céder tous ses droits et obligations à Pan Fish si, à la date du 24 mars 2006, certaines conditions sont réalisées. Ces conditions ayant été remplies dans les délais, Pan Fish a reçu l'ensemble des droits et obligations de Geveran Trading contenus dans le contrat d'acquisition du 6 mars 2006, et notamment l'obligation de recevoir toutes les actions nécessaires à la réalisation des conditions suspensives.
22. Un avenant du 27 mars 2006 au contrat d'acquisition fixe le prix d'achat de l'ensemble des actions de Marine Harvest à la somme de [...] milliards d'euro.
III. Contrôlabilité
23. L'opération consiste en l'acquisition par la société Pan Fish ASA de toutes les actions détenues par les deux actionnaires de Marine Harvest.
24. La contrôlabilité d'une opération de concentration relève de la combinaison des articles L. 430-1 et L. 430-2 du Code du commerce qui posent une condition qualitative relative à la nature de l'opération de concentration et des conditions en termes de seuils quantitatifs.
25. Aux termes de l'article L. 430-1 du Code de commerce :
" I.- Une opération de concentration est réalisée :
1º Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
2º Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises.
II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article.
III. - Aux fins de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment :
- des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ;
- des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise ".
26. Au cas d'espèce, la société Pan Fish acquiert, par achat de la totalité des actions, le contrôle exclusif des sociétés du groupe de Marine Harvest. Il s'agit donc bien d'une concentration au sens de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
27. Aux termes de l'article L. 430-2 du Code de commerce :
" Est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du présent titre toute opération de concentration, au sens de l'article L. 430-1, lorsque sont réunies les trois conditions suivantes :
- le chiffre d'affaires total mondial hors taxes de l'ensemble des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 150 millions d'euro ;
- le chiffre d'affaires total hors taxes réalisé en France par deux au moins des entreprises ou groupes des personnes physiques ou morales concernées est supérieur à 50 millions d'euro ;
- l'opération n'entre pas dans le champ d'application du règlement (CEE) nº 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises.
Toutefois, une opération de concentration entrant dans le champ du règlement précité qui a fait l'objet d'un renvoi total ou partiel à l'autorité nationale est soumise, dans la limite de ce renvoi, aux dispositions du présent titre (...) ".
28. En l'espèce, les groupes d'entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euro en 2004 (Pan Fish : 767,1 millions d'euros1 et Marine Harvest : 724,2 millions d'euro).
29. Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires en France de plus de 50 millions d'euro en 2004 (Pan Fish : [>50] millions d'euro et Marine Harvest : [>50] millions d'euro).
30. Cependant, les chiffres d'affaires des entreprises concernées n'atteignent pas les seuils fixés par le règlement communautaire n° 4064-89 du Conseil du 21 décembre 1989 (remplacé par le règlement n° 139-2004 du 20 janvier 2004).
31. En conséquence, l'opération notifiée constitue une opération contrôlable au regard des articles L. 430-1 et L. 430-2 du Code de commerce.
IV. Délimitation des marchés concernés par l'opération
32. L'opération notifiée est susceptible d'affecter le marché amont de la production et de la vente de saumon et le marché aval de la production et de la vente de saumon fumé.
A. LE MARCHE DE LA PRODUCTION ET DE LA VENTE DE SAUMON
1. DELIMITATION DU MARCHE DE PRODUIT
a) Saumon et autres poissons
33. Les précédents jurisprudentiels et le test de marché effectué pour la présente affaire indiquent clairement que le saumon doit être distingué des autres poissons, tant du point de vue des acheteurs que de celui des consommateurs, compte tenu de son goût, de son image, des volumes disponibles, de la régularité de l'approvisionnement, de son rendement et de sa part de marché. La truite saumonée présente également des différences de qualité, de caractéristiques physiques (notamment s'agissant du poids, du taux d'arêtes et de gras), de prix, d'image et de satisfaction offerte aux clients qui la distinguent du saumon.
b) Saumon sauvage et saumon d'élevage
34. De même, le saumon sauvage doit être distingué du saumon d'élevage. Le saumon sauvage, disponible en faibles quantités, se caractérise en effet par une grande hétérogénéité en terme de qualité (en matière de texture, de goût et de couleur) par opposition au saumon d'élevage dont la qualité présente une plus grande homogénéité, et qui offre des garanties du point de vue de la régularité de l'approvisionnement et de la traçabilité. Il ressort notamment du test de marché que la qualité du saumon sauvage Pacifique est moins appréciée que celle du saumon Atlantique d'élevage. Le saumon Atlantique sauvage est de meilleure qualité, mais il est plus rare et son prix est sensiblement plus élevé que le saumon d'élevage (de 10 à 70 %, la moyenne se situant entre 20 et 40 %). Enfin, le saumon sauvage ne permet pas de travailler en produits frais, car il est systématiquement congelé (pour des raisons sanitaires notamment).
c) Saumon Atlantique d'élevage et saumon Pacifique d'élevage
35. Il ressort du test de marché que le saumon Pacifique d'élevage n'est pas considéré par les acheteurs français comme un substitut au saumon Atlantique d'élevage. La totalité des acteurs ayant répondu déclare, en effet, soit qu'il n'existe, en Europe, que du saumon Atlantique d'élevage, soit que, bien qu'il existe également une offre de saumon d'élevage " coho ", l'intégralité de leur approvisionnement en saumon d'élevage est constituée de saumon Atlantique. Certaines réponses relèvent par ailleurs des différences entre le saumon Atlantique et le saumon Pacifique s'agissant des techniques et conditions d'élevage et d'abattage, de la forme, de la couleur, du taux de matière grasse, de la valeur nutritionnelle, du prix, de la crédibilité du contrôle et de la traçabilité.
36. De fait, le saumon Atlantique d'élevage représente de 92 à 96 % du saumon d'élevage vendu en Europe (le reste étant composé par le saumon Pacifique d'élevage et la truite saumonée d'élevage).
d) Saumon Atlantique d'élevage entier et saumon Atlantique d'élevage découpé
37. Les éléments du dossier indiquent que le saumon entier et le saumon découpé appartiennent au même marché pertinent, ces produits étant, dans certains cas, totalement substituables, et répondant, dans les autres cas, au même besoin en termes de matière première, nonobstant des variantes dans les modes de préparation, qui relèvent de choix de la part des acheteurs et auxquels, en tout état de cause, les producteurs sont capables de s'adapter sans surcoût significatif.
e) Saumon Atlantique d'élevage frais et saumon Atlantique d'élevage congelé
38. Les éléments, recueillis au cours de l'instruction du dossier et lors de la séance, ne permettent pas de dégager de certitude sur cet élément de délimitation du marché pertinent.
39. Une partie des acteurs interrogés distinguent le marché du saumon frais et le marché du saumon congelé, soit parce qu'ils n'utilisent pas du tout de saumon congelé, soit parce que leur mode d'approvisionnement diffère pour le saumon frais et pour le saumon congelé, soit enfin parce qu'ils mettent en avant une différence sensible de qualité (notamment compte tenu de l'impossibilité de recongeler des produits déjà congelés) et de traçabilité entre les deux formes.
40. En outre, il semble que saumon congelé et saumon frais soient utilisés pour des produits finis distincts et que certains cahiers des charges relatifs à des produits finis, comme ceux des marques distributeurs pour le saumon fumé, excluent expressément le recours au saumon congelé.
41. La plus grande partie du saumon congelé vendu en Europe a par ailleurs une origine différente (essentiellement le Chili) de celles du saumon vendu frais, même si une faible partie du saumon produit dans l'EEE est congelé et vendu en Europe et notamment en France.
42. Du point de vue des caractéristiques du produit, le saumon congelé peut être stocké, à la différence du saumon frais qui est un produit périssable que les offreurs ne peuvent conserver longtemps en cas de chute du cours ou d'insuffisance de la demande.
43. Enfin, le fait qu'un écart de prix substantiel (environ 30 %) existe et se maintienne entre saumon frais et congelé pourrait indiquer qu'il existe deux marchés distincts.
44. En sens inverse, à l'appui de la thèse défendue par la société notifiante, pour laquelle saumon frais et saumon congelé appartiennent au même marché pertinent, il convient de relever qu'une partie des acheteurs s'approvisionnent à la fois en saumon frais et en saumon congelé (notamment la restauration hors foyer et l'industrie agro-alimentaire). Ces acheteurs, bien qu'apparemment minoritaires, arbitrent entre les deux formes de saumon, compte tenu du prix inférieur du saumon congelé - correspondant à un niveau de qualité moindre - et du produit fini pour lequel il sera utilisé. De même, pour certains produits, tels que le saumon découpé, le saumon congelé est une alternative au saumon frais pour le consommateur final, que ces deux catégories de produits soient ou non vendues dans les mêmes endroits (les grandes et moyennes surfaces vendent à la fois des produits frais et surgelés, certains magasins comme Picard ne vendent que du surgelé et les poissonneries ne vendent que du frais). S'agissant du saumon fumé, l'augmentation de la consommation de ce produit se fait en partie au bénéfice des produits premier prix, pour lesquels le saumon congelé importé du Chili est utilisé de façon quasi exclusive.
45. Le groupe Pan Fish met ainsi en avant l'augmentation récente de la part du saumon importé en France et en Europe en provenance du Chili, sous forme congelée, et soutient que la demande pour ce produit est encore appelée à se développer fortement. Selon lui, les importations de saumon congelé chilien constituaient 4 % du saumon consommé dans les pays de l'EEE en 2003 et 13 % en 2005. Cette évolution peut être rapprochée de la conclusion, en 2004, d'un accord de libre-échange entre le Chili et l'Union européenne qui a entraîné une baisse des droits de douane sur le saumon et donc une baisse des prix relatifs du saumon chilien congelé par rapport au saumon frais produit en Europe. Avant cela, le différentiel entre le prix du saumon frais et le prix du saumon congelé importé du Chili ne semblait pas suffisant pour compenser la différence de qualité perçue.
