CA Grenoble, ch. com., 10 août 2006, n° 06-00462
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Valence Automobiles (SA)
Défendeur :
SPAA (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Uran
Conseillers :
M. Bernaud, Mme Cuny
Avoués :
Me Ramillon, SCP Grimaud
Avocats :
Mes Bertin, Medina
Depuis le 25 août 1998, la société Valence Automobile était concessionnaire exclusive de la société Toyota France, importateur de la marque Toyota.
Ensuite de l'adoption d'un règlement européen sur la mise en concurrence directe des différents distributeurs d'un réseau officiel, la société Toyota France a notifié le 16 septembre 2002 à la société Valence Automobile la résiliation de son contrat de concession, à effet au 19 septembre 2004.
Souhaitant rester dans le réseau de la marque, la société Valence Automobile a notifié à la société Toyota France, par lettre du 15 mars 2004, sa candidature pour être agréée à la fois comme réparateur et comme distributeur de la marque à compter du 19 septembre 2004.
La société Toyota France a opposé un refus d'agrément à la société Valence Automobile, notamment en raison d'une autre candidature survenue entre temps.
Il est vrai, que par contrat du 12 septembre 2003, la société Toyota France a conclu avec la société SPAA un contrat de distribution sélective pour la vente des véhicules de la marque, sur les zones de chalandises de Grenoble, Seyssinet-Pariset et Saint-Martin d'Hères.
Par lettre du 4 août 2004, la société Toyota France a agréé la société Valence Automobile en qualité de réparateur officiel de la marque Toyota.
La société Valence Automobile a engagé une procédure à l'encontre de la société Toyota France pour qu'elle soit condamnée à l'indemniser de son préjudice causé du fait du retrait de son activité de distributeur de véhicules neufs, retrait qu'elle juge illicite et abusif.
Dans la présente instance, la société SPAA reproche à la société Valence Automobile, nonobstant la résiliation de son contrat de distributeur, des agissements laissant croire qu'elle est un vendeur agrée par la société Toyota France. Elle a attrait la société Valence Automobile devant la juridiction des référés pour obtenir sous astreinte la cessation de ces agissements.
Par ordonnance en date du 23 janvier 2006, le juge des référés au Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère a, pour l'essentiel :
- écarté des débats les pièces n° 11 et 12 produites par la société SPAA en raison de la procédure pendante devant la cour d'appel,
- rejeté la demande de sursis à statuer formée par la société SPAA,
- retenu sa compétence,
- constaté que la société Valence Automobile a la qualité de réparateur Toyota agrée,
- dit que l'enseigne Toyota et la signalétique Toyota décrites dans le constat d'huissier du 7 décembre 2004 ne sont pas contraires aux obligations définies dans le contrat de réparateur Toyota,
- dit que les publicités sont conformes aux activités et qualités de la société Valence Automobile,
- débouté la société SPAA de ses demandes tendant à l'enlèvement de l'enseigne lumineuse et à la suppression des publicités,
- constaté que depuis le 19 septembre 2004, la société Valence Automobile n'est plus autorisée à vendre des véhicules neufs de la marque Toyota,
- condamné en conséquence la société Valence Automobile à payer à la société SPAA la somme de 10 000 euro par véhicule neuf de marque Toyota vendue par la société Valence Automobile au préjudice de la société SPAA et ce, à compter du prononcé de l'ordonnance.
Les deux parties ont formé appel de cette ordonnance la première appelante est la société Valence Automobile, et la procédure concernant cet appel a été suivie sous le n° greffe 06-462. L'appel de la société SPAA a été suivi sous le n° greffe 06-667, et audiencé dans le cadre de la procédure à jour fixe.
La société Valence Automobile sollicite, par dernières conclusions en date du 1er juin 2006, et par réformation :
- le sursis à statuer dans l'attente du résultat de l'appel formé par elle à l'encontre d'une ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Valence ayant refusé de rétracter une ordonnance aux fins de constat d'huissier,
- subsidiairement, l'incompétence de la juridiction des référés puisque la société SPAA a reconnu avoir saisi la juridiction du fond pour la réparation de son préjudice, et que, pour statuer sur les diverses mesures sollicitées, cette juridiction doit, auparavant, se prononcer, notamment sur le droit de la société Valence Automobile de vendre et livrer des véhicules neufs en qualité d'apporteur d'affaires et sur son droit d'assurer la distribution de véhicules "zéro kilomètre",
- à titre infiniment subsidiaire, la confirmation de l'ordonnance déférée sur le débouté des demandes de la société Valence Automobile concernant l'enlèvement des enseignes lumineuse et la suppression des publicités, ainsi que le débouté de la demande de société Valence Automobile tendant à la voir interdire la vente de tous véhicules de la marque Toyota.
Elle sollicite également la condamnation de la société Valence Automobile à lui verser la somme de 10 000 euro par application de l'article 700 du NCPC.
La société SPAA, par ses dernières écritures en date du 15 mars 2006, demande la confirmation de l'ordonnance déférée en ce qu'elle a interdit, sous astreinte, la vente de véhicules neufs de la maque Toyota par la société Valence Automobile.
Elle demande également, par réformation partielle de la décision déférée :
- le prononcé de la première condamnation d'astreinte à partir du premier constat d'huissier du 7 décembre 2004,
- la constatation de ce que seule la cour d'appel peut juger de la régularité du constat d'huissier du 21 juillet 2005,
- la condamnation de la société Valence Automobile à procéder, sous astreinte à l'enlèvement de l'enseigne lumineuse visée dans le constat d'huissier du 7 décembre 2004, qui ne respecte pas les dimensions de la norme constructeur,
- la condamnation de la société Valence Automobile à lui payer la somme de 2 500 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
Motifs de l'arrêt
Attendu que, par application de l'article 367 du NCPC, en raison de leur lien entre elles, il y a lieu d'ordonner la jonction de la procédure suivie au greffe sous le n° 06-667, avec l'instance inscrite sous le n° 06-462
1° - Sur le sursis à statuer
Attendu que, si la société Valence Automobile a, comme elle le prétend, formé appel d'une ordonnance du Président du Tribunal de grande instance de Valence refusant de rétracter une précédente ordonnance aux fins de constat, en date du 18 juillet 2005, il reste que, quelle que soit la décision ultérieure à rendre sur sa régularité, le constat qu'elle autorisait, dressé le 21 juillet suivant par la SCP Lollini huissiers de justice, fait aujourd'hui partie du débat contradictoire entre les parties ;
Attendu que, dans la mesure où ce débat est lié par de nombreuses autres pièces, il n'y a lieu, ni d'écarter d'emblée le constat d'huissier susvisé, ni de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel sur la régularité de la décision l'ayant ordonné ;
2° - Sur l'incompétence de la juridiction des référés ensuite de la saisine de la juridiction du fond
Attendu que la saisine de la juridiction du fond ne fait pas obstacle à ce que la juridiction des référés commerciaux - dont la décision est provisoire et n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée - prescrive les mesures mentionnées aux articles 872 et 873 du NCPC.
Attendu qu'il n'y a donc pas lieu, de ce fait, de se déclarer incompétent, étant relevé que la vente de véhicules neufs en qualité d'apporteur d'affaires et la distribution de véhicules "zéro kilomètre", dont se prévaut la société Valence Automobile, seront examinés ci-après ;
3° - Sur le litige soumis à la juridiction des référés
1) - L'enseigne Toyota
Attendu que la société SPAA demande la condamnation de la société Valence Automobile à enlever son enseigne lumineuse, qui porte la mention "Toyota", puisque cette enseigne est susceptible d'induire le consommateur en erreur sur la véritable qualité de cette société, même si elle a été assortie d'un calicot "services" ;
Attendu que la société Valence Automobile justifie à son dossier que :
- le contrat de réparateur agréé conclu les 20 septembre et 5 octobre 2004 avec la société Toyota France, lui permet d'utiliser les marques, logos et dénominations commerciales spécifiées par Toyota France,
- la société Toyota France a re-facturé à la société Valence Automobile, le 27 janvier 2006, le coût de l'identification façade de votre site en tant que réparateur agréé, ce qui implique qu'elle a approuvé le contenu de l'enseigne,
- la mention apparente "services" (quelle que soit sa dimension) accolée à la marque Toyota (cf le constat d'huissier du 7 décembre 2004), qui correspond à la qualité de réparateur agréé par Toyota, ne peut être confondue avec celle concernant seulement un "vendeur" de véhicules Toyota;
Attendu qu'il en résulte que la mesure d'enlèvement de l'enseigne de la société Valence Automobile, sollicitée par la société SPAA, se heurte à une contestation sérieuse rendant incompétente la juridiction des référés pour l'ordonner, en sorte que l'ordonnance déférée sera confirmée sur ce point ;
- La vente de véhicules neufs
