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Décisions

CA Versailles, ch. com. réunies, 21 février 2006, n° 04-08931

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiat Auto France (SA)

Défendeur :

Crozat (ès qual.), Aube Automobiles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mandel

Conseillers :

Mmes Andreassier, Valantin, MM. Chapelle, Deblois

Avoués :

Me Ricard, SCP Jullien, Lecharny, Rol, Fertier

Avocats :

Mes Schrimpf, Guillin

T. com. Troyes, du 10 juin 1996

10 juin 1996

Au printemps 1989, Monsieur Bouchereau a entrepris de créer une concession Alfa Roméo à Troyes en remplacement du concessionnaire existant qui avait déposé son bilan.

La société Alfa Roméo, après s'être assurée le bénéfice d'une caution bancaire de 700 000 F soit 106 714,31 euro (accordée par la BNP pour une durée d'un an), a accordé à Monsieur Bouchereau la concession exclusive de la marque sur l'ensemble du département de l'Aube.

C'est dans ces conditions qu'en juin 1989 et après que Monsieur Antonnel, détenteur de la majorité du capital social, se soit porté caution auprès des établissements bancaires et ait apporté en compte courant la somme de 375 000 F (57 168,38 euro), Monsieur Bouchereau a constitué la société Aube Automobiles, concessionnaire pour la vente de véhicules neufs de marque Alfa Roméo et a concrétisé la signature du contrat de concession.

A la fin de la première année d'exploitation, Monsieur Bouchereau a racheté à Monsieur Antonnel ses parts dans le capital social de la société.

La BNP n'ayant pas renouvelé l'engagement de caution échu au mois de juin 1990, la société Alfa Roméo a demandé à la société Aube Automobiles de lui adresser un nouvel acte de cautionnement puis par lettre en date du 2 mai 1991, l'a informée qu'elle était contrainte, faute de disposer d'une garantie bancaire, de supprimer le crédit-fournisseur jusqu'alors consenti.

Compte tenu de l'impossibilité pour la société Aube Automobiles d'obtenir une garantie bancaire, la société Alfa Roméo a néanmoins accepté de consentir à la société Aube Automobiles par acte notarié en date du 5 septembre 1991 un crédit-fournisseur à hauteur de 600 000 F (91 469,41 euro).

Pour garantir cette ouverture de crédit Monsieur et Madame Bouchereau se sont portées cautions à titre hypothécaire et ont hypothéqué à hauteur de 600 000 F (91 469,41 euro) au profit de la société Alfa Roméo une propriété immobilière leur appartenant.

Par lettre en date du 29 novembre 1991, la société Alfa Roméo a confirmé à la société Aube Automobiles son accord pour poursuivre leurs relations commerciales.

La société Alfa Roméo a accepté de consentir à la société Aube Automobiles une ouverture de crédit-fournisseur supplémentaire de 400 000 F (60 979,61 euro) à des conditions identiques à celles définies lors de la première ouverture de crédit. En contrepartie Monsieur et Madame Bouchereau se sont engagés à porter la garantie hypothécaire précédemment consentie à la valeur totale de leur bien immobilier, ce qui a été concrétisé par acte notarié en date du 8 avril 1992.

La société Alfa Roméo France ayant été absorbée par la société Fiat Auto France, le 2 janvier 1992, cette dernière a soumis un nouveau contrat de concession à la signature de la société Aube Automobiles,

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 juillet 1992, la société Fiat Auto France se prévalant d'incidents de paiement, a notifié à la société Aube Automobiles la résiliation extraordinaire du contrat de concession, entraînant la cessation immédiate d'activité.

Le 7 septembre 1992, la société Aube Automobiles a procédé à sa déclaration de cessation des paiements et par jugement en date du 14 septembre 1992, le Tribunal de commerce de Troyes a ouvert une procédure simplifiée de redressement judiciaire, immédiatement convertie en liquidation judiciaire par jugement du même jour.

Par lettre recommandée en date du 4 novembre 1992, la société Fiat Auto a procédé à la déclaration de sa créance au passif de la société Aube Automobiles pour un montant de 1 758 324,99 F soit 268 055 euro.

Par ordonnance en date du 21 avril 1994, le juge-commissaire à la liquidation judiciaire de la société Aube Automobiles a admis en totalité la créance de la société SA Fiat Auto France déclarée à titre chirographaire.

Par jugement en date du 3 janvier 1994, le Tribunal de commerce de Troyes a reporté au 1er juillet 1991 la date de cessation des paiements.

Maître Crozat, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Aube Automobiles, a assigné la société Fiat Auto France devant le Tribunal de commerce de Troyes aux fins de la voir condamnée à lui payer une somme de 2 198 213 F (335 115,41 euro) à titre de dommages et intérêts équivalents au montant du passif de la société Aube Automobiles ainsi qu'à l'indemniser de la perte d'une année de marge brute et de son fonds de commerce.

Par jugement en date du 10 juin 1996, le Tribunal de commerce de Troyes, après avoir déclaré irrecevable l'exception d'incompétence soulevée par la SA Fiat Auto France, a jugé que cette dernière avait abusivement d'une part résilié le contrat de concession et d'autre part soutenu l'activité de son concessionnaire et en conséquence l'a condamnée à verser à Maître Crozat, ès qualités, à titre de dommages et intérêts et après compensation avec sa créance sur la société Aube Automobiles la somme de 1 000 000 F (152 449,02 euro) avec exécution provisoire, outre une somme de 30 000 F (4 573,47 euro) au titre de l'article 700 du NCPC.