46. L'évolution récente des données relatives à la demande de saumon frais et congelé en France peut aussi être replacée dans le cadre plus général du secteur du saumon dans son ensemble, caractérisé au cours de la période récente par une insuffisance de l'offre par rapport à la demande et des tensions sur les prix. De fait, de façon prospective, la croissance soutenue de la demande de saumon prévisible pour les années à venir et les évolutions des habitudes en matière d'alimentation pourraient favoriser le recours au saumon congelé importé du Chili.
47. Enfin, la Commission européenne s'est prononcée dans un règlement (CE) n° 628-2005 du 22 avril 2005 instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de saumon d'élevage originaire de Norvège, en faveur d'une substituabilité des différentes formes du poisson (saumon frais ou réfrigéré, filets frais ou réfrigérés, poissons congelés et filets congelés) au motif qu'elles ont toutes la même destination finale et sont aisément interchangeables, sans toutefois que l'analyse faite dans le règlement soit aussi développée que celles que la Commission effectue dans le cadre du contrôle des concentrations.
48. Au total, les arguments contradictoires exposés ci-dessus et l'absence de recul par rapport aux évolutions récentes ne permettent pas de trancher. Mais cette question de l'inclusion du saumon congelé dans le marché pertinent concerné par l'opération peut être laissée ouverte dans la mesure où, comme on le verra ci-dessous, l'analyse concurrentielle demeure inchangée quelle que soit la réponse apportée.
f) Origines du saumon Atlantique d'élevage
49. Le saumon Atlantique d'élevage consommé en Europe et en France peut avoir plusieurs origines : la Norvège (65 % des ventes), l'Ecosse (16,5 % des ventes), l'Irlande (2 % des ventes), le Chili (sous forme congelée, 13,3 % des ventes), autres origines (3 %).
50. Dans sa décision Marine Harvest du 12 avril 2005 (aff. COMP/M.3722), la Commission européenne a laissé ouverte la question de la définition du marché pertinent du point de vue de l'origine ou de l'espèce. Dans son rapport sur l'opération Nutreco/Hydro Seafood, la Competition Commission britannique a défini un marché du saumon Atlantique d'élevage, quelle que soit son origine, tout en considérant le saumon d'Écosse comme un produit de qualité un peu supérieure, pouvant justifier un premium de prix et pour lequel les différents acheteurs peuvent avoir une préférence plus ou moins marquée. La Competition Commission relevait à l'appui de cette analyse plusieurs éléments, tel le fait que certains détaillants ne précisent pas l'origine du saumon, même quand il provient d'Écosse ou que les plus grands supermarchés diversifient leurs approvisionnements. L'autorité britannique s'était, en outre, appuyée sur les conclusions de tests statistiques similaires à ceux proposés par les parties dans la présente affaire.
51. La société Pan Fish soutient que les différentes origines sont en concurrence les unes avec les autres et fournissent à l'appui de leur notification deux sortes de tests statistiques :
* des tests de corrélation2 qui montrent que les séries ont des évolutions parallèles à moyen terme,
* des tests de co-intégration3 qui montrent que ce parallélisme global s'accompagne aussi d'une forte symétrie des mouvements à court terme.
52. Ces tests viennent à l'appui des autres éléments au dossier militant en faveur de l'appartenance des différentes origines de saumon d'élevage à un même marché.
53. Il ressort, en effet, du test de marché qu'une large partie des acheteurs de saumon Atlantique d'élevage s'approvisionnent de façon indifférenciée en diverses origines, le critère étant, selon le cas, soit le prix, soit le prix sous contrainte de fraîcheur, soit le meilleur rapport qualité/ fraîcheur/ prix. Compte tenu des volumes de production, le saumon de Norvège semble ainsi difficilement contournable pour les acheteurs dépassant un certain volume. En revanche, les producteurs de saumon fumé de qualité ou les intermédiaires répondant à des demandes précises de clients attachent une grande importance à l'origine du saumon et considèrent que le saumon d'Écosse ou d'Irlande ne peut être remplacé par du saumon de Norvège.
54. Enfin, l'existence de différences objectives entre les origines est discutée. Le saumon norvégien contiendrait plus de lipides que le saumon écossais, lui-même plus gras que le saumon irlandais. Des différences de couleur sont également mentionnées. Toutefois, certains professionnels affirment être capables de distinguer les différentes origines dans des tests à l'aveugle tandis que d'autres s'en déclarent incapables.
55. Il ressort néanmoins clairement que le saumon d'Écosse bénéficie d'une meilleure image et d'une appréciation de qualité plus grande que le saumon de Norvège auprès des consommateurs, prêts à payer un supplément de prix pour ce surplus de qualité perçue et, par conséquent, auprès des acheteurs. L'origine de cette image est délicate à déterminer et semble tenir à plusieurs éléments. Le saumon d'élevage d'Écosse a ainsi certainement bénéficié dans son ensemble d'une externalité positive d'image liée aux certifications obtenues par une partie de la production (Tartan écossais et Label Rouge français) ainsi qu'au prestige du saumon sauvage d'Écosse pêché à la ligne. Il bénéficie également d'un effet lié à sa moins grande abondance (son volume de production correspond à 25 % du volume du saumon de Norvège). Enfin, s'il existe des distinctions objectives, compte tenu des similitudes génétiques entre les différentes origines géographiques du saumon Atlantique, elles pourraient être liées aux modes d'élevage ou aux caractéristiques des sites écossais (température de l'eau, nature des courants).
56. Ces éléments font du saumon écossais un produit différencié en terme de qualité et d'image et dont le supplément de prix par rapport au saumon de Norvège se situe entre 10 et 15 %, supplément qu'une large partie des acheteurs est prête à payer. S'agissant des prix relatifs, un intermédiaire précise que " le prix de " référence " pour le frais est donné par la Norvège. En règle générale, pour un importateur Français comme [confidentiel], les origines UE (Écosse et Irlande) se paient légèrement au dessus du prix de la Norvège (env. 5 à 10 %). Mais cette règle comporte des exceptions assez fréquentes liées aux aléas de la production dans ces deux pays et de la demande du marché Britannique qui est leur principal client (surtout pour l'Écosse). Il arrive assez régulièrement que les prix de l'origine Écosse sur le " spot " se situent en dessous des prix de la Norvège. L'offre chilienne sur l'UE est constituée principalement de filets et de découpe de saumon Atlantique congelés qui arrivent sur ces marchés à des prix qui peuvent être sensiblement inférieurs (-20 %) aux prix des mêmes produits d'origine Norvège ou Écosse ".
57. Pareillement, les autres origines de saumon bénéficient d'un positionnement vertical particulier. Ainsi, le saumon d'Irlande, dont les volumes produits sont faibles par rapport à ceux de saumon de Norvège et d'Écosse, peut être perçu comme d'une qualité supérieure. Son positionnement prix plus élevé que celui du saumon d'Écosse (de 10 à 15 %) peut aussi refléter sa rareté. Le saumon de Norvège est le saumon le plus produit en Europe et dans le monde et jouit d'une bonne image de qualité. Il convient à la plupart des clients et est le seul à cumuler à la fois un niveau élevé de qualité et une quantité produite importante. Le saumon du Chili est quant à lui moins cher (environ 30 %) et, comme cela a déjà été précisé ci-dessus, est considéré comme un produit de qualité moindre.
58. Ces éléments de différenciation verticale sont renforcés par les transformateurs, et notamment les fumeurs, qui adoptent des positionnements marketing différents selon les origines, auxquels le consommateur français est particulièrement réceptif. Ainsi, un intermédiaire précise : " l'ensemble des origines appartient à un seul marché qui s'est fragmenté naturellement et chaque origine aujourd'hui a ses propres parts de marchés qui se sont construites sur des marketings spécifiques à chaque origine ; dans l'état actuel du marché, les proportions de chaque origine ne se modifieront pas, l'élément clé restant le niveau de prix de la matière première qui, elle-même, est dépendante des volumes de production ". Les différences de prix entre les produits correspondent donc à des différences de qualité perçue et peuvent être répercutées tout au long de la chaîne de valeur.
59. La plupart des réponses au test du monopoleur hypothétique confirment, par ailleurs, la substituabilité des différentes origines de saumon Atlantique d'élevage. Ainsi, une grande partie des acteurs interrogés déclarent qu'ils reporteraient au moins une partie de leur demande si une variation des prix de 5 à 10 % s'ajoutait à l'écart de prix déjà existant.
60. L'étude des choix stratégiques de l'ensemble des acteurs dans l'hypothèse d'une augmentation de prix du saumon écossais de 5 et de 10 % permet cependant d'affiner l'analyse des préférences des consommateurs. Certains acteurs ne reporteraient, en effet, leur demande qu'en partie ou seulement pour une augmentation de 10 % ou plus, signe que les produits ne sont pas parfaitement substituables ou qu'il peut exister sur le marché un intérêt pour la diversité. À cet égard, on relèvera que les réponses peuvent varier selon la période de l'année, les différentes origines pouvant être généralement substituables, sauf pendant la période des fêtes de fin d'année, où la nécessité de disposer de saumon d'origine très diverse, notamment en saumon fumé, est plus forte. Enfin, certains acteurs déclarent que même en cas d'augmentation significative du prix, ils ne feraient pas varier leur demande, soit qu'ils ne produisent qu'un produit déterminé, soit qu'ils aient une stratégie de gamme complète et diversifiée. Ces éléments confirment l'imparfaite substituabilité entre les différentes origines du saumon Atlantique pour certains groupes de consommateurs et l'existence de produits verticalement différenciés. Ils montrent aussi qu'existent différentes catégories de consommateurs dont les élasticités de substitution entre les différentes origines de saumon Atlantique diffèrent. L'identification des différents groupes de consommateurs et de leur préférence est détaillée ci-après. Le fait qu'un groupe de consommateurs puisse ne pas considérer l'ensemble de produits répondant aux mêmes besoins comme substituables n'exclut cependant pas que ces produits puissent appartenir au même marché pertinent.
