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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 4 février 2004, n° 2002-00753

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Atos Euronext SBF(SA)

Défendeur :

Preval, Lusis (SA), de Sainte Foy, Vega

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Riffault-Silk

Conseillers :

MM. Faucher, Picque

Avoués :

Mes Baufume, Ribaut

Avocats :

Mes de Gaulle, Chauvin Labourdarie

TGI Paris, 5e ch., du 8 nov. 2001

8 novembre 2001

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Atos Euronext (société Atos) venant aux droits de la société Astria et spécialisée dans le développement des systèmes et solutions monétiques, du jugement contradictoire rendu le 8 novembre 2001 par le Tribunal de grande instance de Paris, qui, saisi du litige l'opposant à ses anciens salariés ainsi qu'à la société Lusis créée entre eux pour exercer une activité similaire,

- a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Lusis au profit du tribunal de commerce, ainsi que sa demande de redistribution de l'affaire à la 3e chambre du Tribunal de grande instance de Paris parallèlement saisie d'une action en contrefaçon,

- a considéré que les faits dénoncés par la société Atos n'étaient pas constitutifs d'une concurrence déloyale, et que sa carence totale dans l'administration de la preuve établissait un abus manifeste des voies de droit,

- l'a déboutée de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer à chacun des défendeurs 7 622,45 euro (50 000 F) de dommages intérêts pour procédure abusive et ce avec exécution provisoire, rejetant leur demande complémentaire de publication, ainsi que 1 829,39 euro (12 000 F) à chacun pour leurs frais irrépétibles et aux dépens.

Par conclusions du 2 décembre 2003, la société Atos Euronext (Atos) venant aux droits de la société Astria demande à la cour :

- de lui donner acte de son intervention volontaire,

- infirmant la décision entreprise et statuant à nouveau,

- vu les articles 1382 et 1383 du Code civil, de constater que les agissements de la société Lusis de MM. Préval, de Sainte Foy et Véga sont constitutifs de concurrence déloyale et de parasitisme, et de les condamner solidairement à lui payer à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice,

* 6 059 098 euro en raison de la chute de son chiffre d'affaires et de ses résultats,

* 150 000 euro pour l'atteinte à son image de marque,

- de les condamner solidairement à lui payer les frais de publication de l'arrêt à intervenir dans trois journaux professionnels de l'informatique au choix de la société Atos et dans la limite de 8 000 euro, ainsi qu'à restituer les sommes qui leur ont été versées en exécution du jugement déféré,

- de les débouter de leurs demandes reconventionnelles et de les condamner solidairement à lui payer 100 000 euro pour leurs frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans leurs dernières écritures déposées le 10 décembre 2003, Philippe Préval, Eric de Sainte Foy, Franck Vega et la société anonyme Lusis, intimés, poursuivent la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la société Atos de toutes ses demandes et l'a condamnée à leur payer des dommages-intérêts pour procédure abusive.

Ils forment appel incident pour demander à la cour de porter le montant de ces dommages intérêts à 50 000 euro pour chacun, d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux à leur choix et de condamner la société Atos à en payer le coût. Ils sollicitent enfin le versement de 15 000 euro chacun pour leurs frais irrépétibles et la condamnation de l'appelante aux dépens.

Sur ce,

Considérant que la société Atos Euronext SBF (Atos) venant aux droits de la société Astria se fonde sur les dispositions des articles 1382 et 1383 du Code civil pour soutenir que son ancien directeur général Philippe Préval licencié en janvier 1999 et deux de ses anciens cadres de direction démissionnaires au même moment se sont livrés à des manœuvres déloyales dans le but de s'approprier son savoir-faire, son personnel et sa clientèle au bénéfice de la société Lusis qu'ils ont constituée deux mois plus tard pour exercer les mêmes activités en associant à son capital d'autres cadres de direction de la société Astria et en recrutant un grand nombre de ses ingénieurs;

Qu'elle déclare que :

