Conseil Conc., 21 février 2007, n° 07-D-05
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre par l'Union française des orthoprothésistes (UFOP) sur le marché de la fourniture d'orthoprothèses
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Combaldieu par Mme Aubert, vice-présidente présidant la séance, Mme Béhar-Touchais, ainsi que MM. Piot, Ripotot, Flichy, membres.
Le Conseil de la concurrence (section IV),
Vu la lettre enregistrée le 28 décembre 2004 sous le numéro 04/0100F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence, en application de l'article L. 462-5 du Code de commerce, d'un dossier relatif à des pratiques mises en œuvre par le syndicat professionnel dénommé Union française des orthoprothésistes (UFOP) et par plusieurs entreprises sur le marché de la fourniture d'orthoprothèses ; Vu la décision du président du Conseil de la concurrence du 2 octobre 2006, disposant que l'affaire fera l'objet d'une décision du Conseil sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002, modifié, fixant les conditions de son application ; Vu les observations présentées par l'UFOP et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants de l'UFOP entendus lors de la séance du 17 janvier 2007 ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR CONCERNÉ
1. L'OFFRE D'ORTHOPROTHÈSES
1. Les orthoprothèses sont définies au titre II, chapitre 7, de la liste des prestations remboursables par l'assurance maladie comme " l'ensemble des méthodes et des pratiques qui ont pour but de suppléer par un artifice matériel à une fonction organique déficiente. Ce terme général s'applique aussi bien aux appareils de prothèse qui ont pour but de remplacer un segment de membre ou un membre entier amputé qu'aux appareils d'orthopédie destinés à corriger une déviation, à soutenir un membre déficient ou à compenser certaines lésions fonctionnelles ". Ainsi, les orthèses sont destinées à suppléer une déficience osseuse, musculaire ou neurologique, alors que les prothèses remplacent un membre par un appareil qui assure la fonction de ce dernier.
2. Deux catégories sont distinguées. Le petit appareillage (ci-après PAO) comporte par exemple les bandages herniaires, les orthèses plantaires et de contention des membres, les ceintures, les colliers cervicaux, les appareils divers de correction orthopédique, les chaussures thérapeutiques ou destinées à recevoir des appareils de marche et les vêtements compressifs. Le grand appareillage (ci-après GAO) comporte les orthoprothèses de base des membres supérieurs et inférieurs ou du tronc.
3. Ces appareillages (prothèses ou orthèses) sont fabriqués par des orthoprothésistes en collaboration avec le chirurgien ou le rééducateur. A ce titre, les orthoprothésistes sont intégrés à une équipe soignante, et, depuis 2005, la profession est inscrite dans le Code de la santé comme profession paramédicale.
4. En 2004, environ 170 entreprises privées développent des activités de GAO sur le territoire national, DOM TOM compris. Cette même année, le chiffre d'affaires du secteur, toutes activités confondues, a été estimé à 210 millions d'euro, dont 153 millions pour le GAO et 15 millions pour le PAO, le reste étant représenté essentiellement par la fourniture d'autres matériels ou de services aux handicapés (en 2001, le chiffre d'affaires global, toutes activités confondues, était estimé à 163 millions d'euro, le GAO représentant environ 70 % du chiffre d'affaires global). Parmi ces 170 entreprises, seule une vingtaine ont les moyens de répondre aux appels d'offres des hôpitaux, cette activité représentant environ 5 % du chiffre d'affaires du GAO.
5. Les orthoprothésistes sont réunis au sein de l'UFOP (Union française des orthoprothésistes), syndicat représentant 98 % de la profession.
2. LA DEMANDE D'ORTHOPROTHÈSES
6. La prescription appartient au médecin qui en choisit les caractéristiques. Le patient, qui est l'utilisateur final, s'en remet généralement au praticien. Ainsi, que le patient soit hospitalisé ou non (hypothèse dite de la " médecine de ville "), la demande émane de facto du prescripteur.
7. Dans les deux cas également, le patient n'en finance pas directement l'acquisition : si le patient n'est pas hospitalisé, il choisit son orthoprothésiste qui fait une demande d'entente préalable à la caisse d'assurance maladie en y adjoignant la prescription médicale. Après accord de l'organisme de prise en charge, l'orthoprothésiste peut fabriquer et délivrer l'appareillage puis le facturer audit organisme qui le règle directement (tiers payant). Si le patient est hospitalisé, c'est l'hôpital qui installe l'appareillage. Le coût de ce dernier s'ajoute aux prestations d'hôpital et est intégré au budget global de l'hôpital lui-même financé par l'assurance maladie.
3. LA RÉGLEMENTATION APPLICABLE POUR LA PRISE EN CHARGE DES ORTHOPROTHÈSES PAR LA SÉCURITÉ SOCIALE
8. La prise en charge du GAO externe est réglementée par le Code de la sécurité sociale qui fixe notamment les procédures d'inscription des appareils dans la liste des produits et prestations remboursables (LPPR), le principe de l'entente préalable, les modalités de fixation des prix limites de vente et tarifs de remboursement des appareillages (article L. 162-38).
9. En effet, conformément à l'article L. 165-1 du Code de la sécurité sociale, le remboursement par l'assurance maladie des appareillages est subordonné à leur inscription sur la LPPR, anciennement dénommée tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS).
10. En application des dispositions des articles L. 165-2 et L. 165-3, les tarifs servant de base au remboursement par l'assurance maladie obligatoire (tarif de responsabilité) ainsi que les prix de vente maxima TTC aux handicapés des prothèses et des orthèses inscrites au chapitre 7 " orthoprothèses " du titre II " orthèses et prothèses externes " de la LPPR ont été fixés à des niveaux identiques, de sorte qu'il n'y ait pas de sommes à la charge des assurés ou de leurs mutuelles. En d'autres termes, les orthoprothésistes sont tenus de facturer aux patients non hospitalisés leurs prestations au prix fixé par arrêté pour les articles inscrits à la LPPR. Des sanctions sont expressément prévues en cas de manquement à ce respect des prix (article L. 165-3-1).
11. Dans d'autres cas, les orthoprothésistes doivent calculer leurs propres prix. La LPPR ne couvre pas tous les cas de figure et notamment le détail des adaptations, voire les nouveautés. Ainsi, certaines prestations marginales ou atypiques ont vocation à être remboursées selon un accord de gré à gré avec l'organisme d'assurance maladie. De plus, des appareillages ne figurent pas à la LPPR lorsque la procédure d'agrément n'a pas abouti. En pratique, les orthoprothésistes doivent établir une demande d'entente préalable aux caisses de sécurité sociale sur devis. D'autre part, certains organismes, tels les centres d'appareillage, réclament des devis dans le cadre d'ententes préalables (articles R. 165-23 et R. 165-26 à R. 165-30 du Code de la sécurité sociale). Enfin, la demande de grand appareillage s'exprime notamment dans le cadre de marchés publics des hôpitaux qui lancent des appels d'offres où les prix sont libres.
B. LES PRATIQUES RELEVÉES
12. Dans le cadre d'une enquête demandée par le ministre de l'économie et des finances le 28 octobre 2003 et sur requête du directeur régional de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à Marseille du 25 novembre 2003, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a autorisé, par ordonnance du 9 décembre 2003, une opération de visites et saisies, conformément à l'article L. 450-4 du Code de commerce simultanément dans les locaux de l'UFOP et dans ceux de dix orthoprothésistes.
13. Plusieurs documents ont été saisis. Par ailleurs, des procès-verbaux et pièces ont été recueillis par les enquêteurs auprès d'un échantillon d'orthoprothésistes postérieurement aux opérations de visites et saisies. Les différents éléments recueillis font apparaître que, sur les marchés où les prix sont libres, l'UFOP a adressé à ses adhérents des consignes pour la fixation de leurs prix.
1. LES GRILLES DE CALCUL DES PRIX DES PRESTATIONS DE GAO HORS LPPR
14. Afin de les aider dans le calcul des devis à adresser aux caisses d'assurance maladie pour le GAO hors LPPR, l'UFOP diffuse régulièrement à ses adhérents un mode de calcul du prix des appareillages extrêmement précis qui comprend deux feuilles : l'une présente la méthode de calcul et l'autre le prix horaire de main d'œuvre ainsi que l'actualisation selon la variation de l'indice de la main d'œuvre des industries mécaniques et électriques.
15. Un compte rendu de la réunion du bureau directeur de l'UFOP du 20 octobre 2003, qui comporte un paragraphe " Myoélectrique " est ainsi rédigé : " L'UFOP a adressé à l'Echelon National Médical de la CNAM copie de la circulaire envoyée à tous les adhérents à propos des prothèses myoélectriques ". Cette circulaire informe du refus d'inscription des prothèses myoélectriques dans la LPPR et précise qu'à l'heure actuelle, seules des prises en charge sur devis sont possibles.
16. A cet égard, l'UFOP tient à la disposition de ses adhérents des fiches de calcul des prix. Les tarifs horaires à prendre en considération pour l'année 2003 sont les suivants :
Taux horaire moyen 2003 : Applicateur 28,41 euro ; Technicien d'atelier
17,04 euro
17. Le mode de calcul est le même que celui toujours utilisé par l'UFOP dans les dossiers déposés en vue de l'inscription de types de prothèses à la LPPR, qui a été validé par les services de la direction de la sécurité sociale du ministère des affaires sociales et de l'intégration, le 8 octobre 1991, en ces termes : " la profession que vous représentez a souhaité obtenir une revalorisation des tarifs (...) A cette fin, votre organisation a proposé une méthode de tarification permettant de fixer les nouveaux tarifs applicables. Après expertise de cette méthode, par la société API France dans le cadre de l'audit du secteur du [GAO], et instruction par mes services en liaison avec les ministères représentés à la commission consultative des prestations sanitaires, notamment la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, la méthodologie suivante reçoit mon accord : Eléments de calcul de la méthode de tarification des prothèses du membre inférieur et des préparations du membre inférieur : taux horaire d'application : 124.83 F, taux horaire de fabrication : 77.05 F, coefficient sur la main-d'œuvre : 1.66 x 1.22 x 1.087 soit 2.20 pour les appareils neufs et 1.66 x 1.18 x 1.087 soit 2.13 pour les réparations matières premières : coût de revient x 1.166, pièces détachées : coût de revient, coefficient sur les matières et les pièces détachées : 1.22 x 1.087 soit 1.33 pour les appareils neufs et 1.18 x 1.087 soit 1.28 pour les réparations. Cette méthode permet d'aboutir à un tarif de responsabilité hors taxes qu'il faut multiplier par 1.055 pour obtenir le tarif TTC. "
2. LES CONSIGNES RELATIVES AUX APPELS D'OFFRES DES HÔPITAUX
a) Les consignes syndicales
18. Le 27 octobre 1998, le président de l'UFOP adressait à ses adhérents la circulaire suivante :
" Circulaire destinée à tous les adhérents
Objet : appel d'offres de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris
Ceux d'entre vous qui travaillent régulièrement avec l'Assistance publique des hôpitaux de Paris ont pris récemment connaissance de l'appel d'offres et du cahier des charges relatif au Titre II Chapitre 7 du TIPS. Cet appel d'offres vous interroge sur les remises que vous envisagez sur le tarif TIPS. Or, ce tarif officiel est un tarif opposable défini selon une méthodologie très précise approuvée par nos autorités de tutelle. Nous vous rappelons qu'en août dernier, certains dispositifs relevant du Titre III du TIPS. (Prothèses Internes) ont fait l'objet d'une diminution de 8 %, 4 % et 2 %. Ces décisions de diminution ont été prises unilatéralement par le ministère de la Santé, suite aux remises faites par les fournisseurs de prothèses internes (qui sont en tarif opposable). Il est compréhensible que l'Assistance publique des hôpitaux de Paris souhaite gérer au mieux ses contraintes budgétaires, mais elle ne pourra en aucun cas aider notre Profession si une décision de baisse des prix était envisagée. Notre intérêt professionnel commun est de défendre le tarif opposable ; A cet égard, il est souhaitable que vous transmettiez à l'UFOP, copie du feuillet de votre réponse à l'appel d'offres relatif aux 'Remises'. "
19. Le 14 novembre 2001, le président de l'UFOP adresse à nouveau à tous ses adhérents la circulaire suivante : " Appels d'offres des Hôpitaux concernant le Grand Appareillage Orthopédique Région Pays de Loire : A l'occasion de la réunion de l'UFOP à Saint-Etienne le 17 octobre dernier, la question des remises sur le tarif TIPS a été à nouveau soulevée par Monsieur (...) qui a remis copie du document joint. (...) Nous profitons de cette occasion pour rappeler : Que, s'agissant d'un marché public et d'une réglementation spécifique, légalement rien ne peut empêcher une entreprise pour quelques raisons que ce soit, de faire une remise sur le tarif TIPS ! ... Qu'à ce sujet, la position de l'UFOP est sans équivoque : Compte tenu du contexte économique, législatif et réglementaire en vigueur, tout type de remise sur tarif est contraire aux engagements conventionnels avec l'Assurance maladie et néfaste à l'intérêt des patients et de la collectivité. Seule une concurrence peut intervenir sur la qualité de la prestation et le service. (...) A toutes fins utiles, nous rappelons que l'UFOP demande tous les ans une réactualisation des tarifs qui intervient après d'âpres négociations et que nous avons renouvelé la demande auprès du ministère de la Santé de voir exclure le G.A.O. du budget global des établissements hospitaliers afin d'éviter tout litige. "
20. Le 20 juin 2002, l'UFOP adressait à tous les membres du bureau directeur un projet de circulaire pour accord, circulaire qui fut envoyée le 24 juillet 2002 aux adhérents et qui précisait : " La question des remises consenties sur le tarif de prise en charge de l'appareillage externe à l'occasion des appels d'offres des Hôpitaux se pose de façon récurrente à l'ensemble de la profession et à la Chambre syndicale. Les recommandations faites aux adhérents depuis plusieurs années consistent à respecter strictement le tarif officiel de remboursement lors de leurs soumissions d'offres aux hôpitaux. Ce tarif est en effet fixé 'au plus juste' après de nombreuses négociations souvent ardues avec les Ministères de tutelle et les Organismes de prise en charge. Or, le Bureau Directeur de l'UFOP constate que régulièrement les intérêts particuliers de certaines entreprises les conduisent à ne pas respecter cette consigne et à consentir des remises aux Etablissements hospitaliers (sous une forme ou sous une autre). A l'heure où nos instances de tutelle se montrent opposées au principe d'une réévaluation annuelle de la Nomenclature du Grand Appareillage, nous tenons à souligner l'extrême danger des pratiques de 'remises aux hôpitaux'. L'existence de ces remises est en effet un argument imparable pour appuyer le refus de réévaluation des appareils, voire aboutir à des diminutions du prix limite de vente et du tarif de prise en charge comme cela s'est produit en août 1998 pour des prothèses internes, et il y a quelques mois pour les locations de lits médicalisés (- 38 %). L'UFOP a souligné à plusieurs reprises auprès des pouvoirs publics l'ambiguïté de la situation de l'appareillage qui se trouve en 'tarif opposable' dans le secteur 'médecine de ville' et en situation de concurrence imposée lorsqu'il est payé dans le cadre du budget global. Cette situation est d'autant plus anormale et ambiguë qu'il ne s'agit pas seulement de 'fourniture de produits', car la part de prestation individuelle est essentielle pour chaque appareil s'agissant de dispositifs sur mesure. Ce sont ces caractéristiques qui peuvent et doivent être expliquées aux responsables des marchés publics des hôpitaux lorsque des pressions sont exercées sur les professionnels pour obtenir des ristournes. En tout état de cause, cette question doit être abordée par la profession dans le cadre de chaque délégation régionale afin qu'une position claire et unanime puisse être exposée aux responsables hospitaliers des 'appels d'offres'. "
21. En juillet 2002, le mensuel n° 11 de l'UFOP précisait : " Le Bureau Directeur a eu une discussion approfondie sur la question des " ristournes " sur le tarif TIPS consenties à l'occasion des appels d'offre des hôpitaux. L'ambiguïté majeure qui régit ce sujet a été à nouveau soulignée. En effet, la règle de l'opposabilité des tarifs en médecine de ville et la concurrence lorsqu'il s'agit de marché public. Le Bureau a souligné à nouveau, l'extrême danger pour l'intérêt général de la profession de pratiquer des ristournes. Une recommandation a été adressée à tous les adhérents. "
22. Une réunion s'est tenue le 6 novembre 2002. Le compte rendu de cette réunion fait état d'un appel d'offres lancé par les hôpitaux de Lyon dont le règlement de consultation n'affecte au prix qu'un coefficient mineur. Le compte rendu indique à cet égard : " exemple encourageant dans la démarche soutenue depuis plusieurs années par l'UFOP pour éviter au GAO d'être mis sur le même plan que les produits de série dont la fourniture en lots importants permet d'accepter des réductions de prix. "
b) Les réactions de l'UFOP à la suite des plaintes de certains adhérents
23. Les pièces saisies dans les locaux de l'UFOP montrent que cette dernière recueillait des informations sur le déroulement des appels d'offres. En effet, de nombreux adhérents se plaignaient à l'UFOP des othoprothésistes qui ne suivaient pas les consignes du syndicat. D'autres donnaient leur opinion sur les circulaires adressées par l'UFOP à ses adhérents.
En ce qui concerne un appel d'offres du centre hospitalier de Pau
24. Concernant l'appel d'offres du centre hospitalier de Pau, le responsable de l'entreprise Novortho dénonçait, le 3 mai 2000, certains de ses confrères aquitains offrant selon lui aux hôpitaux des rabais allant jusqu'à 30 %.
25. Le président de l'UFOP lui répond le 18 mai 2000 en ces termes : " Le Bureau directeur de l'UFOP a été informé de votre lettre du 3 mai concernant les pratiques de certaines entreprises pour obtenir des marchés publics. De telles méthodes apparaissent éminemment regrettables et préjudiciables à la profession et les incidences négatives sur le plan de la déontologie, de l'image de marque de la profession et des relations avec les Tutelles sont évidentes. Le Bureau directeur, en dehors des éventuelles exclusions de la Chambre syndicale qui pourraient être prononcées dès lors que des éléments suffisants seraient fournis au Conseil d'Administration, a souhaité que la légalité des appels d'offres soit analysée par un avocat. Cet examen doit se faire au regard des engagements conventionnels et de la réglementation du TIPS qui s'imposent aux orthoprothésistes. "
26. Pour ce même centre hospitalier, en 2002, un orthoprothésiste de Pau, évincé de l'appel d'offres, écrit à l'UFOP : " conformément aux recommandations que vous avez adressées aux adhérents, j'ai répondu à l'appel d'offres du Centre hospitalier de Pau selon les consignes syndicales (...) pensez vous qu'il y ait une démarche à effectuer pour solliciter auprès de la direction une part de marché ? "
En ce qui concerne un appel d'offres du CHU de Toulouse
27. Le 30 avril 2002, la société Proteor adresse à l'UFOP le courrier des hôpitaux de Toulouse indiquant que la société Lagarrigue avait proposé un taux de remise de 12 %. L'UFOP écrit à Lagarrigue le 16 mai 2002 " vous trouverez ci-joint, copie d'une lettre de la direction des achats de l'Hôtel Dieu Saint Jacques de Toulouse, sur lequel nous souhaiterions que la société Lagarrigue puisse fournir plus d'explications. "
En ce qui concerne un appel d'offres du CHU de Dijon
28. Le 21 février 2003 l'entreprise Chechillot adresse à l'UFOP copie du courrier envoyé au CHU de Dijon et qui indique : " (...) en réponse à l'appel d'offres n° 1277 concernant le fourniture d'orthèses et prothèses externes, et à la réponse défavorable s'y rapportant, j'aimerais connaître les conditions d'attribution dudit appel d'offres. (...) Dans le cadre du syndicat unique des orthoprothésistes, l'UFOP, dont je fais partie, et dont je suis le délégué régional (...), nous avions souhaité au niveau national, que dans le cadre des marchés publics, aucune réduction ne soit faite sur la fourniture de prothèses et d'orthèses, et nous étions fermes sur ce point. Visiblement un de nos confrère en a jugé autrement ... "
En ce qui concerne un appel d'offres du CHU d'Angers
29. Le 25 septembre 2001, le CHU d'Angers indiquait à la société Altermatt : " je tiens à signaler que votre éviction n'est nullement liée à la qualité de vos prestations mais plutôt à des conditions financières et économiques globalement moins intéressantes que les sociétés concurrentes retenues, et ce, sur les critères suivants : remises sur TIPS insuffisantes, pas de remise sur le chiffre d'affaires. "
30. Interrogé sur ce point par la société Altermatt, la société Proteor indique : " (..) vous avez avancé comme explication à cette éviction la possibilité que les sociétés reconnues aient pratiqué une politique de prix non conforme à la logique réglementaire et aux recommandations professionnelles à savoir, remise sur TIPS. (...) "
31. Quant à la société Ortho-Maine, elle a adressé à l'UFOP, par courrier du 5 novembre 2001, la photocopie de l'appel d'offres précisant : " (...) ceci vous permettra de constater qu'aucune remise n'a été pratiquée. "
32. A la suite de ce différend, l'UFOP a adressé à ses adhérents la circulaire du 14 novembre 2001 évoquée précédemment au paragraphe 19. Les réactions ont été les suivantes.
33. Le 21 novembre 2001, la société Altermatt écrit à l'UFOP : " je reçois ce jour la circulaire du 14 novembre 2001 faisant le point sur la situation relative à l'appel d'offres du CHU d'Angers que j'avais évoquée lors de la réunion de Saint Etienne. La réponse des établissements Protéor permet de penser que ceux-ci ont respecté les consignes du syndicat, par contre la réponse de Monsieur X... (établissement Orthomaine) n'amène aucune preuve et peut laisser supposer que les remises ont été pratiquées sur les feuilles 1,2 et 3 de la réponse à l'appel d'offres. Je souhaiterais donc que celui-ci donne de plus amples renseignements afin de lever les doutes que nous avons. "
34. Le 16 novembre 2001, la société Laval Orthopédie Gibaud écrit : " je vous remercie de la circulaire dont vous faites part à l'ensemble des adhérents en ce qui concerne la position du syndicat sur les remises en milieu hospitalier. Pour ma part, j'adhère pleinement à cette position et considère que ce qui a été fait sur le marché d'Angers est bien une entorse qui en permanence a sollicité ma vigilance. Je m'efforcerais d'ailleurs de la rectifier de la meilleure façon qui soit lors des prochains appels d'offres. "
3. LES DÉCLARATIONS DES ADHÉRENTS CONCERNANT LES CONSIGNES SYNDICALES
35. Les réactions des entreprises d'orthoprothésistes concernant tant la méthodologie tarifaire que l'incitation à ne pas faire de remises aux hôpitaux ont varié selon la structure et l'organisation des entreprises. Les déclarations recueillies à l'occasion de l'enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont notamment été les suivantes.