61. Compte tenu de la stabilité et de l'interdépendance des prix relatifs, de l'absence de véritable différence objective ainsi que de la possibilité pour une proportion suffisante des acheteurs de reporter tout ou partie de leur demande d'une origine à une autre, le Conseil est d'avis que les différentes origines du saumon Atlantique d'élevage appartiennent au même marché pertinent. Sur ce marché, les origines constituent des éléments de différenciation verticale (par la qualité) et horizontale (par la variété) par rapport auxquelles les élasticités de substitution des différents groupes d'acheteurs varient.
g) Les différentes catégories d'acheteurs
62. Il existe quatre grandes catégories d'acheteurs sur le marché de la production et de la vente de saumon.
63. Les négociants sont soit des importateurs qui font un premier achat aux producteurs pour revendre aux différentes autres catégories d'acheteurs, soit des grossistes qui achètent directement aux producteurs ou aux négociants, pour revendre aux fumeurs, à la restauration hors domicile (RHD) ou aux détaillants. Ils peuvent ou non avoir une activité de seconde transformation du saumon (découpe de frais). Leur choix d'approvisionnement et leur élasticité de substitution entre les diverses origines de saumon est très fluctuante et dépend des clients auxquels ils livrent.
64. Les fumeurs ont une activité de transformation secondaire de saumon frais ou congelé en saumon fumé. Il existe un nombre important de techniques de fumaison, artisanales ou industrielles, ainsi qu'une large gamme de produits, du premier prix au haut de gamme en passant par les marques de distributeurs. Selon le positionnement commercial choisi, la possibilité de substitution en terme d'origines ou de formes de la part des fumeurs dans leur approvisionnement en saumon Atlantique d'élevage peut être partielle, faible ou nulle.
65. Parmi les détaillants, les grandes et moyennes surfaces (GMS) achètent du saumon frais, fumé ou transformé. Le saumon frais vendu, auparavant acheté entier et vendu tel quel ou découpé, est de plus en plus acheté directement découpé auprès des producteurs, voire acheté préemballé en barquette et prêt à la vente. Pour ces produits vendus en masse, la substitution possible pour les GMS n'est possible qu'entre les différentes origines de saumon d'élevage frais. Les poissonniers, comme les GMS, n'opèrent d'arbitrage qu'entre les saumons frais et peuvent privilégier une origine pour une question de positionnement.
66. Afin de préparer les repas servis, la RHD utilise du saumon en plat principal ou en tant qu'ingrédient. L'industrie agroalimentaire (IAA) réalise un grand nombre de plats cuisinés ou de produits de la mer à base de saumon. De manière générale, la RHD et l'IAA semblent avoir une possibilité assez large de substituer les différentes formes et origines du saumon.
67. Le tableau suivant récapitule les ventes des parties à l'opération aux différentes catégories d'acheteurs.
<emplacement tableau>
68. Compte tenu des réponses au test de marché et des éléments présents au dossier, il est possible d'identifier trois catégories d'acheteurs, selon leur préférence pour les différentes origines ou formes de saumon Atlantique d'élevage. Les acheteurs avec une substituabilité forte des origines et des formes et une sensibilité forte au prix (bas de gamme)
69. Une partie des acheteurs professionnels de saumon considèrent comme substituable l'intégralité des origines du saumon Atlantique d'élevage, quelle que soit sa forme (frais ou congelé). Ces acheteurs sont d'abord sensibles au prix.
70. Ces acheteurs peuvent être totalement sensibles au prix4 et acheter systématiquement le produit le moins cher. Ils sont donc prêts à se fournir pour la majeure partie de leur approvisionnement en saumon congelé (quelle que soit son origine, Norvège ou plus vraisemblablement Chili). Ils se retrouvent principalement dans la RHD ou l'IAA.
71. Ces acheteurs peuvent également valoriser la qualité pour une partie de leurs approvisionnements et de leurs produits, et se fournir en partie au plus bas prix et en partie en payant un surplus pour un produit de meilleure qualité, de manière régulière ou lorsque le cours du saumon frais faiblit. Les fumeurs produisant du saumon fumé de premier prix peuvent relever de ce schéma pour produire du saumon fumé de qualité différente mais toujours à bas prix.
Les acheteurs avec une substituabilité forte des origines de frais et une orientation qualité prix (milieu de gamme)
72. La principale différence entre ces acheteurs et ceux de la catégorie précédente est de ne pas considérer le saumon congelé comme un substitut du saumon frais en raison de sa qualité plus faible. Ils considèrent, par contre, que toutes les origines du saumon frais Atlantique d'élevage sont substituables et s'approvisionneront en fonction des cours respectifs de chaque origine, éventuellement en fonction de l'évolution du marché "spot". Certains sont susceptibles de s'approvisionner en quasi-totalité sur une origine. Ainsi, un client GMS a déclaré : " Pour le frais, il n'y a qu'un marché quelle que soit l'origine ; i1 faut le saumon le plus frais, le plus disponible en quantité et le moins cher ".
73. À l'échelle du marché, ces acheteurs privilégient toutefois d'abord un rapport qualité-prix (la qualité ne pouvant descendre en dessous d'un certain seuil) ; ils sont donc également prêts à payer un surplus de prix pour un produit de meilleure qualité et sont sensibles dans une certaine mesure à la différenciation verticale des produits.
74. On retrouve parmi ces acheteurs essentiellement les GMS ainsi que le commerce de détail et les grossistes qui les approvisionnent. On y retrouve également des acheteurs intermédiaires, travaillant pour le compte de la RHD ou des IAA, ayant prévu ou s'étant vu imposer une qualité minimale dans le cahier des charges des produits proposés. Les acheteurs recherchant des origines spécifiques pour satisfaire une contrainte de diversité (haut de gamme)
75. Dans cette catégorie figurent essentiellement les fumeurs de moyen et haut de gamme pour lesquels le saumon d'Écosse voire d'Irlande est incontournable, compte tenu à la fois d'un effet de différenciation verticale et de différenciation horizontale. Ces fumeurs différencient l'origine du point de vue de la qualité et du marketing et sont prêts à payer un prix supérieur pour le saumon d'Ecosse ou d'Irlande, dans la mesure où il pourra être répercuté sur les consommateurs eux-mêmes sensibles à ces caractéristiques.
76. Il est toutefois peu probable que ce type de demande se concentre sur l'origine Écosse, d'abord parce que la production de saumon écossais est insuffisante pour répondre à la demande, ensuite parce que ceux dont émane cette demande fondent leur stratégie marketing sur l'offre d'une gamme de produits différenciés.
Conclusion sur les catégories d'acheteurs
77. Dans sa décision Marine Harvest de 2005, la Commission a relevé que le test de marché ne permettait pas de conclure à l'existence de marchés distincts par type de clientèle. Cette analyse est confirmée par le test de marché réalisé auprès des acheteurs pour la présente opération. En effet, les conditions de commercialisation et les conditions tarifaires sont homogènes pour tous les acheteurs.
78. Certes, les conditions commerciales peuvent varier en fonction de l'activité, notamment s'agissant des coûts de logistique ou des remises de quantité. Par exemple, il a été relevé à plusieurs reprises que les fumeurs commandaient des camions entiers à destination d'un seul établissement là où les grandes et moyennes surfaces ne se font livrer que quelques palettes vers une ou plusieurs plates-formes.
79. En revanche, il n'existe pas d'éléments au dossier permettant de supposer que des discriminations tarifaires significatives puissent être effectuées entre les différentes catégories d'acheteurs. Les offreurs ne sont pas spécialisés selon un certain type d'acheteurs. L'équilibre offre/ demande est global et toutes les catégories d'acheteurs sont en concurrence pour s'approvisionner au meilleur prix. La transparence du prix de marché est notamment assurée par la publication par la Fiskeri og Haubruksnaeringens Landforening (FHL) ou Norwegian Seafood Federation, organisation professionnelle norvégienne d'une moyenne pondérée des prix de vente transmis par chacun des trente plus importants producteurs ou producteurs14 exportateurs (hors ventes sous contrat). Il sert donc de référentiel à toutes les négociations sur le marché Spot. De plus, la plupart des contrats de long terme ne fixent pas de prix à l'avance.
80. Dans le cadre du test de marché, la plupart des acteurs interrogés ont confirmé que selon eux, les prix ne différaient pas en fonction des catégories d'acheteurs.
81. Etant donné l'impossibilité de discriminer en prix ces différentes catégories d'acheteurs, leur sensibilité différente au prix, à la qualité et à la spécificité des diverses origines ne remet pas non plus en cause la définition d'un marché unique englobant les diverses origines géographiques de saumon. Il en résulte néanmoins que le pouvoir de marché de l'entité fusionnée et les effets de l'opération pourraient différer en fonction des différentes origines.
82. On rappellera en effet que, sur un marché où, comme en l'espèce, les biens sont imparfaitement substituables, l'écart de prix tenant à la différence de qualité entre les différents produits peut fluctuer en cas de variation significative des quantités de l'un des biens. Ce n'est que dans le cas extrême, où des produits différenciés seraient parfaitement substituables, que l'écart de prix pourrait rester stable.
h) Analyse de l'offre
83. Sur le marché concerné, l'offre est spécifique à une origine déterminée. Si une grande partie des offreurs sont présents sur plusieurs origines géographiques (en Europe, mais également au Chili), les conditions légales (licences), la localisation des sites, les conditions et la durée de la production sont autant d'éléments qui rendent impossible à un offreur positionné sur la production d'une origine de saumon d'élevage de pouvoir rapidement reporter sa production sur un autre poisson, une autre espèce et même sur une autre origine de saumon. Dès lors, l'étude de la substituabilité du côté de l'offre ne remet pas en cause les conclusions tirées de l'étude de la demande sur le marché concerné.
