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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 6 février 2007, n° 06-21983

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société nationale maritime Corse méditerranée

Défendeur :

Corsica Ferries France (Sté), Compagnie méridionale de navigation (Sté), Collectivité territoriale de Corse, Office des transports de la Corse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

MM. Schneider, Remenieras

Avoués :

SCP Monin, d'Auriac de Brons, SCP Bommart-Forster, Fromantin, Me Teytaud, SCP Bernabe Chardin Cheviller

Avocats :

Mes Vogel, Cabanes, Ayache, Froment-Meurice, Delvolve

CA Paris n° 06-21983

6 février 2007

L'attribution de la desserte maritime de la Corse depuis le port de Marseille a été soumise à la procédure d'attribution définie par la loi n° 93-122 dite "Sapin" du 29 janvier 1993. La Société de navigation maritime Corse méditerranée (ci-après SNCM) et la Compagnie méridionale de navigation (ci-après CMN) ont constitué un groupement conjoint solidaire pour répondre à la délégation de service public pour la période de 2002 à 2007.

Par une délibération du 24 mars 2006, l'Assemblée Territoriale de Corse, organe délibérant de la Collectivité territoriale de Corse (ci-après CTC), a adopté le "principe de l'organisation générale de la desserte maritime de service public entre le port de Marseille et les ports corses à compter du 1er janvier 2007" et le règlement de l'appel d'offres ainsi que le cahier des charges. Par la même délibération, elle a donné mandat au Président de l'Office des transports de Corse (ci-après OTC) pour lancer, au nom de la collectivité, la procédure d'appel d'offres, procéder à l'instruction technique des dossiers et assister la collectivité pour la mise en œuvre de la procédure d'attribution de la délégation de service public.

L'attribution de la délégation de service public de continuité territoriale ayant fait l'objet d'un appel d'offres communautaire, plusieurs offres concurrentes ont été déposées le 4 août 2006, date limite de remise des offres:

- une offre globale de la SNCM portant sur l'ensemble des lignes;

- une offre de la société Corsica Ferries comportant différentes options et portant alternativement sur les lignes Marseille-Bastia, Marseille-Ajaccio, Marseille-Balagne, Marseille-Propriano et Marseille-Porto-Vecchio;

- une offre de la CMN portant sur six propositions individuelles différentes, s'excluant mutuellement et comprenant soit des demi-services permanents, soit des services complets, permanents et supplémentaires

- et, enfin, une offre d'un groupement momentané constituée par la société Corsica Ferries et la CMN portant alternativement soit sur les lignes Marseille-Bastia et Marseille-Propriano, soit sur les lignes Marseille-Ajaccio et Marseille-Propriano.

Le 7 août 2006, la commission d'ouverture des plis a ouvert les enveloppes extérieures des offres et admis la recevabilité des offres individuelles de Corsica Ferries soit sur la ligne de Balagne soit sur celle de Porto-Vecchio, et de l'offre globale de la SNCM.

Le 19 septembre 2006, la CMN a saisi le Conseil de la concurrence afin de dénoncer en premier lieu des pratiques d'entente entre la SNCM d'une part, la CTC et l'OTC d'autre part, lors de la préparation et du déroulement de l'appel d'offres pour l'attribution de la délégation de service public relative aux liaisons maritimes entre Marseille et la Corse. Elle reproche en deuxième lieu à la SNCM d'avoir abusé de sa position dominante en présentant une offre globale indivisible,

Le 5 octobre 2006, la société Corsica Ferries a saisi le Tribunal administratif de Bastia de deux référés précontractuels le premier en sa qualité de membre du groupement momentané constitué avec la CMN, le second en sa qualité de candidat individuel. Elle a demandé au juge des référés précontractuels d'enjoindre à l'OTC de reprendre la procédure à un stade qui permette sa poursuite dans des conditions régulières.

Le 23 octobre 2006, la société Corsica Ferries a saisi à son tour le Conseil de la concurrence invoquant également le caractère abusif du comportement de la SNCM.

Le même jour, le juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Bastia a suspendu la procédure de passation de la convention de délégation de service publie maritime et enjoint à la CTC et à l'OTC de procéder à un nouvel examen de la candidature et des offres du groupement constitué entre les sociétés Corsica Ferries et CMN.

Le 7 novembre 2006, la société Corsica Ferries a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat, à l'encontre de l'ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Bastia.

Le 11 décembre 2006, le Conseil de la concurrence a rendu sa décision n° 06-MC-03 relative aux demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, statuant comme suit:

"Article 1er": Les saisines n° 06/0061 F et 06/0072 F sont déclarées irrecevables en tant qu'elles dénoncent l'entente anticoncurrentielle imputée à la Collectivité territoriale de Corse, à l'Office des transports de la Corse et à la Société Nationale Corse Méditerranée.