Attendu que la société SPAA, prétend que la société Valence Automobile, procède toujours à la vente de véhicules Toyota neufs, alors qu'elle a perdu la qualité de vendeur Toyota agréé et ne possède plus que celle de réparateur Toyota;
Attendu qu'elle invoque plusieurs constats d'huissiers attestant de la présence, dans les locaux et sur le parking de la société Valence Automobile des véhicules suivants d'une part, cinq véhicules Toyota de type RAV 4, de couleur gris clair, sans immatriculation et manifestement neufs, d'autre part, quatre véhicules Toyota, deux non immatriculés, un immatriculé en WW, et un immatriculé normalement ;
Attendu que la société SPAA relate également que, malgré une mise en demeure de sa part, notifiée le 4 mars 2005, invitant la société Valence Automobile à se cantonner à son activité de réparateur Toyota, un constat d'huissier du 6 juillet 2005 a constaté qu'un véhicule neuf Toyota de marque Yaris a été livré par erreur à la société SPAA, alors qu'il était destiné à la société Valence Automobile ;
Attendu que la société Valence Automobile justifie au dossier que :
- plusieurs règlements d'exemption du droit de la concurrence concernant les contrats de concession sont successivement intervenus les 12 décembre 1984 (règlement n° 123-85), 28 juin 1995 (règlement n° 1475-95), et 31 juillet 2002 (règlement n° 1400-2002),
- le considérant n° 14 de ce règlement actuellement en vigueur, précise que le droit de tout distributeur de vendre des véhicules automobiles neufs passivement ou, le cas échéant, activement, aux utilisateurs finals doit comprendre le droit de vendre ces véhicules aux utilisateurs finals qui ont autorisé un intermédiaire ou un agent à acheter, à transporter où à stocker un véhicule automobile neuf ou à en prendre livraison en leur nom,
Attendu qu'il résulte de ces dispositions actuellement en vigueur et applicables aux faits reprochés par la société SPAA à la société Valence Automobile (intervenus dans le courant de l'année 1995) que :
en dehors du réseau de concessionnaires, plusieurs professionnels de l'automobile peuvent vendre des véhicules neufs : les mandataires automobiles, mandatés par écrit pour acheter le véhicule et en prendre livraison, et les apporteurs d'affaires, qui mettent leur réseau et sa clientèle à la disposition du distributeur officiel,
ces professionnels doivent intervenir uniquement en qualité d'intermédiaires : la vente aura lieu entre le distributeur officiel et le client final, et ils doivent eux-mêmes disposer d'un approvisionnement licite, c'est-à-dire, par exemple, en provenance de distributeurs officiels,
Attendu, d'ailleurs, que le contrat de réparateur accordé à la société Valence Automobile par la société Toyota France stipule que - cf l'article 6.8 (b) - l'interdiction de créer une confusion entre les Ateliers de réparation et lesdits points de vente agréés n'affecte nullement le droit du réparateur d'agir à titre d'intermédiaire de vente;
Attendu que la société Valence Automobile justifie encore à son dossier qu'elle est, depuis le 10 juin 2004, au bénéfice d'un contrat de concession de licence d'exploitation "Zéro Km"
Attendu que, compte tenu des dispositions qui précèdent, les constats d'huissier produits par la société SPAA appellent les observations suivantes :
1- les constats d'huissiers en date des 7 décembre 2004 et 10 février 2005, relevant la présence dans le hall d'exposition de la société Valence Automobile ou son parking extérieur de véhicules Toyota "neufs" ou "manifestement neufs", (à supposer qu'il s'agisse effectivement de véhicule "neufs", puisque le km des véhicules n'a pas été relevé par l'huissier) ne constituent aucunement la preuve d'un approvisionnement illicite par l'appelante de ces véhicules,
2- le constat d'huissier en date du 21 juillet 2005 fait état, de la présence dans les locaux de la société Valence Automobile, de 4 véhicules Toyota, dont deux sont des véhicules d'occasion : le véhicule RAV 4 D4D est immatriculé, et le Toyota Yaris a été acquis auprès de la société Toyota France avant la résiliation du contrat de concessionnaire.
En ce qui concerne le 3e véhicule (Toyota RAV 4), il s'agit d'un véhicule possédant un kilométrage de 10, ce qui laisse un doute sur sa qualité de véhicule neuf, d'autant que la société Valence Automobile, justifie (cf la lettre du revendeur CAR - distributeur agrée Toyota - en date du 5 octobre 2005) que ce véhicule a été immatriculé en Allemagne le 20 avril 2005.