36. SARL Bontoux : " Pour le GA, nous n'avons pas un coefficient pré-établi mais nous nous basons toujours sur une méthode de calcul de prix de revient élaboré et communiqué par l'UFOP. "
37. SARL Tourret-Couderc à Marseille : " ... A titre exceptionnel, j'ai 4 à 5 demandes extralégales (non prévues au LPPR) par an. Dans ce cas, j'applique un coefficient syndical UFOP de 1,54 sur le prix d'achat HT de la pièce détachée, auquel il faut ajouter un forfait main d'œuvre calculé au cas par cas. Je ne travaille pas avec les hôpitaux dans le cadre de marchés relevant du Code des marchés publics. Il s'agit de marchés de montants globaux pour lesquels le prothésiste est imposé aux prescripteurs, sans connaître l'équipe médicale avec laquelle il devra travailler. L'UFOP informe ses adhérents (par télécopie) des annonces de marchés publics qui sont publiées au BOAMP. Si j'avais à répondre à ce type de marché je le ferais sur la base du LPPR. "
38. SARL Cabinet orthopédique Le Septimanie à Perpignan : " ... Il nous arrive d'avoir des produits non référencés sur la LPP, c'est très marginal, soit deux à trois prestations par an. Nous sommes adhérents à l'UFOP. Vous me présentez un document établi par l'UFOP, du 18/07/95, 'méthode tarifaire'. Je ne me sers pas de cette grille de prix pour établir mes prix, les devis étant alignés sur la LPP. Je suppose que ce document a trait aux dispositifs non inscrits sur la liste des prestations remboursables. ... Pour établir un devis pour des produits non remboursables, nous n'avons pas de méthode d'analyse de coût ni de prix. Ces prestations sont tellement marginales que nous les calculons en prenant référence sur les anciens devis. En ce qui concerne les marchés publics, nous n'avons pas d'affaires depuis environ 10 ans. Dans le département des Pyrénées Orientales, c'est Perpignan orthopédie qui a le marché, sans réserve. Vous me présentez une circulaire de l'UFOP relative aux appels d'offres recommandant de ne pas appliquer des remises. Dans les faits, la profession ne suit pas cette recommandation, je pense. "
39. SA Marcenac-Ducros à Montpellier : " Nous utilisons la grille de prix 'API', communiquée par l'UFOP, dans les prestations qui ne figurent pas à la LPPR (ex TIPS). J'estime ces prestations en garantie et hors garantie à environ 20 % des prothèses fémorales produites. Il s'agit des prothèses de genou en réparation et des prothèses de mains myoélectriques (fabrications et réparations). Sur les appels d'offres des hôpitaux sur Nîmes nous avons remporté en 2003 un marché avec une remise de 5 % sur la LPPR. C'est le 1er marché obtenu sur ce CHU. Sur le CHU de Montpellier, lors du 1er appel d'offres en 2000, nous avons proposé le TIPS sans être retenu. Lors du second appel d'offres en 2003, nous avons proposé la gratuité des moulages et - 10 % sur la LPPR : le marché a été attribué à un concurrent à - 13 % et moulages gratuits. "
40. SARL Modern prothèse à Perpignan : " ... J'ai bien reçu la méthodologie de calcul de prix de l'UFOP que je n'ai pas conservée, n'en ayant pas l'utilité. En effet, cette méthode ne concerne que les appareils hors nomenclature et je n'en fais jamais. Tous les appareils que je fabrique sont référencés dans la nomenclature TIPS dont j'applique strictement les tarifs ainsi qu'en attestent les factures dont je vous donne copie. Je précise que je ne souhaite pas répondre aux appels d'offres publics car je ne souhaite pas faire de prix inférieurs au TIPS. "
41. SA Beteille à Hyères : " ... En ce qui concerne le grand appareillage, la répartition de nos fabrications est de l'ordre de 25 % pour les hôpitaux publics (marchés publics) et de 75 % pour la sécurité sociale, c'est-à-dire de particuliers bénéficiant de prestations prises en charge par la sécurité sociale. ... En ce qui concerne la commande publique, notre société soumissionne aux appels d'offres lancés par trois collectivités publiques : hospices civils de Lyon (...), assistance publique hôpitaux de Paris (...), assistance publique des hôpitaux de Marseille. (...) Quant au prix, les acheteurs publics nous mettent en compétition sur le tarif LPPR avec demande de remise en taux. En ce qui nous concerne, nous ne faisons pas de remise car le respect du tarif public permet la pérennité de l'entreprise et de la profession ainsi que la qualité de nos prestations. C'est bien là l'optique de notre syndicat professionnel, l'UFOP, qui incite les adhérents à respecter strictement le prix du tarif public. Ces consignes sont généralement respectées mais il y a quelques entreprises qui acceptent ce système de la remise. "
42. EURL Orthopédie provençale : " ... Concernant le document intitulé 'Méthodologie tarifaire' en date du 18/07/1995 que vous me présentez, c'est un document auquel je n'ai pas prêté attention lorsqu'il est parvenu dans l'entreprise. A mon sens, le but de ce document était de trouver un prix de revient le plus précis possible. Par la suite, le prix déterminé est utilisé pour les négociations entre l'UFOP (Union française des orthoprothésistes) et la sécurité sociale. C'est un document sans utilité particulière pour moi puisque j'établis mes devis (demandes d'ententes préalables) par référence au TIPS. 95 % de mon activité concerne le grand appareillage. Il m'arrive, exceptionnellement, d'établir des devis hors tarif et hors appareillage inscrit au TIPS. "
43. SA Lecante Ortho Sud à Marseille : " ... J'estime que le TIPS est la base normale et obligatoire de notre tarification. Pour ce qui concerne la fabrication de GA hors TIPS (LPPR), je fais des 'devis atypiques' à partir d'une grille de calcul communiquée par l'UFOP que je soumets à la caisse de l'assuré. Sur 2003, j'ai fait deux de ces devis atypiques, l'un a été accepté, l'autre pas. Sur le devis refusé, j'attends la décision des parents de l'assuré de payer eux-mêmes l'appareil (je suis susceptible dans ce cas de faire un geste commercial en fonction de la situation financière des personnes concernées). En 2003, j'ai fait un devis pour un genou C.LEG (hors TIPS) sur lequel j'ai prévu une marge de 1,6 sur le tarif du fournisseur. "
44. SARL Sudre à Bordeaux : " ... Je n'utilise pas la méthode de calcul proposée par l'UFOP car je n'ai pas l'occasion d'élaborer des prix hors TIPS. "
45. SARL Ortho-dynamic à Anglet : " ... Pour établir un devis, en fonction de l'appareillage décidé en commun, nous nous basons systématiquement sur la nomenclature et sur les prix correspondants figurant sur la liste des prestations remboursables ; nous n'accordons jamais de remises ... En ce qui concerne les acheteurs publics, nous ne travaillons qu'avec l'hôpital marin d'Hendaye qui est un établissement de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris qui accueille les polyhandicapés lourds. Nous avons répondu au cours du second semestre 2001 à un appel d'offres lancé par cet établissement pour une partie du lot 4 et qui concernait les orthoprothèses. Notre offre ne comportait aucune remise par rapport aux prix figurant sur la liste des produits et des prestations remboursables. Nous travaillons très occasionnellement avec l'hôpital de Bayonne pour des fournitures très ponctuelles et toujours sans aucune remise sur la liste des produits et des prestations remboursables. Il nous arrive de temps à autre (une ou deux fois par an au maximum) d'établir un devis pour une prestation qui ne figure pas dans la liste des produits et des prestations remboursables : dans ce cas, nous utilisons la grille de calcul transmise par l'UFOP : ci-joint le seul devis établi dans ces conditions au cours de l'année 2003. "
46. Société Cazabon-Trouve à Toulouse : " ... Les hôpitaux passent des marchés pour les prothèses mais nous n'avons jamais répondu aux appels d'offres. Nous ne répondons pas pour deux raisons : 1°) En raison de l'organisation du travail de l'hôpital qui exige une très grande disponibilité que ne peut offrir ma société. 2°) parce que le marché de l'hôpital est très régulièrement attribué à la même entreprise (Ets Lagarrigue) et qu'il devient difficile, pour ne pas dire plus de remplacer cette société ... Par ailleurs, je ne suis pas franchement disposé à faire des rabais sur les prix du TIPS, cela ne tient pas économiquement dans le cadre d'un marché global. Lorsque j'étais au syndicat la position officielle était de ne pas faire de rabais sur le TIPS. Pour ce qui est de l'établissement des devis et de la détermination de nos prix, nous procédons ainsi : dans la très grande majorité (plus de 99 %) des cas, nous recevons le patient avec une prescription médicale assez vague. Huit fois sur dix, on propose au patient le type d'appareil qui nous apparaît le plus adapté à ses besoins. Ensuite, nous chiffrons l'appareillage à partir de la nomenclature officielle du TIPS et il convient de préciser qu'aujourd'hui la plupart des éléments entrant dans l'appareillage sont agréés ... Je connais la méthodologie de calcul diffusée par l'UFOP mais je ne m'en sers que très ponctuellement ... Ce n'est que dans quelques cas très exceptionnels (même pas une fois par an) que je suis amené à me servir de la méthodologie de calcul des prix mise au point par l'UFOP. Il faut bien reconnaître également que les caisses sont favorables à l'unification des tarifs. En 2003, j'ai eu à réaliser deux devis pour des prothèses de très haute technologie qui ne figurent pas à la nomenclature. Pour établir mes prix, je ne me suis pas servi de la grille mais j'ai observé les prix du marché. C'est-à-dire le coût des éléments supplémentaires et les prix pratiqués pour ce type de prothèse, prix communiqués par le fabricant (Otto Bock). En fonction de ces éléments, j'ai donné mon prix ... "
4. LES RÉSULTATS DES APPELS D'OFFRES DES HÔPITAUX
47. Les résultats des appels d'offre aux hôpitaux sont reproduits dans les tableaux qui suivent (figurent en caractère gras les entreprises qui ont emporté l'appel d'offres).
<emplacement tableau>
C. LES GRIEFS NOTIFIÉS
48. Au vu des éléments analysés ci-dessus, les griefs suivants ont été notifiés sur le fondement de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
" Il est fait grief à l'UFOP d'avoir :
- adressé à ses adhérents, de manière continue depuis 1991, une méthodologie tarifaire visant à fixer leurs prix lors de la fourniture d'orthoprothèses non inscrites à la LPPR pour des patients non hospitalisés,
- incité, de manière continue depuis 1998, ses adhérents à ne pas octroyer de remises sur les tarifs de la LPPR lors des réponses aux appels d'offres des hôpitaux. "
II. Discussion
A. SUR LES MARCHÉS CONCERNÉS
49. Concernant la demande et l'offre d'orthoprothèses, il est possible de définir trois types de marchés de produits ou services distincts. La mise en évidence de ces trois types de marchés repose sur l'expression de demandes différentes. En effet, la demande d'orthoprothèses diffère selon que le patient est hospitalisé ou non. Dans le premier cas, c'est l'hôpital qui prévoit directement la mise en place d'une orthèse ou d'une prothèse, alors que dans l'autre cas, c'est le praticien de ville qui, en accord avec le patient, va décider de l'appareil à installer. Par ailleurs, concernant le mode de financement, certains prix sont fixés par les autorités publiques et d'autres, lorsque les produits ne sont pas inscrits à la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) ou font l'objet d'appels d'offres, sont fixés, soit directement sur devis par l'orthoprothésiste, soit en fonction des résultats de l'appel d'offres.
50. Ainsi, il faut distinguer les marchés de fourniture d'orthoprothèses aux patients non hospitalisés inscrites à la LPPR, d'une part, les marchés de fourniture d'orthoprothèses aux patients non hospitalisés non inscrites à la LPPR, d'autre part, et enfin, les marchés de fourniture d'orthoprothèses aux hôpitaux.
51. Il n'est en l'occurrence pas nécessaire de se prononcer précisément sur la dimension géographique des différents marchés, même si l'on peut supposer que leur étendue est limitée par la nécessité, pour les orthoprothésistes, de se trouver à une distance raisonnable des patients. Cette donnée est également vraie pour la fourniture d'orthoprothèses aux hôpitaux. Ainsi, l'UFOP précise : " ce n'est pas parce qu'un marché est conclu [à la suite] d'un appel d'offres que l'ensemble des appareillages qui y figurent sont aussitôt produits ; ils le seront au fur et à mesure des besoins, lesquels sont toujours exprimés d'une façon extrêmement urgente, un délai de quelques heures seulement étant le plus souvent accordé pour la fourniture d'une orthoprothèse commandée dans le cadre d'une intervention sur un patient. " Par conséquent, même si beaucoup des entreprises qui répondent aux appels d'offres des hôpitaux sont de dimension nationale, elles doivent assurer leurs prestations au travers d'implantations pas trop éloignées de ces hôpitaux.
B. SUR LES PRATIQUES EXAMINÉES
1. LE CADRE JURIDIQUE
52. L'article L. 420-1 du Code de commerce énonce : " Sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : 1°) Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; 2°) Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; 3°) Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; 4°) Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement. "
53. Il ressort d'une jurisprudence constante, tant interne que communautaire qu'une entente peut résulter de tout acte émanant des organes d'un groupement professionnel, tel qu'un règlement professionnel, un règlement intérieur, un barème ou une circulaire. Ainsi, l'élaboration et la diffusion, à l'initiative d'une organisation professionnelle, d'un document destiné à l'ensemble de ses adhérents constitue une action concertée. Conformément à cette jurisprudence, le Conseil de la concurrence précise que " (...) la défense de la profession par tout syndicat créé à cette fin ne l'autorise nullement à s'engager, ni à engager ses adhérents dans des actions collectives visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence ou susceptibles d'avoir de tels effets (...) ". Il en résulte que, si un organisme professionnel peut diffuser des informations destinées à aider les membres dans l'exercice de leur activité, l'aide à la gestion qu'il leur apporte ainsi ne doit pas avoir pour objet ou pour effet de détourner ses membres d'une appréhension directe de leur stratégie commerciale qui leur permette d'établir leurs prix de façon indépendante.
54. Dans sa décision n° 97-D-45 du 10 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil national de l'Ordre des architectes, le Conseil de la concurrence a par exemple indiqué : " Considérant que le Conseil national de l'Ordre des architectes a établi et diffusé auprès de ses membres en 1988, " une notice explicative à l'usage exclusif de l'architecte " présentant le contenu et les objectifs du contrat d'architecte et comportant des taux indicatifs d'honoraires pour certaines missions complémentaires des missions courantes, (...) qu'en suggérant de tels taux, l'Ordre des Architectes est allé au-delà de l'aide au calcul des honoraires qu'il peut légitimement apporter pour certaines missions complémentaires d'architecture et a pu, ainsi, inciter ses membres à ne pas tenir compte dans la détermination de leurs honoraires de leurs conditions particulières d'exploitation ; qu'au cas d'espèce, ces taux uniques pouvaient inciter les membres de l'Ordre à les appliquer pour établir leurs honoraires, alors qu'il appartenait à chacun d'eux de se déterminer en fonction de sa situation et de ses données propres ". Ce type d'intervention peut exercer une influence directe ou indirecte sur le libre jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession. La Cour d'appel de Paris a confirmé sur ce point qu'un syndicat sort de sa mission lorsqu'il diffuse à ses membres " des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise. " (arrêt du 17 octobre 2000, relatif au recours formé par le Syndicat national des ambulanciers de montagne contre la décision n° 99-D-70 du Conseil de la concurrence relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires de skieurs accidentés).
55. Par ailleurs, dans un avis n° 04-A-02 du 16 janvier 2004 rendu à la demande de la Fédération de l'hospitalisation privée sur le fonctionnement des marchés des dispositifs médicaux, analysant une situation dans laquelle les fabricants de dispositifs médicaux avaient maintenu les prix proposés aux établissements hospitaliers concernés au niveau du tarif de remboursement de la sécurité sociale en faisant valoir qu'afficher une baisse de prix entraînerait une diminution de ce tarif, alors que le contexte légal visait à faire jouer la concurrence pour les achats de ces établissements, le Conseil de la concurrence a indiqué qu'une telle justification est susceptible de trahir une conception anticoncurrentielle du fonctionnement des marchés en cause. En effet, le gain immédiat réalisé par un fabricant qui baisserait ses prix en développant sa clientèle et en captant une partie supplémentaire de la demande doit normalement l'emporter sur les inconvénients futurs susceptibles de résulter pour lui d'une réduction du niveau des tarifs de responsabilités, et donc l'inviter à baisser ses prix.
2. LA QUALIFICATION DES PRATIQUES EN L'ESPÈCE
a) Sur la fournitures d'orthoprothèses inscrites à la LPPR aux patients non hospitalisés
56. L'article L. 162-38 du Code de la sécurité sociale, inséré par la loi du 30 juillet 1987 et modifié par la loi du 13 août 2004, prévoit que les ministres chargés de l'économie, de la santé et de la sécurité sociale peuvent fixer par arrêté les prix et les marges des produits et les prix des prestations de services pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Cette fixation tient compte de l'évolution des charges, des revenus et du volume d'activité des praticiens ou entreprises concernés.
57. Les conditions de la prise en charge des produits sont précisées par l'article L. 165-1, dans sa rédaction issue de la loi du 29 décembre 1999 modifiée par la loi du 18 décembre 2003 : " Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel, des tissus et cellules issus du corps humain quel qu'en soit le degré de transformation et de leurs dérivés, des produits de santé autres que les médicaments visés à l'article L. 162-17 et des prestations de services et d'adaptation associées est subordonné à leur inscription sur une liste établie après avis d'une commission de la Haute Autorité de santé mentionnée à l'article L. 161-37. L'inscription est effectuée soit par la description générique de tout ou partie du produit concerné, soit sous forme de marque ou de nom commercial. L'inscription sur la liste peut elle-même être subordonnée au respect de spécifications techniques, d'indications thérapeutiques ou diagnostiques et de conditions particulières de prescription et d'utilisation. Les conditions d'application du présent article, notamment les conditions d'inscription sur la liste, ainsi que la composition et le fonctionnement de la commission sont fixées par décret en Conseil d'Etat. " L'article L. 165-2 prévoit que les tarifs de responsabilité des produits mentionnés à l'article L. 165-1 sont établis par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale après avis du Comité économique des produits de santé. C'est également par arrêté que les prix des produits remboursables figurant sur la liste sont revalorisés. Enfin, l'article L. 165-3-1 sanctionne le non-respect du prix fixé.
58. En l'espèce, l'UFOP a proposé une méthode visant, à partir des coûts de main d'œuvre et des coûts de matière première, d'une part, à déterminer, par application de coefficients destinés à tenir compte d'autres types de coûts, les tarifs de responsabilité et les prix maximum des appareillages inscrits sur le TIPS (devenu LPPR) et, d'autre part, à fixer la marge des orthoprothésistes.
59. L'autorité publique, en 1991 et après expertise, a approuvé cette méthode, et les coûts de main d'œuvre et de matière première pour la fixation des tarifs et prix. Depuis cette date, l'autorité publique continue à appliquer cette méthode en ce qui concerne les coefficients, mais n'est pas liée par les propositions faites sur les coûts de main d'œuvre et de matière lorsqu'il s'agit d'inscrire un nouvel appareillage au TIPS (devenu LPPR).
60. De même, lorsqu'il s'agit d'examiner la revalorisation des tarifs et prix des appareillages déjà inscrits à la LPPR, l'autorité publique garde une entière liberté dans la fixation des revalorisations par rapport aux propositions de l'UFOP. Ainsi, l'autorité publique n'a pas abandonné ses prérogatives de régulation économique à des opérateurs privés qui, dans le cas contraire, auraient été à ce titre susceptibles d'enfreindre l'article L. 420-1 du Code de commerce. En l'occurrence, sur cet aspect, l'UFOP n'a fait que transmettre ses propositions à l'autorité publique tout en communiquant leur contenu à ses adhérents. Elle est donc restée dans son rôle normal de syndicat professionnel, sans enfreindre les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
b) Sur la fourniture d'orthoprothèses non inscrites à la LPPR aux patients non hospitalisés
61. Pour ces appareillages, les prix sont libres et pourtant l'UFOP a incité ses adhérents à utiliser la même méthodologie tarifaire que celle proposée aux pouvoirs publics pour la tarification des produits dont l'inscription à la LPPR est demandée.
62. La méthodologie est précise. Non seulement elle conduit à un alignement des coûts, mais aussi elle fixe la marge des entreprises. Si une telle fixation se justifie lorsque l'UFOP expose la position des entreprises du secteur lors de l'adoption, par les pouvoirs publics, d'un prix réglementé, elle ne se justifie a priori plus pour des prestations dont le prix n'est pas fixé, quand bien même l'appareil serait atypique.
63. Par l'envoi de la méthode tarifaire, l'UFOP incite chaque orthoprothésiste à ne pas se déterminer en fonction de sa situation et de ses données propres et à ne pas faire jouer la concurrence. En principe, de telles incitations émanant d'un syndicat professionnel sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce, puisque le syndicat sort alors de ses missions en exerçant une influence directe ou indirecte sur le libre jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession. La circonstance que le système de détermination des prix ne soit pas appliqué par la totalité des professionnels, ou qu'il ait été conçu dans un souci de simplification, ne suffit pas à retirer à une telle pratique son caractère anticoncurrentiel.
64. Néanmoins, en l'espèce, des circonstances très particulières sont réunies qui permettent de considérer que la pratique en cause bénéficie des dispositions du I, sous 2°), de l'article L. 420-4 du Code de commerce qui prévoient que ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : " (...) dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. "
65. En effet, la pratique concerne des appareillages dont l'utilisation est rare, que les patients doivent parfois recevoir à bref délai et dont les organismes de sécurité sociale ont souvent du mal à apprécier la valeur lorsqu'ils examinent les devis accompagnant les demandes de prise en charge. Ces organismes hésitent, dans un certain nombre de cas, à refuser les devis pour ne pas porter préjudice aux patients. Dans ce contexte, la préconisation d'une méthode de tarification, utilisée par ailleurs par les pouvoirs publics pour l'essentiel des produits de GAO, peut contribuer tout à la fois à la modération des rémunérations demandées par les orthoprothésistes et à éviter d'éventuels refus de prise en charge, ce qui bénéficie tant aux patients qu'au système de protection sociale.
66. Le dossier contient d'ailleurs de nombreux éléments montrant que l'activité en cause est marginale. La SARL Tourret-Couderc précise à titre d'exemple avoir " ... A titre exceptionnel, 4 à 5 demandes extralégales ", la SARL Le Septimanie estime ce type de prestation à 2 ou 3 par an, la SA Lecante Ortho Sud a fait deux devis hors LPPR en 2003, la SARL Ortho-Dynamic un ou deux par an. Quant à la société Cazabon-Trouve, elle se limite à même pas un cas par an. La SA Marcenac-Ducros estime " ces prestations en garantie et hors garantie à environ 20 % des prothèses fémorales produites ". L'EURL Orthopédie Provençale précise : " Il m'arrive, exceptionnellement, d'établir des devis hors tarif et hors appareillage inscrit au TIPS. " Enfin, les SARL Modern Prothèse et Sudre n'élaborent pas de devis hors LPPR.
67. De plus, il est loisible aux entreprises d'utiliser une autre méthode. Tel est le cas de la Société Cazabon-Trouve à Toulouse qui déclare se fonder sur les prix du marché : " ... Pour établir mes prix, je ne me suis pas servi de la grille mais j'ai observé les prix du marché. C'est-à-dire le coût des éléments supplémentaires et les prix pratiqués pour ce type de prothèse, prix communiqués par le fabricant (Otto Bock). En fonction de ces élément,s j'ai donné mon prix ... ". Monsieur Y..., à Marseille, indique quant à lui : " ... Pour établir un devis pour des produits non remboursables, nous n'avons pas de méthode d'analyse de coût ni de prix. Ces prestations sont tellement marginales que nous les calculons en prenant référence sur les anciens devis. "
68. Dès lors, eu égard au fait que la pratique permet à des patients de bénéficier d'appareillages rares dans de meilleures conditions, qu'elle porte sur une demande marginale, qu'elle n'est pas obligatoire et qu'elle intervient dans un contexte où la concurrence peut difficilement jouer, il y a lieu de considérer qu'elle contribue au progrès en bénéficiant aux utilisateurs sans avoir elle-même un impact significatif sur la concurrence.
69. Les conditions du I, sous 2°), de l'article L. 420-4 du Code de commerce étant réunies, il n'est donc pas établi que l'UFOP a enfreint l'article L. 420-1 du même Code en adressant une méthodologie tarifaire permettant de fixer les prix d'orthoprothèses non inscrites à la LPPR pour les patients non hospitalisés.
c) Sur la fourniture d'orthoprothèses aux hôpitaux dans le cadre d'appels d'offres
70. Pour ces fournitures, les prix sont également libres. D'ailleurs, les hôpitaux demandent, dans leurs règlements d'appels d'offres, le montant des remises par rapport au tarif réglementé issu de la LPPR. Or, de manière constante, de 1998 à 2004, l'UFOP a adressé des recommandations à ses adhérents afin qu'ils n'octroient pas de remises aux hôpitaux. Elle est intervenue également à la suite de plaintes concernant des adhérents qui ne suivent pas les consignes.
