CA Bordeaux, 2e ch., 26 octobre 2004, n° 03-03748
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Distribution Casino France (SAS)
Défendeur :
Prodim (SAS), Champion Supermarché France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Saint-Arroman
Conseillers :
Mlle Courbin, M. Ors
Avoués :
SCP Gautier-Fonrouge, SCP Taillard-Janoueix
Avocats :
Mes Louchet, Charlet
La société Prodim Sud Gedial et la société Castelnaudaise de distribution ont signé le 3 octobre 1991 un contrat dit de franchise pour une période de 5 ans et l'ont renouvelé pour une même période, fixant le terme de celle-ci au 1er janvier 2001.
Par courrier du 3 septembre 1998, la société Castelnaudaise de distribution a fait connaître à la société Prodim qu'elle mettait fin au contrat à compter du 1er septembre 1998 ;
elle a matérialisé cette rupture en retirant de son point de vente l'enseigne Codec dès le 23 novembre;
dès le 5 octobre, elle avait commercialisé des produits à l'enseigne Casino, marque du franchiseur avec lequel elle s'était liée.
Se fondant sur l'annulation du contrat, la société Prodim a engagé la procédure arbitrale prévue au contrat, procédure au terme de laquelle a été rendue une sentence le 30 octobre 2000, énonçant que la société Castelnaudaise de distribution avait commis une faute en rompant le contrat qui l'unissait à la société Prodim prématurément et la condamnant à lui verser la somme de 127 873,93 F en règlement de factures et de cotisations impayées, et la somme de 350 000 F en réparation des préjudices causés par cette rupture.
La somme de 350 000 F ainsi allouée à titre de dommages et intérêts ne présentant qu'une somme très inférieure à celle qu'avait demandé la société Prodim, celle-ci a assigné la société de distribution Casino France devant le Tribunal de commerce de Bordeaux pour faire juger que cette société avait commis une faute en se rendant complice de la société Castelnaudaise de distribution et la faire condamner à réparer l'intégralité de son préjudice.
Par le jugement entrepris, le tribunal de commerce a jugé que la société Castelnaudaise de distribution avait commis une faute et l'a condamnée à lui verser la somme de 30 000 euro en réparation de son préjudice et à verser la somme de 15 000 euro à la société Champion Supermarché France.
La société de distribution Casino France a interjeté appel de ce jugement et déposé des conclusions le 24 octobre 2003.
La société Prodim, venant aux droits de la société Prodim Grand Sud, et la société Champion Supermarché France, venant aux droits de Prodim Grand Sud, ont déposé des conclusions le 26 février 2004.
A l'appui de sa demande de réformation, l'appelante fait valoir pour l'essentiel que la bonne foi se présume, qu'elle ignorait que la société Castelnaudaise de distribution avait prématurément rompu son contrat, que le projet conçu par la société Prodim de fermer son réseau Codec ayant été à l'époque rendu public par la presse, elle n'avait pas été surprise de voir des petits commerçants demander d'adhérer à son propre réseau, qu'elle pouvait d'autant moins connaître la clause du contrat de la société Castelnaudaise de distribution - Casino, que les contrats de franchise contiennent une clause de secret;
elle fait valoir, sur son préjudice, que celui-ci est inexistant dès lors que le réseau Codec était devenu coûteux pour la société Prodim et allait être fermé.
Les intimées reprennent leur argumentation de première instance, et s'appuyant sur celles du tribunal arbitral, elles soutiennent:
- que Casino, qui connaissait l'existence du contrat, devait, en professionnel averti, s'assurer que la société Castelnaudaise de distribution était libre de tout engagement; elles font observer qu'elles avaient d'ailleurs demandé à la société Castelnaudaise de distribution de résilier préalablement tout contrat avec la société Prodim;
- qu'en ne le faisant pas, elle a commis une faute;
- qu'en acceptant la société Castelnaudaise de distribution dans son réseau, elle s'est rendue complice de la violation par la société Castelnaudaise de distribution de ses obligations contractuelles;
- que la sentence arbitrale a autorité de chose jugée relativement à cette violation;
- qu'il est inexact qu'elle ait décidé à l'époque d'abandonner son réseau Codec, son intention ayant été de faire évoluer ce réseau en proposant à des franchisés soit d'adhérer à un de ses nouveaux concepts, Shopi ou 8 à huit, soit de demeurer dans le réseau Codec jusqu'au terme du contrat;
- qu'elle n'a jamais violé ses engagements contractuels;
- que son préjudice réel qui est énorme n'a pas été entièrement pris en considération par le tribunal arbitral en raison de la faiblesse économique de société Castelnaudaise de distribution;
- que ce préjudice, qui résulte en définitive d'une concurrence déloyale, existe au moins comme préjudice moral;
- que Casino doit être condamné in solidum avec la société Castelnaudaise de distribution à réparer le complément du préjudice non réparé par les arbitres;
- que ce préjudice est constitué par une perte des cotisations qui auraient été versées jusqu'au 31 décembre 2000 à l'exécution du contrat et par le préjudice commercial constitué par l'atteinte au réseau;
- que les dommages et intérêts de ce chef ont pour partie une finalité répressive admise par le tribunal en matière de concurrence déloyale.