Article 2 : Il est enjoint à la Société National Corse Méditerranée, dans les quarante-huit heures suivant la notification de la présente décision :

- en premier lieu, d'indiquer à l'Office des transports de la Corse le montant ferme de la subvention sur lequel elle s'engage ligne par ligne dans l'office qu'elle a déposée;

- en deuxième lieu de faire droit ; dans les mêmes quarante-huit heures, à toute demande de l'office permettant à ce dernier d'évaluer le montant demandé, de manière ferme, pour les offres groupées qu'il souhaiterait étudier;

- en troisième lieu, de préciser explicitement à l'office qu'elle ne s'oppose ni à un examen de ce dernier, dans des conditions assurant le respect effectif de l'égalité de traitement entre les différentes candidatures, de son offre ligne par ligne ou regroupée, selon les critères auxquels entend recourir l'office, ni - au terme de cet examen - à la possibilité d'une attribution partielle de la délégation.

Article 3 : Il est enjoint à la Société Nationale Corse Méditerranée de s'abstenir de signer tout projet de contrat qui lui serait proposé pour une nouvelle délégation de service public relative à la desserte maritime de la Corse à partir de Marseille tant qu'elle n'aura pas justifié, par lettre adressée au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, avoir exécuté l'injonction prononcée à l'article ci-dessus".

Le 15 décembre 2006, le Conseil d'Etat a simulé la procédure de passation de la délégation du service public de desserte maritime des ports de Bastia, Ajaccio, Balagne, Porto-Vecchio et Propriano à partir du port de Marseille. Il a également enjoint à la CTC de reprendre cette procédure soit intégralement soit à compter de la nouvelle date qu'elle fixera pour la remise, dans les conditions prévues par le règlement particulier d'appel d'offres, des plis contenant les nouvelles offres des candidats.

Le 22 décembre 2006, l'Assemblée Territoriale de Corse a décidé dans sa délibération n° 06/263 de reprendre la procédure de passation de la délégation de service public à compter de la publication d'un nouvel avis d'appel public à la concurrence dans les conditions prévues par le règlement particulier d'appel d'offres adopté par cette même assemblée lors de la délibération du 24 mars 2006.

Le même jour la SNCM a formé un recours contre la décision du Conseil de la concurrence n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006.

LA COUR,

Vu le recours déposé au greffe de la cour le 22 décembre 2006;

Vu l'exposé des moyens déposé le même jour aux termes duquel il est demandé à la cour, conformément à l'article L. 464-7 du Code de commerce, à l'article L. 462-8 du Code de commerce, aux articles L. 420-2 du Code de commerce et 82 du traité CE, à l'article L. 464-1 du Code de commerce, du décret n° 87-849 du 19 octobre 1987, de:

- déclarer recevable le recours intenté par la société SNCM à l'encontre de la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 du Conseil de la concurrence,

- annuler, et subsidiairement réformer, la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 du Conseil de la concurrence sur les points suivants :

• la constatation par le Conseil de sa propre compétence pour statuer sur l'offre de la SNCM, déposée conformément à l'appel d'offres de l'OTC;

• la détermination des marchés pertinents par le Conseil;

• la constatation par le Conseil de la position dominante de la SNCM sur les marchés pertinents ainsi demandés;

• la qualification par le Conseil d'abus de position dominante de l'offre déposée par la SNCM, conformément à l'appel d'offres de l'OTC;

• l'absence de constatation par le Conseil d'un lien de causalité entre la position dominante alléguée et l'abus invoqué;

• la constatation par le Conseil que les autres conditions nécessaires au prononcé de mesures conservatoires étaient réunies (et tenant à l'existence d'une atteinte grave et immédiate au secteur et aux consommateurs, et à la nécessité et proportionnalité des mesures prononcées);

- en tout état de cause, rejeter l'ensemble des mesures conservatoires demandées par les sociétés CMN et Corsica Ferries;

- condamner les sociétés CMN et Corsica Ferries, au paiement d'une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les condamner aux entiers dépens.

Vu les conclusions en défense de la CMN déposées le 8 janvier 2007 par lesquelles cette dernière demande à la cour de:

A titre principal :

- déclarer irrecevable le recours intenté par la SNCM à l'encontre de la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 du Conseil de la concurrence;

A titre subsidiaire :

- rejeter l'ensemble des arguments de la SNCM dirigés contre cette décision;

à titre reconventionnel :

- constater que la SNCM a commis un abus de droit d'agir en justice en introduisant un recours contre la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 du Conseil de la concurrence;

- condamner la SNCM à lui verser la somme de 20 000 euro à titre de la violation de l'article 1382 du Code civil;

En conséquence :

- confirmer en tous points la décision entreprise;

- condamner la SNCM aux entiers dépens ;

- condamner la SNCM à lui allouer la somme de 40 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu le mémoire en réponse de la société Corsica Ferries déposé le 8 janvier 2007 par lequel cette dernière prie la cour de:

A titre principal :