71. Selon le rapport d'enquête, " les consignes relatives aux prix des appels d'offres des hôpitaux ont pour origine, déjà ancienne (1992), des récriminations d'adhérents mécontents de confrères. Outre le souci du syndicat professionnel d'apaiser les conflits entre membres, son intervention est surtout motivée par une volonté farouche de préserver le système de prix administrés que constitue la LPPR. "
72. L'UFOP défend sa position en précisant notamment que : " (...) Des remises si importantes ne peuvent se faire qu'au détriment de la qualité dans la mesure où les prix sont négociés au plus juste ". Elle ajoute que les circulaires étaient " un appel à une prise de conscience des professionnels sur l'impact que peut avoir des remises sur l'avenir du secteur ". Dans ses dernières observations, l'UFOP indique que l'analyse des bilans des entreprises du secteur révèle une marge moyenne très inférieure à celle de 8 % recommandée. Ce serait l'effet de l'érosion de la marge au fil des actualisations tarifaires qui sont octroyées par l'administration et qui ne tiennent qu'insuffisamment compte de l'évolution réelle des coûts de revient (main d'œuvre, matières premières, frais généraux). Ainsi, elle estime que lorsqu'une remise de plus de 5 % est accordée, le prix pratiqué est un prix déficitaire qui absorbe la marge réalisée sur d'autres produits, alors même que la marge admise par l'autorité publique comme constituant la rémunération normale en matière de prothèse est de 8 %. L'UFOP en conclut qu'accepter de telles remises ne pourrait que conduire, " dans un premier temps à l'élimination de toutes les petites structures de fabrication et dans un second temps à la création d'un quasi monopole de quelques gros fabricants, en contradiction avec les exigences d'une saine concurrence. "
73. La pratique en cause, clairement anticoncurrentielle, puisqu'elle vise une harmonisation des prix dans un domaine où les pouvoirs publics ont précisément fait le choix de laisser jouer pleinement la concurrence, ne peut, contrairement à la précédente, être justifiée. Il suffit de relever à cet égard qu'elle ne vise pas à limiter une hausse de prix qui s'exercerait au détriment de la collectivité et, le cas échéant, des patients pris individuellement, mais au contraire à empêcher des baisses de prix recherchées pour le bénéfice de la collectivité et des patients par le recours au mécanisme d'appels d'offres.
74. Les arguments de l'UFOP peuvent certes être avancés par elle, si elle le juge nécessaire, dans le cadre de ses discussions avec les autorités compétentes en ce qui concerne les revalorisations des produits inscrits à la LPPR ou en ce qui concerne le régime à appliquer pour les besoins en orthoprothèses des hôpitaux, mais ils ne sauraient en l'occurrence servir de justification à une entrave au mécanisme de mise en concurrence retenu à ce jour par les pouvoirs publics, lesquels sont seuls mandatés pour déterminer les politiques visant à répondre à l'intérêt général.
75. Compte tenu du système retenu, il appartient à l'acheteur, au vu des offres qui lui sont faites, d'arbitrer entre le prix et la qualité et, le cas échéant, à qualité égale, de préférer l'offre la moins-disante. Les appels d'offres examinés précédemment montrent que, dans un certain nombre de cas, la qualité a été privilégiée par rapport au prix.
76. Le caractère anticoncurrentiel des consignes données est renforcé par le fait qu'elles étaient accompagnées, ainsi qu'il ressort des constatations exposées aux paragraphes 18 à 34 de la présente décision, d'un système de surveillance consistant à faire communiquer à l'UFOP les offres remises, à recueillir les " plaintes " des opérateurs respectant les consignes à l'encontre de ceux qui ne les respectent pas et demander des explications à ces derniers. Des sanctions sous la forme d'exclusions de la chambre syndicale ont même été envisagées.
77. L'envoi des circulaires litigieuses a eu l'effet escompté dans certaines villes. Ainsi, pour les appels d'offres des hôpitaux pour lesquels il est habituel, comme il ressort du dossier, que l'essentiel des orthoprothésistes n'offrent pas de remise (Paris, Marseille ou Lyon), les candidats adaptent leur comportement, créant une situation de blocage.
78. Ainsi, le groupe Lagarrigue déclare que pour la détermination des rabais il utilise plusieurs critères dont le premier est " l'état de la concurrence locale ". Il s'est, en effet, montré offensif sur certains marchés. Les rabais proposés ont été de 12 % pour le CHU de Toulouse, 20 % pour les hôpitaux de Nice, 28 % pour le CHU de Bordeaux et 20 % pour l'hôpital d'Angoulême. En revanche, il ne l'a pas été concernant l'appel d'offres de l'Assistance publique de Paris pour lequel il n'y a eu pratiquement pas d'offres de remise.
79. Les entreprises Béteille, Bontoux et Orthopédie provençale sont restées, quant à elles, fidèles à une ligne de conduite et n'ont pas offert de rabais alors que les entreprises Marcenac-Ducros et Protéor (agence de Montpellier) se sont disputées plusieurs lots du CHU de Montpellier. Protéor en revanche n'a pas proposé de rabais lors des appels d'offres du CHU de Nice, de l'Assistance publique de Paris et des Hospices civils de Lyon. L'agence Lecante de Nice a dérogé à la position de principe du groupe en proposant des rabais au CHU de Nice.
80. Ainsi, les consignes syndicales adressées par l'UFOP à ses adhérents et ses prises de position dans le cadre des appels d'offres ont eu pour objet d'orienter la stratégie de prix des adhérents et ont eu pour effet d'empêcher certains hôpitaux d'obtenir des remises. Elles sont donc contraires aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
C. SUR LES SANCTIONS
81. La pratique reprochée à l'UFOP a débuté antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, le 18 mai 2001, mais s'est poursuivie de manière continue après. La saisine, datée du 28 décembre 2004, est également postérieure à cette date. Il en résulte que les dispositions du livre IV du Code de commerce applicables en l'espèce sont celles issues de la loi du 15 mai 2001, comme l'a déjà indiqué, pour une situation similaire, la décision du Conseil n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de l'abattage et de la commercialisation d'animaux de boucherie.
82. L'article L. 464-2 du Code de commerce dans la version en cause prévoit que si le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire pouvant être infligée est de 3 millions d'euro. Il dispose également que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre (...). " Par ailleurs, aux termes de l'article L. 464-5 du Code de commerce, lorsque le Conseil statue selon la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3, c'est-à-dire sans établissement préalable d'un rapport, le plafond de la sanction encourue est de 750 000 euro.
83. L'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit aussi que le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'il précise.
1. SUR LA GRAVITÉ DE L'INFRACTION
84. Les ententes ou actions concertées visant les prix pratiqués par des concurrents sont graves. Elle le sont d'autant plus qu'elles durent plusieurs années, en l'espèce, de 1998 à 2004 qu'elles visent à mettre en échec un dispositif choisi pour faire jouer pleinement la concurrence, comme un mécanisme d'appels d'offres, et qu'elles s'accompagnent d'un dispositif de surveillance visant à les faire au mieux respecter.
2. SUR LE DOMMAGE À L'ÉCONOMIE
85. Les appels d'offres des hôpitaux en la matière intéressent surtout une vingtaine d'entreprises d'orthoprothèse, dont les plus importantes. Le chiffre d'affaires annuel qu'elles y réalisent en grand appareillage dans le cadre de marchés publics s'évalue à un ordre de grandeur de 8 millions d'euro (environ 5 % du GAO). Le recensement partiel, portant sur trois millions d'euro de commandes hospitalières issus des résultats de dix appels d'offres, effectué dans le cadre de l'enquête, montre des configurations très différentes. Les trois plus grandes structures hospitalières de France, Paris, Lyon et Marseille n'obtiennent pratiquement aucune remise de leurs prestataires, tous adhérents de l'UFOP.
86. Il est vrai que le montant de la remise n'est pas le seul critère retenu par les hôpitaux, la qualité des services et produits fournis étant également un élément important dans leur choix. Néanmoins, les hôpitaux précités se sont vu imposer une absence de compétition sur les prix résultant des initiatives de l'UFOP.
