TPICE, président, 28 mars 2007, n° T-384/06 R
TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
IBP Ltd, International Building Products France (SA)
Défendeur :
Commission des Communautés européennes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vesterdorf
Avocat :
Me Aldred
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Antécédents du litige
1 Le 23 novembre 2001, la société IBP Ltd a été constituée par Oystertec Plc en vue de l'acquisition de l'ancienne société holding IBP et d'actions de ses filiales, dont International Building Products France SA, auprès de Delta Plc. Le 1er juin 2005, Oystertec a pris le nom d'Advanced Fluid Connections Plc. International Building Products France est une filiale à 100 % d'IBP Ltd.
2 Le 24 mars 2006, Advanced Fluid Connections a été placée sous administration judiciaire. Le 25 mars 2006, les administrateurs judiciaires d'Advanced Fluid Connections ont vendu tous ses actifs à Celestial Wing Ltd. Ces actifs incluaient IBP Ltd, International Building Products France et International Building Products GmbH. À cette date, Celestial Wing était une filiale à 100 % d'un fonds d'actions ordinaires privé (equity fund) appelé Endless LLP. Le 15 septembre 2006, Celestial Wing a changé son nom en Pearl Fittings Ltd et, le 18 septembre 2006, la propriété de Pearl Fittings a été transférée pour 74 % à la société Hamsard 3008, une filiale de la société Sun Capital Partners Inc., et pour 26 % à la société Endless LLP, qui sont toutes deux des fonds d'actions ordinaires.
3 Le 20 septembre 2006, la Commission a adopté une décision relative à une procédure d'application de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) (affaire COMP/F-1/38.121 - Raccords, ci-après la " décision litigieuse "). À son article 1er, la Commission a notamment constaté qu'un certain nombre d'entreprises avaient enfreint l'article 81 CE et l'article 53 de l'accord EEE en participant, au cours de diverses périodes comprises entre le 31 décembre 1988 et le 1er avril 2004, à un ensemble d'accords et de pratiques concertées anticoncurrentiels sur le marché des raccords en cuivre et en alliage de cuivre, couvrant l'ensemble du territoire de l'EEE. L'infraction a consisté en une fixation de prix, l'établissement de listes de prix, des accords sur des remises et ristournes ainsi que sur des mécanismes d'application des hausses des prix, une répartition des marchés nationaux et des clients ainsi qu'un échange d'autres informations commerciales.
4 À l'article 1er de la décision litigieuse, la Commission a considéré que les requérantes avaient participé aux accords et aux pratiques concertées anticoncurrentiels susvisés, dans le cas d'IBP Ltd, du 23 novembre 2001 au 1er avril 2004 au sein d'Advanced Fluid Connections, dénommée Oystertec au moment des faits, et, dans le cas d'International Building Products France, du 4 avril 1998 au 23 novembre 2001 au sein de l'entreprise Delta Engineering Holdings Ltd, filiale de Delta, et du 23 novembre 2001 au 1er avril 2004 au sein d'Advanced Fluid Connections.
5 À l'article 2 de la décision litigieuse, la Commission a imposé des amendes aux entreprises ayant participé aux infractions mentionnées à l'article 1er de cette même décision. IBP Ltd est tenue au paiement d'une amende, solidairement avec Advanced Fluid Connections, à hauteur de 11,26 millions d'euro [article 2, sous c), de la décision litigieuse]. International Building Products France est tenue au paiement de deux amendes, premièrement, solidairement avec IBP Ltd et Advanced Fluid Connections, à hauteur de 5,63 millions d'euro [article 2, sous c), et considérant 666 de la décision litigieuse], et, deuxièmement, solidairement avec Delta et Delta Engineering Holdings, à hauteur de 5,63 millions d'euro [article 2, sous d), de la décision litigieuse].
6 Par lettre du 4 octobre 2006, la Commission a notifié la décision litigieuse aux requérantes. Dans cette lettre, elle signalait que, si ces dernières engageaient une procédure devant le Tribunal, aucune mesure d'exécution ne serait prise tant que l'affaire serait pendante devant le Tribunal, à condition notamment qu'une garantie bancaire acceptable pour la Commission couvrant à la fois le principal et les intérêts ou la majoration de la dette soit constituée avant la date limite de paiement. Cette échéance est intervenue trois mois après la notification de la décision aux requérantes, soit le 5 janvier 2007.
7 Le 23 novembre 2006, la banque Burdale Financial Ltd a indiqué à IBP Ltd ne pas pouvoir étendre la ligne de financement de l'entreprise en l'état de ses actifs et, en substance, ne pas pouvoir couvrir l'amende imposée par la décision litigieuse par une garantie bancaire.
8 Par lettre du 3 janvier 2007, les requérantes ont informé la Commission qu'elles n'étaient pas en mesure de constituer une garantie bancaire ou de payer le montant de l'amende dans sa totalité et ont invité la Commission à envisager d'accepter de surseoir à l'exécution de la décision litigieuse jusqu'à l'issue du recours en annulation introduit contre la décision litigieuse le 13 décembre 2006. Par lettre du 12 janvier 2007, la Commission a indiqué n'avoir aucune raison de considérer que les requérantes n'étaient pas en mesure de couvrir l'amende par une garantie bancaire.
9 Par lettre du 17 janvier 2007 adressée à la Commission, le président d'IBP Ltd a indiqué que ses actionnaires lui avaient signifié le 18 décembre 2006 leur intention de ne pas fournir les fonds nécessaires au paiement de l'amende ou à la constitution d'une garantie bancaire. À ce courrier était jointe la lettre d'une société d'experts-comptables décrivant les difficultés financières d'IBP Ltd et évoquant l'hypothèse de l'engagement d'une procédure de faillite.
10 Le 22 janvier 2007, la Commission a indiqué que la société Delta avait acquitté l'amende au paiement de laquelle elle était solidairement tenue avec International Building Products France et que, en conséquence, cette dernière n'avait plus à s'acquitter de l'amende de 5,63 millions d'euro prévue à l'article 2, sous d), de la décision litigieuse.
Procédure et conclusions des parties
11 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 décembre 2006, les requérantes ont formé un recours en annulation partielle contre la décision litigieuse sur le fondement de l'article 230, quatrième alinéa, CE.
12 Par acte séparé déposé au greffe le 4 janvier 2007, les requérantes ont présenté une demande visant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'article 2, sous c) et d), de la décision litigieuse, sur le fondement de l'article 242 CE et des articles 104 et suivants du règlement de procédure du Tribunal.
13 Par acte déposé au greffe le 22 janvier 2007, la Commission a présenté ses observations sur la demande en référé.
14 Par lettre datée du 24 janvier 2007, les requérantes ont demandé l'annulation de l'audition prévue pour le 29 janvier 2007 et invité le juge des référés à statuer sur le seul fondement des écritures des parties. Le 25 janvier 2007, le juge des référés a annulé l'audition prévue dans cette affaire.
15 Les requérantes ont déposé, le 5 février 2007, leurs observations relatives aux observations déposées par la Commission quant à la demande en référé. Le 15 février 2007, la Commission a déposé ses propres observations sur les observations des requérantes.
16 Par lettre du 12 mars 2007, les requérantes ont déposé au greffe les ordonnances rendues le 2 mars 2007 par le juge Richards, membre de la High Court of Justice [Haute Cour de justice], ouvrant une procédure d'insolvabilité à l'égard des requérantes et nommant deux syndics pour les administrer pendant la période de validité desdites ordonnances. Les requérantes n'ont pas indiqué les circonstances qui ont motivé l'adoption de ces ordonnances.
17 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au président du Tribunal :
- déclarer la demande en référé recevable et fondée ;
- surseoir à l'exécution de l'article 2, sous c) et d), de la décision litigieuse et, en particulier, dispenser les requérantes de l'obligation de fournir une garantie bancaire telle qu'imposée dans la lettre de la Commission du 4 octobre 2006 notifiant la décision litigieuse aux requérantes ;
- condamner la défenderesse aux dépens.
18 La Commission conclut à ce qu'il plaise au président du Tribunal :
- rejeter la demande de mesures provisoires ;
- condamner les requérantes aux dépens.
En droit
19 En vertu des articles 242 CE et 243 CE, d'une part, et de l'article 225, paragraphe 1, CE, d'autre part, le Tribunal peut, s'il estime que les circonstances l'exigent, ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.
20 L'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l'objet du litige, les circonstances établissant l'urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l'une d'elles fait défaut. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence.
21 En outre, dans le cadre de cet examen d'ensemble, le juge des référés dispose d'un large pouvoir d'appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l'espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l'ordre de cet examen, dès lors qu'aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d'analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C-149-95 P(R), Rec. p. I-2165, point 23, et du 17 décembre 1998, Emesa Sugar/Commission, C-364-98 P(R), Rec. p. I-8815, point 44].
22 Eu égard aux éléments du dossier et, notamment à la demande de la requérante visant à ce qu'il ne soit pas procédé à une audition, le juge des référés estime qu'il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires.
23 En l'espèce, il convient tout d'abord d'examiner l'objet de la demande en référé ainsi que les allégations d'irrecevabilité de la Commission.
Sur l'objet de la demande
24 Il convient de relever que, dans leur demande, les requérantes concluent à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l'article 2, sous c) et d), de la décision litigieuse, en ce qui concerne l'obligation de payer l'amende infligée par la Commission, jusqu'à ce que le Tribunal statue sur le recours au principal et, en particulier, à ce qu'elles soient dispensées de l'obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat de l'amende.
25 Or, il est constant que, dans sa lettre de notification de la décision litigieuse du 4 octobre 2006, la Commission a précisé aux requérantes que, au cas où elles introduiraient un recours devant le Tribunal, il ne serait procédé à aucune mesure de recouvrement de l'amende tant que l'affaire serait pendante devant cette juridiction pour autant que la créance produise des intérêts à partir de la date d'expiration du délai de paiement de l'amende et qu'une garantie bancaire, acceptable par la Commission et couvrant le montant de la dette principale ainsi que les intérêts et les majorations qui seraient dus, soit constituée au plus tard le 5 janvier 2007.
26 En outre, dans ses observations, la Commission a précisé que, dans l'attente de la décision du juge des référés sur la présente demande, elle n'avait pas encore commencé l'exécution forcée de la décision litigieuse.
27 Il découle de ce qui précède que la demande des requérantes ne peut avoir pour objet que d'obtenir une dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat du montant de l'amende infligée par la décision litigieuse.
Sur la recevabilité de la demande en référé
Arguments des parties
28 La Commission fait valoir que la demande de mesures provisoires est irrecevable, au moins en partie.
29 Premièrement, une décision du président du Tribunal ordonnant le sursis du paiement de l'amende jusqu'au prononcé de l'arrêt au principal serait inutile eu égard à la lettre notifiant la décision litigieuse. Dans la mesure où la possibilité de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat de l'amende serait offerte aux requérantes, il serait uniquement nécessaire d'examiner la demande visant à obtenir une dispense de l'obligation, imposée par la Commission dans sa lettre, de constituer une garantie bancaire d'un montant égal à celui des amendes infligées aux requérantes.
30 Deuxièmement, la Commission fait valoir que la demande en référé est entachée de contradictions internes et dépasse, du moins en partie, la portée du recours au principal. En effet, dans la mesure où l'argument principal des requérantes dans le cadre de leur recours en annulation aurait trait à la réduction de l'amende correspondant à la période postérieure à 2001, et non à son annulation totale, l'octroi d'un sursis général à l'exécution de la décision litigieuse ou d'une dispense générale de l'obligation de fournir une garantie bancaire dépasserait la portée du recours au principal. Par conséquent, la demande devrait être rejetée comme irrecevable soit dans son intégralité, soit au moins en partie.
31 Troisièmement, les moyens de droit des requérantes seraient présentés de manière si sommaire qu'il serait très difficile pour le juge des référés d'apprécier correctement l'importance qu'il convient d'accorder à chaque moyen afin de vérifier si l'octroi des mesures provisoires se justifie à première vue. Le fait que le recours au principal est joint en annexe à la requête ne pallierait pas cette lacune.
32 Pour leur part, les requérantes font valoir que leur demande est recevable dans la mesure où elle a été présentée par acte séparé et qu'elle remplit les conditions formelles des recours au fond. En outre, elle serait suffisamment étayée, de sorte que la Commission n'aurait pas été empêchée de présenter ses observations en défense.
Appréciation du juge des référés
33 Premièrement, s'agissant de l'allégation d'irrecevabilité soulevée par la Commission relative à la conclusion des requérantes ayant trait au sursis à l'exécution de l'article 2, sous c) et d), de la décision litigieuse, il convient de rappeler que la demande de la requérante a été interprétée au point 27 ci-dessus comme ne pouvant viser qu'à obtenir une dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur cette première allégation d'irrecevabilité.
34 Deuxièmement, s'agissant du lien entre l'objet de la demande en référé et l'objet du recours au principal, il suffit de constater qu'il ressort du recours au principal que les requérantes ont demandé l'annulation totale des amendes infligées.
35 Il existe donc à cet égard un lien direct entre le recours au principal et la demande en référé.
36 Troisièmement, s'agissant de la présentation prétendument sommaire des moyens et arguments des requérantes, il convient de rappeler que, en vertu de l'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure, les demandes " spécifient [...] les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent ".
37 En l'espèce, la demande en référé contient un exposé, certes sommaire, mais suffisamment clair et précis des moyens de fait et de droit justifiant à première vue l'octroi des mesures provisoires, de sorte que ceux-ci peuvent être considérés comme remplissant les conditions de l'article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure.
38 Les allégations d'irrecevabilité de la Commission doivent donc être écartées.
Sur le fond de la demande en référé
39 Il convient, en premier lieu, d'examiner si les requérantes ont démontré qu'il était urgent d'ordonner les mesures provisoires demandées.
Arguments des parties
40 Les requérantes estiment que la condition relative à l'urgence est satisfaite en l'espèce.
41 Elles soutiennent, premièrement, que, compte tenu de leur situation financière, laquelle serait très gravement compromise, d'une part, il leur est impossible de se procurer une garantie bancaire couvrant le montant de l'amende et, d'autre part, l'exécution immédiate de la décision litigieuse risque, avec un degré de probabilité suffisant, d'entraîner leur faillite.
42 Pour prouver l'impossibilité dans laquelle elles se trouvent de constituer la garantie bancaire requise, les requérantes se réfèrent à la lettre du 23 novembre 2006 adressée par Burdale Financial à IBP Ltd, dont il ressortirait que la banque en cause refuse de leur accorder la garantie bancaire sollicitée.
43 A fortiori, elles ne disposeraient pas des liquidités ou des facilités bancaires leur permettant d'acquitter l'intégralité de l'amende, ce que démontreraient leurs prévisions de trésorerie actuelles. Les facilités bancaires à leur disposition ne permettraient d'acquitter l'intégralité de l'amende qu'à la condition qu'elles entreprennent des actions supplémentaires pour éviter leur mise en faillite, lesquelles pourraient prendre la forme de ventes de propriétés en Espagne et en Pologne.
44 En outre, dans leurs observations supplémentaires, les requérantes font valoir que l'expertise comptable jointe à la lettre du 17 janvier 2007 concluait que l'incapacité de procéder aux transactions foncières sur les propriétés polonaises et espagnoles des requérantes placerait très prochainement IBP Ltd dans une position financière insoutenable.
45 Enfin, les actionnaires des requérantes auraient indiqué qu'elles ne les soutiendraient pas financièrement afin d'acquitter les amendes ou de constituer une garantie bancaire. Or, les requérantes ne seraient pas en mesure de forcer leurs actionnaires à leur fournir assistance.
46 Les requérantes prétendent, deuxièmement, que l'approche jurisprudentielle du président du Tribunal (ordonnance du président du Tribunal du 21 juillet 1999, DSR-Senator Lines/Commission, T-191-98 R, Rec. p. II-2531) et du président de la Cour [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, C-364-99 P(R), Rec. p. I-8733] quant à la possibilité de fournir une garantie bancaire ne doit pas être appliquée au cas d'espèce.
47 En effet, en premier lieu, cette approche, selon laquelle le juge des référés est en droit de tenir compte, afin d'apprécier si une entreprise est en mesure de constituer une garantie bancaire, du groupe d'entreprises dont elle fait partie et, en particulier, des ressources dont dispose globalement ce groupe, méconnaîtrait la signification juridique du choix de la Commission d'adresser la décision litigieuse à un nombre limité d'entreprises. Cette approche jurisprudentielle enfreindrait, à ce titre, les principes généraux de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime en ce qui concerne l'obligation de payer des amendes infligées par une décision de la Commission.
48 En deuxième lieu, les requérantes allèguent que toute exigence imposant à une entreprise condamnée au paiement d'une amende de fournir une garantie bancaire durant la période au cours de laquelle elle forme un recours contre la décision de la Commission constitue, si elle fait l'objet d'une exécution forcée dans l'attente de ce recours, une infraction au droit à un procès équitable tel que reconnu à l'article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH). À ce titre, les requérantes considèrent que l'approche jurisprudentielle suivie dans les ordonnances DSR-Senator Lines/Commission, point 46 supra, enfreint le droit à un procès équitable et le droit à la présomption d'innocence reconnus par l'article 6, paragraphes 1 et 2, de la CEDH, dans la mesure où, en prenant en considération les caractéristiques du groupe auquel elles se rattachent par leur actionnariat pour déterminer la possibilité de constituer une garantie bancaire, elle les empêchera en pratique d'obtenir les mesures provisoires demandées. En effet, les requérantes ne seraient pas en mesure de forcer leurs actionnaires à leur fournir assistance. Dans ces circonstances, les requérantes risqueraient la mise en faillite avant le prononcé de l'arrêt au principal.
49 Les requérantes invoquent, à l'appui de leur allégation, l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c. Suède du 23 juillet 2002 (n° 36985-97), qui serait de nature à remettre en cause l'approche jurisprudentielle contestée.
50 En troisième lieu, les requérantes estiment que l'approche jurisprudentielle contestée ne concorde pas avec certains droits nationaux. Dans le cadre de leurs observations supplémentaires relatives à l'urgence, elles se prononcent en effet en faveur du prononcé systématique du sursis à l'exécution des décisions en matière de concurrence qui serait, notamment, l'approche retenue au Royaume-Uni par le Competition Act (loi sur la concurrence) de 1998. Elles font observer que l'article 242 CE est une disposition générale et non une disposition élaborée spécifiquement pour les affaires de droit de la concurrence. Les requérantes relèvent en outre que le juge communautaire n'aurait pas encore jugé si les circonstances spécifiques des affaires de concurrence étaient telles que le juge des référés devrait systématiquement prononcer le sursis à l'exécution d'une décision imposant le paiement d'une amende afin de maintenir le droit à un procès équitable.
51 Pour sa part, la Commission soutient, en substance, qu'il n'est pas urgent d'ordonner les mesures provisoires demandées.
Appréciation du juge des référés
52 Eu égard à l'objet de la demande en référé, tel qu'il a été circonscrit (voir point 26 ci-dessus), il convient d'examiner si les requérantes ont démontré qu'il était urgent de les dispenser de l'obligation de constituer une garantie bancaire.
53 Il est de jurisprudence constante que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d'éviter une lacune dans la protection juridique assurée par les juridictions communautaires (voir ordonnance du président de la Cour du 17 juillet 2001, Commission/NALOO, C-180-01 P-R, Rec. p. I-5737, point 52, et la jurisprudence citée).
54 Pour atteindre cet objectif, l'urgence doit s'apprécier par rapport à la nécessité qu'il y a de statuer provisoirement afin d'éviter qu'un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. C'est à cette dernière qu'il appartient d'apporter la preuve qu'elle ne saurait attendre l'issue de la procédure au principal, sans avoir à subir un préjudice de cette nature (voir ordonnance du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T-151-01 R, Rec. p. II-3295, point 187, et la jurisprudence citée).
55 L'imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue et il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d'un ensemble de facteurs, qu'elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant. Toutefois, le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d'un préjudice grave et irréparable (ordonnances du président du Tribunal, Duales System Deutschland/Commission, point 54 supra, point 188, et du 25 juin 2002, B/Commission, T-34-02 R, Rec. p. II-2803, point 86).
56 Il importe en l'espèce de rappeler qu'une demande de dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire comme condition du non-recouvrement immédiat d'une amende infligée par la Commission ne peut être accueillie qu'en présence de circonstances exceptionnelles [ordonnance du président de la Cour du 15 décembre 2000, Cho Yang Shipping/Commission, C-361-00 P(R), Rec. p. I-11657, point 88].
57 En effet, la possibilité d'exiger la constitution d'une garantie financière est expressément prévue pour les procédures de référé par les règlements de procédure de la Cour et du Tribunal et correspond à une ligne de conduite générale et raisonnable de la Commission (ordonnance du président du Tribunal du 5 août 2003, IRO/Commission, T-79-03 R, Rec. p. II-3027, point 25).
58 L'existence de telles circonstances exceptionnelles peut, en principe, être considérée comme établie lorsque la partie qui demande à être dispensée de constituer la garantie bancaire requise apporte la preuve qu'il lui est objectivement impossible de constituer cette garantie (voir ordonnance IRO/Commission, point 57 supra, point 26, et la jurisprudence citée), ou que sa constitution mettrait en péril son existence (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 21 décembre 1994, Buchmann/Commission, T-295-94 R, Rec. p. II-1265, point 24, et du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, T-191-98 R II, Rec. p. II-2551, point 43).
59 Dans ces circonstances, il convient d'examiner si les requérantes ont établi à suffisance de droit qu'il leur était objectivement impossible de constituer la garantie bancaire requise ou que la constitution de cette garantie bancaire mettrait en péril leur existence.
60 En l'occurrence, pour prouver l'impossibilité de constituer la garantie bancaire, les requérantes n'ont produit qu'une lettre du 23 novembre 2006 de Burdale Financial, qui serait leur banque habituelle, par laquelle cette dernière a manifesté, en des termes généraux, son refus d'octroyer la garantie sollicitée. Dans sa lettre, Burdale Financial indique que le montant global des crédits déjà accordés aux requérantes rend impossible toute nouvelle augmentation de leurs encours.
61 Il a été jugé que la pertinence des lettres de refus de constitution de la garantie bancaire doit être évaluée à la lumière de la situation économique objective des requérantes (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 28 juin 2000, Cho Yang Shipping/Commission, point 58 supra, point 43, et du 13 juillet 2006, Romana Tabacchi/Commission, T-11-06 R, non encore publiée au Recueil, point 102) et que, en conséquence, la pertinence de ces lettres ne saurait être exclue, en tant que telle, pour la seule raison de leur faible nombre. Or, en l'espèce, dans la mesure où les requérantes ne contestent pas qu'elles sont rentables, la production d'une seule lettre ne saurait suffire à caractériser l'impossibilité pour les requérantes de constituer une garantie bancaire.
62 De plus, les requérantes allèguent qu'elles ne disposent d'aucun actif susceptible d'être mobilisé immédiatement pour permettre la constitution de cette garantie bancaire.
63 À l'appui de leur allégation, et alors même qu'elles n'excluent pas dans leur demande en référé de pouvoir acquitter l'intégralité de l'amende par le biais des ventes de leurs propriétés en Espagne et en Pologne, elles se contentent de faire référence à une expertise comptable jointe à la lettre du 17 janvier 2007 et concluant à l'incapacité des requérantes de procéder à ces transactions foncières.
64 Or, force est de constater qu'elles n'apportent aucun élément de preuve de nature à démontrer les efforts consentis pour réaliser ces cessions d'actifs. Elles n'ont pas non plus démontré l'impossibilité d'hypothéquer leurs propriétés ou, à tout le moins, la réalisation d'efforts en ce sens.
65 Le juge des référés en déduit que les requérantes n'ont pas démontré à suffisance de droit que ces propriétés ne pourraient pas faire l'objet d'une sûreté aux fins de la constitution de la garantie bancaire requise.
66 En outre, afin d'apprécier la capacité des requérantes à constituer la garantie en cause, il convient, conformément à une jurisprudence constante, de tenir également compte du groupe de sociétés dont elles dépendent directement ou indirectement, notamment pour ce qui est de la possibilité de fournir les sûretés que des banques pourraient réclamer. Une telle exigence tient, d'une part, à l'intérêt public qui s'attache à l'exécution des décisions de la Commission et à la sauvegarde des intérêts financiers de la Communauté et, d'autre part, aux avantages qui peuvent découler, pour ses actionnaires, des éventuels comportements anticoncurrentiels d'une société. Cette prise en considération de la situation du groupe auquel elles appartiennent n'implique aucunement que l'amende ou la responsabilité de l'infraction soit imputée à des tiers (voir ordonnances du 21 juillet 1999, DSR-Senator Lines/Commission, point 45 supra, point 64, et la jurisprudence citée, et Romana Tabacchi/Commission, point 61 supra, point 111).
67 Cette approche repose sur l'idée selon laquelle les intérêts objectifs de l'entreprise concernée ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des personnes, physiques ou morales, qui la contrôlent et que le caractère grave et irréparable du dommage allégué doit donc être apprécié au niveau du groupe que ces personnes composent. Cette coïncidence des intérêts justifie en particulier que l'intérêt de l'entreprise concernée à survivre ne soit pas apprécié indépendamment de l'intérêt que ceux qui la contrôlent portent à sa pérennité (ordonnance du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, point 46 supra, point 50).
68 À cet égard, un simple refus unilatéral d'assistance exprimé par l'actionnaire principal de l'entreprise ne saurait suffire à exclure la prise en compte de la situation financière de l'ensemble du groupe. En effet, l'étendue du dommage allégué ne saurait dépendre de la volonté unilatérale de l'actionnaire principal de l'entreprise (ordonnance du 14 décembre 1999, DSR-Senator Lines/Commission, point 46 supra, point 54).
69 En outre, il convient de constater que les requérantes n'ont pas présenté le moindre élément concernant la situation financière de leurs actionnaires permettant d'apprécier concrètement s'ils possèdent des ressources suffisantes pour se porter caution à leur profit afin de leur permettre de constituer la garantie bancaire requise.
70 En effet, les seules informations fournies par les requérantes concernent IBP Group, dont le lien avec les requérantes n'a pas été décrit dans leur demande en référé. Il ressort cependant des annexes aux observations de la Commission, et plus précisément d'un message électronique des représentants des requérantes à la Commission, que les requérantes sont des entreprises membres d'IBP Group. Ce document permet en outre de comprendre qu'IBP Group constitue seulement l'une des composantes de leur société holding, Pearl Fittings.
71 Or, force est de constater que les requérantes n'apportent aucun élément sur la structure financière et les capacités de paiement de Pearl Fittings. Elles ne fournissent pas davantage d'éléments financiers sur les deux sociétés actionnaires de cette dernière, à savoir, d'une part, Hamsard 3008, ou encore sa société mère Sun Capital Partners, et, d'autre part, Endless LPP, qui puissent permettre au juge des référés de déduire l'impossibilité pour les requérantes de constituer la garantie bancaire requise en prenant notamment en considération les caractéristiques du groupe auquel elles se rattachent par leur actionnariat.
72 En conséquence, il découle de ce qui précède que les requérantes ne sont pas parvenues à établir l'impossibilité de constituer la garantie bancaire requise.
73 À titre surabondant, il convient de constater que certains éléments laissent à penser que les actionnaires des requérantes pourraient venir à leur soutien pour constituer la garantie requise en dépit de leurs allégations.
74 En effet, il ressort des annexes aux observations de la Commission tirées du site Internet des requérantes ou de communiqués de presse de leurs actionnaires que ceux-ci, d'une part, ont investi en mars 2006 une somme de 12,5 millions de livres sterling (GBP) pour refinancer l'activité des requérantes et de l'une de leurs filiales, Europower Ltd, et, d'autre part, qu'ils envisageaient au moment de leur acquisition un niveau d'endettement stabilisé de ces sociétés d'environ 40 millions de GBP ainsi que d'excellentes perspectives commerciales à très brève échéance. À ce titre, un chiffre d'affaires de 145 millions de GBP était espéré pour la société Pearl Fittings en 2007, c'est-à-dire un montant en forte augmentation par rapport à 2005, année où il s'établissait à 80 millions de GBP. La société Pearl Fittings dégage par ailleurs un profit de 4 millions de GBP. En outre, sur la foi de ces annexes, Endless LLP disposerait d'un capital de 100 millions de GBP pour réaliser des investissements capitalistiques alors que Sun Capital Partners disposerait d'un fonds de 3,5 milliards de dollars. Ces chiffres ne sont pas contestés par les requérantes.
75 Il ressort par ailleurs des informations fournies par les requérantes que leur endettement fluctue en deçà de 25 millions de GBP. Il convient aussi de relever que le fond d'investissement Sun Capital Partners est entré dans le capital des requérantes le 18 septembre 2006, soit deux jours seulement avant l'adoption de la décision litigieuse, alors qu'il ne pouvait ou n'aurait dû ignorer le risque qu'une amende leur soit infligée.
76 Il convient encore d'ajouter qu'il ressort des arguments mêmes des requérantes, exposés dans leur demande en référé, que leurs actionnaires sont en mesure de se constituer caution afin qu'elles puissent constituer une garantie bancaire. En effet, les requérantes reconnaissent elles-mêmes que, en vertu des ordonnances DSR-Senator Lines/Commission, point 46 supra, elles ne pourraient obtenir les mesures provisoires demandées. Les requérantes admettent donc implicitement la capacité de leurs actionnaires à constituer cette garantie bancaire en se substituant à elles.
77 S'agissant de la question de savoir si la constitution de la garantie bancaire serait de nature à entraîner la mise en péril de l'existence des requérantes, force est de constater que, dans leur demande en référé, celles-ci se limitent à alléguer que la constitution d'une garantie bancaire leur sera objectivement impossible et que l'exécution forcée de la décision litigieuse mettrait en péril leur existence. Ainsi, les requérantes ne démontrent pas que, à défaut d'octroi de la mesure provisoire demandée, leur existence serait mise en péril du seul fait de la constitution de la garantie bancaire exigée (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 20 octobre 2003, Leali/Commission, T-46-03 R, Rec. p. II-4473, point 54).
78 Il résulte de tout ce qui précède que la condition relative à l'urgence n'est pas satisfaite.
79 Il convient encore d'ajouter que, au vu de l'appréciation du juge des référés concluant à l'absence d'urgence qu'il y aurait à ordonner les mesures provisoires pour les requérantes, notamment en considération des caractéristiques du groupe auquel elles se rattachent, celles-ci n'exposent pas de raisons justifiant de se départir de cette appréciation en ce qui concerne spécifiquement International Building Products France.
80 Toutefois, dans la mesure où le juge des référés a examiné les arguments des requérantes relatifs à l'urgence qu'il y aurait de les dispenser de constituer une garantie bancaire, notamment, sur le fondement de la jurisprudence issue des ordonnances du président de la Cour et du président du Tribunal DSR-Senator Lines/Commission, point 46 supra, suivant laquelle l'appréciation de la situation matérielle des requérantes peut être effectuée en prenant notamment en considération les caractéristiques du groupe auquel elles se rattachent par leur actionnariat, il convient encore d'examiner les arguments des requérantes selon lesquels, en l'espèce, le juge des référés devrait s'écarter de cette jurisprudence au motif qu'elle serait contraire aux principes fondamentaux du droit communautaire.
81 Selon les requérantes, cette jurisprudence, en premier lieu, violerait les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, en deuxième lieu, leur dénierait le droit à un procès équitable et le droit à la présomption d'innocence, au même titre, d'ailleurs, que la simple exigence de constituer une garantie bancaire et, en troisième lieu, ne concorderait pas avec certains droits nationaux du fait qu'un sursis ne serait pas automatiquement accordé en cas de recours ayant trait à une affaire en matière de concurrence.
82 Force est toutefois de constater que les requérantes n'apportent aucun élément sérieux à l'appui de leur thèse selon laquelle il conviendrait, en l'espèce, pour le juge des référés, de se départir de sa jurisprudence, ainsi que de la jurisprudence de la Cour.
83 Il convient en effet, à titre liminaire, de rappeler que la prise en considération des caractéristiques du groupe auquel appartiennent les requérantes, telle qu'elle est imposée par la jurisprudence du juge des référés pour apprécier leur situation matérielle, constitue la contrepartie de la possibilité d'obtenir la suspension de l'obligation de payer une amende qui a été infligée à une entreprise pour violation des règles de concurrence, à laquelle s'ajoute la faculté pour ces entreprises de démontrer que des circonstances exceptionnelles justifient qu'elles soient dispensées de l'obligation de constituer une garantie bancaire. Cette possibilité prend en considération, en particulier, le fait que l'existence d'une infraction auxdites règles n'a pas encore été établie par un tribunal indépendant et impartial et que le montant de l'amende n'est pas définitivement fixé (voir, en ce sens, ordonnance du 15 décembre 2000, Cho Yang Shipping/Commission, point 56 supra, point 92).
84 Au vu des considérations exposées au point 67 ci-dessus à propos du caractère lié des intérêts objectifs des entreprises et de leurs actionnaires, ne pas considérer ces derniers pour apprécier la situation matérielle des requérantes serait compromettre excessivement l'intérêt public qui s'attache à l'exécution d'une décision et à la réalisation des objectifs poursuivis par la décision attaquée. Le risque serait en effet grand qu'un groupe organise l'insolvabilité de l'entreprise destinataire d'une décision lui infligeant des amendes, en l'absence de la constitution d'une garantie bancaire, ce qui la mettrait dans l'impossibilité de régler l'amende une fois que le Tribunal aurait statué au principal. Cet intérêt public ne saurait être remis en cause par la circonstance selon laquelle les actionnaires d'une entreprise destinataire d'une amende estiment qu'il est dans leur intérêt personnel de laisser cette entreprise entamer une procédure de faillite plutôt que de se substituer à elle pour constituer une garantie bancaire.
85 S'agissant, en premier lieu, des arguments des requérantes portant sur les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, il ressort de leurs écritures, bien que de manière peu claire, que, en substance, selon les requérantes, alors que la Commission voit son choix des destinataires de sa décision limité par les règles d'imputabilité des amendes, le juge des référés examinerait dans certains cas la situation financière des actionnaires d'une entreprise sanctionnée par une amende. Or, les requérantes, en recevant la communication des griefs ou même la décision litigieuse, n'auraient pu s'attendre à ce que le juge des référés prenne en compte la capacité financière de leurs actionnaires pour apprécier la possibilité de constituer une garantie bancaire.
86 Il convient de rappeler, premièrement, que le droit de réclamer la protection de la confiance légitime, qui constitue un des principes fondamentaux de la Communauté, s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître chez lui des espérances fondées (arrêt de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens/Commission, 265-85, Rec. p. 1155, point 44, et arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission, T-220-00, Rec. p. II-2473, point 33).
87 Deuxièmement, il convient aussi de rappeler que le principe de sécurité juridique, lequel constitue un principe général du droit communautaire, exige, notamment, que toute réglementation communautaire, en particulier lorsqu'elle impose ou permet d'imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et puissent prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T-43-02, non encore publié au Recueil, point 71).
88 Or, les requérantes n'apportent pas le moindre élément permettant de démontrer que la prise en compte de la situation matérielle du groupe auquel appartient un requérant, aux fins d'apprécier l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant la dispense de l'obligation de constituer une garantie bancaire, méconnaîtrait ces principes.
89 En réalité, les arguments invoqués par les requérantes ignorent la circonstance que la prise en compte par le juge des référés de l'actionnariat des requérantes pour apprécier la possibilité de constituer une garantie bancaire n'implique aucunement que l'amende ou la responsabilité de l'infraction soit imputée à des tiers (voir, en ce sens, ordonnance Romana Tabacchi/Commission, point 61 supra, point 111) ainsi que la circonstance que l'imputabilité des amendes décidée par la Commission ne préjuge pas des circonstances que le juge des référés peut prendre en compte pour apprécier la nécessité de surseoir à une obligation de constituer une garantie aux fins d'éviter le paiement d'une amende.
90 Ces arguments des requérantes doivent donc être rejetés.
91 S'agissant, en deuxième lieu, de la violation alléguée de l'article 6, paragraphes 1 et 2, de la CEDH, il convient de relever que l'article 6, paragraphe 2, UE prévoit que l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis, notamment, par la CEDH, en tant que principes généraux du droit communautaire. Ainsi, les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect (arrêt de la Cour du 18 juin 1991, ERT, C-260-89, Rec. p. I-2925, point 41).
92 Les requérantes invoquent, à cet égard, l'arrêt Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c. Suède, point 49 supra, et notamment son point 120. Selon le point invoqué, " un système qui permet l'exécution forcée du paiement de montants considérables de surtaxes avant qu'une juridiction n'ait statué sur la responsabilité de payer les surtaxes est [...] sujet à critiques et doit faire l'objet d'un examen strict ". Les requérantes, en s'appuyant sur des éléments de doctrine, estiment que cette conclusion peut être extrapolée aux amendes en matière de concurrence.
93 Cependant, même à supposer que cette conclusion soit transposable, elle permettrait tout au plus de démontrer que, dans la mesure où un tribunal indépendant et impartial n'aurait pas encore établi l'existence d'une violation du droit communautaire de la concurrence et où la procédure juridictionnelle destinée à déterminer le montant approprié de l'amende infligée en raison de cette violation ne serait pas encore parvenue à son terme, une obligation de payer l'amende imposée, sans suspension en cas de recours formé devant le Tribunal, pourrait être contraire à l'article 6 de la CEDH ou aux principes fondamentaux correspondants du droit communautaire (voir, en ce sens, les points 118 et 120 de l'arrêt Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c. Suède ainsi que, par analogie, pour ce qui concerne le droit à un procès équitable, les points 98 et 102).
94 Or, il suffit de constater que les requérantes peuvent précisément éviter le paiement de l'amende qui leur a été infligée en constituant une garantie bancaire grâce à la faculté que leur a laissée la Commission elle-même (voir, en ce sens, ordonnance du 15 décembre 2000, Cho Yang Shipping/Commission, point 56 supra, point 64) et que, de surcroît, si elles avaient pu démontrer l'existence de circonstances exceptionnelles, à savoir, notamment, une véritable incapacité de constituer une telle garantie, elles auraient pu obtenir du juge des référés une ordonnance suspendant l'obligation de constituer cette garantie.
95 Il y a donc lieu de rejeter l'argument des requérantes à cet égard, de même que, pour les raisons exposées ci-dessus, celui selon lequel l'exécution forcée de l'obligation de constituer une garantie bancaire durant la période au cours de laquelle l'entreprise condamnée à l'amende a formé un recours contre la décision de la Commission constituerait une infraction au droit à un procès équitable, tel que reconnu à l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH.
96 S'agissant, en troisième lieu, de l'effet suspensif automatique que devraient avoir les recours en matière de concurrence et qui, selon les requérantes, devrait être imposé par la jurisprudence communautaire, il résulte de l'article 242 CE habilitant le juge communautaire à ordonner le sursis à l'exécution de l'acte attaqué, s'il estime que les circonstances l'exigent, que l'introduction d'un recours devant le Tribunal n'a pas d'effet suspensif. Or, comme les requérantes le font remarquer elles-mêmes, l'article 242 CE n'opère pas de distinction entre les recours en matière de concurrence et les autres. Cet argument des requérantes ne saurait donc prospérer. La circonstance que des procédures nationales diffèrent de la règle de droit prévue par le traité n'est pas pertinente à cet égard.
97 Dès lors, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres conditions nécessaires à l'octroi du sursis à exécution sollicité, il convient, conformément à la jurisprudence citée au point 21 ci-dessus, de rejeter la demande en référé.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL
ordonne :
1) La demande en référé est rejetée.
2) Les dépens sont réservés.