Les premiers juges ont notamment retenu:

- que la fusion-absorption par Fiat de la société Alfa Roméo a modifié de manière conséquente la politique du concédant vis-à-vis de son réseau;

- que ces modifications substantielles imposées unilatéralement sont la cause d'une chute de rentabilité pour le réseau en général et pour Aube Automobiles en particulier et que l'article 1er de la loi Doubin n'a pas été respecté;

- que permettre la poursuite du contrat à partir du mois de juillet 1991 alors qu'à cette époque des factures sont impayées, puis, après avoir pris des garanties hypothécaires, résilier le contrat, sans préavis, au motif que des factures sont impayées, constitue un abus de la part de Fiat justifiant des dommages et intérêts;

- qu'en soutenant l'activité de la concession dans le seul but de réduire son risque alors qu'elle savait qu'en rompant le contrat elle entraînait sa liquidation judiciaire dans de courts délais, Fiat a commis une faute qui engage sa responsabilité à l'égard des autres créanciers;

- que Maître Crozat, ès qualités, ne peut tout à la fois soutenir que dès le mois de juillet 1991, Aube Automobiles était en état de cessation des paiements et en même temps demander le remboursement de la valeur du fonds de commerce;

- qu'il y a lieu de prendre en compte la créance de Fiat sur Aube Automobiles et d'en ordonner la compensation.

La société Fiat Auto France ayant fait appel de cette décision, la Cour d'appel de Reims, visant la clause attributive de compétence, a, par arrêt en date du 10 mars 1999 infirmé la décision des premiers juges et renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris.

Par arrêt en date du 23 octobre 2002, la Cour d'appel de Paris a débouté Maître Crozat, ès qualités, de l'ensemble de ses demandes aux motifs:

- qu'en l'absence d'éléments chiffrés sur l'état des créances au 1er juillet 1991, ainsi que de leur évolution entre cette date et le 24 mars 1994, date à laquelle il a été dressé l'état des créances privilégiées et chirographaires, Maître Crozat, ès qualités, ne démontre pas que les aides octroyées par le concédant aient incité les créanciers à poursuivre leurs relations avec la société Aube Automobiles et leur aient porté préjudice;

- que Maître Crozat, ès qualités, ne démontre pas que la politique commerciale qu'a dû légitimement mettre en œuvre la SA Fiat Auto France par suite de la fusion-absorption a fait obstacle à l'exécution par elle de ses obligations découlant du contrat du 2 janvier 1992 et entraîné une modification préjudiciable des obligations de son concédant;

- que Maître Crozat, ès qualités, ne rapporte en conséquence pas la preuve d'une conclusion et exécution par la société Fiat Automobiles de mauvaise foi du contrat du 2 janvier 1992, ni de la mauvaise foi d'Alfa Roméo dans l'exécution du contrat du 1er janvier 1989, ni de toute autre faute du concédant, les unes ou les autres de nature à faire obstacle au jeu de la clause résolutoire;

- que les conditions d'application de l'article 7-2 du contrat étaient réunies à la date de la résiliation.

Par arrêt en date du 30 novembre 2004, sur un pourvoi formé par Maître Crozat, ès qualités, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles.

La Cour de cassation au visa de l'article 1382 du Code civil, a retenu qu'en rejetant la demande de dommages-intérêts de Monsieur Crozat, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Aube Automobiles, en réparation du préjudice invoqué par les créanciers, l'arrêt retient que le liquidateur n'établit pas que les aides octroyées par le concédant aient porté préjudice aux créanciers dès lors que l'état des créances au 1er juillet 1991 ne comportait ni désignation des créanciers ni éléments chiffrés sur l'état de ces créances et qu'aucun élément sur l'évolution de celles-ci entre le 1er juillet 1991 et le 24 mars 1994 n'était fourni; qu'en se déterminant par ces motifs sans rechercher qu'elle avait été l'évolution des créances entre le 1er juillet 1991, date de la cessation des paiements, et le 14 septembre 1992, date à laquelle la société Aube Automobiles avait été déclarée en redressement judiciaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

La Cour de cassation, au visa des dispositions des articles 1134 et 1147 du Code civil, a retenu qu'en statuant comme elle l'avait fait, après avoir estimé que la société Fiat Auto France avait commis une faute en prenant certaines mesures pour assurer la poursuite de l'activité de son concessionnaire au moindre risque pour lui en sachant qu'il ne pourrait en assurer la pérennité et sans accomplir les diligences pour favoriser l'obtention d'un prêt à son concessionnaire malgré les difficultés de celui-ci et les promesses qu'il lui avait faites en ce sens, ce dont il résultait que la mise en œuvre d'une clause résolutoire autorisant la résiliation immédiate du contrat, sans préavis ni indemnité, en cas de défaillance du concessionnaire, avait été effectuée de mauvaise foi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s' évinçaient de ses constatations.