87. Concernant Lyon, la direction des affaires économiques des Hospices civils précise : " (...) nous avons choisi de juger les offres de candidats avec des critères techniques plutôt que sur le seul critère du prix basé sur une remise sur le TIPS. Nous avons en quelque sorte été " poussés " par les prothésistes pour effectuer ce changement de jugement. En effet, ces derniers nous ont fait part de leurs craintes d'abaissement des tarifs TIPS en cas de remise systématique. "
88. Les hôpitaux de Paris ont indiqué : " les entreprise du secteur s'alignent quasi systématiquement sur le TIPS et ne proposent aucune remise, comme vous pouvez le constater sur leurs actes d'engagement. "
89. Le CHU de Marseille, dans une fiche technique du 14 mai 2002, précise ses critères de choix et indique concernant les entreprises Béteille, Bontoux et Orthopédie provençale : " les entreprises devaient proposer un rabais en pourcentage sur les tarifs officiels de la liste des prestations remboursables prévue à l'article L. 165-1 du Code de la sécurité sociale et fixés par arrêté ministériel. Les trois entreprises, arguant le fait que leur déontologie leur interdit de proposer un rabais sur ces tarifs officiels, n'en ont pas proposé. "
90. Ainsi qu'il ressort du rapport administratif d'enquête et des pièces du dossier, des mises en concurrence bien conduites (CHU de Nice, Montpellier, Bordeaux, Toulouse) génèrent des économies comprises entre 10 % et 25 %, qui pourraient constituer la norme. Or, ainsi qu'il résulte des tableaux reproduits au point 47 ci-dessus, en 2001, l'Assistance publique des hôpitaux de Paris n'a pas obtenu de remises significatives sur un appel d'offres d'un montant estimé, sur la base du TIPS, à 991 000 euro par an sur trois ans. Elle aurait pu espérer à tout le moins une remise d'environ 90 000 euro par an. De la même façon, en 2002, à Marseille, l'appel d'offres a été estimé à 113 700 euro par an sur trois ans. La remise aurait pu être de l'ordre de 10 000 euro par an. En 2002, à Lyon, le montant estimé de l'appel d'offres était au minimum de l'ordre de 900 000 euro par an sur deux ans. La remise, aussi évaluée au minimum, aurait pu être de 90 000 euro par an. De même, pour l'hôpital René Sabran à Giens, en 2002, le montant estimé de l'appel d'offres était au minimum de l'ordre de 100 000 euro par an sur trois ans et la remise, elle-même évaluée au minimum, aurait pu être de 10 000 euro par an. En prenant en considération ces marchés, l'économie faite par les budgets publics des établissements concernés en l'absence des perturbations de la concurrence engendrées par les consignes de l'UFOP aurait pu, au bas mot, être de l'ordre de 500 000 euro. L'envoi de la circulaire par l'UFOP à ses adhérents a donc eu des effets significatifs sur les budgets des hôpitaux.
91. De plus, ainsi qu'il est constaté dans de nombreuses décisions du Conseil de la concurrence et dans une jurisprudence constante concernant les ententes anticoncurrentielles en matière de marchés faisant appel à la concurrence, le dommage causé à l'économie par ces pratiques est indépendant du dommage souffert par le demandeur et s'apprécie en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence, notamment au titre de la malheureuse valeur d'exemple qu'elles peuvent avoir (voir en dernier lieu la décision du Conseil n° 07-D-02 du 23 janvier 2007 relative à des pratiques ayant affecté l'attribution de marchés publics et privés dans le secteur de l'élimination des déchets en Seine-Maritime). Tel est bien le cas des consignes tarifaires données par une organisation professionnelle à ses membres en vue de leurs réponses à des appels d'offres.
3. SUR LE MONTANT DE LA SANCTION PÉCUNIAIRE
92. L'UFOP a précisé que le montant des cotisations annuelles qu'elle reçoit s'est élevé à 228 335 euro en 2000, 244 095 euro en 2001, 234 225 euro en 2002, 241 150 euro en 2003, 250 450 euro en 2004 et 251 540 euro en 2005.
93. L'organisme dispose par ailleurs de réserves sous forme de trésorerie ou de placements de plus de 300 000 euro. En tout état de cause, un organisme professionnel qui serait sanctionné, dans le respect des plafonds légaux, au-delà de ses ressources immédiatement disponibles a la possibilité notamment de faire appel à ses membres pour lever les fonds nécessaires au paiement de la sanction pécuniaire qui lui est infligée, ainsi que le rappellent la décision de la Commission européenne du 2 avril 2003, relative à une procédure d'application de l'article 81 CE, affaire viandes bovines françaises (JOCE L 209, p. 12) et l'arrêt relatif à cette décision du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 décembre 2006, FNCBV, FNSEA et autres/Commission (T-217-03 et T-245/03, non encore publié au recueil, points 312 à 319), mais aussi la décision du Conseil de la concurrence n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille (points 117 et suivants). Il ressort de ces décisions que lorsque l'infraction au droit de la concurrence d'un organisme professionnel porte sur les activités de ses membres, il y a lieu de prendre en compte les capacités économiques de ceux-ci. A défaut, des comportements anticoncurrentiels ayant un impact significatif sur le marché pourraient ne pas être sanctionnés à un niveau suffisamment dissuasif.
94. En fonction des éléments liés à la gravité de l'infraction commise par l'UFOP, du dommage à l'économie qui en est résulté et de la situation de cet organisme, il y a lieu de lui infliger une sanction pécuniaire de 125 000 euro.
4. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION
95. Afin d'informer de la présente décision les acteurs du secteur de la santé et de celui de la protection sociale, en particulier les hôpitaux, et de les inciter à la vigilance à l'égard des pratiques condamnées, il y a lieu d'ordonner à l'UFOP de faire publier à ses frais dans le " Quotidien du médecin " et dans " le Journal de l'orthopédie " le résumé de cette décision figurant au point suivant :
96. " L'Union française des orthoprothésistes (UFOP), syndicat qui représente 98 % de la profession s'est, de manière continue depuis 1998 à 2004, concerté avec ses adhérents qu'elle a incités à ne pas octroyer des remises sur les tarifs de la LPPR lors des réponses aux appels d'offres des hôpitaux pour la fourniture des orthoprothèses alors que sur ce marché les prix sont libres. Dans ce but, elle a adressé des circulaires à ses adhérents et est intervenue à la suite de plaintes concernant des adhérents qui ne suivaient pas ses consignes. L'envoi des circulaires litigieuses a eu l'effet anticoncurrentiel escompté dans certaines villes comme Paris, Lyon, Marseille où les appels d'offres des hôpitaux n'ont donné lieu pratiquement à aucune offre de remise tandis qu'à Nice, Montpellier, Bordeaux, Toulouse, des rabais ont été proposés pouvant atteindre 30 % dans les mêmes circonstances. Le Conseil de la concurrence a relevé la gravité du comportement du syndicat professionnel qui, pendant plusieurs années, a défendu une action concertée sur les prix dans un dispositif choisi pour faire jouer la concurrence, ainsi que le dommage à l'économie qui en est résulté en privant les budgets publics des hôpitaux concernés d'une économie de l'ordre minimal de 500 000 euro et qui, au-delà des effets non négligeables sur les dépenses de santé, est apprécié en fonction de l'entrave directe portée au libre jeu de la concurrence. Le Conseil a infligé à l'UFOP une sanction pécuniaire de 125 000 euro.
Le texte intégral de la décision du Conseil de la concurrence est accessible sur le site www.conseil-concurrence.fr "
Décision
Article 1er : Il est établi que l'UFOP a enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en ce qui concerne la fourniture d'orthoprothèses aux hôpitaux dans le cadre d'appels d'offres.
Article 2 : Il est infligé à l'UFOP une sanction de 125 000 euro.
Article 3 : L'UFOP fera publier à ses frais dans les trois mois suivant la notification de la présente décision le texte figurant au point 96 de celle-ci, en en respectant la mise en forme, dans " Le Quotidien du médecin " ainsi que dans " le Journal de l'orthopédie ". Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à 5 mm sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision du Conseil de la concurrence n° 07-D-05 du 21 février 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par l'Union française des orthoprothésistes (UFOP) sur le marché de la fourniture d'orthoprothèses. " Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. L'UFOP adressera, sous pli recommandé, au bureau de la procédure du Conseil de la concurrence, copie de ces publications, dès leur parution.