CA Paris, 16e ch. A, 27 octobre 2004, n° 03-00693
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Vardas (SARL)
Défendeur :
Princesse Hôtel (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Duclaud
Conseillers :
Mmes Imbaud-Content, Fossaert-Sabatier
Avoués :
Mes Hanine, Teytaud
Avocats :
Mes Boule, Brière
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la SARL Vardas d'un jugement du Tribunal de grande instance de Paris (18e Chambre - 1re section) du 15 octobre 2002 qui a:
Débouté la SARL Princesse Hôtel de ses demandes portant sur l'irrecevabilité et la prescription de l'action engagée par la SARL Vardas,
Débouté la SARL Vardas de l'ensemble de ses demandes,
Déclaré la SARL Vardas occupante sans droit ni titre des locaux sis à Paris 5e, 19 rue de la Harpe et 15 rue Saint-Séverin à compter du 1er juillet 2001,
Ordonné l'expulsion de la SARL Vardas ainsi que de tous occupants de son chef dans les formes légales et avec l'assistance de la force publique si besoin est, faute pour elle d'avoir volontairement libéré les lieux sis à Paris 5e, 19 rue de la Harpe et 15 rue Saint-Séverin, dans un délai de quatre mois à compter de la signification du présent jugement,
Rejeté le surplus des demandes,
Condamné la SARL Vardas aux dépens qui incluront ceux de l'incident dont distraction au profit de la SCP Soulié Coste Floret en application des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Les faits et la procédure peuvent être résumés ainsi qu'il suit :
Le 12 juillet 1976, la société Princesse Hôtel a acquis un immeuble sis 19 rue de la Harpe et 15 rue Saint-Séverin à Paris (6e), ainsi que le fonds de commerce de "Vins-liqueurs-Hôtel meublé" qui y était installé.
La société Princesse Hôtel dit y avoir exploité un fonds de commerce de restaurant de 1976 à 1992.
Elle a le 27 mai 1992 conclu avec la société Kandya un contrat de location-gérance portant sur ce fonds de commerce à effet du 1er juin 1992 pour se terminer le 31 mai 1993 avec renouvellement tacite d'une année à défaut de dénonciation par lettre recommandée envoyée deux mois avant l'expiration par l'une ou l'autre des parties, avec versement d'un dépôt de garantie correspondant à quinze mois de loyers, la redevance étant de 20 000 F par mois.
Il est précisé dans l'acte de location-gérance que la partie "hôtel meublé" n'est plus exploitée et ne fait pas partie du contrat, et que la licence de débit de boissons de IVe catégorie a fait l'objet d'une suspension pour non-exploitation.
De 1992 à 1995, le contrat de location-gérance s'est poursuivi.
Le 27 juin 1995, la société Princesse Hôtel a consenti un autre contrat de location-gérance à la société Vardas, au lieu et place de la SARL Kandya, laquelle avait pour gérant Madame Vardakis dont le mari était lui-même gérant de la société Vardas. Ce contrat de location-gérance était consenti aux mêmes clauses et conditions que le précédent.
Par suite de la réunion de toutes les parts sociales de la SARL Kandya entre les mains de la SARL Vardas, celle-ci a prononcé la dissolution simplifiée de celle-là en application des dispositions de l'article 8 du décret du 3 juillet 1978.
La société Vardas a, par acte du 18 juin 2001, assigné la société Princesse Hôtel devant le Tribunal de grande instance de Paris, aux fins de voir:
- dire qu'au 27 mai 1992, ladite société Princesse Hôtel avait cessé toute activité commerciale depuis une dizaine d'années,
- dire qu'en conséquence la société Princesse Hôtel ne pouvait pas, au 27 mai 1992, justifier d'une clientèle certaine, réelle, stable pour consentir un contrat de location-gérance,
- en conséquence, dire que le contrat du 27 mai 1992 conclu entre la société Princesse Hôtel et la société Vardas est en fait un bail commercial soumis aux dispositions du décret du 30 septembre 1953 codifiées aux articles L. 145 et suivants du Code de commerce,
- nommer un expert pour fixer la valeur locative des locaux au 1er juin 1992 et au 18 juin 2001.
La société Princesse Hôtel a conclu au caractère irrecevable et mal fondé de la demande de requalification du contrat.
C'est dans ces conditions qu'est intervenu le jugement déféré du 15 octobre 2002.
La société Vardas, appelante, demande à la cour de:
Par mesure avant dire droit,
- Vu les articles 771 et suivants du nouveau Code de procédure civile,
- Désigner un expert avec mission:
- de se rendre sur place au 19 rue de la Harpe et angle 15 rue Saint Séverin à Paris 5e,
- visiter les lieux,
- se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,
- au vu de l'examen de ces pièces, donner son avis sur l'existence ou la non-existence du fonds de commerce de restauration à la date du 27 mai 1992,
- donner son avis sur les travaux de rénovation et d'amélioration réalisés par la SARL Vardas, ou sa filiale Kandya, aujourd'hui absorbée,
- dire si ces travaux ont été réalisés selon les règles de l'art,
- examiner et donner son avis sur les désordres et malfaçons dont la SARL Princesse Hôtel estime être victime du fait de la SARL Vardas, dans le cadre du litige qui l'oppose à son voisin.
- donner son avis sur les responsabilités encourues par les parties en la cause,
- dire que la SARL Vardas pourra appeler en la cause aux fins d'ordonnance déclarée commune, le propriétaire et les occupants de l'immeuble voisin où seraient décelées, aux dires de la SARL Princesse Hôtel, des infiltrations d'eau.
- donner son avis sur les comptes à intervenir entre les parties, notamment ceux de travaux.
Dire que l'expertise sera mise en œuvre et que l'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du nouveau Code de procédure civile et que, sauf conciliation des parties, il déposera son rapport au secrétariat-greffe de la cour dans 6 mois de sa saisine.
Dire qu'il en sera référé au conseiller de la mise en état en cas de difficultés;
Fixer la provision à consigner au greffe de la cour, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir;
Réserver les dépens.
Au cas où la cour estimerait être suffisamment éclairée sur les faits et circonstances de la cause, sans qu'il soit besoin d'une mesure d'expertise préalable
Recevoir la société Vardas en son appel.
Débouter la SARL Princesse Hôtel de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Confirmer le jugement entrepris par la Tribunal de grande instance de Paris le 15 octobre 2002 en ce qu'il a déclaré recevable et non prescrite la demande en requalification de contrat faite par la SARL Vardas à l'encontre de la SARL Princesse.
Infirmer les autres dispositions du jugement, et statuant à nouveau,
Vu les articles 1134, 1156 et suivants du Code civil.
Vu les dispositions des articles L. 145 et suivants du Code de commerce.
Vu l'article 8 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978
Vu l'article L. 122-12 du Code du travail.
Constater la transmission universelle du patrimoine de la société Kandya à la société Vardas intervenue le 20 avril 2001.
Constater qu'au 1er juin 1992, la disparition de la clientèle et du fonds de commerce de la société Princesse Hôtel était totale, par suite de la cessation d'activité de la SARL Princesse intervenue depuis plusieurs années.
Dire et juger que la société Princesse Hôtel ne pouvait pas, au 1er juin 1992, justifier d'une clientèle certaine, réelle et stable pour consentir un contrat de location-gérance.
Constater par voie de conséquence, que la société Kandya, devenue Vardas, a créé le fonds de commerce de restaurant "La Lune Rousse" au 19 rue de la Harpe Paris (5e), à compter de son entrée dans les lieux intervenue le 1er juin 1992.
Constater que la société Vardas, qui a absorbé la société Kandya, ne forme qu'une seule et même personne morale, qui exploite ledit fonds de commerce de restaurant, sans discontinuer depuis le 1er juin 1992.
Dire par voie de conséquence que le contrat de location-gérance qui lie la société Princesse Hôtel à la société Vardas, qui se poursuit depuis le 1er juin 1992, par premier contrat du 27 mai 1992, renouvelé par second contrat du 27 juin 1995, est en fait un contrat de bail commercial de 3, 6 ou 9 ans, soumis aux dispositions du décret du 30 septembre 1953, aujourd'hui codifiées aux articles L. 145 et suivants du Code de commerce.
Dire et juger que ce contrat s'est poursuivi, depuis le 1er juin 1992, par périodes triennales jusqu'à ce jour.
Renvoyer les parties à s'entendre sur les conditions de leur bail commercial ainsi requalifié.
Dire et juger qu'en cas de difficultés, elles pourront se pourvoir soit devant le Président du Tribunal de grande instance de Paris, soit devant le tribunal de grande instance lui-même, pour statuer sur ce que de droit.
Si par impossible, il n'était pas fait droit aux demandes de la SARL Vardas, dire que, conformément à la loi et selon l'article 122-12 du Code du travail, l'ensemble des contrats de travail attachés au fonds de commerce La Lune Rousse, 19 rue de la Harpe, se trouvent transmis à la SARL Princesse.