- Philippe Préval a délibérément violé les engagements de non-concurrence et de non-débauchage qu'il avait souscrits dans le protocole transactionnel conclu avec la société Astria le 11 janvier 1999 lors de son licenciement, ces violations l'ayant elle-même conduite à ne pas verser à son ancien salarié les indemnités prévues dans cet accord dont la non-exécution incombe exclusivement à Philippe Préval,

- les intimés ne se sont pas contentés de se placer sur le même marché comme des concurrents potentiels, mais ont au contraire démarché de façon ciblée la clientèle de la société Astria et désorganisé ses services en recrutant là encore de façon très ciblée ses salariés en charge des dossiers de ces mêmes clients,

- la société Lusis qui s'est substituée à la société Astria auprès de ces clients en poursuivant les projets initiés et développés par cette dernière, a engagé sa responsabilité délictuelle en bénéficiant sciemment des agissements des anciens salariés de la société Astria, contraires à leurs obligations contractuelles;

Qu'elle soutient que ces actes, qui lui ont causé un énorme préjudice, sont constitutifs d'une concurrence déloyale et parasitaire;

Considérant que les intimés rétorquent que le scénario d'un " complot " inventé a posteriori par l'appelante, qui n'est étayé d'aucune preuve, résulte d'une pure construction intellectuelle développée à seule fin d'éliminer du marché une entreprise dynamique et compétitive devenue en quelques années une concurrente potentielle dans le même domaine d'activité ;

Qu'ils soutiennent que :

- les trois intimés, informaticiens de haut niveau très attachés à la spécificité de leur entreprise dont ils étaient respectivement directeur général, directeur des projets banque et directeur des projets distribution, ont quitté la société Astria en raison de leur désaccord total avec la nouvelle stratégie annoncée par la société Atos lors de son rachat des 50 % du capital de la société Astria détenus par le groupe américain Stratus, Philippe Préval ayant été "révoqué" le 7 janvier 1999, MM. Véga et de Sainte Foy ayant démissionné quelques jours plus tard avec trois autres directeurs,

- ils ont ultérieurement, en mars 1999, participé avec d'autres salariés licenciés ou démissionnaires de la société Astria et libres de tout engagement, à la création de la société Lusis, qui n'a nullement concurrencé la société Astria lors de sa création, mais seulement beaucoup plus tard, fin 2000,

- le mécontentement et le départ des clients de la société Astria courant 1999, plusieurs mois après la fuite de son personnel, sont seulement imputables à l'incapacité de l'appelante à mener à bien les projets qui lui étaient confiés,

- aucun abus ne peut leur être reproché, l'appelante n'étant propriétaire ni de ses salariés, ni de ses clients, et la société Lusis ayant fourni à ces mêmes clients des prestations d'assistance à maîtrise d'ouvrage et de conseil qui n'entraient pas dans les missions de fourniture de systèmes confiées à Astria et qui ne relevaient pas de son activité,

- la société Astria a non seulement remis en cause dès le 15 février 1999 le protocole transactionnel conclu le 11 janvier 1999 avec Philippe Préval, cette convention n'ayant dès lors aucune valeur puisqu'elle n'a jamais été exécutée, mais de plus a assigné dès le 18 février 1999 certains des futurs fondateurs de la société Lusis, multipliant depuis les actes de dénigrement auprès des clients de cette dernière, les menaces et les procédures, ces actes constitutifs d'une concurrence déloyale leur ayant causé un préjudice dont ils sont fondés à demander réparation;

Sur la concurrence déloyale et parasitaire reprochée à la société Lusis ainsi qu'à Philippe Préval, Franck Véga et Eric de Sainte Foy

Considérant que les intimés, qui imputent aux " changements de stratégie de l'entreprise " le départ massif de son personnel début 1999, n'en justifient pas; que le déménagement de l'entreprise de Paris à La Défense pour un regroupement avec le personnel de la société Atos, décidé en avril 1998 et réalisé à la fin de l'été 1998, certes critiqué par les cadres de direction de la société Astria notamment lors d'une réunion tenue le 8 avril 1998 avec la direction de sa société-mère Atos, ne constitue pas un argument crédible d'un bouleversement de cette stratégie et de ses effets sur l'ensemble du personnel de l'entreprise;

Qu'en revanche les pièces versées aux débats, et notamment le courrier du 2 décembre 1998 adressé à la direction de la société Atos, dans lequel Philippe Préval s'insurgeait contre le fait que la société Atos se soit déclarée intéressée à reprendre la participation détenue par l'autre actionnaire de référence de la société Astria, " sans que la direction d'Astria n'ait participé à ce processus de décision ", montrent que le désaccord survenu entre les dirigeants de la société Atos détenteur de 50 % du capital de la société Astria, et Philippe Préval directeur général de cette dernière auquel se sont joints d'autres cadres de direction de la même société, a surgi lorsque l'intéressé a appris courant 1998 le projet de l'actionnaire américain de la société Astria, la société Stratus, de céder sa part de capital soit 50 % à la société Atos ; que le sondage réalisé auprès des salariés de la société Astria le 7 janvier 1999, après la réunion d'information du comité d'entreprise sur la modification de l'actionnariat de la société, établit que les cadres de direction ont tenté de mobiliser le personnel de la société Astria pour officialiser le soutien par les salariés de " l'action de Philippe Préval et du management d'Astria et imposer à ses actionnaires la mise en œuvre d'un rachat partiel de l'entreprise par ses salariés (RES ou LBO), projet " approuvé par 75 % des salariés " selon le " bilan-sondage " effectué le 7 janvier 1999, mais radicalement différent de l'objet de la réunion du comité d'entreprise tenue le même jour ; que le 10 janvier 1999 était diffusée, sous la signature d'Eric de Sainte Foy, une feuille intitulée "hommage à Philippe Préval, homme de culture et de tempérament" faisant part de la "révocation" de ce dernier et annonçant en termes à peine voilés l'intention de son signataire de quitter l'entreprise "L'attitude face à cette situation nouvelle est question de choix personnel. Le mien est fait" ;

Qu'il n'est pas surprenant que dans de telles circonstances, la société Astria ait souhaité se séparer de son directeur général, la signature d'un protocole transactionnel le 11 janvier 1999 établissant l'accord des parties sur le principe et les modalités de cette rupture;

Qu'il est rappelé dans ce protocole que " depuis l'été 1998, Philippe Préval n'a cessé de s'opposer par tous moyens à ce projet [de changement de contrôle] en associant ses principaux cadres à cette opposition " bien que " M. Preval conteste ce point de vue " , que les " critiques permanentes " exprimées par l'intéressé "au cours des douze derniers mois" ont amené la société Astria à convoquer l'intéressé pour un entretien préalable fixé le 22 décembre 1998 en vue de son licenciement qui lui a été notifié "par lettre recommandée remise en main propre le 7 janvier 1999", et que les parties ont souhaité se rapprocher pour clore ce contentieux ;

Qu'il est convenu dans ce protocole que Philippe Préval recevra à la date de son départ fixé au 19 février 1999, le salaire afférent aux jours travaillés en février, une indemnité conventionnelle de licenciement de 155 800 F, une indemnité transactionnelle forfaitaire et définitive de 844 200 F cette dernière payée par moitié en deux fois l'une le 19 février 1999 et la seconde le 19 février 2000, et la jouissance de ses stock-options ;

Qu'il s'engage en contrepartie, " en tant que dirigeant d'une société ou directeur d'une unité de société ", à :

* ne pas concurrencer Astria pour une durée de un an dans les termes suivants :

- ne pas fournir de systèmes et projets monétiques clés en mains aux clients actuels d'Astria, c'est-à-dire ceux pour lesquels Astria a eu un chiffre d'affaires supérieur à 100 KF lors de l'exercice comptable allant du 1er octobre 1997 au 30 septembre 1998,

- ne pas embaucher de collaborateurs d'Astria, se définissant comme ceux liés à la société par un contrat de travail à la date de signature du présent protocole, sauf accord préalable écrit de la société Astria"

* collaborer honnêtement avec la direction d'Astria dans les termes suivants :

- transfert des dossiers en cours

- ne pas faire de prosélytisme pour favoriser des démissions

- ne pas gérer les projets en cours de façon à générer des conflits avec les clients

Qu'il apparaît que cet accord a été immédiatement violé par Philippe Préval, qui s'était déjà entendu avec les autres cadres de direction de l'entreprise et avec ses techniciens pour créer une entreprise concurrente et s'approprier le savoir-faire, les contrats et les clients de la société Astria;

Qu'en effet le licenciement de Laurent Laperrousaz directeur technique de la société Astria, notifié le 25 septembre 1998 à l'intéressé par Philippe Préval dont il était l'adjoint, était intervenu dans des conditions anormales ; que par courrier du même jour également signé de Philippe Préval, ce dernier remerciait ce salarié pour son " efficace collaboration ", lui " confirmait [sa] confiance pour ce nouvel exercice " et lui annonçait une gratification salariale ; que le protocole d'accord conclu également entre eux trois jours plus tard le 28 septembre 1998 n'en énonçait pas moins la "détérioration de leurs relations personnelles" stipulait le versement de diverses indemnités, et prévoyait que les obligations de non-intervention auprès de certains clients de la société Astria souscrites par ce salarié prendraient fin le 31 décembre 1998 soit à l'issue du préavis commençant le 1er octobre 1998, l'intéressé se trouvant en réalité délié de toute obligation à ce titre; que tous ces documents ont été signés par Philippe Préval au nom de la société Astria, peu important dès lors les affirmations de l'intéressé selon lesquelles ce licenciement aurait été " géré " par la direction de la société Atos, ce que conteste formellement cette dernière ; qu'il y a lieu d'observer que Laurent Laperrousaz titulaire de 5 000 actions (20 % du capital) de la société Lusis constituée deux mois plus tard le 22 mars 1999, en sera l'un des trois principaux actionnaires avec Philippe Préval (6 250 actions) et Brieuc Boucher autre ancien directeur de la société Astria (4 640 actions);

Que les 12 et 13 janvier 1999, dans les deux jours de la signature du protocole d'accord conclu entre la société Astria et Philippe Préval intervenait la démission de cinq des six cadres de direction de la société Astria, quatre d'entre eux dont Franck Véga et Eric de Sainte Foy souscrivant deux mois plus tard pour 10 % chacun au capital de la société Lusis, seule la direction commerciale de la société Astria restant intacte; que ces cadres ne pouvaient ignorer qu'un départ collectif aussi brutal allait gravement désorganiser la société Astria;

Qu'il est établi par les lettres de démission versées aux débats, que la démission des cadres de direction a été immédiatement suivie par celle de nombreux ingénieurs soit en janvier et début février 1999 pour neuf d'entre eux, d'autres démissions ayant suivi en février et mars 1999, la plupart de ces salariés ayant été ultérieurement recrutés par la société Lusis dont ils ont longtemps constitué le seul effectif; que la liste du personnel de la société Lusis à fin 1999, montre en effet que neuf mois après la création de la société, 17 de ses salariés sur 18 étaient d'anciens cadres de la société Astria, neuf d'entre eux ayant été recrutés début en mai 1999, 4 en juin 1999, 3 en juillet-août 1999, le premier recrutement par la société Lusis d'un salarié extérieur au personnel venu de la société Astria n'étant intervenu que le 1er octobre 1999;

Que ces effectifs contrastent avec l'évolution de ceux de la société Astria, qui avait perdu en septembre 1999, 39 salariés sur un effectif de 69,

- le pôle Distribution dirigé par Franck Véga avait perdu trois ingénieurs sur quatre, deux d'entre eux ayant été embauchés par la société Lusis,

- le pôle Développement Produits dirigé par Brieuc Boucher et G. Dagousset également démissionnaires et recrutés par la société Lusis, avait perdu 13 ingénieurs sur 23, six d'entre eux ayant été recrutés par la société Lusis,