2. DELIMITATION GEOGRAPHIQUE DU MARCHE
84. Dans sa décision Nutreco/Stolt Nielsen/Marine Harvest du 12 avril 2005, la Commission a conclu que la dimension géographique du marché s'étendait à l'espace économique européen (EEE), compte tenu de l'homogénéité des coûts de transport à l'intérieur de la zone EEE. Le fait que des quantités non insignifiantes de saumon étaient importées et exportées hors de l'EEE n'a pas modifié son appréciation. De même, la Competition Commission britannique, dans son rapport Nutreco/ Hydro Seafood, a considéré que le marché géographique s'étendait à l'EEE, et a écarté un marché plus large, compte tenu notamment des coûts de fret pour les produits frais et de la préférence limitée pour les produits congelés.
85. De fait, la proximité des acteurs et des produits, les coûts de transport et le poids des différentes origines géographiques européennes dans chacun des marchés européens militent pour que la taille du marché dépasse un ou plusieurs Etats membres et couvre l'intégralité de l'EEE, que le saumon congelé soit ou non considéré comme appartenant au même marché que le saumon frais.
86. Il est à l'inverse difficile d'admettre que le marché puisse être défini comme étant de taille mondiale, comme le soutient la partie notifiante. Un marché géographique est le territoire sur lequel les entreprises concernées offrent et demandent les biens et les services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué des zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable. Or, s'il existe des interactions entre les différentes zones géographiques et si les importations de produit chilien croissent, ainsi que les parties et le test de marché le relèvent, cela n'est pas suffisant pour définir un marché mondial du saumon Atlantique d'élevage, pour lequel il serait possible de considérer que les conditions de concurrence seraient homogènes.
87. En effet, du point de vue de la demande, les habitudes de consommation et les préférences par produit sont très caractérisées en fonction des zones géographiques. De plus, les flux, bien que n'étant pas insignifiants, restent trop faibles pour attester d'un marché global. Enfin, les images des différents produits restent encore très différenciées. Dès lors, il ne peut être établi que les conditions de concurrence sont les mêmes dans l'EEE et dans la zone Pacifique par exemple (où il existe une offre développée en saumon Pacifique frais, sauvage ou élevé, et en saumon frais Atlantique élevé au Chili) sont similaires.
88. De même, le fait que les prix à l'exportation des parties suivent, dans une certaine mesure, la tendance de leurs prix à destination de l'Europe n'est pas suffisant pour établir l'existence d'un marché global du saumon, dès lors notamment que les prix moyens de vente diffèrent sensiblement selon la zone concernée.
89. Enfin, du point de vue de l'offre, les coûts de production, de transport (pour une fraîcheur similaire) et le positionnement concurrentiel des offreurs (tant du point de vue de l'image, du positionnement marketing que du point de vue des tarifs) sont différents. Les offreurs ne peuvent dès lors se concurrencer sur des produits de même qualité et au même prix d'une zone géographique à l'autre. Il résulte de ce qui précède que le marché doit donc être limité à la zone EEE.
3. CONCLUSION SUR LE MARCHE DU SAUMON D'ELEVAGE
90. En conclusion, le Conseil se propose d'analyser les effets de l'opération sur un marché constitué du saumon Atlantique d'élevage limité à l'EEE, frais ou congelé, quelles que soient sa forme et son origine géographique. La question de l'inclusion ou non du saumon congelé restant ouverte, il complètera au besoin cette analyse par celle des effets que pourrait avoir l'opération sur un marché uniquement constitué du saumon d'Atlantique frais, excluant la forme congelée. Par ailleurs, l'incidence de la différenciation du saumon frais en fonction des diverses origines géographiques et de l'existence de catégories d'acheteurs ayant des préférences différentes pour ces origines sera prise en compte.
B. LE MARCHE DE LA PRODUCTION DE SAUMON ATLANTIQUE D'ELEVAGE FUME
1. DELIMITATION DU MARCHE DE PRODUIT
91. Les éléments du dossier conduisent clairement à établir l'existence d'un marché du saumon fumé distinct de celui du saumon frais et de celui d'autres poissons fumés, compte tenu de son image, de son positionnement, de ses qualités gustatives et de sa forte saisonnalité (fêtes de fin d'année).
92. S'agissant de l'origine géographique du saumon, il est difficile de s'appuyer sur les conclusions de l'étude économique présentée par les parties qui ne comprend qu'un nombre limité de relevés par rapport au nombre très important de produits vendus toute l'année. Néanmoins, les éléments du dossier confirment que les saumons fumés provenant d'Écosse, d'Irlande ou de Norvège se situent sur un même marché pertinent, la différenciation mise en avant par les fumeurs relevant plutôt d'une stratégie marketing visant à élargir la gamme de produits proposés.
93. Par ailleurs, plusieurs des réponses au test de marché suggèrent l'existence d'un segment haut de gamme. Toutefois, les critères pour délimiter un tel segment haut de gamme restent flous. Le Label Rouge, qui bénéficie d'un prestige particulier et a été cité comme pouvant délimiter un segment haut de gamme, apparaît comme un critère partiel, dans la mesure où, jusqu'en 2006, il ne portait que sur les techniques de fumage indépendamment de la qualité du saumon employé comme matière première. En tout état de cause, les quantités de saumon fumé Label Rouge produites sont trop faibles (304 tonnes vendues en France environ sur un total de 22 700) pour que la délimitation d'un tel segment joue un rôle dans l'analyse concurrentielle.
2. DELIMITATION GEOGRAPHIQUE DU MARCHE
94. Les autorités nationales et communautaires de concurrence retiennent traditionnellement une dimension nationale des marchés de la commercialisation des produits de détail alimentaires, notamment en raison de l'existence de différences dans les préférences des consommateurs, dans les prix, de la forte présence des marques nationales et le faible volume des importations.
95. En l'espèce, rien ne permet d'infirmer une analyse de ce type. Une grande partie des fumeurs considère que le marché est de dimension nationale. Ainsi, un fumeur estime que le marché est principalement national, " compte tenu des faits suivants : l'exportation représente une part relativement faible du chiffre d'affaires en saumon fumé, concentration du marché local, absence de marque transversale européenne ". Par ailleurs, beaucoup d'intervenants, parmi lesquels des acheteurs de la grande distribution, ont relevé que les volumes de saumon fumé consommés en France étaient les plus importants d'Europe et que les consommateurs français attachaient une importance à l'origine, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays d'Europe.
96. En outre, le fait que les parts de marché soient très dispersées et que les producteurs français réalisent la très grande majorité de leur chiffre d'affaires en France semble contredire l'existence d'échanges soutenus ou d'une marque transversale européenne. La pénétration des produits polonais en Allemagne ne permet pas d'anticiper un phénomène de ce type en France, compte tenu de la différence dans les habitudes de consommation entre la France et l'Allemagne, de la proximité entre la Pologne et l'Allemagne, de la faible production propre en Allemagne. Enfin, il n'est pas démontré de convergence de prix en Europe.
97. Dès lors, il n'est pas démontré qu'il existe un marché du saumon fumé à l'échelle de l'EEE. Il ne peut être totalement exclu que le marché géographique puisse dépasser la France et englober la Belgique, l'Italie et/ ou l'Espagne. Mais aucun élément du dossier ne permet de confirmer cette possibilité. La délimitation géographique du marché pertinent est donc nationale.
V. Bilan concurrentiel
A. SUR LE MARCHE DE LA PRODUCTION ET DE LA VENTE DE SAUMON ATLANTIQUE D'ELEVAGE
1. LA POSITION DES PARTIES ET DE LEURS CONCURRENTS SUR CE MARCHE
98. Les ventes de saumon sont faites auprès d'acteurs situés à différents niveaux de la chaîne de valeur. Cette différence peut influer sur le prix au kilo ainsi que sur les taxes prises en compte ou non dans le prix. De plus, en fonction de la forme du saumon vendu, des coûts supplémentaires (découpe, "packaging",...) peuvent être comptés dans le prix et ainsi fausser les comparaisons. Il est, dès lors, d'usage dans le secteur d'apprécier les parts de marché sur la base des volumes et non de la valeur. Le saumon pouvant être vendu découpé ou entier, et le poids vendu variant de ce fait, les données doivent être retraitées afin de pouvoir être comparées : il est donc constant dans le secteur de ne parler que de volumes "WFE" ("whole fish equivalent" : la comparaison est faite sur la base d'un poisson qui aurait été vendu entier et plein, c'est-à-dire sur la base du poids du poisson avant les opérations de vidage et de parage).
99. Deux types de données en volume sont publiés par le panéliste norvégien Kontali spécialisé dans le suivi de l'aquaculture et la pêche : les volumes de vente et les volumes de production. Ces deux données peuvent conduire à des résultats divergents, compte tenu du fait qu'il existe sur le marché concerné des exportateurs qui commercialisent les volumes de plusieurs petits producteurs, dont le plus important est le groupe Lerøy Seafood, qui serait le n° 2 sur le marché après l'opération. Le groupe norvégien Lerøy ne produit qu'environ un tiers des produits qu'il vend dans l'EEE. En revanche, les groupes Pan Fish et Marine Harvest ne vendent quasiment que leur production propre.
100. Il ressort des éléments du dossier que les exportateurs se comportent comme de véritables concurrents des producteurs vis-à-vis des acheteurs. Ils ne précisent pas, dans la plupart des cas, s'ils vendent leur production propre ou des produits achetés auprès d'autres producteurs. Leur capacité logistique est proportionnelle à leurs ventes et non à leur production propre et les acheteurs français apprécient l'importance respective des différents producteurs et exportateurs d'après les quantités vendues. Dès lors, le pouvoir de marché sera dans un premier temps apprécié au niveau de la vente et non de la production.
101. Il ressort des tableaux présentés ci-dessous que le cumul des parts de marché des parties à l'opération sur un marché incluant le saumon congelé serait de 33,3 % sur l'ensemble du marché. Sur les origines Écosse et Irlande, ce cumul serait plus élevé, les entreprises concernées assurant actuellement [40-50] % des ventes de saumon d'Écosse et [50-60] % des ventes de saumon d'Irlande.
102. Le concurrent principal des parties sur le marché de la production et de la vente de saumon Atlantique d'élevage est le groupe Lerøy Seafood qui produit notamment du saumon entier ou transformé, des poissons blancs, de la truite saumonée, des mollusques ainsi que des crustacés. Le groupe est notamment présent en Norvège, Europe de l'Ouest, en Asie, aux Etats-Unis, au Canada et en Europe de l'Est. Sur l'ensemble des ventes de saumon Atlantique, sa part de marché est estimée à 14 %. Les données Kontali ne précisent toutefois pas leur répartition selon les différentes origines. Selon les déclarations de l'intéressé dans le cadre du test de marché, ses ventes de saumon écossais représenteraient de 25 à 30 % du total des ventes pour cette origine, les volumes indiqués étant toutefois difficilement réconciliables avec les données Kontali. Le reste de la production est très éclaté entre de petits producteurs.
<emplacement tableau>
103. S'agissant du seul saumon Atlantique d'élevage frais, les parties n'ont pas été en mesure de fournir les éléments permettant d'apprécier les positions exactes de l'ensemble des producteurs mais ont fourni une estimation de leurs parts dans les ventes de saumon frais dans l'EEE, présentée dans les tableaux ci-dessous. Bien que ces chiffres incluent les ventes de saumon Pacifique, celles-ci sont suffisamment marginales dans les ventes de saumon frais dans l'EEE pour que ces chiffres ci-dessous reflètent avec une faible marge d'erreur la part des entreprises parties à l'opération dans les ventes de saumon frais.
<emplacement tableau>
2. EVALUATION DES EFFETS UNILATERAUX DE L'OPERATION SUR CE MARCHE
104. Le jeu concurrentiel sur le marché du saumon d'élevage présente des spécificités qui doivent être prises en compte pour évaluer les effets de l'opération sur le fonctionnement de la concurrence. Principalement, du fait de l'inélasticité de l'offre d'un produit vivant et périssable, tous les producteurs ne peuvent, à court terme, qu'accepter le prix qui découle de la confrontation de cette offre et de la demande. Le jeu concurrentiel ne peut donc s'exercer que par une action sur les quantités, qui ne peut être mise en œuvre qu'à plus long terme compte tenu des délais nécessaires à la croissance du poisson. Cette action sur les quantités est contrainte, en premier lieu, par les capacités de production des producteurs déjà présents sur le marché et en second lieu, par les possibilités de nouvelles entrées.
105. Sur un marché ainsi caractérisé, une opération de concentration entre deux acteurs importants du marché peut en théorie avoir pour effet de tendre l'offre et de faire monter les prix indépendamment de la création ou du renforcement d'une position dominante. L'intensité de ces effets négatifs dépend théoriquement de l'effet de l'opération sur la concentration du marché, de la sensibilité de la demande au prix du produit et des possibilités de réaction des concurrents ou d'entrées sur le marché. Ces effets peuvent être évalués de façon quantitative mais les données quantitatives sur le marché qui permettraient de le faire de façon précise ne sont la plupart du temps pas disponibles. La quantification, exposée par le Conseil ci-dessous, est donc purement illustrative. En revanche, le présent avis se prononce de façon qualitative sur les différents déterminants des effets unilatéraux attendus de l'opération et sur le caractère substantiel de ces effets.
106. L'entreprise notifiante critique cette démarche au motif que l'évaluation des effets unilatéraux d'une concentration, indépendamment de la création ou du renforcement d'une position dominante, ne serait pertinente que sur un marché sur lequel les concurrents offrent des biens différenciés, ces effets étant surtout importants lorsque l'opération rapproche deux concurrents offrant des substituts proches.
107. Toutefois, l'atteinte à la concurrence mentionnée à l'article L. 436 du Code de commerce peut résulter d'un certain nombre d'effets, et parmi eux les effets unilatéraux (ou effets non coordonnés), les effets coordonnés, la disparition d'un concurrent potentiel, la création ou le renforcement d'une puissance d'achat, les effets congloméraux ou encore les effets verticaux. S'agissant des effets unilatéraux, les lignes directrices de la DGCCRF relative au contrôle des concentrations précisent qu'ils " englobent l'ensemble des pertes de bien-être résultant d'une concentration consécutive aux mouvements de prix et de quantités de la part des firmes agissant indépendamment de la concurrence ". Les effets unilatéraux sont les effets du déplacement de l'équilibre concurrentiel post fusion, c'est-à-dire les effets de la variation de stratégie de l'entité fusionnée et de ses concurrents après la fusion, qu'il y ait position dominante ou non. Le cas extrême est celui où la concentration conduit à une position très fortement dominante et où la réaction des concurrents est alors négligeable.
108. Dans le cadre du contrôle des concentrations, les autorités nationales ou communautaires se sont le plus souvent prononcées sur l'importance éventuelle des effets unilatéraux dans le cadre de marchés de biens différenciés par offreur où la concurrence s'exerce par les prix. Les cas cités dans les lignes directrices de la Commission ou de la DGCCRF ne sont toutefois présentés qu'à titre d'exemple et non aux fins de limiter les possibilités d'adaptation de l'analyse à la réalité et au fonctionnement du marché examiné. La démarche suivie en l'espèce n'est ainsi que l'adaptation de l'analyse traditionnelle des effets unilatéraux à un cas où la concurrence sur le marché concerné est une concurrence en quantités et non en prix et où les produits sont différenciés, mais non par offreur, la production de chacun d'entre eux étant assurée par plusieurs entreprises.
a) Le marché du saumon d'élevage est caractérisé par l'inélasticité de l'offre à court terme et le fait que le jeu concurrentiel ne puisse s'exercer que par une action différée sur les quantités offertes
109. L'élevage du saumon est caractérisé par des délais de production relativement longs, d'environ trois ans, et les producteurs sont dans l'incapacité d'adapter, à court terme, leur production à l'évolution de la demande. La quantité de saumons produite une année donnée est donc déterminée environ trois ans à l'avance. Ainsi, la production de saumons pour 2007 et 2008 est déjà en cours d'élevage et ne pourra donc pas augmenter.
110. Les possibilités d'ajustement à court terme des quantités mises sur le marché sont très réduites. Compte tenu de l'importance des coûts fixes et du fait que, plus le moment de l'abattage approche et plus la quasi-totalité des coûts sont d'ores et déjà irrécupérables, il n'est pas rentable de détruire le poisson. Si le poisson est abattu avant la date prévue, il n'a pas atteint son poids optimal, ce qui induit une perte de chiffre d'affaires. Après la date prévue, sa chair risque de perdre rapidement en qualité. De même, il est possible de congeler le poisson pour en retarder la vente, mais il peut alors être vendu moins cher.
111. S'agissant d'un produit frais, donc périssable, la demande à très court terme (un à deux jours) est peu élastique. Une surproduction à court terme ne peut être compensée que par une baisse significative du prix. A l'inverse, un déficit de production de court terme a comme conséquence des ruptures d'approvisionnement des acheteurs et une augmentation des prix. Le problème de la régularité d'approvisionnement des acheteurs est aigu lorsque le marché est structurellement en pénurie et ne peut être qu'en partie compensé par le biais de contrats d'approvisionnement. Ces contrats concernent essentiellement les transformateurs (fumaison et salaison plus précisément) et les ventes sous contrat ne représentent pas la majeure partie des ventes, l'essentiel des transactions s'effectuant sur le marché "spot" ou marché non contracté.
112. Le marché "spot" est caractérisé par une volatilité importante du cours liée aux ajustements de la demande à l'offre. La cotation du saumon frais de Norvège établie par FHL5 est la base de négociation de prix du saumon frais, tant pour l'origine Norvège que pour les origines Écosse ou Irlande, ces dernières bénéficiant d'un prix légèrement supérieur au prix du saumon de Norvège. La cotation FHL est établie à partir d'une consultation hebdomadaire des principaux producteurs et exportateurs concernant le niveau des prix. Bien que la cotation soit établie sur la base des annonces de prix des producteurs, le prix ne pourrait être considéré comme une variable stratégique que du lundi au mercredi. Comme le montre le fonctionnement du marché, notamment le jeudi et le vendredi, le prix constitue la variable d'ajustement de ce marché. La véritable variable stratégique à la disposition des producteurs est la quantité offerte.
113. Sur une année, la demande de saumon est saisonnière et connaît traditionnellement deux pics correspondant à Pâques et aux fêtes de fin d'année en raison de l'augmentation de la demande de saumon fumé à cette période de l'année. Les producteurs déterminent leurs programmes d'abattage à partir de leurs anticipations de la demande. L'offre de saumon suit donc, dans une certaine mesure, la demande anticipée. Toutefois, la non-coordination des producteurs fait que durant certaines périodes où la demande est traditionnellement faible, l'offre est insuffisante et durant certaines périodes où la demande est traditionnellement forte, l'offre est excédentaire. Le prix, agissant en tant que variable d'ajustement de la demande aux quantités offertes et évoluant tout au long de l'année en fonction de l'équilibre entre offre et demande, peut ainsi être paradoxalement élevé lorsque la demande est traditionnellement faible et bas lorsque la demande est traditionnellement importante.
114. Par ailleurs, l'élevage de saumons étant soumis à de nombreux aléas (maladies, mortalité, fuites de saumons, température de l'eau,...), les producteurs connaissent des difficultés pour estimer précisément le nombre de saumons dont ils disposent ainsi que leurs tailles. Lorsqu'un producteur décide d'abattre les poissons d'une cage, il existe toujours un aléa sur le nombre et la répartition en taille de ses saumons. La performance d'un producteur peut se mesurer à sa capacité à faire face à ces aléas et à les maîtriser autant que possible.
115. L'apparition sur le marché d'un acteur prépondérant, représentant environ [30-40]% de l'offre de saumon de Norvège et près de [30-40] % de l'offre de saumon frais ne devrait, cependant, pas modifier substantiellement ces caractéristiques. Le prix de marché devrait donc continuer à s'imposer à tous les offreurs, y compris Pan Fish même si, d'une part, la cotation FHL incluera plus largement les prix négociés par la nouvelle entité et si, d'autre part, la taille de celle-ci pourra lui donner les moyens d'agir sur la volatilité des cours, dans un sens comme dans l'autre.
116. Par conséquent, une surproduction ou une sous-production de saumon par rapport à la demande peut avoir des effets durables sur le niveau du prix du saumon et l'ajustement de l'offre à la demande ne peut s'effectuer que sur le moyen terme, voire sur le long terme. Les producteurs détermineront, à l'automne 2006, les quantités de saumon qui seront produites sur l'année 2009.
b) Les effets théoriques d'une concentration sur un marché dans lequel les producteurs se concurrencent en quantités
117. Les effets d'une opération de concentration dans un marché sur lequel les prix s'imposent aux entreprises en fonction des quantités disponibles sur le marché et de la demande (concurrence " à la Cournot ") sont théoriquement connus : la disparition d'un acteur sur le marché supprime l'externalité (favorable à la concurrence) constituée par la pression concurrentielle qu'il exerçait. La nouvelle entité, composée de deux anciens concurrents, déterminera sa production en prenant en compte ce nouvel état du marché, toutes choses égales par ailleurs. La quantité offerte par la nouvelle entité sera donc inférieure à la quantité qui aurait été offerte par les deux entreprises parties à l'opération si elles étaient restées indépendantes.
118. Sur le marché concerné, cet ajustement peut prendre la forme d'une restructuration de la production entre les différents sites de production, voire d'une fermeture de fermes moins rentables. Compte tenu des délais de croissance du saumon et du fait que la destruction des poissons n'est jamais rentable, ces effets sur les quantités mises en vente par les parties à l'opération ne seront pas perceptibles avant au moins trois ans.
119. Il convient, ensuite, de prendre en compte la réaction des concurrents présents sur le marché. En théorie, leur intérêt est de produire plus que ce qu'ils n'auraient fait dans l'état antérieur du marché afin de profiter du déficit d'offre par rapport à une situation sans fusion. Les concurrents n'ont toutefois pas non plus intérêt à compenser totalement ce déficit. L'effet cumulé de l'opération, prenant en compte une production inférieure des parties ainsi qu'une production supérieure des concurrents, est donc toujours négatif : à la suite d'une opération de concentration, la quantité totale offerte est inférieure à ce qu'elle aurait été sans l'opération et par conséquent, le prix de marché est supérieur à ce qu'il aurait été sans l'opération. Encore faut-il que les concurrents aient la capacité de réagir. S'ils sont contraints en capacités disponibles, le déficit d'offre et les tensions sur les prix seront plus importants. Il convient également de tenir compte d'éventuelles nouvelles entrées sur le marché.
120. Dans l'hypothèse où les concurrents ont la capacité de réagir mais où de nouvelles entrées sur le marché sont peu probables, les effets théoriques de l'opération sur le taux de marge moyen des entreprises présentes sur un marché où la concurrence s'exerce sur les quantités sont connus : une concentration accrue augmente les marges des entreprises, et ce d'autant plus que la sensibilité de la demande au prix est faible6.
121. Par ailleurs, il ressort de l'analyse des marchés pertinents effectuée ci-dessus deux particularités : d'une part, le marché en cause n'est pas constitué de produits entièrement homogènes mais est segmenté soit entre saumon frais et saumon congelé, soit entre les différentes origines géographiques ; d'autre part, les principaux acteurs du marché sont présents sur l'ensemble de ces segments, hormis celui concernant le saumon congelé, pour lequel leurs ventes sont marginales. Sur un marché ainsi différencié, les effets de l'opération sur les quantités et les prix sont théoriquement homogènes tant que la répartition des parts de marché entre les différents offreurs est la même sur chacun des segments. En revanche, si l'entité issue de la concentration détient des positions beaucoup plus fortes sur certains segments, l'opération est susceptible de produire des effets unilatéraux plus importants sur les quantités et prix des produits concernés. L'hypothèse extrême est celle où les produits sont suffisamment différenciés pour qu'il s'agisse d'un marché pertinent distinct et où la nouvelle entité détient une position telle qu'elle peut être considérée comme étant en position dominante.
c) Les effets de l'opération sur la concentration du marché
122. Sur l'ensemble du marché du saumon Atlantique d'élevage, les données de marché en volume exposées ci-dessus au paragraphe 102 permettent de calculer un indice d'Herfindahl (somme des carrés des parts de marchés) de [700-800] avant l'acquisition de Marine Harvest (soit une augmentation de [500-600]) et de [600-700] avant l'acquisition de Fjord Seafood. Le cumul des parts de marché des entreprises parties à l'opération toutes choses égales par ailleurs aboutit à un indice d'Herfindahl de [>1 000]. Toutefois, puisqu'elle se borne à cumuler les parts de marchés détenues avant la fusion, cette estimation ne tient pas compte des effets décrits ci-dessus : offre réduite de l'entité fusionnée par rapport une situation sans concentration, compensation partielle par les concurrents. Les éléments du dossier ne permettent pas de construire une simulation des parts de marché détenues par les entreprises après l'opération et donc d'estimer quel serait l'indice de concentration du secteur. Il est possible, toutefois, d'estimer que l'effet sur la concentration du marché sera moindre que celle indiquée par le simple cumul des parts de marché actuelles.
123. En ce qui concerne un éventuel marché du saumon Atlantique d'élevage frais hors congelé, les positions de l'ensemble des producteurs ne sont pas connues avec précision. Il ressort, toutefois, des tableaux présentés au paragraphe 103 que l'indice d'Herfindhal devrait augmenter au maximum de [>500] points.
124. De fait, le pouvoir de marché acquis par les parties sur la seule vente de saumon frais est à peine supérieur à celui qu'elles auraient sur la vente de saumon frais et congelé. L'analyse n'est pas substantiellement modifiée selon que l'on prend l'une ou l'autre de ces deux hypothèses. Comme mentionné ci-dessus, si la structure de marché est identique pour chaque produit, les effets de l'opération sur des marchés distincts ne peuvent excéder ceux relevés dans le cas de substituts parfaits. Ce n'est que dans la mesure où la nouvelle entité détiendra des positions beaucoup plus fortes sur certains produits que l'opération est susceptible de produire des effets unilatéraux plus importants sur ces produits.
125. C'est le cas s'agissant des différentes origines géographiques du saumon. Après l'opération, les parties contrôleront environ [50-60] % de la vente de saumon frais Atlantique d'élevage d'Écosse et environ [50-60] % de la vente de saumon frais Atlantique d'élevage d'Irlande. Sur l'origine Norvège, les parties devraient contrôler [30-40]% de la production. L'indice d'Herfindhal sur un hypothétique marché du saumon frais d'Écosse augmenterait de plus de [>1000] points, sur un marché déjà fortement concentré puisque le principal concurrent de la nouvelle entité déclare réaliser environ 25 à 30 % des ventes de saumon frais d'Ecosse.
d) L'élasticité-prix de la demande
126. Il ressort de plusieurs études figurant au dossier que l'élasticité-prix de la demande globale de saumon Atlantique d'élevage pourrait être estimée entre -1 et -2 : une hausse de prix de 1 % entraîne une baisse des quantités demandées de 1 à 2 %.
127. En revanche, l'élasticité-prix de la demande pour les différentes origines de saumon n'est pas connue. La société notifiante fournit à l'appui de ses observations une étude économique dans laquelle les effets unilatéraux de l'opération sont modélisés en prenant comme hypothèse que l'élasticité-prix de la demande pour le saumon d'Ecosse prend la valeur de -3, voire -4 ou même -5, c'est-à-dire qu'une hausse de prix de 5 à 10 % du prix du saumon d'Ecosse entraînerait une chute de la demande pour ce produit de l'ordre de, respectivement, 15 à 30 %, 20 à 40 % et 25 à 50 %. La société Pan Fish ne fournit toutefois pas de données permettant d'étayer ces hypothèses qui apparaissent particulièrement élevées même en tenant compte du fait que le saumon d'Ecosse est en concurrence avec les autres origines de saumon Atlantique.
e) Les contraintes sur les capacités des concurrents
128. En l'espèce, la transparence en ce qui concerne les achats d'oeufs et de nourriture par les différents producteurs semble suffisante pour que les concurrents puissent anticiper la production future de la nouvelle entité. Toutefois, leur réaction dépendra, dans un premier temps, des capacités physiques installées, notamment les cages ainsi que les capacités de transformation primaire (abattage, évidage). Ces capacités peuvent, toutefois, être augmentées moyennant un investissement significatif.
129. Dans un second temps, l'élevage de saumon est encadré par l'octroi des licences délivrées par les autorités nationales, voire régionales limitant la biomasse, correspondant au poids total des saumons en cours d'élevage. Seul l'octroi de licences supplémentaires est en mesure de desserrer cette contrainte. Compte tenu du caractère polluant de cette industrie, les autorités norvégiennes accordent très peu de nouvelles licences chaque année et le prix de cession des licences entre producteurs est très élevé.
130. L'entreprise notifiante déclare qu'elle dispose de capacités sous licence non utilisées importantes et que tel est également le cas de ses concurrents, tout au moins en Norvège. En revanche, le principal concurrent de Pan Fish en Ecosse, qui déclare représenter 50 à 60 % des capacités concurrentes, affirme que les capacités de production de ses fermes écossaises sont saturées. En l'état des informations disponibles, il semblerait donc que, globalement sur l'ensemble du marché, le saumon de Norvège constituant 80 % de l'offre, les concurrents aient la possibilité de réagir à la disparition d'un acteur en augmentant leur production. En revanche, concernant le saumon d'origine Ecosse en particulier, les contraintes de capacité des concurrents pourraient accroître les effets négatifs de l'opération.
f) L'entrée de nouveaux concurrents est peu probable
131. L'élevage de saumon nécessite des conditions environnementales très strictes puisque la température de l'eau doit idéalement se situer entre 10°C et 14°C et l'eau de mer utilisée doit être de bonne qualité. Les zones géographiques permettant d'accueillir l'élevage de saumon sont donc limitées et les principales sont la Norvège, le Chili et l'Écosse. Seuls la Norvège et le Chili semble disposer d'un potentiel important de sites non encore exploités. En revanche, les possibilités d'extension des zones de production en Ecosse apparaissent plus faibles.
132. Il ressort du test de marché et des éléments fournis par les parties que les barrières à l'entrée existant sur ce marché sont nombreuses et importantes et, par conséquent, que l'entrée d'un nouveau producteur est peu probable. Ces barrières à l'entrée tiennent notamment aux obstacles légaux, aux exigences liées aux certifications, aux investissements, au besoin en fonds de roulement et aux risques financiers liés à l'activité. Il convient également de mentionner la fidélité des acheteurs ainsi que la difficulté de recruter du personnel qualifié.
133. Les acheteurs, notamment la grande distribution, sont de plus en plus demandeurs de produits alimentaires certifiés afin de garantir la sécurité alimentaire des produits mis en vente. Ils ont donc mis en place des certifications spécifiques telles que la certification BRC (British Retail Consortium) ou la certification IFS (International Food Standard) adoptés par la distribution allemande puis remise à jour dans une quatrième version en janvier 2004 par la grande distribution française. Le processus de certification requiert de plus en plus souvent un audit par une tierce partie accréditée et dure de 6 à 12 mois.
134. La nourriture représentant l'essentiel des coûts de production et trois générations de saumons étant élevés simultanément, le besoin en fonds de roulement des éleveurs de saumon est particulièrement élevé. Les producteurs peuvent ainsi connaître des difficultés à obtenir des créances nécessaires à leur activité.
135. Afin de sécuriser leurs approvisionnements, une partie substantielle des acheteurs est fidèle à leurs vendeurs, qu'ils soient producteurs ou exportateurs, notamment la grande distribution et les producteurs de saumon fumé. Ces acheteurs sécurisent une partie, voire la totalité de leurs approvisionnements par le biais de contrats. La durée de ces derniers n'excède jamais une année.
136. L'isolement des sites de production (les lochs écossais et les fjords norvégiens, notamment) crée des difficultés pour les entreprises à attirer et à maintenir sur place du personnel qualifié.
137. L'ensemble de ces barrières à l'entrée et notamment les barrières à l'entrée légales rendent peu vraisemblable l'entrée de nouveaux producteurs et sont susceptibles de limiter l'expansion des producteurs présents sur le marché.
138. Enfin, comme cela a déjà été mentionné ci-dessus s'agissant des concurrents déjà présents sur le marché, le Gouvernement norvégien octroie très peu de nouvelles licences, vraisemblablement en raison de considérations liées à la protection de l'environnement et les licences vendues par les producteurs sortant du marché le sont à des prix très élevés.
g) Conclusion sur les effets unilatéraux
139. Les données disponibles ne sont pas suffisantes pour quantifier de manière précise les effets unilatéraux de l'opération. En effet, les différentes origines sont imparfaitement substituables et la nouvelle entité détient des positions fortes sur certains segments mais les élasticité-prix de la demande pour les différentes origines ne sont pas connues, de même que la répartition des parts de marché des concurrents sur les différentes origines.
140. A titre d'illustration, une quantification peut être effectuée pour la situation hypothétique dans laquelle les différentes origines géographiques et le saumon congelé, d'une part, et le saumon frais, d'autre part, seraient parfaitement substituables, c'est-à-dire où le marché serait constitué de produits homogènes. La concentration du marché du saumon Atlantique d'élevage, dans son ensemble, mesurée par l'indice d'Herfindahl, progresse au maximum d'environ 540 points. Compte tenu de la valeur estimée de l'élasticité-prix de la demande (entre -1 et -2) et du fait que les concurrents peuvent réagir sans être contraints par leurs capacités, les effets négatifs de l'opération sur les prix et les quantités devraient rester limités. Une quantification de ces effets sur la base des hypothèses retenues ci-dessus donne une progression du taux de marge des acteurs du marché de 2,7 % (avec une élasticité de -2) à 5,4 % (avec une élasticité de -1). Le prix d'équilibre devrait donc augmenter au maximum de 2,8 % (avec une élasticité de -2) à 5,9 % (avec une élasticité de -1) et les quantités baisser au maximum d'environ 5,8 %.
141. Compte tenu du fait qu'en réalité, les différentes origines géographiques sont imparfaitement substituables, les effets sur les quantités et les prix de l'opération devraient toutefois être beaucoup plus importants que ceux calculés ci-dessus sur les segments de produits pour lesquels la nouvelle entité détiendra une position plus forte que sur l'ensemble du marché. Ainsi, l'opération confère à la nouvelle entité une part de marché d'environ [50-60] % s'agissant du saumon écossais, contre [30-40] % sur l'ensemble du marché. De plus, les ventes de saumon écossais sont d'ores et déjà fortement concentrées et la concentration augmentera substantiellement du fait de l'opération. Enfin, en l'état des informations dont dispose le Conseil, des contraintes de capacité limiteraient les possibilités de réaction des concurrents. La progression du taux de marge moyen des producteurs de saumon écossais devrait donc être importante et, compte tenu des barrières à l'entrée sur le marché, seules des réductions substantielles du coût marginal moyen de production permettraient d'éviter des répercussions négatives sur les quantités offertes sur le marché et donc sur les prix. L'évaluation des synergies et économies de coût est donc plus que jamais nécessaire.
142. Sur le saumon d'Irlande, la position de la nouvelle entité est encore plus importante ([50- 60] %) qu'en Ecosse ([50-60] %) mais ne résulte pas de l'opération.
143. En outre, une restructuration de sa production en Ecosse et en Irlande peut présenter un intérêt stratégique pour la nouvelle entité : maintenir une tension sur ces deux origines permet de faire face à une offre (temporairement ou structurellement) excédentaire en Norvège en conditionnant les ventes de saumon d'Écosse ou d'Irlande aux ventes de saumon de Norvège. Un acheteur de saumon Atlantique frais a ainsi déclaré dans sa réponse au test de marché qu'il subissait " déjà le chantage de Marine Harvest, pas d'achat de Norvégien égale pas de dispo sur l'Irlande ".
3. L'EXISTENCE DE CONTRE-POUVOIRS SUR LE MARCHE DE LA PRODUCTION ET DE LA VENTE DE SAUMON ATLANTIQUE D'ELEVAGE
144. Parmi les acheteurs, seules les GMS, dont les achats sont essentiellement composés de saumon d'élevage frais, disposent d'un réel pouvoir de marché : les GMS sont les seuls acheteurs sur lesquels les producteurs et exportateurs ne parviennent pas à répercuter intégralement une augmentation du coût de leurs matières premières. En outre, pour les GMS, les diverses origines de saumon Atlantique frais sont substituables. Étant donné que les prix actuels du saumon d'Écosse et d'Irlande sont déjà supérieurs au prix du saumon de Norvège, les GMS n'achètent qu'occasionnellement ces deux origines (notamment lorsque leurs prix spot sont inférieurs au prix spot du saumon de Norvège ou dans les périodes de fêtes). Dès lors, le contre-pouvoir des GMS ne peut qu'atténuer les effets tendant à une augmentation du prix du saumon de Norvège consécutivement à l'opération.
145. Mais ce contre-pouvoir ne ferait qu'accentuer l'augmentation du prix relatif du saumon d'Écosse et d'Irlande par rapport au saumon de Norvège, sans pour autant avoir un impact sur les quantités produites de ces deux origines de saumon. Dès lors, le pouvoir de négociation des acheteurs et, en particulier, des GMS ne constitue pas un contre-pouvoir permettant de limiter les effets de l'opération sur le marché.
B. SUR LE MARCHE DE LA PRODUCTION ET DE LA VENTE DE SAUMON ATLANTIQUE FUME
146. Le groupe Pan Fish a déclaré qu'à la suite de ses différentes acquisitions et de l'opération, il assurera [20-30] % du total de la production de saumon fumé en France. Il n'a cependant pas été en mesure de fournir une estimation des parts de marché de ses concurrents. Les estimations du tableau ci-dessous ont été établies sur la base des déclarations de la partie notifiante, des résultats du test de marché et d'autres éléments du dossier.
Entreprise; Part de marché
Groupe Alfesca (Labeyrie, SIF,...); [30 - 40]
Groupe Pan Fish (Pan Fish France,Kristen);[20-30]
Meralliance; [10 - 20]
Moulin de la Marche; [10 - 20]
Bretagne Saumon; [0 - 5]
André Ledun; [0 - 5]
147. Le groupe Pan Fish occuperait donc, sur le marché du saumon fumé en France, la seconde place, derrière le leader Alfesca, qui produit notamment les produits sous la marque Labeyrie.
148. Le groupe Pan Fish est, toutefois, le seul à intégrer les activités de producteur et d'exportateur de saumon frais, en amont, et l'activité de fumeur, en aval. Dès lors, il convient d'examiner si la position de leader du groupe Pan Fish sur le marché amont est susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché aval.
149. Dans leur réponse au test de marché, les producteurs de saumon fumé indépendants expriment leur crainte que les filiales de Pan Fish sur le marché du saumon fumé bénéficient auprès de leur maison mère de tarifs avantageux pour l'approvisionnement en saumon frais. Ils déclarent aussi que, pour les filiales de Pan Fish, le fait de sécuriser leurs approvisionnements en saumon frais leur donnera un avantage précieux.
150. La partie notifiante a toutefois précisé que, conformément aux réglementations fiscales et comptables internationales, les ventes et achats de biens entre les différentes entités de Pan Fish s'effectuent à des conditions commerciales identiques à celles qui auraient été fixées entre deux parties indépendantes : les prix de cession interne sont donc similaires aux prix négociés avec des clients externes.
151. S'agissant de la sécurité de l'approvisionnement en saumon frais, elle est particulièrement cruciale pour les fumeurs, notamment du fait de la concentration de leurs ventes sur la période des fêtes de fin d'année. Les tensions sur l'offre constatées depuis le début de l'année 2006, qui se sont traduites par une hausse sensible des prix, renforcent les préoccupations des fumeurs à ce sujet.
152. A cet égard, le principal concurrent du groupe Pan Fish sur le marché du saumon fumé, le groupe Alfesca, a déclaré en séance qu'il devait s'assurer d'un approvisionnement en volumes suffisants de saumon frais, de toutes origines, au cours des trois derniers mois de l'année, et que seul le groupe Pan Fish était en mesure de lui garantir, de façon régulière, les volumes nécessaires, notamment en saumon écossais.
153. De fait, la part de marché de la nouvelle entité sur l'ensemble du marché européen du saumon Atlantique d'élevage ([30-40] %) voire du saumon Atlantique d'élevage frais ([30-40] %) apparaît trop limitée pour que les fumeurs français soient considérés comme dépendants du groupe Pan Fish pour leur approvisionnement en saumon frais. En revanche, comme pour les effets unilatéraux décrits ci-dessus, il existe des préoccupations liées à la très forte position occupée par la nouvelle entité sur les segments du saumon frais d'Ecosse et d'Irlande.
VI. Bilan économique
A. SUR LES GAINS D'EFFICACITE INVOQUES PAR LES PARTIES
154. Dans leurs observations, les parties ont estimé que l'opération de concentration aurait pour conséquence de créer des gains d'efficacité et des synergies. Elles comptent ainsi réduire d'environ 10 % leurs coûts de production, par différents moyens : rationalisation des sites, diversification des produits offerts, amélioration de la protection de l'environnement et de la sécurité alimentaire, meilleure productivité, optimisation des techniques de production ainsi que réduction des coûts de transformation primaire et des coûts administratifs et commerciaux.
155. Afin de vérifier si des gains économiques ou sociaux sont de nature à contrebalancer les atteintes à la concurrence résultant d'une opération de concentration, les lignes directrices de la DGCCRF précisent que les éléments de gains d'efficacité ou de progrès économique et social doivent être quantifiables et vérifiables, qu'ils doivent être spécifiques à la concentration. Il convient, enfin, de vérifier qu'il n'existe pas d'autres moyens moins dommageables pour la concurrence de les obtenir et qu'une part des gains sera transférée à la collectivité dans son ensemble, et notamment aux consommateurs.
156. Or, en l'espèce, aucun de ces critères n'est établi. En effet, les gains d'efficacité avancés, lorsqu'ils sont décrits avec précision, ne sont que rarement vérifiables et encore moins quantifiables. Il n'est, en outre, pas démontré que des résultats similaires ne pourraient pas être obtenus autrement que par l'opération de concentration. Enfin et surtout, rien ne permet d'estimer avec vraisemblance qu'ils pourraient être transférés pour partie aux consommateurs, par une baisse de prix ou une augmentation de la qualité. A cet égard, le commissaire du gouvernement a relevé en séance que les gains d'efficacité présentés ne concerneraient que des coûts fixes et que les clients des parties étant des intermédiaires, il n'était pas démontré que les consommateurs pourraient bénéficier d'une partie des gains d'efficacité allégués.
157. Il résulte de ce qui précède qu'il n'est pas démontré que les gains d'efficacité invoqués par les parties soient susceptibles de contrebalancer les atteintes à la concurrences identifiées.
B. SUR LES REMEDES PROPOSES
158. Les parties avaient, durant la phase 1 du contrôle de l'opération, soumis aux services du ministre une série d'engagements.
159. Au nombre de ces engagements, figurait la cession de 30 sites de production situés en Écosse. Pan Fish avait ainsi proposé la cession des équipements et installations associés à ces sites, à l'exception des licences, des autorisations et permis nécessaires à l'exploitation et des stocks de poissons. Ni le personnel, ni la force commerciale n'étaient non plus évoqués. Pan Fish se proposait de garantir la production d'une quantité moyenne de saumon d'au moins [...] tonnes par an sur les sites cédés.
160. [...]
161. Les parties avaient précisé, au commencement de la phase 2 du contrôle de l'opération, que ces engagements n'étaient pas renouvelés devant le Conseil de la concurrence et qu'ils avaient " été soumis aux seules fins d'obtenir une autorisation ministérielle en première phase ".
162. En séance, les parties ont indiqué au Conseil de la concurrence que les engagements étaient maintenus dans leur principe et pour le tonnage total cédé, mais ont précisé que les fermes proposées à la cession étaient susceptibles d'être différentes de celles proposées en première phase afin de réaliser un ensemble cohérent.
163. En volume, les engagement proposés consistent en la cession de toutes les capacités en Irlande ainsi que la cession de capacités de production équivalentes à [...] tonnes en Ecosse. Leur réalisation permettrait de limiter la part du groupe Pan Fish dans les ventes de saumon écossais à environ [25-35] %, soit le niveau qu'avait déjà la société Marine Harvest avant l'opération et un niveau équivalent à la part des parties sur l'ensemble du marché. S'agissant de la concentration des ventes de saumon écossais entre les différents producteurs, les cessions proposées par le groupe Pan Fish la réduiraient, hormis dans l'hypothèses où les différents sites seraient tous cédés au principal concurrent de la nouvelle entité.
164. Un réduction sensible de la concentration des ventes de saumon écossais remédierait aux problèmes concurrentiels identifiés ci-dessus, dès lors que, comme il a été précisé au paragraphe 121, les effets unilatéraux sont d'autant plus importants sur les quantités et prix des produits concernés que l'entité issue de la concentration détient des positions beaucoup plus fortes sur certains segments. Par ailleurs, la baisse de la part du groupe Pan Fish dans les ventes de saumon écossais permettrait aussi de répondre aux préoccupations identifiées ci-dessus en ce qui concerne l'approvisionnement des producteurs de saumon fumé en saumon frais écossais.
165. Au delà de ces aspects quantitatifs, le Conseil attire l'attention du ministre sur les éléments qualitatifs à prendre pour l'évaluation des engagements proposés, notamment s'agissant de la productivité des sites concernés (équipements, conditions micro-climatiques,...), de la cohérence d'ensemble des sites cédés ainsi que du nombre et de l'identité des repreneurs.
Sur la base des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence est d'avis :
Que sous réserve de l'application effective des remèdes proposés par les parties, dont le principe général a renouvelé devant le Conseil, la concentration résultant de l'acquisition de Marine Harvest NV par Pan Fish ASA n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur les marchés concernés.
Notes :
(1) Hors prise en compte de la moitié du chiffre d'affaires de la société Aalesundfisk.
(2) Le test de corrélation est un outil statistique destiné à évaluer la tendance de deux séries de prix à évoluer sensiblement soit en parallèle, soit de façon indépendante. Le coefficient de corrélation mesuré dans un tel test est compris entre -1 et 1. Plus il est proche de 0, plus les prix des deux produits sont indépendants. Plus il est proche de -1, plus les deux produits peuvent être considérés comme substituables. Plus il est proche de 1 et plus les prix des deux produits évoluent de façon parallèle, ce qui peut être le fait d'interactions concurrentielles entre les deux produits. En l'espèce, le test de corrélation est effectué sur des données de prix relatives au saumon d'Écosse et au saumon de Norvège, sur la base des prix de vente de Marine Harvest au Royaume-Uni (test 1) et en France (test 2), de janvier 2003 à janvier 2006, et sur la base des prix cotés à Rungis (test 3) de 2000 à 2006. Les tests 1 et 2 donnent un coefficient de corrélation de 0,89 et le test 3 un coefficient de corrélation de 0,91.
(3) Les tests de stationnarité et de co-intégration sont des outils économétriques qui étudient l'évolution du prix relatif d'un bien par rapport à un autre et évaluent dans quelle mesure l'écart entre le prix des deux biens reste stable. Ces tests reposent, cependant, sur une hypothèse essentielle selon laquelle les prix de deux biens appartenant au même marché connaissent nécessairement une relation de long terme stable, qui n'est pas systématiquement vérifiée, comme l'a relevé le commissaire du gouvernement dans ses observations. En tout état de cause, en admettant que cette hypothèse soit vérifiée en l'espèce, ces tests auraient dû être complétés par une étude du lien entre les prix relatifs et les quantités relatives.
(4) dans ce cas, les courbes d'indifférence pour chaque paire de produits sont des droites de pente -1
(5) FHL : Fiskeri og Haubruksnaeringens Landforening ou Norwegian Seafood Federation, organisation professionnelle norvégienne.
(6) Le taux de marge, donné par l'indice de Lerner (prix-coût/prix), le taux de concentration, mesuré par l'indice d'Herfindahl (somme des parts de marché au carrér) et l'élasticité-prix de la demande sur le marché sont reliés par l'égalité indice de Lerner=indice d'Herfindhal/élasticité-prix.