Dire en conséquence, que la SARL Vardas pourra se maintenir dans les lieux jusqu'à reprise effective des contrats de travail du fonds de commerce La Lune Rousse par la SARL Princesse, et après régularisation des décomptes définitifs entre parties.
Condamner la société Princesse Hôtel à payer à la société Vardas la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à tous les dépens qui seront recouvrés par Me Hanine, avoué à la cour, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
La société Princesse Hôtel, intimée, prie la cour de:
Dire recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la SARL Vardas;
Confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 15 octobre 2002 en toutes ses dispositions;
Condamner la SARL Vardas à verser à la SARL Princesse Hôtel une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Condamner la SARL Vardas aux entiers dépens avec recouvrement aux offres de droit au profit de Maître Teytaud avoué, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Ceci étant exposé, LA COUR
Considérant qu'il convient de déterminer les faits et de rechercher la commune intention des parties compte tenu de ceux-ci;
Considérant que la société Vardas soutient à juste titre que le fonds de restaurant qui lui a été donné en location-gérance n'avait plus d'existence depuis un temps suffisamment long pour qu'une clientèle y soit attachée; qu'en premier lieu, en effet, la lecture de l'acte de location-gérance du 27 mai 1992 fait explicitement ressortir que la société Princesse Hôtel n'exerçait plus l'activité d'hôtel meublé, qu'elle s'est vue suspendre sa licence IV de débit de boissons pour non-exploitation, mesure qui suppose un arrêt d'activité depuis plus d'un an et qu'elle n'était pas titulaire d'une licence "Restaurant" ; qu'il est à noter qu'aucune dénomination d'enseigne n'est indiquée ; que la lettre de la Préfecture de police du 23 mars 1992 n'apporte pas vraiment la preuve que Madame Colette Synodinos, gérante de la société Princesse Hôtel, exploitait le fonds ; qu'il semble à ce sujet que la société Kandya ait fait, avant de souscrire un contrat de location-gérance, des démarches auprès de l'Administration pour faire déterminer l'ampleur des travaux de mise aux normes de sécurité à envisager, la lettre précitée faisant état du bar-restaurant "La Lune Rousse ex- Le Tout va bien", l'enseigne "La Lune Rousse" étant celle qui a été prise par la seule société Kandya;
Considérant que si la société Vardas démontre sans difficulté qu'aucune clientèle n'était attachée au fonds qu'elle a pris en location-gérance, sa gérante ne pouvait l'ignorer à la fois à raison des éléments intrinsèques à l'acte de location-gérance et en raison du fait qu'elle a déclaré "bien connaître ce fonds pour l'avoir vu et visité en vue des présentes (acte de location-gérance)" ; que c'est donc en connaissance de cause qu'elle a souscrit au contrat de location-gérance du 27 mai 1992; que cet acte, rédigé par un conseil juridique, est clair ; que la gérante de la société Kandya n'a pu se méprendre sur la portée exacte de cet acte de "gérance-libre", pas plus que sur celle de l'acte de résiliation de celle-ci du 30 juin 1995 ; que la société Vardas a de même signé en toute connaissance de cause le contrat de location-gérance du 27 juin 1995;
Qu'il apparaît ainsi que la commune intention des parties, tant lors du contrat de location-gérance du 27 mai 1992 que lors de la signature de celui du 27 juin 1995, a été à chaque fois clair; que le premier a été signé alors même que la société Vardas savait que la clientèle était inexistante; que le second l'a été alors que le gérant de la société Vardas savait que la clientèle de la société Princesse Hôtel avait été recréée par la société Vardas ; qu'il n'y a donc aucun motif de nature à faire requalifier le contrat de location-gérance du 27 mai 1992 en contrat de bail commercial régi par le décret du 30 septembre 1953 ;
Considérant qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Vardas de sa demande en requalification du contrat du 27 mai 1992, et partant de celle tendant à la nomination d'un expert; qu'il y a lieu aussi de confirmer en ce qu'il a déclaré la société Vardas occupante sans droit ni titre à compter du 1er juillet 2001 et en ce qu'il ordonné l'expulsion de celle-ci des lieux dont il s'agit;
Considérant qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser la société Princesse Hôtel supporter la charge de ses frais irrépétibles de procédure ;
Considérant que la société Vardas, qui succombe, ne saurait se voir allouer une indemnité à ce titre;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute les parties de leur demande de condamnation réciproque fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Vardas aux dépens d'appel ; autorise Maître Jean-Jacques Hanine, avoué, à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.