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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 12 octobre 2006, n° 05-04598

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

LRMD (SA), Monoprix Exploitation (SA)

Défendeur :

Mouneyrac Frères (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

MM. Fedou, Coupin

Avoués :

SCP Gas, SCP Bommart Minault

Avocats :

Mes Guelot, Raskin

T. com. Nanterre, 3e ch., du 22 avr. 200…

22 avril 2005

Faits et procédure:

La SA Vergers des Terrasses, grossiste et commissionnaire en fruits et légumes sur le marché d'intérêt national de Rungis, a approvisionné plusieurs entrepôts de la SAS LRMD du groupe Monoprix, depuis octobre 1996 jusqu'en mai 2003, date à laquelle celle-ci a cessé tout achat.

La SARL Mouneyrac Frères, venant aux droits de la société Vergers des Terrasses, à la suite d'une fusion, le 30 décembre 2003, a donc assigné la société LRMD devant le Tribunal de commerce de Nanterre en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6-1-5 du Code de commerce.

La SAS Monoprix Exploitation, venant aux droits de la société LRMD consécutivement à un apport partiel d'actif à effet au 31 mars 2004, est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement rendu, le 22 avril 2005, cette juridiction a dit que la relation commerciale établie entre les parties avait été brutalement interrompue, condamné la société Monoprix Exploitation à verser à la société Mouneyrac Frères une indemnité de 115 430 euro et une somme de 3 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile avec le bénéfice de l'exécution provisoire sous réserve de la constitution d'une caution bancaire d'égal montant par celle-ci en cas d'appel, ainsi qu'aux dépens en rejetant les autres prétentions.

Appelantes de cette décision, les sociétés LRMD et Monoprix Exploitation dénient le caractère établi de la relation commerciale en soutenant que dans l'exercice de son activité de négoce, la société Vergers des Terrasses n'employait qu'un effectif réduit et ne recevait aucune instruction, ni directive de la part de la société Monoprix qui ne lui a imposé aucun investissement particulier, mais passait ses commandes sur la base de ses offres au jour le jour.

Elles font valoir, qu'en toute hypothèse, la société Mouneyrac Frères ne démontre pas que la société Monoprix soit l'auteur de la rupture en relevant que la société Mouneyrac Frères, alors en pleine restructuration, ne lui a plus formulé d'offres dès 2002.

Elles remarquent encore plus subsidiairement, qu'aucune mise en demeure n'a jamais été notifiée à la société LRMD au cours du mois de mai 2003, ni durant la période consécutive conformément à l'article 1146 du Code civil, et qu'en tout cas, le préjudice allégué n'est imputable qu'à l'inertie de la société Vergers des Terrasses.

Elles considèrent que la référence à la marge antérieure retenue par le tribunal pour évaluer le préjudice de la société Les Vergers Terrasses n'est pas significative eu égard aux profondes modifications structurelles intervenues au sein de l'entreprise depuis l'exercice 2002.

Elles estiment ce préjudice nul et, à tout le moins, non démontré.

Elles sollicitent donc l'entier débouté de la société Mouneyrac Frères et une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Mouneyrac Frères oppose que les relations commerciales ont été établies pendant plus de sept ans sans être jamais interrompues avant leur rupture totale en mai 2003.

Elle se réfère à l'attestation de sa comptable, Madame Hervieux, pour objecter qu'elle a bien tenté de connaître les raisons de l'arrêt brutal des commandes par la société LRMD, en vain, bien que Monsieur Mouneyrac soit l'interlocuteur de cette société depuis fin 2002.

Elle précise qu'en réalité, il s'agissait d'un marché de produits conditionnés à l'avance sans émission de sa part d'offres journalières.

Elle remarque qu'une mise en demeure n'était pas nécessaire et qu'aucun préavis écrit n'a précédé la rupture des relations entretenues avec la société LRMD qui a cessé toute commande en mai 2003.

Elle fait grief aux premiers juges de ne pas avoir retenu ses préjudices résultant d'une part de la perte de la valeur de son fonds de commerce de 36 900 euro, 30 % de décôte pour son appréciation ayant été appliqués en raison de l'arrêt des relations avec la société LRMD, lors de la fusion entre les sociétés Mouneyrac Frères et Vergers des Terrasses et d'autre part, de l'achat par ses soins d'une nouvelle machine de conditionnement afin d'optimiser ses ventes avec la société LRMD estimée à 9 141 euro.

Elle conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a admis le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies et estimé son préjudice au titre de l'absence de préavis à 115 430 euro.

Elle forme appel incident pour obtenir la condamnation de la société Monoprix Exploitation à lui payer la somme globale de 161 471 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts légaux à compter du 2 mars 2004 et leur capitalisation depuis le 8 juin 2005.

Elle réclame aussi une indemnité de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision:

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit, tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels;

Considérant qu'en l'espèce, il est admis que la société Vergers des Terrasses, devenue après son absorption, la société Mouneyrac Frères qui est grossiste commissionnaire en fruits et légumes, figure à ce titre parmi les fournisseurs référencés de Monoprix dont elle a approvisionné régulièrement la filiale LRMD à compter du mois d'octobre 1996;

Considérant que l'ensemble des factures qui sont versées aux débats par l'intimée corroborent des livraisons constantes vers plusieurs entrepôts de la société Monoprix et un courant d'affaires permanent depuis cette époque là jusqu'au mois de mai 2003;

Que le volume de chiffres d'affaires de 252 798 euro au cours de l'exercice 1996-1997 est resté stable au cours des trois exercices suivants aux alentours des 400 000 euro, puis a cru, lors de celui de 2000/2001 à 564 147 euro et encore davantage pendant le suivant pour atteindre 705 185 euro et représenter alors 30 % du chiffre d'affaires total de la société Vergers des Terrasses;

Considérant que le référencement continu tout au long de la période en question, la durée totale de six ans et sept mois des relations commerciales qui se sont poursuivies régulièrement pendant toutes ces années ainsi que le nombre et l'importance des ventes successives intervenues, démontrent le caractère établi des relations en cause au sens du texte précité;

Considérant toutefois qu'il incombe à la société Mouneyrac Frères de rapporter la preuve de l'imputabilité de la rupture à la société Monoprix;

Considérant qu'en l'occurrence, la société Monoprix affirme sans être contredite sur ce point, que la société Mouneyrac demeurait référencée en son sein après l'interruption des échanges commerciaux et qu'il n'est pas discuté qu'elle l'était auparavant;

Considérant que le négoce de fruits et légumes, eu égard à la nature des produits qui sont vivants et périssables est tributaire de nombreux paramètres tenant notamment au climat, au terroir, et à la saison et nécessite donc un suivi permanent ainsi qu'un échange quotidien d'informations entre le fournisseur et le client ;

Qu'il s'infère ainsi des attestations produites aux débats, que chaque famille de fruits et de légumes se traite par campagne ou saison, laquelle doit faire l'objet d'une présentation au client afin de définir une stratégie commune d'approvisionnement, tandis que le fournisseur avise quotidiennement son client des volumes à venir, de la qualité des produits et des tendances de prix, le suivi de l'approvisionnement ainsi que la fixation des prix qui dépendent de l'offre et de la demande fluctuantes et des prix pratiqués par les concurrents, s'opérant au jour le jour;

Considérant que l'exécution du référencement de Monoprix dont était titulaire la société Vergers des Terrasses au titre du marché spécifique des fruits et légumes impliquait de sa part une réponse au jour le jour à la demande du client tant sur le plan des quantités de produits, elles-mêmes variables compte tenu des différents facteurs internes et externes, que des conditions financières et de la reprise des invendus;

Or, considérant que la société Vergers des Terrasses n'a plus été en mesure d'apporter ces réponses quotidiennes indispensables à cette fin;

Considérant, en effet, qu'alors que deux commerciaux salariés de la société Vergers des Terrasses, Monsieur Desponts et Madame Deliere-Boeuf qui en tant qu'interlocuteurs habituels de la société LRMD accomplissaient cette mission, ceux-ci ont quitté la société Vergers des Terrasses respectivement les 27 mai 2002 et 31 décembre 2002 sans être remplacés;

Qu'en outre, ces départs se sont inscrits dans un projet de restructuration et de réorganisation complètes de la société Vergers des Terrasses, selon un processus ayant débuté par l'acquisition, le 23 décembre 2002, par la société Mouneyrac Frères de 750 titres de la société Vergers des Terrasses dont le capital s'est ainsi trouvé réuni en une seule main et qui s'est poursuivi, le 31 décembre 2002, par la modification de la date d'exercice social de la société Vergers des Terrasses à l'instar de la société Mouneyrac, puis les 21 et 25 juillet 2003 par la demande de désignation d'un commissaire aux apports pour une fusion simplifiée à effet rétroactif au 1er janvier 2003, et par la fusion-absorption de la société Vergers des Terrasses par la société Mouneyrac réalisée le 30 décembre 2003;

Considérant qu'il est ainsi démontré la suppression pure et simple dès 2002 de l'équipe commerciale chargée des ventes de la société Vergers des Terrasses alors en complète restructuration, tandis que Madame Jacqueline Duceillier, responsable des achats "fruits et légumes" chez Monoprix, confirme ne plus avoir reçu d'appel et d'offre de la part de l'intimée depuis mai 2003;

Considérant que la société Mouneyrac ne peut sérieusement prétendre en se prévalant de l'attestation de sa comptable, que Monsieur Thierry Mouneyrac ait été à même d'assumer le maintien de la politique commerciale de la société Vergers des Terrasses alors que celui-ci était non seulement président et directeur général de cette société, mais aussi gérant de la société Mouneyrac;

Que Monsieur Thierry Mouneyrac ne pouvait manifestement pas, outre ses doubles fonctions de dirigeant, de surcroît durant une période de totale restructuration qu'il devait mener à bien, assurer, à lui seul, l'activité initialement exercée par deux commerciaux employés à temps complet;

Considérant qu'il suit de là que les relations commerciales établies entre les sociétés Vergers des Terrasses et LRMD se sont ainsi taries, sans que le dénouement n'en soit imputable à la société Monoprix;

Que la société Mouneyrac Frères doit donc être déboutée de toutes ses prétentions en infirmant la décision entreprise;

Considérant que l'équité commande d'accorder aux appelantes une indemnité de 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Que la société Mouneyrac Frères qui succombe en toutes ses demandes et supportera les dépens des deux instances, n'est pas fondée en sa prétention au même titre.

Par ces motifs, Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Déboute la SARL Mouneyrac Frères de toutes ses demandes dirigées à l'encontre de la SAS Monoprix Exploitation, aux droits de la SAS LRMD, La condamne à verser aux appelantes une indemnité de 4 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette sa prétention sur le même fondement, La condamne aux dépens des deux instances et Autorise la SCP Cas, avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.