La SA Fiat Auto France qui a régulièrement saisi la cour par déclaration du 20 décembre 2004 demande à la cour:

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

- de débouter Maître Crozat, ès qualités, en toutes ses demandes;

- à titre infiniment subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné la compensation, à due concurrence, entre sa créance sur la société Aube Automobiles d'un montant de 267 777,86 euro et toute dette qui pourrait être mise à sa charge au profit de Maître Crozat, ès qualités;

- de condamner Maître Crozat, ès qualités, à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'au paiement des entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de son appel, la SA Fiat Auto France fait notamment valoir:

Sur la résiliation du contrat de concession

- que les premiers juges ne pouvaient à la fois dire que la résiliation du contrat était abusive et qu'elle avait soutenu abusivement l'activité de son concessionnaire;

- que la fusion-absorption, réalisée dans les conditions prévues par les articles 374 et suivants de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés, de la société Alfa Roméo par la société Fiat Auto n'a pas entraîné en elle-même de conséquences financières affectant les membres du réseau, les contrats n'ayant pas été modifiés ; que le lien entre la fusion et notamment les modifications du système des primes et la baisse des primes invoquée par Maître Crozat, ès qualités, n'est pas démontré pas plus que n'est démontré en quoi la baisse de chiffre d'affaires constatée au 30 juin 2002 serait imputable à Fiat Auto et plus particulièrement à la restructuration du réseau; que la société Aube Automobiles reconnaît elle-même avoir rencontré des difficultés dès 1991, soit préalablement à l'opération de fusion-absorption;

- que le contrat a été résilié en application des dispositions de l'article 7 du contrat de concession c'est-à-dire au vu des manquements graves de la société Aube Automobiles (non-paiement des factures à échéance) et non au motif d'une quelconque décision de restructuration;

- qu'elle démontre que le contrat de concession en date du 2 janvier 1992 était similaire, dans son économie, au contrat précédent (aucune modification substantielle entre les deux contrats de concession) et que les dispositions de la loi Doubin (devenues l'article L. 330-3 du Code de commerce) qui ont pour objectif de garantir la protection du distributeur en lui permettant de s'engager en connaissance de cause, ne sauraient être utilement invoquées en l'espèce ; qu'en tout état de cause, la sanction éventuelle de la violation de l'obligation d'information pré-contractuelle est la nullité du contrat ;

- que sa responsabilité ne saurait pas plus être engagée du chef des conditions qui ont conduit à la résiliation du contrat ; que cette résiliation est intervenue dans le respect des formes et conditions de fond qui y sont stipulées ; qu'en effet la société Aube Automobiles a cessé de procéder régulièrement au paiement à l'échéance des sommes dues dès février 1991 et n'a plus été en mesure dès la fin de la première année d'exploitation de remettre à la société Alfa Roméo la garantie bancaire telle que prévue par les contrats de concession conclus successivement ; que la volonté de la société Aube Automobiles de poursuivre ses relations contractuelles justifie l'ensemble des mesures qui ont été prises au cours de l'année 1991 (octroi de deux ouvertures de crédit-fournisseur garanties par Monsieur et Madame Bouchereau); qu'elle a accepté de mettre en place un plan d'action destiné à permettre au concessionnaire de rétablir la situation ;

- que le simple fait que Fiat Auto se trouve créancière de la somme de 267 777,86 euro (1 756 507,65 F) atteste de la loyauté avec laquelle elle s'est comportée à l'égard de son concessionnaire ; que le fait de détenir une garantie, personnelle ou autre, à hauteur de 152 449,02 euro (1 000 000 F) est parfaitement conforme aux dispositions contractuelles et aux modalités d'exécution du contrat;

- que les refus des banques d'octroyer un prêt ne sont pas liés à son attitude; que le protocole d'accord conclu le 29 novembre 1991 entre elle, la société Aube Automobiles et Monsieur et Madame Bouchereau avait pour but de permettre au dirigeant de la société qui le demandait de poursuivre son activité et de remplacer notamment la garantie consentie par la BNP arrivée à échéance et non renouvelée;

Sur le soutien abusif

- que les pièces versées aux débats prouvent que Fiat Auto ne connaissait pas la situation irrémédiablement compromise de la société Aube Automobiles et notamment l'ampleur des difficultés du concessionnaire;

- que la société Aube Automobiles disposait au jour de sa création d'une structure financière adéquate pour lui permettre d'exercer son activité de concessionnaire dans des conditions viables, notamment grâce à l'apport en compte courant et au cautionnement fourni par Monsieur Antonnel aux établissements bancaires ; que lorsque ce dernier est sorti du capital social, la société a perdu le soutien des établissements bancaires et que c'est alors à la demande expresse du dirigeant qu'ont été consenties à la société Aube Automobiles deux ouvertures de crédit successives en contrepartie de l'octroi par les époux Bouchereau d'une caution hypothécaire, accompagnée de diverses mesures d'aide au concessionnaire;

- que son comportement dicté par le souci de ne pas compromettre la pérennité d'un partenaire commercial qui avait atteint ses objectifs de vente lors de l'année 1990 ne constitue pas un soutien artificiel ni abusif de son activité;

- que Maître Crozat, ès qualités, ne démontre pas que les crédits consentis l'aient été à des conditions ruineuses pour l'entreprise d'autant que les ouvertures de crédit ont été consenties sans intérêt;

- que l'octroi des garanties personnelles données par un ou des tiers pour pallier l'absence de garanties contractuelles du débiteur principal ne saurait constituer une faute;

- qu'elle a accordé ce crédit-fournisseur non pas pour préserver sa propre créance, qui s'est d'ailleurs accrue, mais pour permettre au concessionnaire, alors qu'elle ne connaissait pas l'ampleur réelle de ses difficultés, de poursuivre son activité conformément aux dispositions contractuelles;

- que Maître Crozat, ès qualités, n'a pas démontré que les montants réclamés correspondent au préjudice réel subi, pas plus que le lien de causalité entre les faits qui lui sont reprochés et le préjudice allégué ; que la créance de Fiat Auto représente 80 % du passif total de la société Aube Automobiles;

- que s'agissant de dettes réciproques issues d'un même contrat et présentant un caractère de connexité, la compensation devra, le cas échéant, être prononcée.

Intimé, Maître Crozat, ès qualités, demande à la cour:

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SA Fiat Auto France au paiement d'une somme de 422 284 euro;

- de l'infirmer pour le surplus notamment en ce qu'il a prononcé la compensation entre sa créance de dommages et intérêts et la créance de la SA Fiat Auto France produite au passif de la société Aube Automobiles;

- de condamner la SA Fiat Auto France à lui verser à titre de complément de dommages et intérêts une somme équivalente à la valeur du fonds de commerce de la concession, soit 100 000 euro;

- à titre subsidiaire, de condamner la SA Fiat Auto France au paiement d'une somme de 335 115,40 euro à titre de dommages et intérêts;

- de condamner la SA Fiat Auto France au paiement d'une somme de 15 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens engagés devant toutes les juridictions.

Maître Crozat, ès qualités, fait notamment valoir:

- que le comportement de la SA Fiat Auto France apparaît doublement fautif puisque d'une part elle a artificiellement soutenu l'activité de la concession le temps nécessaire à la réduction de son risque et d'autre part elle a abusé du droit de rompre en motivant la résiliation extraordinaire du contrat par des difficultés qu'elle avait elle-même provoquées ; que ces deux fautes ayant été commises successivement, il n'y a aucune contradiction à les retenir toutes les deux;

Sur le soutien abusif de l'activité

- qu'au cours de la période suspecte soit entre le 1er juillet 1991 et le 14 septembre 1992, la SA Fiat Auto France a multiplié les initiatives (ouverture de crédits en marchandises, mise à disposition de véhicules neufs...) tendant à maintenir à la société Aube Automobiles un crédit alors que la banque avait refusé de reconduire la caution bancaire et que l'exercice au 30 juin 1990 faisait apparaître des capitaux propres négatifs de 271 086 F (41 326,79 euro) après une perte d'exploitation de 321 086 F (48 949,25 euro);

- que ce qu'il reproche à la SA Fiat Auto France ce n'est pas la demande d'une garantie personnelle des dirigeants mais le fait qu'elle se soit fait remettre une garantie réelle pour couvrir des impayés passés en faisant espérer par ailleurs à son concessionnaire une aide pour une restructuration sur le long terme, qu'elle n'a jamais consentie;

- que la SA Fiat Auto France avait une parfaite connaissance de la dégradation de la situation financière de la concession ou pour le moins aurait dû connaître la situation irrémédiablement compromise de la société ; qu'en effet dans la mesure où, en qualité de fournisseur exclusif, elle est amenée à accorder un crédit important, la SA Fiat Auto France est très attentive à l'évolution de la situation financière de ses concessionnaires, qu'elle soumet aux contrôles réguliers de ses conseillers de gestion ; que la SA Fiat Auto France a reconnu expressément que toutes les banques avaient refusé d'accorder un crédit à la société Aube Automobiles ; que la SA Fiat Auto France était à tel point consciente des difficultés chroniques de la société qu'elle s'est empressée de se garantir en septembre 1991 puis en avril 1992 par une hypothèque;

- que la SA Fiat Auto France a agi dans le seul but de réduire son risque et donc dans son seul intérêt en matérialisant l'ouverture des deux crédits successifs aux seuls fins de couvrir des impayés passés et de les garantir par une hypothèque de premier rang sur un bien immobilier appartenant au dirigeant et en procédant parallèlement au rachat d'une partie du stock ; que la SA Fiat Auto France est ainsi parvenue à ramener son risque financier de 2 600 000 F (396 367,44 euro) à 750 000 F (114 336,76 euro), ce dernier montant étant à diminuer des profits dégagés de la poursuite des relations commerciales pendant plus d'un an, le temps de couvrir une partie de son risque et d'organiser la représentation de la marque sur le secteur;

Sur la résiliation abusive

- que pour mettre fin au contrat de concession, la SA Fiat Auto France n'a pas mis en œuvre la clause de résiliation ordinaire stipulée à son article 6 mais la clause de résiliation extraordinaire stipulée à son article 7.2 qui prive le concessionnaire du bénéfice du délai de préavis ordinaire, d'un an à l'époque et suppose que soit établie la preuve d'un manquement grave aux obligations contractuelles;

- que la SA Fiat Auto France a manqué de loyauté à l'égard de son concessionnaire en lui dissimulant l'importance de la restructuration engagée au sein du groupe Fiat alors que cette réorganisation préludait à une réorientation en profondeur de la politique commerciale du concédant, très désavantageuse pour le concessionnaire;

- que cette restructuration a eu notamment pour conséquence d'évincer certains concessionnaires dont la société Aube Automobiles et de réduire la rémunération des concessionnaires au travers de la suppression ou de la baisse des primes accordées habituellement au réseau ; qu'en outre ces mesures ont été mises en œuvre avec une opacité soigneusement entretenue ; que la SA Fiat Auto France ne justifie pas de l'information qu'elle prétend avoir fournie à son réseau;

- que les actes auxquels le concessionnaire a souscrit en 1991 et 1992 sur la foi de relations inchangées d'abord, puis dans l'espoir d'éviter la rupture ensuite, n'auraient jamais été consentis si Monsieur Bouchereau avait été informé des objectifs réellement poursuivis par le concédant;

- que la mauvaise foi de la SA Fiat Auto France est enfin établie par le fait qu'elle a soumis un nouveau contrat à la signature du concessionnaire (en substitution de celui conclu avec la société Alfa Roméo France) sans respecter les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, texte d'ordre public ne souffrant aucune ambiguïté ; qu'en effet il est établi que la SA Fiat Auto France n'a transmis au concessionnaire aucune information préalablement à la souscription du contrat du 2 janvier 1992 ; qu'il n'a pas sollicité l'annulation du contrat, se bornant à dénoncer le fait qu'en agissant comme elle l'a fait la SA Fiat Auto France a dissimulé la modification profonde de l'équilibre contractuel résultant de la réorganisation de la distribution des véhicules du groupe Fiat en France;

- que la SA Fiat Auto France n'a pu considérer de bonne foi que les difficultés de la société Aube Automobiles étaient constitutives d'un faute grave susceptible de la priver du bénéfice du préavis ordinaire d'un an dans la mesure où le concédant a directement contribué à la survenance et à l'aggravation de ces difficultés et qu'il est démontré qu'il a compromis les chances qu'avait le concessionnaire d'y remédier;

- qu'en toute hypothèse, la SA Fiat Auto France n'a jamais exécuté les engagements auxquels elle avait expressément souscrit aux termes des deux ouvertures de crédit, qui prévoyaient le rétablissement d'un encours de 600 000 F (91 469,41 euro) au 5 septembre 1991 porté à 1 000 000 F (152 449,02 euro) le 8 avril 1992;

- que la prise d'une hypothèque sur les biens personnels des dirigeants, alors que la société était en état de cessation des paiements avérée, dans le seul but de recouvrer une créance acquise et sous la promesse fallacieuse de crédit de restructuration, est condamnable;

- qu'il est bien fondé à réclamer à titre principal des dommages et intérêts équivalents à un an de marge brute (somme destinée à réparer la privation du préavis contractuel d'un an) majorés de la valeur du fonds de commerce perdu (valeur du fonds avant les agissements du concédant qui ont abouti à l'anéantissement du fonds);

- que si la cour ne tenait la SA Fiat Auto France pour responsable d'aucun abus dans la mise en œuvre de la résiliation extraordinaire du contrat, elle considérera néanmoins que la SA Fiat Auto France est directement responsable de la liquidation judiciaire de la société Aube Automobiles en ayant soutenu artificiellement l'activité de la concession et en ayant achevé d'épuiser ses ressources avant de rompre brutalement le contrat;

- que par l'effet du jugement déclaratif, aucune partie de l'actif ne peut être distraite au profit d'un créancier particulier d'où il résulte qu'aucune compensation ne peut être ordonnée au profit de celui qui est à la fois débiteur et créancier.

Discussion

Considérant que la société Fiat Auto France soutient que les deux griefs retenus par les premiers juges soit le fait qu'elle aurait commis un abus en résiliant le contrat alors qu'elle aurait préalablement soutenu, de manière prétendument abusive, l'activité de la société Aube Automobiles sont en réalité totalement contradictoires;

Mais considérant que conformément à ce que fait valoir Maître Crozat, ès qualités, les deux fautes auraient pu être commises successivement et la responsabilité de la société Fiat Auto France pourrait être engagée pour avoir d'abord soutenu artificiellement la société Aube Automobiles puis pour avoir abusé de son droit de rompre en motivant la résiliation extraordinaire du contrat par des difficultés qu'elle aurait elle-même provoquées ; qu'il convient dès lors d'examiner successivement ces deux griefs ;

Sur le soutien abusif

Considérant que pour engager la responsabilité de la société Fiat Auto France de ce chef, il appartient à Maître Crozat, ès qualités, de rapporter la preuve que la société Alfa Roméo devenue Fiat Auto France savait, ou aurait dû savoir, que la société Aube Automobiles se trouvait dans une situation irrémédiablement compromise lorsqu'elle l'a soutenue;

Considérant que par jugement en date du 3 janvier 1994, le Tribunal de commerce de Troyes a reporté la date de cessation des paiements de la société Aube Automobiles au 1er juillet 1991 au motif d'une part que le bilan de la SARL Aube Automobiles arrêté au 30 juin 1991 faisait apparaître que les valeurs disponibles ou réalisables à court terme évaluées à 3 884 248 F ne pouvaient couvrir le passif exigible à court terme figurant pour un montant de 4 601 633 F et d'autre part que fin juillet 1991 la BNP avait rejeté des chèques émis par Aube Automobiles en règlement de véhicules à la société Alfa Roméo pour un montant de 206 269,23 F;

Considérant qu'en outre le 2 mai 1991 la société Alfa Roméo a notifié au concessionnaire le retrait de son crédit-fournisseur effectif dès le début du mois de juillet 1991; que dès lors la banque a rejeté plusieurs chèques fin juillet et courant août 1991 refusant d'augmenter ses concours ; que la société Alfa Roméo n'a cependant pas consenti à cette époque une ouverture de crédit à la société Aube Automobiles mais a ouvert le crédit marchandises dont il va être question ci-dessous;

Considérant qu'entre le 1er juillet 1991 et l'ouverture de la procédure collective, soit le 14 septembre 1992, la société Alfa Roméo a:

- le 5 septembre 1991, après avoir supprimé le 2 mai 1991 le crédit-fournisseur jusqu'alors consenti faute de disposer d'une garantie bancaire, ouvert au concessionnaire un crédit en marchandises de 91 469,41 euro (600 000 F) susceptible de prendre fin à toute époque à la seule volonté du créancier et avec en garanties un cautionnement et une affectation hypothécaire de la part des époux Bouchereau,

- le 29 novembre 1991, confirmé la mise à disposition du concessionnaire de cinq véhicules neufs supplémentaires en dépôt-vente (ce qui revenait à différer la facturation au moment de la revente des véhicules),

- le même jour racheté une partie du stock de pièces de son concessionnaire le lui refacturant aussitôt pour 45 734,71 euro (300 000 F) payables en dix mensualités à partir du 31 décembre 1991,

- courant décembre 1991, après avoir retiré le bénéfice de son crédit-fournisseur au mois de mai précédent, rétabli une ligne de crédit à hauteur de 76 224,51 euro (500 000 F) en moyenne,

- et enfin le 8 avril 1992 consenti au concessionnaire un nouveau crédit en marchandises supplémentaires de 60 979,61 euro (400 000 F) garanti sur une nouvelle hypothèque sur les biens du dirigeant;

Considérant qu'en novembre 1991, la dette de la société Aube Automobiles à l'égard de la société Fiat Auto France s'élevait en principal à la somme de 820 000 F soit au-delà de l'ouverture de crédit consentie ; que malgré cela la société Fiat Auto France a accepté de consentir l'ouverture de crédit-fournisseur supplémentaire de 400 000 F;

Considérant que la société Fiat Auto France qui ne conteste pas ces différentes opérations tout en contestant avoir eu connaissance à cette époque de l'ampleur des difficultés rencontrées par la société Aube Automobiles et ce malgré les différents courriers produits aux débats, les justifie notamment par le fait que ce plan d'action a été approuvé par la société Aube Automobiles dont les résultats commerciaux étaient encourageants et que l'ouverture de crédit a été régularisée le 8 avril 1992 aux mêmes conditions que la précédente c'est-à-dire sans intérêt;

Mais considérant qu'aux termes du contrat de concession et sous la rubrique "formation, procédure et information", il est stipulé que pour assurer l'efficacité de son organisation dans le cadre de l'ensemble du réseau Alfa Roméo, le concessionnaire s'engage à "communiquer au concédant, selon la fréquence qui lui sera indiquée et sur les formulaires prévus par le concédant à cet effet, les informations suivantes:

Informations concernant les ventes, les livraisons aux utilisateurs finals et les stocks, pour les produits contractuels et pour les véhicules d'occasion et ceci également en ce qui concerne le réseau secondaire;

Rapports sur les opinions de la clientèle en ce qui concerne les produits contractuels;

Informations sur les initiatives de la concurrence;

Autres données qui pourraient être demandées par le concédant pour le bon fonctionnement de son organisation commerciale et de son réseau de vente dans son ensemble" ; que la société Fiat Auto ne conteste pas avoir été destinataire de ces informations ; qu'en outre il ressort des bilans qui ont fait l'objet d'une communication à la société Alfa Roméo comme en atteste les courriers des 19 juin 1991 et 14 septembre 1991, que la société Aube Automobiles ne cessait d'augmenter son passif depuis sa création en juin 1989 d'autant qu'elle disposait de peu de fonds propres, ayant été constituée avec un capital social de 50 000 F soit 7 622,45 euro;

Considérant que la société Alfa Roméo devenue Fiat Auto France après le traité de fusion du 29 octobre 1991, n'ignorait pas non plus que la société Aube Automobiles ne disposait plus d'aucun crédit bancaire ; que notamment dans son courrier en date du 2 mai 1991, la société Alfa Roméo indique à la société Aube Automobiles qu'elle se trouve dans l'obligation de porter à zéro son crédit de trésorerie mais qu'elle est persuadée que tout sera mise en œuvre par son concessionnaire pour "obtenir une caution bancaire dans les plus brefs délais" ;

Considérant que dans ces conditions, il est incontestable que la société Fiat Auto France connaissait ou pour le moins aurait dû connaître la situation irrémédiablement compromise de son concessionnaire d'autant qu'elle s'est garantie en septembre 1991 puis en avril 1992 par une hypothèque couvrant 75 % de sa créance et a ainsi limité les risques pour elle;

Considérant qu'il est dès lors établi que pendant plus d'un an et compte tenu du soutien abusif que lui a apporté la société Fiat Auto France, la société Aube Automobiles a poursuivi une activité déficitaire (sur la période de juillet 1991 à septembre 1992 la société a accumulé une perte nette de 1 168 932 euro) qui n'a pu que la conduire à déposer son bilan;

Considérant qu'il convient par conséquent de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Fiat Auto France de ce chef;

Sur la résiliation du contrat de concession

Considérant que Maître Crozat, ès qualités, soutient que la société Fiat Auto France aurait abusé du droit de rompre, en motivant la résiliation extraordinaire du contrat par des difficultés qu'elle aurait elle-même provoquées;

Considérant qu'il n'est pas contesté par les parties qu'en juin 1992, la BNP a retiré ses concours au concessionnaire et qu'en conséquence plusieurs chèques ont été rejetés à la fin du mois de juillet suivant;

Considérant que c'est dans ces conditions que le 29 juillet 1992 par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Fiat Auto France a notifié à la société Aube Automobiles la résiliation extraordinaire du contrat de concession, ce qui a entraîné la cession immédiate d'activité; que les termes de ce courrier sont les suivants : "nous constatons que vous avez commis des manquements graves à l'exécution du contrat de concession signé le 2 janvier 1992 et que notamment vous avez laissé impayées des sommes dues.

En application de l'article 7.2 du contrat de concession de vente, nous vous notifions, par la présente lettre recommandée avec AR, la résiliation à compter du 30 juillet 1992 dudit contrat, à vos torts et griefs, sous réserves de nos droits";

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 7 du contrat, il est notamment stipulé : "En cas de manquements graves tels que visés à titre d'exemples à l'article 7.2, le concédant pourra, sans préjudice de ses autres droits, résilier le présent contrat de plein droit, à tout moment par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au concessionnaire et sans être tenu à aucune indemnité ou dédommagement à quelque titre ou pour quelque cause que ce soit" ; qu'à l'article 7.2, il est indiqué comme exemples de manquements graves le cas où "le concessionnaire n'a pas procédé au paiement à l'échéance d'une somme due au concédant" ; que par conséquent ces dispositions qui privent le concessionnaire du bénéfice du délai de préavis ordinaire, d'un an à l'époque, supposent que soit établie la preuve d'un manquement grave aux obligations contractuelles;

Considérant qu'il n'est pas contesté par les parties qu'à la date du 29 novembre 1991, la dette de la société Aube Automobile à l'égard du concédant s'élevait à la somme de 820 000 F soit 125 008,19 euro en principal soit au-delà de l'ouverture de crédit consentie; que dans sa lettre en date du 29 novembre 1991, la société Alfa Roméo rappelle que cette dette est garantie par une hypothèque consentie par les époux Bouchereau, garantie qui devra être portée le 15 décembre 1991 à la valeur totale du bien immobilier soit 1 000 000 F (152 449,02 euro) et que si la vente du bien n'a pas été réalisée le 31 octobre 1992 au plus tard, sauf résiliation anticipée du contrat de concession, Alfa Roméo se réserve alors le droit de poursuivre le recouvrement de sa créance, notamment en procédant à la vente judiciaire de l'immeuble ; qu'en outre un plan d'action a été approuvé par la société Aube Automobiles prévoyant notamment une ouverture de crédit-fournisseur supplémentaire à hauteur de 400 000 F (60 979,61 euro);

Considérant que dans ces conditions Maître Crozat, ès qualités, ne peut valablement soutenir qu'en février 1991 compte tenu d'une succession d'impayés non régularisés une résiliation extraordinaire du contrat en application de son article 7.2 aurait été justifiée et dans le même temps soutenir qu'en juillet 1992, dans une situation identique cette résiliation extraordinaire est abusive;

Considérant que Maître Crozat, ès qualités, reproche à la société Fiat Auto France d'avoir manqué de loyauté à l'égard de son concessionnaire en lui dissimulant l'importance de la restructuration engagée ; que selon la société Fiat Auto France la fusion-absorption par la société Fiat Auto de la société Alfa Roméo n'aurait pas entraîné en elle-même de conséquences financières affectant les membres du réseau, les contrats n'ayant pas été modifiés;

Considérant qu'il n'est pas contestable qu'à cette époque (courant 1991) le secteur automobile a subi une baisse sensible d'activité ce qui a amené notamment la société Fiat à réduire les structures de distribution de ses différentes marques en France en fusionnant les sociétés Fiat Auto (France), Alfa Roméo (France) et Lancia (France) ; qu'il convient cependant de relever que la société Aube Automobile avait déjà commencé à présenter de graves difficultés financières sous le régime du premier contrat puisque le premier exercice d'activité s'est soldé par une perte nette de 321 086 F, ce qui avait d'ailleurs entraîné le non-renouvellement par la BNP de son engagement de caution;

Considérant que la fusion a été concrétisée au mois de juillet 1991 et formalisée au mois d'octobre suivant ; qu'il est incontestable que cette fusion-absorption a eu pour conséquence une réduction du nombre total des points de vente ; que cependant en ce qui concerne les primes dont le montant est fonction à titre principal des objectifs revus annuellement avec le concessionnaire, le contrat de concession du 1er juin 1989 tout comme celui du 2 janvier 1992 ne comporte aucun engagement relatif aux primes que pourrait percevoir le concessionnaire ; que le seul document produit sur ce sujet est "un état comparatif des primes et aides reçues d'Alfa Roméo" réalisé de façon non contradictoire par Monsieur Bouchereau ; que dès lors et contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, Maître Crozat, ès qualités, ne rapporte pas la preuve que le système de primes dont l'existence n'est pas contestée par la société Fiat Auto France aurait été modifié dans un sens restrictif, s'agissant du nombre et du montant des primes susceptibles d'être versées au concessionnaire ; que par ailleurs tout au long des relations commerciales ayant existé entre les deux sociétés et notamment après la signature du nouveau contrat, la société Aube Automobiles n'a jamais fait valoir la moindre remise en cause ni le moindre grief intéressant les primes et aides qu'elle a perçues;

Considérant qu'il n'est nullement établi qu'il y ait eu une quelconque transformation des relations contractuelles entre la société Aube Automobiles et la société Fiat Auto France qui résulterait de la conclusion du nouveau contrat de concession;

Considérant qu'en tout état de cause, Maître Crozat, ès qualités, ne peut valablement soutenir pour les raisons indiquées ci-dessus que la perte de plus de 32 % du chiffre d'affaires de la société Aube Automobiles au cours de l'exercice clos le 30 juin 1992 serait exclusivement imputable à la restructuration de la société Fiat ; que le tribunal n'a donc pu valablement estimé que " les modifications substantielles "intervenues" sont la cause d'une chute de rentabilité pour le réseau en général et pour Aube Automobiles en particulier ";

Considérant que Maître Crozat, ès qualités, reproche à la société Fiat Auto France de n'avoir pas respecté les dispositions de la loi Doubin et plus précisément l'article premier de cette loi sur l'obligation pour le concédant de transmettre à son partenaire préalablement à la conclusion de tout contrat d'exclusivité, les éléments d'une information précontractuelle sincère qui lui permette de s'engager en connaissance de cause; que cependant Maître Crozat, ès qualités, qui ne rapporte d'ailleurs pas la preuve de ce défaut de communication des documents d'information n'en tire pas la conséquence normale de nullité de la convention de concession pour vice du consentement; qu'en tout état de cause le contrat de concession du 2 janvier 1992 ayant une économie identique à celle de l'ancien contrat, sa signature s'assimile à un renouvellement et non pas à un nouvel engagement d'autant que le concessionnaire était un professionnel du marché de l'automobile;

Considérant par conséquent que faute pour Maître Crozat, ès qualités, de rapporter la preuve du fait que la société Fiat Auto France aurait mis en jeu de mauvaise foi la clause résolutoire, il convient de constater que les conditions d'application de l'article 7.2 du contrat étaient réunies à la date de la résiliation, d'autant que la cour ayant retenu un soutien abusif à l'encontre de la société Fiat Auto France, il en résulte que l'activité de la société Aube Automobiles aurait dû être arrêtée antérieurement au vu des difficultés financières rencontrées ; qu'il convient dès lors d'infirmer le jugement du 10 juin 1996 en ce qu'il a retenu que la société Fiat Auto France avait abusivement résilié le contrat de concession;

Sur la demande de dommages et intérêts

Considérant que Maître Crozat, ès qualités, demande à la cour pour le cas où elle ne jugerait pas fautive la résiliation du contrat, de condamner la société Fiat Auto France responsable au titre du soutien abusif, au montant du passif admis de la société Aube Automobiles soit la somme de 335 115 euro ; qu'il justifie sa demande par le fait que la faute de la société Fiat Auto France étant caractérisée, cette dernière serait directement responsable de la perte de marge de la concession, du dépôt de bilan et de la liquidation judiciaire de la société Aube Automobiles et du préjudice des créanciers du fait de son dépôt de bilan;

Considérant que s'il n'est pas contestable que le soutien reconnu comme abusif que la société Fiat Auto France a apporté à la société Aube Automobiles de juillet 1991 jusqu'au 14 septembre 1992 a augmenté le nombre des créanciers qui ont dû produire à la procédure collective, il demeure cependant que Maître Crozat, ès qualités, ne rapporte pas la preuve que ces créanciers n'existaient pas quinze mois plus tôt eu égard notamment aux difficultés rencontrées par la société Aube Automobiles depuis plusieurs années;

Considérant qu'il convient dans ces conditions de fixer à la somme de 150 000 euro le montant de la condamnation de la société Fiat Auto France à titre de dommages et intérêts ;

Sur la compensation

Considérant que la société Fiat Auto France sollicite la compensation entre la créance qu'elle a produite entre les mains de Maître Crozat, ès qualités, et les dommages et intérêts auxquels elle est condamnée par la présente décision ; que Maître Crozat, ès qualités, s'oppose à cette demande au motif que par l'effet du jugement déclaratif, aucune partie de l'actif ne peut être distraite au profit d'un créancier particulier d'où il résulte qu'aucune compensation ne peut être ordonnée au profit de celui qui est à la fois débiteur et créancier;

Considérant que les sommes recouvrées par Maître Crozat, ès qualités, à la suite des actions qu'il a engagées, entrent dans le patrimoine du débiteur pour être réparties dans le cadre de la liquidation entre tous les créanciers au marc le franc ; que par conséquent il ne peut avoir lieu à compensation entre la créance régulièrement admise appartenant à la société Fiat Auto France et les dommages-intérêts auxquels ladite société a été condamnée en réparation du préjudice causé aux autres ; qu'il convient par conséquent d'infirmer le jugement et de débouter la société Fiat Auto France de sa demande de compensation;

Sur les autres demandes

Considérant qu'il convient en équité de faire droit à hauteur de 10 000 euro à la demande de Maître Crozat, ès qualités, sur le fondement de l'article 700 du NCPC;

Par ces motifs, Statuant publiquement, solennellement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Fiat Auto France avait abusivement soutenu l'activité de son concessionnaire Aube Automobiles, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Déboute Maître Crozat, ès qualités, de sa demande de dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat, Condamne la société Fiat Auto France à payer à Maître Crozat, ès qualités, la somme de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts, Déboute la société Fiat Auto France de sa demande en compensation, Vu l'article 700 du NCPC, déboute la société Fiat Auto France de sa demande et la condamne à payer à Maître Crozat, ès qualités, la somme de 10 000 euro, Condamne la société Fiat Auto France aux dépens d'appel et accorde à la SCP Jullien Lecharny Rol Fertier, titulaire d'un office d'avoué, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.