- déclarer irrecevable le recours de la SNCM en tant qu'il est dirigé contre les motifs, et non le dispositif, de la décision du Conseil de la concurrence du 11 décembre 2006;

- déclarer irrecevable le recours de la SNCM en tant qu'il est dénué de tout objet,

- déclarer irrecevable le recours de la SNCM en tant qu'elle ne justifie pas d'un intérêt à agir actuel;

A titre subsidiaire :

- rejeter le recours en annulation et en réformation formé par la SNCM contre la décision du Conseil de la concurrence du 11 décembre 2006;

Et enfin :

- confirmer, en tous ses points, la décision du Conseil de la concurrence du 11 décembre 2006;

- condamner la SNCM à payer à la société Corsica Ferries une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les observations écrites du Commissaires du gouvernement auprès du Conseil de la concurrence, membre de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes en date du 15 novembre 2006

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence en date du 8 janvier 2007;

Vu les conclusions en réplique de la société SNCM signifiées le 9 janvier 2007 par lesquelles cette dernière demande à la cour de:

- rejeter comme tardives les conclusions et les pièces déposées par les sociétés Corsica Ferries et CMN le 8 janvier 2007;

- déclarer recevable le recours intenté par la SNCM à l'encontre de la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 du Conseil de la concurrence;

- annuler, et subsidiairement réformer, les articles 2 et 3 de la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 du Conseil de la concurrence pour les motifs énoncés dans les moyens présentés dans l'assignation du 22 décembre 2006;

- en tout état de cause, rejeter l'ensemble des mesures conservatoires;

- rejeter l'ensemble des moyens soulevés par Corsica Ferries et CMN tendant à ce que le recours de la SNCM soit déclaré irrecevable;

- rejeter l'ensemble des moyens soulevés par Corsica Ferries et la CMN tendant à ce que le recours de la SNCM soit rejeté comme non fondé et à ce que la décision du Conseil de la concurrence soit confirmée en tous ses points;

- rejeter la demande de la CMN tendant à ce que le recours de la SNCM soit considéré comme abusif;

- rejeter la demande de la CMN tendant à ce que la SNCM lui verse en conséquence la somme de 20 000 euro en réparation du préjudice subi, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil;

- rejeter la demande de la CMN tendant à ce que la SNCM lui verse la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- rejeter la demande de Corsica Ferries tendant à ce que la SNCM soit condamnée à lui verser 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- débouter les sociétés CMN et Corsica Ferries tendant à ce que la SNCM soit condamnée à lui verser 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- débouter les sociétés CMN et Corsica Ferries de l'ensemble de leurs demandes;

- condamner les sociétés CMN et Corsica Ferries, au paiement d'une somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les condamner aux entiers dépens.

Sur ce,

Sur la recevabilité du recours de la SNCM

Considérant que le recours formé par la SNCM tend à demander l'annulation partielle, et à titre subsidiaire la réformation, de la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006, en ce qui concerne la fixation de mesures conservatoires à l'encontre de la SNCM;

Considérant que pour apprécier les effets de ces mesures conservatoires, la cour doit se placer à la date à laquelle elle statue et non pas à celle de la décision attaquée;

Considérant que le 15 décembre 2006, le Conseil d'Etat a annulé la procédure de passation de la délégation de service public et a enjoint à la CTC de reprendre la procédure soit intégralement soit à compter de la nouvelle date qu'elle fixera pour la remise des plis contenant les nouvelles offres des candidats; que la décision d'annulation de la procédure de passation de la délégation de service public du Conseil d'Etat a eu pour effet d'annuler les offres présentées jusqu'alors par les candidats; que le fait que l'offre n'existe plus au jour du recours a pour effet de rendre la saisine de la cour et partant les demandes de la SNCM dépourvues d'objet;

Qu'en conséquence, le recours présenté par la SNCM contre la décision n° 06-MC-03 du Conseil de la concurrence sera déclaré irrecevable;

Que dans ces conditions, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la question de compétence;

Sur le recours pour procédure abusive

Considérant que la CMN demande, à titre reconventionnel, à la cour de reconnaître le recours intenté par la SNCM comme abusif; que même si la SNCM fait valoir la communication tardive des conclusions et des pièces déposées la veille de l'audience, il n'en demeure pas moins qu'elle ne rapporte pas la preuve de l'atteinte portée à l'exercice de ses droits de la défense dans la mesure ou elle a pu présenter des conclusions en réplique le jour de l'audience;

Considérant que sans qu'il y ait lieu d'écarter les conclusions et pièces dénoncées, la cour relève toutefois que la CMN ne justifie pas d'un comportement fautif de la part de la SNCM; qu'en conséquence, le recours sera rejeté;

Considérant qu'il convient en conséquence de rejeter les recours ; que les demandes formées au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ne peuvent qu'être rejetées;

Par ces motifs, - Déclare le recours de la SNCM irrecevable, - Rejette le recours pour procédure abusive de la CMN à l'encontre de la SNCM, - Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens.