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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 27 mai 2004, n° 03-00625

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SECD (SARL)

Défendeur :

John Deere (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Rémery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

Me Bordier, SCP Laval-Lueger

Avocats :

SCP Six-Letartre-Hanicotte, SCP Jeantet & Associés

T. com. Orléans, du 18 déc. 2002 ; T. co…

18 décembre 2002

Exposé du litige:

LA COUR statue sur l'appel de deux jugements du Tribunal de commerce d'Orléans rendus les 18 décembre 2002 et 24 septembre 2003, interjeté par la Société d'Étude, de Conseil et de Distribution (SCED), dont le nom commercial est Europe Mesure, suivant déclarations des 5 février (instance n° 625-2003) et 27 octobre 2003 (n° 2814-2003), les deux instances ayant été jointes par ordonnance du magistrat de la mise en état du 10 novembre 2003, sous le n° 625-2003.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé aux décisions déférées et aux dernières conclusions des parties signifiées et déposées les:

* 11 février 2004 (société John Deere SAS),

* 3 mars 2004 (SCED ou Europe Mesure).

Dans le présent arrêt, il sera seulement rappelé que la société par actions simplifiée John Deere SAS (société John Deere) est la filiale française, ayant son siège et une usine à Fleury-les-Aubrais (Loiret), de la société de droit américain du même nom et a pour spécialité la fabrication de moteurs et la construction de machines agricoles et de travaux publics. La société Europe Mesure, de son côté, est une petite société industrielle établie au Perray-en-Yvelines, avec usine en Indre-et-Loire, qui, à partir des années 1970, s'est spécialisée dans la fabrication de capteurs pour mesurer la vitesse de rotation et bouchons filetés en matière plastique, pièces nécessaires au fonctionnement de certains moteurs.

Après une période comprise entre février 1977 et l'année 1986, au cours de laquelle la société John Deere SAS a contacté ponctuellement la société Europe Mesure pour la fourniture de pièces, les parties ont établi un contrat-cadre le 29 septembre 1986 définissant les conditions générales de leurs relations.

La société John Deere ayant mis fin, dans des conditions litigieuses entre parties, à ces relations suivant lettre du 10 décembre 2001, moyennant un préavis d'un an, la société Europe Mesure a saisi le Tribunal de commerce d'Orléans de diverses demandes de paiement et réparation, sur lesquelles le tribunal, par un premier jugement du 26 juin 2002, a décidé de surseoir à statuer dans l'attente des résultats d'une expertise comptable qu'il confiait, dans le même temps, à M. Le Jéloux.

Après dépôt du rapport de celui-ci, le 12 septembre 2002, le tribunal, par le premier jugement entrepris du 18 décembre 2002, après avoir retenu l'état de dépendance économique de la société Europe Mesure envers la société John Deere, a décidé que celle-ci n'en avait pas abusé, que cette société n'avait pas, non plus, procédé auparavant et de manière abusive à des ruptures partielles de commandes de pièces, mais qu'en revanche, le délai de préavis aurait dû être au moins de deux ans. En conséquence, le tribunal a condamné la société John Deere à payer, à ce titre, à la société Europe Mesure la somme de 191 420 euro, outre celle de 11 441 euro au titre de sa participation à des frais d'études. Les dépens, en ce compris les frais de l'expertise, ont été mis à la charge de la société John Deere, ainsi qu'une indemnité de procédure de 28 000 euro.

Par le second jugement entrepris, du 24 septembre 2003, concernant la récupération par la société John Deere d'outillages à l'issue de la période de préavis, le tribunal, après avoir retenu le droit de propriété de la société John Deere sur certains outillages, l'a autorisée à les reprendre, sans avoir à participer à des frais supplémentaires de réparation. En ce qui concerne la reprise des pièces en stock, le jugement a condamné la société John Deere à récupérer celles qu'il énumère au prix de 36 795 euro, les autres devant être détruites par la société Europe Mesure. Dans cette instance, les dépens ont été mis à la charge de la société Europe Mesure, ainsi qu'une indemnité de procédure.

Cette dernière a relevé appel des deux jugements. Des appels incidents ont été formés.