En ce qui concerne le 4e véhicule (Toyota Yaris Hachback n° de série... 537), il s'agit d'un véhicule "de courtoisie" (comme cela est précisé sur ses portières) acquis neuf le 8 juillet 2005 par la société Valence Automobile auprès du distributeur agréé CAR, et immatriculé le 20 juillet 2005. Il apparaît que la société Valence Automobile justifie parfaitement de l'origine "licite" de ce véhicule (qui a été livré par erreur à la société SPAA...).
Attendu que, dans la mesure où aucun élément du dossier ne permet d'établir avec certitude que les véhicules neufs ou "manifestement neufs'' de marque Toyota que la société Valence Automobile stationnait sur son parking ou dans ses locaux de vente, visés par les constats d'huissier susvisés proviennent d'un approvisionnement "illicite", il y a contestation sérieuse opposée par cette dernière à la mesure d'interdiction de vente sollicitée par la société SPAA.
Attendu que la société SPAA sera donc déboutée de sa demande sur ce point, par réformation de la décision déférée ;
3)- La publicité frauduleuse
Attendu que la société SPAA reproche à la société Valence Automobile d'avoir effectué diverses publicités (dont certaines brochures remises à l'huissier de justice) concernant la vente par elle de véhicules Toyota "neufs", d'avoir fait paraître une publicité dans le magazine "Auto-Moto" où elle apparaît avec un logo Toyota en qualité de distributeur automobile 0 km, ainsi que d'avoir fait paraître, dans une autre revue, une annonce, en sa qualité de réparateur agréé Toyota recherchant un préparateur véhicule neuf, toutes mesures publicitaires de nature à faire croire à la clientèle qu'elle vend des véhicules Toyota neufs, et, par conséquent, qu'elle est concessionnaire agréé Toyota ;
Attendu qu'il a été relevé que, sous réserve d'un approvisionnement "licite", non justifié en l'espèce, et en qualité de mandataire ou d'apporteur d'affaires, il y a contestation sérieuse à reprocher à la société Valence Automobile de vendre des véhicules Toyota neufs, d'autant que cette dernière a adhéré à un réseau de distribution de véhicules 0 km ;
Attendu qu'il y donc contestation sérieuse à lui reprocher de faire de la publicité sur la vente de véhicules Toyota neufs, ces seules mentions publicitaires ne pouvant induire en erreur sur l'existence d'une concession au profit de la société Valence Automobile, qui se présente d'ailleurs, dans son annonce d'embauche, comme réparateur agréé ;
Attendu que la société SPAA sera également déboutée de sa demande sur ce point, par confirmation de l'ordonnance dont appel ;
- Sur l'application de l'article 700 du NCPC et les dépens
Attendu que la société SPAA, qui est déboutée de toutes ses demandes principales, le sera également de celle par application de l'article 700 du NCPC, de même qu'elle devra supporter l'intégralité des dépens de première instance et d'appel ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Valence Automobile la totalité des frais irrépétibles de procédure, en sorte qu'il lui sera alloué la somme de 3 000 euro par application de l'article 700 du NCPC.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare les appels recevables en la forme, Ordonne la jonction de la procédure suivie au greffe sous le n° 06-667, avec celle inscrite sous le n° 06-462, et dit que l'ensemble sera désormais suivi au greffe sous ce dernier ; Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer, Déboute la société Valence Automobile de sa demande d'incompétence en raison de la saisie de la juridiction du fond, Confirme l'ordonnance rendue le 23 janvier 2006 par le juge des référés au Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère, en ce qu"elle a débouté la société SPAA de ses demandes tendant à l'enlèvement de l'enseigne lumineuse de la société Valence Automobile et à la suppression des publicités, en raison d'une contestation sérieuse, Réforme l'ordonnance susvisée pour le surplus, Statuant à nouveau, Y rajoutant, Déboute la société SPAA de sa demande d'interdiction de vente de véhicules neufs de marque Toyota, à l'encontre de la société Valence Automobile, Déboute la société SPAA de sa demande sur le fondement de l'article 700 du NCPC, Condamne la société SPAA à verser à la société Valence Automobile la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC en première instance et en appel, Condamne la société SPAA à payer l'intégralité des dépens de première instance et d'appel, dont distraction, pour ceux d'appel, au profit de Me Ramillon, avoué, qui pourra recourir aux dispositions de l'article 699 du NCPC.