- le pôle CEDICAM (groupe Crédit Agricole) dirigé par Gilles Avezard également démissionnaire et recruté par la société Lusis avait perdu 7 ingénieurs sur 16, quatre d'entre eux ayant été recrutés par la société Lusis,

- le pôle Projets banques dirigé par Eric de Sainte Foy comprenant 26 ingénieurs en avait perdu 16, dont cinq au profit de la société Lusis;

Que les perturbations provoquées par ces départs n'ont pas manqué de désorganiser l'entreprise, privée de ses directeurs et d'équipes compétentes, et de susciter le mécontentement de sa clientèle dès les mois de février et mars 1999, ainsi qu'il en est justifié par les courriers versés aux débats reprochant à l'appelante " l'insuffisance de l'environnement technique ", " le désengagement ", " les retards" (courriers de Bull, Dassault, JT Informatique des 9 février, 9 mars et 29 mars 1999), les " dysfonctionnements lourds" de l'entreprise (courrier du 6 août 1999 du Crédit Mutuel de Bretagne), " l'absence de connaissance des projets" (courrier et comptes-rendus de janvier, février et mars 1999 du Centre Technique des Caisses d'Epargne de Normandie CTNO), " l'absence totale de visibilité du pilotage des ressources d'Astria ", les difficultés de la société étant attribuées par ces clients " à deux raisons entrelacées : démissions massives qui perdurent, et management très défaillant" (lettre du 20 mars 1999 du CTNO à la société-mère d'Astria la société Atos), d'autres clients concluant que " le recours aux personnes connaissant bien la configuration [du client concerné] paraît aujourd'hui indispensable " (lettre du CCF, 12 août 1999), ou encore décidant purement et simplement de résilier à leur terme les contrats d'assistance et de support à l'exploitation conclus avec la société Astria (courriers de Disneyland du 25 février 1999);

Que la société Lusis s'est substituée à la société Astria au moins pour trois projets de développement du logiciel NP2 appartenant à l'appelante :

- prestations de finalisation de la plate-forme Sita-NP2 fourni par la société Astria à la société Nouvelles Frontières sous la direction de Franck Véga, la société Lusis ayant été en mesure dès le mois d'avril 1999 de formuler une "proposition d'assistance au démarrage du raccordement Sita pour Nouvelles Frontières" - le compte-rendu de la réunion tenue le 5 mai 1999 montrant que l'équipe de la société Lusis était constituée de MM. Véga, Amestoy et Foiret, tous anciens salariés de la société Astria où ils avaient suivi ce projet -, de facturer ses prestations à ce titre dès le mois de juin 1999, et de présenter un document d'analyse des " Spécifications fonctionnelles liaison Sita " daté du 11 décembre 1998 et portant son en-tête alors qu'elle n'existait pas à cette date, le contenu de ce document apparaissant semblable à celui produit par l'appelante à son propre en-tête accompagné de la mention " NP2 ", à la même date,

- prestations " de conseil et d'assistance " aux projets Astria " Grande distribution " conduits par la société Astria avec IBM (suivant conventions de développement de logiciel des 22 janvier 1996 et 16 avril 1996) pour le compte des clientes de cette dernière les sociétés Champion, d'une part (contrat Astria/Logidis Champion d'acquisition de licence de logiciel Astria du 3 février 1998), et Continent, d'autre part, ces projets dirigés par Franck Véga au sein de la société Astria ayant été repris dès le mois de mai 1999 pour le compte de la société Lusis par Franck Véga assisté de MM. Mangin ex-chef de projet chez Astria et dont le préavis s'achevait fin avril 1999, Liagre, Sahhar et Delpit tous anciens salariés de la société Astria, leurs prestations ayant été facturées par la société Lusis dès les mois de juin et juillet 1999,

- formation des personnels IBM aux systèmes monétiques " fidélité " installés par Astria notamment chez Champion et Continent, programmée du 28 juin au 2 juillet 1999, assurée par M. Dagousset avec la collaboration de MM Liagre, Véga, Delpit, tous anciens salariés de la société Astria et facturée le 17 juin 1999, seule la parfaite connaissance de ces systèmes par les ingénieurs de la société Astria, qui les avaient conçus et mis au point, et leur savoir-faire, permettant à la société Lusis de réaliser dans des délais aussi brefs une telle formation;

Que les intimés ne sauraient sans mauvaise foi soutenir que la société Astria était uniquement " fournisseur de système " et que les missions " annexes ou complémentaires " confiées à la société Lusis étaient d'une autre nature, alors que les contrats conclus par la société Astria avec IBM pour Champion et Continent prévoyaient la fourniture de services de support technique relatifs à l'assistance technique pour chacune des deux sociétés, et que le contrat conclu le 1er juillet 1999 entre IBM et la société Lusis visait expressément la fourniture par la société Lusis à compter du 3 mai 1999 et jusqu'au 31 août 1998 de ces services de support technique ainsi que " toutes procédures d'exploitation complémentaires qui se révèleraient nécessaires au démarrage et à la gestion [du système] "; qu'il en est de même s'agissant du contrat de maintenance du logiciel " Sinon " conclu le 15 décembre 1995 entre le Cedicam (groupe Crédit Agricole) et la société Astria ;

Que la liste des accès au logiciel Sita-Astria saisie dans les locaux de la société Nouvelles Frontières suivant procès-verbal de saisie-contrefaçon du 5 octobre 2000, établit que les interventions sur ce logiciel de Marc Foiret, chef de projet chez Astria démissionnaire de la société qu'il a quittée le 7 janvier 1999, ont repris dès le 17 janvier 1999 et se sont poursuivies en janvier, février, mars et avril 1999, cet ancien salarié de la société Astria ayant été embauché officiellement le 3 mai 1999 par la société Lusis dont il a pu souscrire 250 actions soit 1 % du capital;

Qu'il doit être enfin souligné que les contrats de travail signés par les salariés de la société Astria et versés aux débats comportaient une clause de confidentialité, ces salariés s'interdisant de diffuser toutes informations dont ils auraient eu connaissance dans le cadre de leur activité, ainsi qu'une clause d'interdiction d'effectuer des missions pour le compte de clients de la société Astria dans un délai d'un an à compter de la fin de ces missions, obligations dont la violation ne pouvait être ignorée ni des anciens cadres de la société Astria qui les avaient recrutés, ni de leur nouvel employeur la société Lusis ; que le grief de débauchage de ces salariés est dès lors établi;

Que la gravité de ces agissements commis au préjudice de la société Astria, en partie révélés dès le lendemain de la signature du protocole du 11 janvier 1999 par le départ massif de ses cadres de direction, justifiait le non-paiement par l'appelante des indemnités convenues dans ce protocole conclu avec Philippe Préval, les engagements de non-concurrence et de non-débauchage souscrits par ce dernier ayant été systématiquement violés;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Lusis s'est approprié, avec la complicité et l'action concertée des anciens cadres et du directeur général de la société Astria, la clientèle de cette dernière, le débauchage massif des salariés de la société Astria ayant permis à l'intimée tout en faisant l'économie des aléas d'une installation dans une nouvelle activité ainsi que celle de la formation d'ingénieurs expérimentés, de s'approprier en quelques mois le savoir-faire et l'expérience technique de l'entreprise abandonnée, de la désorganiser au point de compromettre ses relations avec ses principaux clients et de capter cette clientèle, ces faits étant constitutifs d'une concurrence déloyale et parasitaire dont les intimés doivent solidairement réparation à la société Atos ;

Sur le préjudice

Considérant que la société Atos venant aux droits de la société Astria fait état de deux sources de préjudices, la première tenant aux pertes essuyées par suite de la dégradation de ses résultats au cours des exercices 1999 et 2000, la seconde fondée sur l'atteinte à son image;

Considérant qu'il est incontestable que la société Astria a subi un arrêt brutal de la progression de son chiffre d'affaires, qui après avoir presque doublé en deux ans, passant de 46 979 RF en 1996 à 80 219 RF en 1998, est revenu au niveau de l'exercice 1997 (62 982 RF) au cours des deux exercices suivants ; que son résultat net a connu en 1999 (0,9 MF) un recul de 93 % par rapport à l'exercice précédent; que la société Atos prenant appui sur les comptes prévisionnels établis par l'entreprise pour 1999 et 2000 tablant respectivement sur un résultat net de 18,7 MF pour 1999 et 24,4 MF pour 2000, estime avoir subi une perte de près de 40 MF soit 6 millions d'euro pour ces deux exercices;

Mais considérant que l'hypothèse d'une " croissance linéaire " sur laquelle se fonde la société Astria devenue Atos, ne peut être retenue par la cour, en raison des aléas pesant sur l'exploitation de toute société commerciale, et particulièrement dans le secteur de haute technicité dans lequel la société Atos exerce ses activités; qu'il ne peut en revanche lui être reproché aucune faute de gestion ayant causé ces pertes, le déménagement de ses bureaux effectué courant 1998 ne pouvant être qualifié de "bouleversement" comme le prétendent sans en justifier les intimés; que ces derniers relèvent toutefois à juste titre la progression de certaines de ses charges (loyers et charges immobilières en augmentation de 28 % à la suite de ce déménagement soit un écart de 167 084 euro); qu'il y a lieu enfin de prendre en compte le coût de la formation de nouveaux techniciens, que précisément la société Lusis s'était épargné ; que la cour, faisant usage de son pouvoir souverain d'appréciation, fixera la perte subie par la société Atos par suite de la privation d'une partie de son chiffre d'affaires, à 2 millions d'euro pour ces deux exercices;

Considérant que l'atteinte à l'image de marque et à la réputation professionnelle de la société Atos est patente, l'intéressée ayant été placée en quelques semaines dans l'incapacité de poursuivre ses missions à la satisfaction de sa clientèle, dont elle a immanquablement perdu la confiance ; qu'il y a lieu de faire droit à la demande de l'appelante, la cour disposant d'éléments suffisants pour fixer ce poste de préjudice à 100 000 euro;

Qu'il sera fait droit à la demande de la société Atos tendant à la publication de l'arrêt, cette mesure constituant également une réparation adaptée du préjudice subi par l'appelante, en raison de la publicité donnée à ce conflit notamment auprès de sa clientèle et de sa notoriété dans le secteur d'activité considéré ; que cette publication sera effectuée par insertion dans divers journaux et revues au choix de l'appelante, et ce dans la limite de 5 000 euro, dans les conditions précisées au dispositif ci-après;

Qu'il y a lieu de débouter les intimés, qui succombent, de leurs demandes reconventionnelles;

Qu'il serait inéquitable que la société Atos conserve la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, pour lesquels lui seront alloués 10 000 euro;

Par ces motifs, Donne à la société Atos l'acte requis, Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Dit que la société Lusis, Philippe Préval, Franck Véga et Eric de Sainte Foy, par leur action concertée, se sont rendus coupables envers la société Astria devenue Atos d'agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire, Condamne solidairement Philippe Préval, Franck Véga, Fric de Sainte Foy et la société Lusis à payer à la société Atos 2 100 000 euro de dommages-intérêts, Les condamne chacun à rembourser à la société Atos le montant des dommages- intérêts qui leur ont été alloués par les premiers juges soit 7 622,45 euro chacun augmentés d'intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt, Ordonne la publication dans différents journaux et revues au choix de la société Atos et dans la limite de 5 000 euro, de la mention suivante " Par un arrêt du 4 février 2004, la Cour d'appel de Paris a jugé que la société Lusis et MM Préval, Véga et de Sainte Foy avaient, lors de la création de la société Lusis, commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à l'encontre de la société Astria devenue Atos-Euronext dans laquelle ils exerçaient des fonctions de direction, et les a condamnés solidairement à lui payer 2 100 000 euro de dommages intérêts ", Condamne solidairement Philippe Préval, Franck Véga, Eric de Sainte Foy et la société Lusis à payer à la société Atos 10 000 euro pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens, Rejette toute autre demande, Admet Maître Baufumé, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.