Motifs,
Attendu qu'il est établi par les pièces du dossier, que la société Casino connaissait l'existence du contrat liant la société Castelnaudaise de distribution et la société Prodim;
Attendu qu'en sa qualité de professionnel de haut niveau dans la distribution, et de franchiseur elle-même, elle ne pouvait ignorer que les contrats de franchise comportent un début et un terme et ne peuvent être rompus sans respect de certaines conditions;
Attendu qu'en cette même qualité professionnelle et de concurrent de la société Prodim, elle n'ignorait pas que la société Prodim voulait à l'époque fermer ou modifier le réseau Codec et que cette perspective était de nature à inciter certains de ses franchisés à adhérer à un autre réseau, mus par leur intérêt ou par la rancoeur;
Attendu que l'état d'esprit de certains de ces franchisés était révélé par la presse;
Attendu que, dans un tel contexte, soit qu'elle même ait démarché la société Castelnaudaise de distribution soit que la société Castelnaudaise de distribution ait pris l'initiative de poser sa candidature, elle avait le devoir de s'assurer que la société Castelnaudaise de distribution était libre de tout engagement;
Attendu qu'il ne peut être considéré qu'elle s'est acquittée de se devoir en stipulant dans son propre contrat que le candidat devait se libérer lui-même de tout engagement antérieur dans un autre groupe dès lors que c'était accorder à ces candidats une confiance de façon imprudente et légère dans la mesure où ce dernier risquait d'être tenté d'ignorer ses propres obligations, poussé par son désir d'adhésion, sinon par la rancoeur à l'encontre de son précédent franchiseur;
Attendu qu'il lui appartenait de s'assurer qu'il en était ainsi soit en demandant une attestation émanant de la société Prodim soit en se faisant communiquer la clause du contrat relative à sa durée, clause que l'obligation de confidentialité contenue dans les contrats de franchise ne concernait pas, les clauses usuelles de confidentialité contenues dans ces contrats ne concernant que le fonctionnement de la franchise;
Attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu une faute à la charge de la société Prodim, faute s'analysant en une complicité de la violation par la société Castelnaudaise de distribution de ses obligations contractuelles et constitutive d'un acte de concurrence déloyale dès lors que la société Prodim était son concurrent;
Attendu que, sur le préjudice, il ne saurait être considéré qu'il aurait été inexistant du fait que le réseau Codec aurait en réalité été coûteux pour la société Prodim, Casino ne rapportant pas la preuve d'un tel fait qui ne peut se déduire de sa seule volonté de faire évoluer son réseau;
Attendu qu'il ne peut davantage être reproché à la société Prodim d'avoir été à l'origine de son préjudice en annonçant son intention de ne pas renouveler les contrats Codec, dès lors que, d'une part elle s'engageait à maintenir les contrats en cours jusqu'à leur terme et qu'il n'est pas établi qu'elle ait manqué à ses engagements sur ce point, et d'autre part, parce qu'elle proposait à ses franchisés des solutions de remplacement;
Attendu que n'ayant ainsi commis aucune faute à l'égard de la société Castelnaudaise de distribution, la société Prodim ne peut être ni déboutée de son action en réparation de son préjudice, ni se voir imposer un partage dans la réparation de celui-ci;
Attendu cependant qu'il est équitable de tenir compte du fait que le réseau Codec approchait du terme de son existence pour apprécier la valeur de ce réseau et le préjudice causé par l'atteinte qui lui a été portée ;
Attendu que le préjudice qui doit être pris en considération dans la présente instance est le seul préjudice entraîné par la rupture prématurée du contrat ayant existé entre la société Castelnaudaise de distribution et la société Prodim;
Attendu en effet que la société Castelnaudaise de distribution étant l'auteur principal de cette rupture, Casino qui n'a été que son complice ne peut se voir condamner à réparer un préjudice plus important;
Attendu qu'il apparaît, en l'absence de production par les parties devant la cour d'éléments de comptabilité permettant de chiffrer ce préjudice, il convient de retenir le chiffre adopté par le tribunal arbitral ;
Attendu qu'il convient de dire que Casino sera tenu in solidum au paiement de sommes ainsi fixées, les sommes déjà éventuellement versées par la société Castelnaudaise de distribution s'imputant sur la somme restant à verser ;
Attendu qu'il convient de débouter Casino et la société Champion Supermarché France de leurs demandes de dommages et intérêts pour action en justice téméraire ;
Attendu qu'il convient, eu égard à l'équité, de condamner Casino à payer à chacune des société Prodim et société Champion Supermarché France la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement en ce qu'il a retenu une faute à la charge de Casino et dit que Casino devait réparer le préjudice causé à la société Prodim et à la société Champion Supermarché France; réforme le jugement sur les dommages et intérêts alloués et fixe ceux-ci aux sommes de - 19 189,36 euro au titre des factures de marchandises et cotisations impayées, - 53 357,16 euro au titre du préjudice causé par l'atteinte au réseau; dit que ces sommes seront à la charge de Casino in solidum avec la société Castelnaudaise de distribution, que ces sommes seront versées à la société Prodim et à la société Champion Supermarché France en leur qualité d'ayant droit de Prodim Grand Sud et au prorata des droits qu'elles tiennent de Prodim Grand Sud. Condamne la société de distribution Casino France à verser à la société Prodim et à la société Champion Supermarché France à chacune une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la société de distribution Casino France aux dépens dont distraction au profit de la SCP Taillard-Janoueix.