CA Versailles, 13e ch., 15 janvier 2004, n° 03-04766
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Becheret Thierry (SCP)
Défendeur :
Industrie Guido Malvestio Spa (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Besse
Conseillers :
Mme Andreassier, M. Deblois
Avoués :
SCP Jullien-Lecharny-Rol, Me Treynet
Avocats :
Mes Popineau, Cathely
La SCP Becheret Thierry ès qualité de Commissaire à l'Exécution du Plan de la société Trigone a interjeté appel le 1er juillet 2003 d'un jugement rendu le 21 février 2003 par le Tribunal de commerce de Nanterre qu'elle avait saisi suivant assignation du 14 septembre 2001 d'une action en annulation de paiements dits préférentiels en période suspecte effectués par la société Trigone actuellement en redressement judiciaire, au profit de son principal fournisseur, la société Industrie Guido Malvestio Spa, et qui l'a déboutée de ses demandes et condamnée aux dépens, aux motifs principaux que :
- les paiements à la livraison concernant quatre factures ne constituaient pas des paiements de dettes non échues au sens de l'article L. 621-107 I 3° du Code de commerce;
- la preuve d'une connaissance par la société Malvestio de l'état de cessation des paiements au sens des articles L. 621-108 et 109 du même Code, n'était pas rapportée à l'époque des autres paiements.
Par conclusions signifiées le 22 septembre 2003, la SCP Becheret Thierry ès qualité conteste d'une part l'échéance des quatre factures réglées par anticipation pour 57 415,34 euro, et d'autre part la méconnaissance de l'état de cessation des paiements de la société Trigone lors des règlements effectués à hauteur de 319 880 euro, en ce compris, un chèque de 315,98 euro, outre subsidiairement en ce qui concerne les quatre factures payées par anticipation. Elle sollicite donc l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour, statuant à nouveau:
- d'annuler ces paiements sur le fondement des articles L. 621-107, 108 et 109 du Code de commerce;
- de condamner en conséquence la société Malvestio à lui payer la somme totale de 377 295,53 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation initiale;
- de lui donner acte de ce qu'elle se réserve la possibilité d'agir à l'encontre de la société Malvestio en réparation d'un soutien abusif;
- d'ordonner la capitalisation des intérêts échus en application de l'article 1154 du Code civil;
- et de condamner la société Malvestio au paiement d'une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions du 20 octobre 2003, la société Malvestio soutient au contraire la confirmation du jugement attaqué et demandé en outre la condamnation de la SCP Becheret Thierry ès qualité au paiement de la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Elle prétend que le paiement par anticipation de quatre factures pour 57 415,34 euro correspondrait simplement à un paiement à la livraison, conforme à la fois aux lois italienne et française et à la convention de Vienne sur les contrats internationaux, ainsi qu'à l'article L. 621-107, s'agissant, selon elle, du paiement de dettes échues. Enfin, pour des motifs semblables à ceux énoncés au jugement, la société Malvestio prétend ne pas avoir eu connaissance de l'état de cessation des paiements de la société Trigone au sens de l'article L. 621-108. A cet effet, elle soutient:
- qu'il n'existe aucun élément permettant formellement de l'établir;
- qu'un contrôle de comptabilité effectué le 21 janvier 2000 ne portait que sur une différence entre compte fournisseur et compte client;
- que les pourparlers relatifs à un projet de participation dans le capital de la société Trigone sont contestés;
- qu'elle a continué à livrer la société Trigone dans le courant de l'année 2000;
- que la banque de la société Trigone lui accordait encore crédit;
- que les autres fournisseurs procédaient de même;
- qu'enfin les pièces produites ne permettent pas de reconstituer avec exactitude les factures et les fournitures relatives aux paiements dont il est sollicité l'annulation,
Motifs
Il est constant que par jugement du 3 août 2000, le Tribunal de commerce de Nanterre a prononcé sur déclaration de cessation des paiements l'ouverture d'une procédure simplifiée de redressement judiciaire à l'égard de la société Trigone. La date de cessation des paiements était provisoirement fixée au 15 juillet 2000. Par un second jugement du 4 octobre 2000, le même tribunal arrêtait un plan de redressement par voie de cession et désignait la SCP Becheret Thierry, ancien représentant des créanciers en sa nouvelle qualité de commissaire à l'exécution du plan, Enfin par un troisième jugement du 16 février 2001, le Tribunal de commerce de Nanterre reportait la date effective de cessation des paiements au 31 décembre 1999, date à laquelle les dettes fournisseurs et les dettes fiscales et sociales s'élevaient à 850 000 euro, pour un compte client de 500 000 euro et des disponibilités de 239 000 euro.
Le principal fournisseur de la société Trigone dans son activité de vente de matériel médical était la société Malvestio, société de droit italien, dont le crédit fournisseur était passé de:
- 690 000 euro au 30 juin 1999,
- à 380 000 euro au 31 décembre 1999,
- et à 190 000 euro au 3 août 2000.
Par ailleurs, les conditions de règlement des factures de la société Malvestio avaient évolué défavorablement pour passer de traites à 90 jours, à paiement comptant, voire anticipé pour quatre factures émises en avril 2000, il apparaissait enfin que la société Malvestio aurait été intéressée au rachat de la société Trigone dans le courant de l'année 1999 et qu'elle avait procédé à un examen de sa comptabilité le 21 janvier 2000.
Ces éléments troublants amenaient la SCP Becheret Thierry ès qualité à tenter de reconstituer l'actif de la société Trigone en engageant donc notamment contre la société Malvestio l'action en annulation de paiements préférentiels en période suspecte sur le fondement des articles L. 621-107, 108 et 109 du Code de commerce, dont elle était cependant déboutée par le jugement dont appel.
Sur l'application de l'article L. 621-107
En droit, sont obligatoirement annulés en vertu de l'article L. 621-107 du Code de commerce, les paiements pour dettes non échues effectués après la date de cessation des paiements.
En l'espèce, quatre factures en dates des 26 avril, 12 et 31 mai 2000 pour un montant total de 57 415,34 euro, portent la mention de "paiement anticipé" avec escompte de 1,5 %. Les paiements en avaient été effectués par virements bancaires entre une et deux semaines avant, à des dates paraissant elles-mêmes correspondre à la livraison effective des matériels commandés.
Pour justifier ce procédé commercial inhabituel, la société Malvestio invoque sa conformité avec les législations italienne et française, ainsi qu'à la convention de Vienne sur le commerce international qui prévoit (art 58) la faculté de payer le prix au moment déterminé lors du contrat. Le tribunal a d'ailleurs reconnu la validité du procédé qu'il a qualifié de paiement à la commande, ce qu'aucune disposition légale n'interdit lorsqu'un fournisseur n'est pas assuré de la capacité financière de son client.
Mais la seule disposition applicable au présent litige est bien celle de l'article L. 621-107 du Code de commerce Français, désormais opposable à la société de droit italien en vertu de l'article 4-2.m) du Règlement CE n° 1346-2000 du 29 mai 2000 sur les procédures d'insolvabilité, en ce qui concerne en particulier les règles relatives à l'annulation des actes préjudiciables à l'ensemble des créanciers.
En l'espèce force est de constater l'absence de convention sur des modalités de paiement différentes de celles que les parties pratiquaient habituellement. Par ailleurs, l'allégation selon laquelle la date de paiement effective correspondait à celle de la livraison effective, ai elle peut paraître vraisemblable, n'est cependant pas établie. Elle est surtout contredite par la mention du " paiement anticipé " figurant en français sur les factures et qui, à la différence du paiement au comptant ou à réception, caractérise bien, à elle seule, le paiement de dettes non échues.
Il y a donc lieu de réformer sur ce point la décision entreprise, d'annuler en conséquence les paiements correspondant aux quatre factures constatant leur paiement anticipé, et de condamner la société Malvestio à payer à la SCP Becheret Thierry ès qualité la somme de 57 415,34 euro avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation introductive d'instance dont il résulte une interpellation suffisante, outre capitalisation annuelle des intérêts échus pour une aimée entière par application de l'article 1154 du Code civil,
Sur l'application des articles L. 621-108 et 109
L'annulation des paiements pour dettes échues effectués après la date de cessation des paiements, suppose la preuve d'une connaissance par le créancier de l'état de cessation des paiements de son débiteur. Cette preuve n'est en l'espèce par rapportée.
Ainsi en effet que l'a retenu le tribunal, les courriers échangés fin 1999 entre la société Malvestio et la société Trigone n'apportent aucune preuve formelle sur la connaissance que pouvait avoir la société Malvestio sur la situation réelle de sa cliente qui lui avait seulement fait part de difficultés n'entraînant cependant aucune interruption de fournitures jusqu'à la fin du mois de mai 2000, le tout avec un compte fournisseur qui devait demeurer quasiment constant depuis le début de l'année 2000 jusqu'à la déclaration de cessation des paiements. Par ailleurs, aucune pièce n'établit l'état d'avancement de pourparlers visant au rachat de la société Trigone qui est contesté par la société Malvestio. Enfin le contrôle sur la comptabilité de la société Trigone ne portait que sur le rapprochement des comptes créditeurs et débiteurs de deux sociétés qui présentaient des écarts.
Il est par ailleurs établi que la société Malvestio disposait encore en avril 2000 d'un crédit suffisant auprès de sa banque pour obtenir son concours à la mise en place d'un crédit documentaire payable à 90 jours. Enfin les autres fournisseurs ont adopté sensiblement les mêmes dispositions que la société Malvestio, à savoir des règlements rapprochés ou garantis démontrant qu'ils connaissaient les difficultés de leur cliente, mais pas son état de cessation des paiements.
L'attitude similaire de la société Malvestio à l'égard de la société Trigone ne suffit pas à rapporter la preuve exigée pour l'application des articles L. 621-108 et 109 précités. Il y a donc lieu de confirmer le jugement sur ce point.
Sur les demandes annexes
La demande de donner acte formée par la SCP Becheret Thierry ès qualité n'est pas susceptible de conférer un droit. Elle est donc sans objet.
Compte tenu de ce qui précède, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie la charge des frais irrépétibles qu'elles ont engagés dans de cadre de cette procédure dont les dépens suivent cependant le principal et incombent donc à la société Malvestio.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Réforme le jugement rendu le 21 février 2003 par le Tribunal de commerce de Nanterre, en ce qu'il a débouté la SCP Becheret Thierry ès qualité de son action au titre de l'article L. 621-107 du Code de commerce, Statuant à nouveau sur ce point, Annule les paiements pour dettes non échues effectués après la date de cessation des paiements pour un montant total de 57 415,34 euro, Condamne cm conséquence la société Industrie Guido Malvestio Spa à payer à la SCP Becheret Thierry ès qualité la somme de 57 415,34 euro avec intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2001 et capitalisation, à partir du 15 septembre 2002, des intérêts échus pour une année entière; Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SCP Becheret Thierry ès qualité de son action au titre des articles L. 621-108 et 109 du Code de commerce; Déboute la SCP Becheret Thierry ès qualité et la société Malvestio de leurs demandes au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société Malvestio aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit des avoués à la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.