CE, 3e et 8e sous-sect. réunies, 27 juillet 2006, n° 281629
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Avenir de la langue française
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Commissaire du gouvernement :
M. Glaser
Rapporteur :
Mme Lemesle
LE CONSEIL : - Vu la requête, enregistrée le 16 juin 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association Avenir de la langue française, dont le siège est 34 bis, rue de Picpus à Paris (75012), représentée par son président en exercice ; l'association Avenir de la langue française demande au Conseil d'Etat d'annuler les paragraphes 1.2 et 2 de l'instruction du 21 février 2005 du Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes aux services de contrôle, pour l'application de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la Constitution, notamment ses articles 2 et 55 ; Vu le traité instituant la Communauté européenne ; Vu le Code de la consommation ; Vu la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française ; Vu le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de Mme Isabelle Lemesle, Maître des Requêtes, - les conclusions de M. Emmanuel Glaser, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française : Dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, (...) l'emploi de la langue française est obligatoire ;
Considérant, en premier lieu, que dans l'hypothèse où des dispositions législatives se révèlent incompatibles avec des règles communautaires, il appartient aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, de donner instruction à leurs services de n'en point faire application tant que ces dispositions n'ont pas été modifiées ; que ces autorités ne peuvent toutefois trouver dans une telle incompatibilité un fondement juridique les habilitant à édicter des dispositions de caractère réglementaire qui se substitueraient à ces dispositions législatives ;
Considérant qu'il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, notamment de son arrêt du 3 juin 1999 Colim (affaire C-33-97), que, s'agissant des biens, produits et services commercialisés dans la Communauté pour lesquels les exigences linguistiques applicables à l'information des consommateurs n'ont pas encore été harmonisées, les Etats membres peuvent fixer de telles exigences mais à condition qu'elles soient indistinctement applicables aux produits nationaux et aux produits importés, qu'elles limitent leurs effets aux mentions rendues obligatoires par la réglementation nationale et qu'elles soient proportionnées au but de protection des consommateurs que les mentions en cause poursuivent ;
Considérant que l'instruction attaquée, dont l'association requérante conteste les points 1.2 et 2, invite les agents des services de contrôle placés sous l'autorité du Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes à s'abstenir de constater des infractions aux dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 dans certaines hypothèses, de manière à concilier l'application de ces dispositions avec les exigences du droit communautaire ; qu'à cet effet, il est précisé au point 1.2 de l'instruction, relatif aux mentions rendues obligatoires par une réglementation nationale dans des domaines non harmonisés ou d'harmonisation partielle, que les services de contrôle ne relèveront pas d'infraction lorsque sont employés, à la place des mentions dont le libellé est prévu en langue française : soit des termes ou expressions dans une autre langue mais facilement compréhensibles par le consommateur, soit d'autres moyens d'information tels que dessins, symboles ou pictogrammes, accompagnés le cas échéant de termes ou d'expressions dans une autre langue que le français mais facilement compréhensibles par le consommateur, dès lors qu'ils suffisent à transmettre l'information souhaitée ; qu'il est indiqué ensuite qu'il conviendra d'apprécier au cas par cas, lors des contrôles, si les moyens d'information alternatifs aux mentions en langue française permettent d'assurer un niveau d'information équivalent à celui recherché par la réglementation et ne sont pas de nature à induire le consommateur en erreur ; qu'à son point 2, relatif aux mentions non obligatoires, l'instruction se borne à préciser que seules les dispositions générales du Code de la consommation relatives à l'information du consommateur trouvent à s'appliquer, dans le respect de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ;
Considérant qu'il ressort de ces énonciations que le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes a seulement entendu donner instruction aux services de contrôle, lorsqu'ils constatent que des mentions sont en tout ou partie libellées autrement qu'en langue française, d'apprécier au cas par cas, et sous le contrôle du juge, si la sanction d'une méconnaissance des dispositions de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 ne serait pas contraire au principe de proportionnalité tel que la Cour de justice des Communautés européennes l'applique en matière d'exigences linguistiques nationales ; qu'ainsi, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes ci-dessus rappelée et eu égard aux termes dans lesquels sont rédigés les points 1.2 et 2 de l'instruction attaquée, le Directeur Général de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes n'a pas édicté de règles de portée générale venant modifier les dispositions de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 ou s'y substituer et, par suite, n'a pas excédé ses compétences ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution : La langue de la République est le français ; que si, en vertu de ces dispositions, et ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ainsi que dans les relations entre les particuliers et les administrations et services publics, il ne s'en déduit en revanche pas d'obligation d'usage du français dans les relations de droit privé ; que, dès lors, le moyen tiré de ce qu'en raison de cette disposition constitutionnelle, le droit communautaire ne saurait prévaloir, en cas de contrariété, sur les dispositions de l'article 2 de la loi du 4 août 1994 ne peut qu'être écarté ;
Considérant, enfin, que dans les termes généraux où elle est rédigée, l'instruction attaquée, qui invite les services de contrôle à apprécier au cas par cas si l'information de l'ensemble des consommateurs est correctement assurée, notamment dans le cas où des indications en langue française auraient été remplacées en tout ou partie par des termes ou expressions dans une autre langue ou par des dessins, symboles ou pictogrammes, ne comporte ni n'implique aucune méconnaissance du principe d'égalité et n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association Avenir de la langue française n'est pas fondée à demander l'annulation des points 1.2 et 2 de l'instruction qu'elle attaque ;
Décide :
Article 1er : La requête de l'association Avenir de la langue française est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Avenir de la langue française et au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.