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Décisions

Cass. com., 6 mars 2007, n° 05-17.011

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Ferry Automobiles (SA)

Défendeur :

Automobiles Peugeot (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Rapporteur :

Mme Tric

Avocat général :

M. Casorla

Avocats :

SCP Ghestin, SCP Gatineau

Cass. com. n° 05-17.011

6 mars 2007

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 21 avril 2005), que la société Ferry Automobiles était concessionnaire exclusif de la marque Peugeot depuis 1981, le contrat ayant été renouvelé en dernier lieu de 22 février 2000 sous le régime du règlement d'exemption 1475-95 du 28 juin 1995; que par lettre du 27 septembre 2002, la société Automobiles Peugeot a notifié à sa concessionnaire la résiliation extraordinaire de son contrat de concession, moyennant le respect d'un préavis réduit à 12 mois en invoquant la nécessité de réorganiser son réseau en raison de l'entrée en vigueur prochaine du règlement CE 1400-2002 du 31 juillet 2002 ; qu'elle lui a demandé la transmission du portefeuille de commandes et les acomptes clients correspondants, ainsi que le stock de véhicules neufs non réglés en vue de l'expiration du préavis; que la société Ferry Automobiles l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive et brutale du contrat de concession ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Ferry Automobiles reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande, alors, selon le moyen : 1°) que le contrat de concession exclusive automobile à durée indéterminée ne pouvait être résilié que moyennant un préavis de deux ans, sauf le droit du fournisseur de résilier l'accord moyennant un préavis d'un an en cas de nécessité de réorganiser l'ensemble ou partie substantielle de son réseau ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué qu'en dépit du nouveau cadre juridique issu du règlement 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002, la société Automobiles Peugeot a poursuivi les liens commerciaux avec la plupart de ses concessionnaires; qu'en estimant néanmoins que la société Automobiles Peugeot avait pu le 27 septembre 2002 notifier à la société Ferry Automobiles la résiliation de son contrat de concession moyennant un préavis abrégé à un an, au motif inopérant que ce fournisseur avait dû réorganiser le cadre juridique de son système de distribution (sans modifier substantiellement son réseau), la cour d'appel a violé l'article 5-3, alinéa 1er, du règlement CE 1475-95 de la Commission du 28 juin 1995, ensemble l'article 1134 du Code civil; 2°) que la seule modification du cadre réglementaire du système de distribution de véhicules automobiles neufs n'implique pas, en soi, une réorganisation du réseau ou d'une partie substantielle de celui-ci; qu'en estimant que la seule nécessité pour la société Automobiles Peugeot de mettre tous les contrats en conformité avec le règlement 1400-2002 avant le 30 septembre 2003, fin de la période transitoire, justifiait l'utilisation par ce fournisseur d'un préavis de résiliation abrégé à un an sans qu'il y ait eu réorganisation d'une partie substantielle de son réseau, la cour d'appel a violé le règlement 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002 et l'article 5-3 du règlement CE 1475-95 de la Commission du 28 juin 1995, ensemble l'article 1134 du Code civil; 3°) que dans ses conclusions d'appel, la société Ferry Automobiles, avait fait valoir que la société Automobiles Peugeot qui ne pouvait pas utiliser la procédure extraordinaire de résiliation moyennant un préavis abrégé à un an, faute de réorganiser son réseau de distribution, pouvait soit utiliser la procédure de préavis abrégé moyennant le versement d'une indemnité appropriée, soit poursuivre la relation commerciale avec elle jusqu'au 30 septembre 2004 en adaptant, à compter du 30 septembre 2003, le contrat à la nouvelle réglementation; qu'en affirmant que PSA n'avait pas d'autre choix que d'utiliser la procédure extraordinaire de préavis abrégé à un an, au regard de la période transitoire d'application du règlement CE 1400-2002 fixée à un an et de l'interdiction de poursuivre les contrats de concession exclusive au-delà du 30 septembre 2003, sans répondre aux conclusions de la société Ferry Automobiles, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la Cour de justice des Communautés européennes (arrêt du 7 septembre 2006, affaire C-125-05) a dit pour droit, d'un côté, que l'article 5, paragraphe 3, 1er alinéa, 1er tiret, du règlement CE n° 1475-95 de la Commission du 28 juin 1995, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords de distribution et de service de vente et d'après-vente de véhicules automobiles, qui réserve au fournisseur le droit de résilier l'accord moyennant un préavis abrégé d'un an, doit être interprété en ce sens, d'un côté, que l'existence de la "nécessité de réorganiser l'ensemble ou une partie substantielle du réseau" présuppose une modification significative, tant sur le plan matériel que géographique, des structures de distribution du fournisseur concerné, qui doit être justifiée d'une manière plausible par des motifs d'efficacité économique fondés sur des circonstances objectives internes ou externes à l'entreprise du fournisseur, lesquelles, compte tenu de l'environnement concurrentiel dans lequel opère ce fournisseur, seraient susceptibles, à défaut d'une réorganisation rapide du réseau de distribution de ce dernier, de porter atteinte à l'efficacité des structures existantes de ce réseau ; que les éventuelles conséquences économiques défavorables que serait susceptible de subir un fournisseur dans l'hypothèse où il procéderait à la résiliation de l'accord de distribution avec un préavis de deux ans sont à cet égard pertinentes ; qu'il appartient aux juridictions nationales et aux instances arbitrales d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments concrets du litige dont elles sont saisies, si ces conditions sont remplies ; de l'autre côté, que l'entrée en vigueur du règlement CE n° 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accord verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, ne rendait pas, par elle-même, nécessaire la réorganisation du réseau de distribution d'un fournisseur au sens de l'article 5, paragraphe 3, 1er alinéa, 1er tiret, du règlement CE n° 1475-95 de la Commission du 28 juin 1995 ; que toutefois, cette entrée en vigueur a pu, en fonction de l'organisation spécifique du réseau de distribution de chaque fournisseur, rendre nécessaire des changements d'une importance telle qu'ils constituent une véritable réorganisation dudit réseau au sens de cette disposition ; qu'il appartient aux juridictions nationales et aux instances arbitrales d'apprécier si tel est le cas en fonction de l'ensemble des éléments concrets du litige dont elles sont saisies ;