En cause d'appel, chaque partie a présenté les demandes et moyens qui seront exposés et discutés dans les motifs ci-après.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 10 mars 2004, ainsi que les avoués des parties en ont été avisés.

Motifs de l'arrêt:

I. Sur le jugement du 18 décembre 2002:

Sur l'existence d'un état de dépendance économique de la société Europe Mesure envers la société John Deere et d'un abus éventuel de cette situation par cette dernière:

Attendu qu'au vu des résultats de l'expertise de M. Le Jéloux, il ne peut être contesté qu'à partir de l'année 1996 la part du chiffre d'affaires réalisée par la société Europe Mesure avec le seul client John Deere, dont elle était fournisseur, n'a cessé de s'élever, passant de 47,11 % en 1996, à 59,20 % en 1997, à 75,10 % en 1998, à 72,23 % en 1999, à 81,04 % en 2000 et à 76,78 % en 2001, année de la rupture des relations;

Que, pour autant, la société Europe Mesure ne se trouvait pas, par le fait de la société John Deere, dans une situation de dépendance économique envers sa cliente et qu'en tout cas, celle-ci n'a pas abusé de cette situation, dont elle n'était pas responsable et qui lui a été largement cachée par une société Europe Mesure, particulièrement discrète sur son taux de dépendance envers elle, malgré le volumineux courrier qu'elle lui adresse sur leurs relations, manifestement conflictuelles (il représente près de 40 % de ses communications de pièces en première instance et en appel);

Qu'en effet, il résulte d'abord des pièces au dossier que la société John Deere n'a cessé de solliciter son fournisseur pour connaître sa situation exacte - en termes de dépendance - envers elle et qu'à ces légitimes interrogations, répondant à une préoccupation constante du client soupçonnant un taux supérieur à 30 %, qui lui paraissait exagéré, la société Europe Mesure a toujours adopté un comportement fuyant ; qu'ainsi, le 24 août 1999, la société Europe Mesure refusait d'indiquer par télécopie son taux de dépendance : "en ce qui concerne la part que John Deere représente et représentera dans notre chiffre d'affaires, il est évident que, dans le cadre de notre partenariat, nous vous communiquerons les renseignements qui peuvent vous être utiles. Vous comprendrez toutefois que cela ne peut se faire par fax", mais ce qui n'a pas été fait du tout ; que, dans un message du 19 octobre 2000, faisant état de nouveaux débouchés, elle n'hésitait pas, contre l'évidence, alors que le taux de dépendance constaté en 2000 (plus de 80 %) n'avait jamais été aussi élevé, d'affirmer que, dès 2001, la part de John Deere dans son chiffre d'affaires serait ramenée à 18 %, pour décroître ensuite constamment jusqu'à des taux irréalistes, extrêmement bas de l'ordre de 2 à 3 %; qu'encore, dans un questionnaire retourné en anglais à la société John Deere en juillet 2001, M. Quilcaille, gérant de la société Europe Mesure - qui écrit régulièrement en anglais à la société John Deere, à la société mère de celle-ci ou à d'autres filiales du même groupe - présentait la société John Deere comme son troisième client seulement, alors qu'elle était de loin le premier et que les explications embrouillées données sur ce point, comme sur les précédents, selon lesquelles ces différents documents auraient été, en fait, dictés au fournisseur par le client, pour des raisons obscures tenant notamment aux relations de la société John Deere avec sa société mère américaine, ne justifient pas qu'un chef d'entreprise responsable puisse écrire et prendre à son compte des mensonges sur la situation réelle de son entreprise ou prétendre qu'il n'aurait pas compris la question très simple qui lui était posée sur l'importance respective de ses clients;

Qu'ensuite, la société Europe Mesure s'est elle-même volontairement placée dans l'état de dépendance constaté, sans jamais chercher véritablement à diversifier sa clientèle, alors que rien ne l'en empêchait; qu'ainsi, contrairement à ce qu'elle avance, elle n'était pas contractuellement liée à titre exclusif à la société John Deere et ne peut sérieusement interpréter en ce sens le "point 14" des conditions particulières d'achat du 29 septembre 1986 jointes au contrat-cadre de la même date, qui stipule, sous l'intitulé : "Restriction de diffusion du produit", qu'aucune pièce créée suivant plan John Deere, transcrit sur un plan fournisseur approuvé par John Deere, ne pourra faire l'objet de diffusion par le fournisseur dans un réseau parallèle", disposition contractuelle qui ne concerne que les produits créés pour la société John Deere, et sur les plans de celle-ci ou approuvés par elle, sans interdire, par conséquent, à la société Europe Mesure de concevoir elle-même et proposer des capteurs et bouchons à d'autres fabricants de moteurs;

Que la société Europe Mesure ne peut pas davantage reprocher à la société John Deere de l'avoir empêchée de diversifier ses activités en lui imposant une augmentation de ses capacités de production à son seul profit, alors qu'elle a toujours fait état (sa réponse sur une lettre du 30 janvier 1995 et sa lettre du 31 octobre 1996), sans avoir besoin d'investir, de capacités de production "très largement" supérieures aux quantités purement prévisionnelles indiquées sur cinq ans - de 1997 à 2001 - par la société John Deere, lesquelles ne constituaient pas un engagement ferme définitif comme le précisait déjà le point 2 des conditions particulières d'achat précitées du 29 septembre 1986 sur les "commandes-programme"; que la société Europe Mesure se déclarant elle-même en mesure de faire face, d'ores et déjà, au programme prévisionnel pluriannuel de commandes de la société John Deere et bien au-delà, n'était donc pas obligée de suivre la stratégie aveugle qu'elle a adoptée; qu'elle n'était pas ainsi privée d'alternative et que c'est donc d'une manière délibérée, quoique difficilement compréhensible, qu'elle s'est liée à ce point à la société John Deere;

Que, pas davantage, le fait que la société John Deere ait pu, en vue de rester compétitive, lui demander des baisses de prix ne peut être interprété par la société Europe Mesure comme un abus de sa dépendance; que, non seulement, ces demandes n'apparaissaient pas illégitimes dans un contexte de concurrence, mais qu'encore il est établi par les pièces au dossier qu'à maintes reprises ces demandes n'ont pas été suivies d'effet et que certains prix ont même augmenté; que, par exemple, le prix unitaire du capteur référencé RE 63919 a été augmenté de 1 F àcompter du 1er novembre 1998, après que la société Europe Mesure eut elle-même, dans une lettre du 14 mai 1997, proposé une solution technique pour obtenir un prix plus compétitif de ce capteur, dont l'équivalent (capteur Wabash) était, depuis longtemps, vendu moins cher aux Etats-Unis, où la société John Deere pouvait se fournir directement, solution avantageuse pour elle qu'elle n'a pas cependant suivie, en conservant ses relations avec son fournisseur; qu'ainsi, loin d'apparaître, comme le fait valoir constamment la société Europe Mesure, comme un client imposant systématiquement une politique de prix bas à son fournisseur, la société John Deere a continué à s'approvisionner auprès de lui, parfois au mépris de son propre intérêt ; que le prix d'autres pièces a également subi des hausses, malgré le contexte; qu'ainsi une augmentation a été pratiquée sur la référence CD 16603, passant de 0,42 F en 1998 à 0,67 F en 1999, ainsi que le montre la comparaison des factures; que de même, le prix de la référence RE 500565, qui était de 0,76 F en 1998, est de 0,97 F en 1999 ; qu'ainsi, les exigences en matière de prix de la société John Deere ne caractérisent en rien l'abus de la dépendance économique dans laquelle s'est mise la société Europe Mesure et qu'au contraire des discussions de réajustement avaient lieu en permanence entre les partenaires, dont la société Europe Mesure ne sortait pas systématiquement perdante, comme elle le prétend;

Qu'encore, le fait que la société John Deere n'ait pas respecté de simples prévisions de commandes n'a pas d'incidence particulière, puisqu'il a déjà été dit à cet égard qu'elle n'avait souscrit aucune obligation, surtout sur une période aussi longue, et que la société Europe Mesure se targuait de capacités de production très supérieures à des prévisions qui se caractérisent essentiellement par leur caractère aléatoire ; que si la société John Deere a pu aussi, par lettre du 8 juillet 1997, faire part à son fournisseur de l'ouverture à Torréon, au Mexique, d'une usine John Deere à laquelle la filiale française apporterait son concours, cette ouverture se traduisant " par une augmentation sensible de nos commandes (environ 30 % sur l'année... 1998), dont vous profiterez pleinement", non seulement, cette lettre ne contenait pas, non plus, un engagement particulier de sa part, mais n'impliquait pas davantage de nouvel investissement et la société John Deere ayant, très rapidement (dès le mois de décembre 1997), indiqué à la société Europe Mesure que l'usine de Torréon commençait à s'approvisionner localement pour certaines pièces, la société Europe Mesure n'ignorait pas que ce nouveau débouché, qui n'avait impliqué ni décision d'investissement, ni adaptation de sa part, ne pouvait qu'être précaire; que sa perte progressive a d'ailleurs été, en partie, compensée par une augmentation des commandes internes d'autres produits, le tribunal ayant, à juste titre, contrairement à la tendance de la société Europe Mesure, raisonné globalement, sur l'ensemble des relations fournisseur-client, et non gamme de produits par gamme de produits, ce qui est un non-sens économique, le rapport Le Jéloux montrant que, sur la période considérée, si le chiffre d'affaires "capteurs grande diffusion" a pu connaître une baisse, il n'en a pas été de même pour les autres pièces et "capteurs spéciaux", qui ont connu une augmentation très sensible de 1998 à 2000 ; qu'ainsi, il n'a existé aucun abus de dépendance économique en raison du tarissement des approvisionnements destinés à l'usine de Torréon, ni une rupture partielle abusive de relation commerciale, que la société Europe Mesure voudrait faire constater à chaque fois que les commandes d'un produit particulier diminuent, fût-ce de manière temporaire;

Que, de même, ne caractérise pas une rupture partielle et abusive de la relation commerciale le fait pour la société John Deere d'avoir dû, en mars 1999, remplacer, très partiellement et temporairement, sur certains moteurs de tracteurs fabriqués en Allemagne, un capteur de la société Europe Mesure qui, même conforme au cahier des charges, s'était révélé inadapté pour cette application et à propos duquel la société John Deere souhaitait des modifications techniques ; que le volume global d'achats de capteurs et autres pièces, tous produits confondus, ne s'en est d'ailleurs pas trouvé affecté, le chiffre d'affaires de 2000 étant supérieur à celui de 1998 et 1999, et l'argumentation générale de la société Europe Mesure ne pouvant être suivie pour les raisons déjà indiquées, cette société persistant, en effet, à vouloir isoler certaines de ses fabrications pour faire croire à des ruptures partielles brutales de relations commerciales ;

Que de tout ce qui précède, il résulte que la demande de la société Europe Mesure fondée sur sa dépendance économique n'est pas fondée et que doit être rejeté l'ensemble de ses demandes, détaillées p. 60 de ses conclusions, pour perte de chiffre d'affaires, indemnités de licenciement et perte de la valeur de la société ;

Sur la durée du préavis:

Attendu que les motifs retenus par le tribunal pour considérer que le préavis d'un an accordé par la société John Deere pour la rupture des relations commerciales était insuffisant et justifiait que la société Europe Mesure obtienne une indemnisation à hauteur d'une année supplémentaire de marge brute ne sont pas convaincants; qu'en effet, les relations qui n'étaient, au départ, en 1977, que, ponctuelles, n'ont pris un réel essor qu'à partir de 1986 et ont ainsi, pour leur partie organisée par un contrat-cadre, duré environ 15 ans; que, contrairement à ce qu' a décidé le tribunal, il n'existait aucune exclusivité, de sorte que la société Europe Mesure avait toute liberté pour assurer la diversification de ses produits et activités; que, compte tenu des relations commerciales antérieures entre parties, la durée d'un an était suffisante; que les précédents mentionnés par le jugement (p. 16) en faveur d'un préavis supérieur ne sont pas plus probants que d'autres, tel celui résultant d'un arrêt de la Cour d'appel de Riom ayant donné lieu à un récent arrêt de rejet de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 mai 2004 (pourv. n° E 01-12.865, en cours de publication, société ABCG Participations c/ Auchan France) qui, pour une relation d'approvisionnement, tous contrats confondus, ayant duré 8 ans, retient un préavis de 6 mois;

Que, de ce chef le jugement sera infirmé;

Sur les arriérés:

Attendu qu'à ce titre, la société Europe Mesure sollicite les sommes suivantes (p. 52 à 56):

* pertes sur prix des capteurs RE 63919 et 505989 : 884 798,12 F

* solde des frais d'étude : 252 924 F

* frais d'ébavurage des carcasses de capteurs : 189 000 F

* pertes sur jauges à huiles : 179 810,84 F

* pertes sur bouchons RE 52977 : 49 391,68 F

* pertes de corps RE 23375 : 11 000F

* pertes sur bouchons RE 501938 : 18 434,43 F

= 1 585 359,07 F ou 241 686,43 euro

Attendu, premièrement, en ce qui concerne le prix des capteurs RE 63919 et 505989, qu'il n'est produit aucun engagement de la société John Deere de compenser systématiquement les résultats, éventuellement défavorables pour la société Europe Mesure, de l'évolution du cours du dollar, dont, au demeurant l'expert judiciaire a montré le caractère globalement négligeable dans le coût de revient des capteurs (p. 11 du rapport d'expertise), alors que c'est justement en fonction de cet élément que la société Europe Mesure avait souhaité une revalorisation;

Que, par ailleurs, sans y être tenue, la société John Deere, à plusieurs reprises, a accepté des augmentations de prix pour tenir compte de ce facteur, mais en partie seulement, de sorte que la société John Deere, de son côté, ne peut prétendre, de ce chef par la voie d'un appel incident (p. 16 des conclusions), à une répétition d'indu, sans démontrer, ce qu'elle ne fait pas, que les augmentations de prix qu'elle invoque avaient pour base exclusive l'évolution du cours du dollar et la part que celui-ci étant censé représenter dans le coût de revient des produits concernés;

Attendu, deuxièmement, en ce qui concerne les frais d'étude, que de la comparaison des écritures des parties, il résulte que le montant de ces frais s'est élevé à 623 534 F et que la société John Deere l'a réglé à concurrence de 370 609,60 F (p. 53 des conclusions de la société Europe Mesure), ainsi que l'expert judiciaire l'a aussi constaté; que ce paiement a eu lieu sans contestation de la part de la société John Deere, même si celle-ci, le 16 novembre 1999, avait décidé de ne régler que la moitié ; que, dès lors, en l'absence de toute autre preuve que celle résultant du paiement spontanément effectué par la société John Deere et de sa confirmation partielle par le document du 16 novembre 1999, la société Europe Mesure ne peut prétendre au règlement de la totalité des frais d'études, de même que la société John Deere ne peut prétendre être remboursée d'un trop-perçu;

Attendu, troisièmement, en ce qui concerne les frais d'ébavurage, que dans un courrier adressé à la société John Deere par la société Europe Mesure, le 23 octobre 2001, celle-ci reconnait avoir perçu une réparation à ce titre, en l'estimant dérisoire, mais sans pour autant donner, dans ses conclusions, les éléments de son calcul ; que la demande de paiement d'une somme de 189 000 F sera rejetée;

Attendu, enfin, en ce qui concerne les autres pertes subies sur des jauges à huile, bouchons, corps... à cause de l'outillage, que, là-encore, la société Europe Mesure procède par voie d'affirmation pour prétendre à une indemnisation complémentaire non compensée par les différentes mesures financières proposées et exécutées par la société John Deere, comme l'augmentation des prix de certaines pièces, la reprise des stocks à un prix majoré pour tenir compte de la vétusté de l'outillage, comme l'a retenu le jugement entrepris ; que, sur ces différents points, les demandes de la société Europe Mesure seront rejetées, sauf à donner acte, sur les pertes de corps, de l'engagement de la société John Deere de régler la somme de 838,47 euro (p. 21 de ses conclusions) sur facture à elle adressée par la société Europe Mesure et, au besoin, à la condamner à payer cette somme après réception de la facture correspondante;

II. Sur le jugement du 24 septembre 2003:

Attendu que cette décision a statué sur le sort de l'outillage; que, compte tenu du sens de la présente décision et le préavis étant aujourd'hui achevé - étant observé qu'auparavant la société Europe Mesure ne sollicitait pas sa prorogation, mais la réparation du préjudice que son insuffisance lui aurait causé - rien ne s'oppose à ce que la cour statue sur la demande de la société John Deere tendant à récupérer l'outillage;

Qu'aux termes du point 10 des conditions particulières d'achat déjà évoquées du 29 septembre 1986, l'outillage est la propriété de la société John Deere qui assume la charge de son renouvellement; que celle-ci est ainsi fondée, à l'issue du délai de préavis, à récupérer l'outillage, dont les différents éléments, au nombre de 19 seulement - et non "l'intégralité des outillages d'Europe Mesure", selon la formule de la p. 64 des conclusions de celle-ci, ont été indiqués précisément dans sa lettre du 26 novembre 2002 et repris, dans un autre ordre, dans la liste figurant au jugement déféré (pages 6 & 11), lequel outillage ne sert qu'à la fabrication de pièces destinées à la société John Deere et n'étant détenu par la société Europe Mesure qu'à cette fin ; que celle-ci, pour s'opposer à cette restitution, alors qu'elle est liée par une clause d'exclusivité sur ces seules pièces, comme il a été dit, non seulement ne peut ainsi prétendre qu'elle serait privée de son outil de travail, mais ne peut non plus se prévaloir des dispositions de l'article 2279 du Code civil, alors qu'elle n'est pas possesseur, au sens de ce texte, de l'outillage mis à sa disposition par son client pour le travail à réaliser pour le compte de ce dernier; que, pas plus, le fait que l'outillage mentionnerait parfois le nom d'Europe Mesure, ne peut, compte tenu des dispositions contractuelles existant entre parties, s'analyser comme une reconnaissance par la société John Deere du prétendu droit de propriété de la société Europe Mesure ; qu'encore, contrairement à ce que soutient cette société, en raison de la complexité de chaque outillage, ce ne sont, compte tenu de la liste des immobilisations de la société John Deere et surtout de la liste très précise qui était jointe à sa demande de restitution du 26 novembre 2002, que certaines parties de l'outillage qui sont visées et non pas la totalité, et exclusivement ceux que la société John Deere a payés; que, par exemple, pour le capteur référencé RE 23375 - conçu en 1985, donc avant l'accord-cadre, mais qui appartient aussi à la société John Deere, comme l'indique la proposition de prix que lui avait faite la société Europe Mesure - la société Europe Mesure fait état de 9 éléments d'outillage (p. 69 de ses conclusions), alors que la société John Deere n'en évoque que trois en p. 49 de ses conclusions, conformes à sa lettre du 26 novembre 2002 ; qu'il en est de même pour tous les autres exemples cités où, de manière systématique, la société Europe Mesure fait état de la totalité de l'outillage, en feignant de croire que la demande de restitution ne serait pas limitée à ce qui a été payé par la société John Deere; qu'enfin le fait que l'un des capteurs, RE 23375, et lui seul, ait pu donner lieu à dépôt d'un modèle (n° 855823) ne préjuge en rien de la propriété de l'outillage pour le fabriquer, seule la reproduction du modèle par l'emploi de l'outillage étant susceptible, sous réserve de la validité du modèle, question qui n'est pas en cause dans la présente instance, d'ouvrir une action au bénéfice de la société Europe Mesure ; que, par conséquent, c'est à juste titre que le tribunal a accueilli la demande de restitution limitée présentée par la société John Deere, laquelle a déjà eu lieu le 26 novembre 2003, ainsi qu'il résulte d'un constat d'huissier dressé par Me Demange;

Que seule demeure litigieuse à ce titre l'exécution de la restitution de deux outillages, de découpage et formage de languettes et de fabrication de lame de jauge à huile ; que cette restitution n'a pas eu lieu, la société Europe Mesure indiquant que le premier serait entre les mains de la société Jumbosolenoïd facturing Co, Ltd, établie à Taïwan qui n'accepterait de le restituer qu'à la condition qu'on lui reprenne le stock de languettes (26.450), ce qui ne résulte pas cependant de la lettre en anglais de cette entreprise jointe au constat d'huissier du 26 novembre 2003 qui se borne à faire état de l'existence d'un stock sans subordonner spécialement la restitution de l'outillage à la reprise des pièces ; que le second appartiendrait, selon la société Europe Mesure, à la société suisse Vogt, alors qu'il s'agit, d'après les pièces au dossier, de l'outillage destiné à la fabrication du capteur RE 38028, qui figure dans la liste jointe à la lettre du 26 novembre 2002 et dont le coût a été réglé par la société John Deere en 1989 pour un montant global de 215 600 F ; qu'il conviendra de restituer ces deux outillages;

Attendu que la société Europe Mesure réclame aussi la somme de 3 847,17 euro correspondant au surcoût de fabrication lié à l'absence de réparation des outillages objets de la demande de restitution; que, cependant, la société John Deere n'a jamais donné son accord pour ces réparations, et l'a même expressément exclu en raison de la prochaine expiration du préavis, demandant, par sa lettre du 4 mars 2002, à la société Europe Mesure de faire fonctionner l'outillage concerné sur trois empreintes et assumant les conséquences des risques de détériorations des pièces qui pourraient en résulter; que, par conséquent, la société Europe Mesure n'avait pas à prendre l'initiative d'une réparation et que, par ailleurs, ainsi qu'il a déjà été dit d'une manière générale à propos de l'outillage, ce que confirme aussi le courrier du 4 mars 2002, une compensation financière est déjà intervenue sous la forme d'une augmentation de prix; que le jugement sera confirmé sur ce point;

Attendu, enfin, que le jugement entrepris a enjoint à la société John Deere de reprendre le stock de pièces existant pour un prix de 36 795 euro, lesdites pièces étant celles fabriquées avec les outillages repris, les autres pièces en stock étant détruites; que s'il résulte de la procédure et n'est pas contesté par les parties que la demande concernant la reprise du stock n'avait été présentée par personne, la société John Deere n'entend pas obtenir l'infirmation du jugement sur ce point, mais seulement la fixation du prix de reprise à une somme moindre, d'où sa demande de remboursement d'un trop-perçu de 7 515,31 euro; que, cependant, si elle estimait que le prix demandé de 36 795 euro était excessif il appartenait à la société John Deere de ne pas le régler, rien dans le jugement n'indiquant que la reprise de l'outillage - qui aurait d'ailleurs pu être différée jusqu'à ce que la cour se prononce dans un délai très raisonnable, sept mois exactement après la déclaration d'appel concernant le second jugement - était subordonnée à celle du stock et rien n'obligeant la société John Deere à exécuter un jugement frappé d'appel, dès lors que, sur ce point, la société Europe Mesure ne se prévalait pas de l'exécution provisoire; que sa demande de remboursement de la somme de 36 795 euro sera donc rejetée;

Que s'il résulte encore du jugement que celui-ci, alors que personne ne le demandait, a ordonné la destruction du stock non repris, là-encore, la cour observera que la société Europe Mesure, cette fois, n'avait qu'à refuser d'exécuter un jugement qu'elle avait frappé d'appel et dont personne ne lui demandait l'exécution ; qu'à ce sujet, contrairement à ce que soutient la société Europe Mesure, en p. 76 de ses conclusions, il n'est pas démontré que le représentant de la société John Deere ait, en présence de son huissier de justice, le 26 novembre 2003, exigé cette destruction, ce qui ne résulte pas en tout cas du constat qui se borne à faire état d'une discussion sur le caractère standard ou non des pièces non reprises et des protestations et réserves du gérant de la société Europe Mesure sur leur éventuelle destruction ; que le procès-verbal, liminairement, n'évoque nullement cette destruction comme objet de la mission de l'huissier ; que la demande d'indemnisation formée à ce titre, pour la somme globale de 115 482 euro, par la société Europe Mesure sera donc rejetée;

Sur les dommages-intérêts pour procédure ou résistance abusives:

Attendu que le sens du présent arrêt conduit au rejet des demandes formées par la société Europe Mesure;

Sur les dépens et le remboursement des frais hors dépens:

Attendu que c'est la société Europe Mesure qui succombe sur l'essentiel de ses prétentions ; qu'elle supportera donc les entiers dépens de première instance, à raison des deux jugements, et d'appel, en ce compris les frais de l'expertise;

Qu'elle sera également tenue de rembourser à la société John Deere SAS une partie des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens, que la cour fixe à la somme de 9 000 euro pour les deux degrés de juridictions;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : * En ce qui concerne le jugement du 18 décembre 2002 : Le confirme en ce qu'il a rejeté toutes demandes de la société d'Étude, de Conseil et de Distribution (SCED), dite Europe Mesure, fondées sur l'existence d'un état de dépendance économique de celle-ci envers la société John Deere SAS ainsi que sur l'existence de ruptures partielles et abusives de commandes ; Rejette, en conséquence, la demande de la société Europe Mesure tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour perte de chiffre d'affaires, indemnités de licenciement et perte de la valeur de la société ; L'infirme en ce qui concerne la durée du préavis et Dit suffisant celui d'un an accordé par la société John Deere SAS; Rejette, en conséquence, la demande de la société Europe Mesure tendant à l'allocation d'une somme destinée à réparer une insuffisance de préavis et La condamne à rembourser à la société John Deere la somme de 191 420 euro allouée de ce chef par le premier juge et payée au titre de l'exécution provisoire; Rejette la demande de la société Europe Mesure tendant à l'allocation d'une somme de 884 798,12 F (134 886,60 euro) pour revalorisation insuffisante, en fonction du cours du dollar, du prix des capteurs RE 63919 et RE 505989, Mais rejette aussi la demande reconventionnelle de remboursement du trop-perçu formée, à ce titre, par la société John Deere SAS ; Rejette la demande de la société Europe Mesure tendant au paiement d'un solde de frais d'études, Mais rejette aussi la demande reconventionnelle de remboursement du trop-perçu formée, à ce titre, par la société John Deere SAS, sauf à condamner la société Europe Mesure à lui rembourser la somme de 11 441,10 euro allouée par le premier juge et payée au titre de l'exécution provisoire; Rejette la demande de la société Europe Mesure en paiement de frais d'ébavurage de carcasses de capteurs; Rejette ses demandes pour pertes sur bouchons, jauges à huiles et corps, sauf sur ce dernier point, à Donner acte à la société John Deere SAS de son engagement de payer sur facture la somme de 838,47 euro et, en tant que de besoin, à condamner la société John Deere SAS à payer cette somme après réception de la facture; * En ce qui concerne le jugement du 24 septembre 2003 : Le Confirme en ce qu'il a reconnu le droit de propriété de la société John Deere SAS sur les parties d'outillages référencées en annexe de sa lettre du 26 novembre 2002, en ce qu'il a ordonné leur restitution à la société John Deere SAS et en ce qu'il a rejeté la demande de la société Europe Mesure en paiement d'une somme de 3 847,17 euro correspondant au surcoût de fabrication lié à l'absence de réparation des outillages objets de la demande de restitution; Constate qu'en exécution provisoire du jugement entrepris, la société Europe Mesure a restitué le 26 novembre 2003 tous les outillages référencées ci-dessus, à l'exception de l'outillage de découpe et formage des languettes (liste du 26 novembre 2002, troisième colonne, 4e ligne) destiné aux capteurs RE 43511, RE 63019 et RIE 505989 et de l'outillage de fabrication de lame/languette de jauge à huile (même liste, 7e ligne) destiné au capteur RE 38028; Ordonne à la société Europe Mesure de restituer ces deux outillages à la société John Deere SAS; Donne Acte à la société John Deere SAS de ce qu'elle ne demande pas l'infirmation du jugement en ce qui concerne son obligation de reprendre le stock de pièces fabriquées avec les outillages restitués et Rejette sa demande tendant au remboursement d'une somme de 36 795 euro sur le prix de reprise du stock ; Rejette la demande de la société Europe Mesure en paiement d'une somme globale de 115 482 euro correspondant à la valeur du stock de pièces non reprises qui aurait été détruit; Rejette toutes demandes de dommages-intérêts pour procédure ou résistance abusives; Dit que l'ensemble des dépens de première instance, à raison des deux jugements, et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, sera supporté par la société Europe Mesure et La condamne à verser à la société John Deere SAS la somme globale de 9 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en remboursement des frais hors dépens exposés tant devant le tribunal que la cour d'appel; Accorde à la SCP Laval-Lueger, titulaire d'un office d'avoué, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.