Attendu que l'arrêt relève que l'article 3 du règlement CE n° 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002, concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accord verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, réserve l'exemption à la condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les véhicules automobiles neufs, les pièces de rechange pour véhicules automobiles ou les services de réparation et d'entretien, mais précise toutefois que le seuil de part de marché pour l'application de l'exemption est de 40 % pour les accords établissant des systèmes de distribution sélective quantitative pour la vente de véhicules automobiles neufs; qu'il constate que la société Automobiles Peugeot, qui détenait au 30 septembre 2003 une part de marché de 33 % sur le marché de détail français des véhicules neufs et l'organisation de son réseau reposait, jusqu'alors, sur un système de distribution exclusive; qu'il retient qu'elle était bien ainsi tenue, sous peine de s'exposer à des sanctions, de procéder à la résiliation des contrats de concession en vigueur, dont celui bénéficiant à la société Ferry Automobiles; qu'il retient encore que la méthode de sélection quantitative appliquée repose à titre principal sur un maillage territorial avec une définition de pôles d'attraction et, à titre subsidiaire, sur l'utilisation des précédents objectifs contractuels de vente supérieurs à 300 véhicules et a été mise en œuvre de façon uniforme; qu'ainsi, la cour d'appel qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes, et a fait ressortir l'existence d'une réorganisation totale sur le plan géographique et matériel, du réseau du fournisseur et la nécessité fondée sur des circonstances objectives de cette réorganisation, a fait l'exacte application des textes invoqués que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le second moyen : - Attendu que la société Ferry Automobiles fait encore grief à l'arrêt d'avoir dit que la société Automobile Peugeot avait pu sans faute refuser de l'agréer en qualité de distributeur de véhicules neufs et d'avoir, en conséquence, rejeté sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, alors, selon le moyen : 1°) que les critères de sélection quantitative doivent être précis, objectifs, proportionnés au but à atteindre et mis en œuvre sans discrimination; qu'à l'appui de sa décision, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que la méthode de sélection quantitative opérée par la société Automobile Peugeot repose à titre principal sur un maillage territorial avec une définition de pôles d'attraction et à titre subsidiaire sur l'utilisation des précédents objectifs contractuels de vente supérieurs à 300 véhicules; qu'en se fondant sur un vague critère imprécis et dépourvu de toute objectivité de "maillage territorial" avec définition de pôles d'attraction, sans examiner si ce critère correspondait à une zone de chalandise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1 G du règlement CE 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002; 2°) que la distribution sélective quantitative est un système de distribution dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs, des critères qui limitent directement le nombre de ceux-ci; qu'en estimant que la société Automobiles Peugeot avait pu justifier de la mise en œuvre d'un critère précis et objectif de sélection quantitatif par la seule référence à un maillage territorial de points de vente par pôles d'attraction et non au nombre de distributeurs agréés, la cour d'appel a violé les articles 1 G et 5.2 b du règlement CE 1400-2002 de la Commission du 31 juillet 2002; 3°) que dans ses conclusions d'appel, la société Ferry Automobiles soutenait, preuves à l'appui que le "maillage territorial avec une définition de pôles d'attraction" résultant de l'application d'un logiciel "Atos" était considéré par la société Automobiles Peugeot lui-même [sic] comme trop théorique et avait été écarté à de multiples reprises, de sorte que le réseau de distribution sélectionné par PSA ne correspondait pas à ce critère prétendument objectif, le critère retenu n'étant ni précis, ni objectif, ni mis en œuvre de façon non discriminatoire; qu'en se bornant à se référer à un critère théorique non mis en œuvre par PSA sans répondre aux conclusions de la société Ferry Automobiles, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile; 4°) que la société Ferry Automobiles avait encore fait valoir que le critère subsidiaire de sélection quantitative mis en œuvre par PSA par référence aux précédents objectifs contractuels de vente supérieurs à 300 véhicules neufs, dépendait de la volonté purement potestative du fournisseur sans correspondre aux ventes de véhicules effectivement réalisées par le distributeur et n'avait donc pas été mis en œuvre de façon non discriminatoire; qu'en se référant à ce critère subsidiaire, sans répondre aux conclusions de la société Ferry Automobiles, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, que la société Ferry Automobiles n'ayant pas soutenu devant les juges du fond que le critère principal retenu par le fournisseur serait contraire au règlement comme se référant à un maillage territorial de points de vente par pôles d'attraction et non au nombre de distributeurs agréés, le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit;

Attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que la méthode de sélection quantitative appliquée au cas d'espèce, expliquée et justifiée au moyen de diverses pièces, notamment une note interne du 25 juillet 2002, repose à titre principal sur un maillage territorial avec une définition de pôles d'attraction et, à titre subsidiaire, sur l'utilisation des précédents objectifs contractuels de vente supérieurs à 300 véhicules; qu'il constate que de tels critères, qui sont objectifs et précis, ont été mis en œuvre de façon uniforme ; qu'ainsi, la cour d'appel qui a répondu aux conclusions prétendument délaissées par la troisième branche et n'était pas tenue de répondre à celles inopérantes invoquées par la quatrième branche, a légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi.