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Décisions

Conseil Conc., 28 mars 2007, n° 07-D-11

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Pratiques mises en œuvre à l'occasion de marchés publics de travaux routiers passés par le Conseil général de la Marne, la ville de Reims et le district de Reims

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Mouzon, par Mme Aubert, Vice-Présidente présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Mader-Saussaye, membres.

Conseil Conc. n° 07-D-11

28 mars 2007

Le Conseil de la concurrence (section IV),

Vu la lettre enregistrée le 11 mars 2002, sous le numéro 02/0040 F, par laquelle le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre à l'occasion de marchés publics de travaux routiers passés par le Conseil général de la Marne, la ville de Reims et le district de Reims ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié et le décret 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Colas-Est, Screg-Est, Smac Aciéroïd, Eurovia Lorraine, Routière Morin Marne venant aux droits et obligations des sociétés SCR Marne et Routière Morin, Champagne Travaux Publics, Gorez frères et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les sociétés Colas-Est, Screg-Est, Smac Aciéroïd, Eurovia Lorraine, Routière Morin Marne venant aux droits des sociétés SCR Marne et Routière Morin, Champagne Travaux Publics entendus lors de la séance du 14 février 2007 et les sociétés Gorez frères et Robert Morin ayant été régulièrement convoquées ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Onze marchés à bons de commande ont été passés, à partir des années 1996-1997, par le Conseil général de la Marne, la ville de Reims et le district de Reims pour des marchés annuels et triennaux destinés à fournir et à mettre en œuvre des matériaux courants de voirie. Ainsi :

* le Conseil général de la Marne a lancé trois marchés (ci-après marchés 1, 2 et 3), couvrant les années 1997 à 2002, pour le renouvellement des couches de surface sur les routes du département ;

* la ville de Reims a lancé cinq marchés (ci-après marchés 4 à 8) de travaux de voirie (travaux de chaussées, travaux de trottoirs et parkings, entretien de voirie, de réfection de chaussées), s'étalant de 1997 à 2002 ;

* enfin, le district de Reims a lancé trois marchés (ci-après marchés 9 à 11) concernant des travaux de voirie, s'étalant de 1997 à 2003.

A. LE SECTEUR D'ACTIVITE

1. LES PRODUITS NECESSAIRES AUX TRAVAUX DE VOIRIE

2. Dans le cadre des différents travaux routiers, plusieurs types de matériaux peuvent être utilisés, tels que les enrobés bitumineux, l'asphalte naturel et les divers matériaux de pavage.

3. Les enrobés bitumineux sont constitués d'un mélange de bitume (environ 5 %) et de granulats concassés, utilisés notamment par les entreprises de bâtiment et de travaux publics lors de la réalisation de chantiers de construction, d'agrandissement, d'entretien ou de réfection d'infrastructures routières et de voirie. Les matériaux peuvent également être utilisés pour la construction de trottoirs. Dans ce dernier cas, le trottoir sera constitué d'un terrassement, d'un lit de sable et d'un revêtement en enrobés.

4. Les enrobés bitumineux à chaud sont fabriqués, dans des centrales d'enrobage, à partir de granulats, de bitumes purs et de chaux. L'exploitation des centrales de production fixes ou mobiles (installées dans ce dernier cas à proximité des gros chantiers qui utilisent directement les enrobés produits) est soumise à autorisation administrative, conformément aux dispositions de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.

5. Le béton bitumineux est une catégorie particulière d'enrobés bitumineux destinée à l'entretien des surfaces de voirie et à la réalisation de couche de roulement de chaussées neuves.

6. L'asphalte est un mélange de bitume (de 7 à 14 %), de fines calcaires ou siliceuses (20 à 75 %), de sable et de gravillons. Il est essentiellement utilisé pour le revêtement des trottoirs. Pour réaliser un trottoir en asphalte, la couche d'asphalte est appliquée après avoir, au préalable, posé un terrassement, une couche de grave et une épaisseur de béton.

7. Le pavage est un revêtement généralement constitué de dalles en cailloux lavés ou en pierres naturelles.

2. LES DIFFERENTS TYPES DE TRAVAUX DE VOIRIE

8. Parmi les différents travaux de voirie, une distinction peut être opérée entre :

* les travaux de chaussées, qui regroupent, la construction, l'entretien et les grosses réparations de chaussées, le renouvellement des couches de surface sur les routes, le transport et la mise en œuvre de béton bitumineux sur les routes, les travaux d'assainissement (pose de canalisations, la reconstitution de chaussées en tranchée etc.) et les travaux dits de dépendance (abattage et l'essouchement des arbres, dégazonnement, dévasement d'accotement etc.) ;

* les travaux de construction ou de réfection de trottoirs et parkings, dans le cadre desquels il est également fait recours aux matériaux précédemment cités (enrobés bitumineux, asphalte naturel et matériaux de pavage) ;

* les travaux de viabilité hivernale consistant principalement dans la réalisation des travaux de déneigement et de "déverglaçage".

9. Les marchés de travaux routiers sont essentiellement des marchés de proximité à clientèle multiple et très dispersée sur le territoire (directions départementales de l'équipement, conseils généraux, communes, sociétés d'autoroutes, clients privés). Les entreprises routières sont constituées d'entreprises de dimension nationale ou régionale, disposant d'agences implantées localement, et par une multitude de petites entreprises locales, le plus souvent familiales.

3. LES ENTREPRISES CONCERNEES PAR LA PRESENTE AFFAIRE

* La société Colas-Est

10. Cette société, appartenant au groupe Bouygues, dispose de 22 établissements sur le grand Est dont deux dans la Marne (Reims et Chalons)

* La société Screg-Est

11. Cette société, qui appartient au groupe Bouygues, dispose de 21 établissements sur le grand Est avec trois sites principaux dans le département de la Marne (Reims, Chalons et Epernay).

*La société Smac Aciéroïd

12. Cette société, appartenant également au groupe Bouygues, dispose de 57 établissements sur l'ensemble du territoire national et détient une agence dans le département de la Marne, à Reims.

* La société Eurovia Champagne Ardenne Lorraine (ci-après Eurovia CAL)

13. Cette société a été créée en 1998 par la fusion des activités des deux sociétés Viafrance et Cochery Bourdin Chaussé (ci-après CBC). La société Eurovia CAL appartient au groupe Vinci. Elle dispose de 15 établissements dont deux dans le département de la Marne : une agence à Reims (ex-CBC) et une à Vitry-le-François (ex-Viafrance). Par ailleurs, depuis janvier 2001, Eurovia CAL exploite, en location gérance, l'agence de Reims de la société en nom collectif Entreprise Jean Lefebvre Champagne Ardenne (ci-après EJL). En 2004, la société Eurovia CAL a changé de dénomination, devenant Eurovia Lorraine (ci-après Eurovia).

* La société SCR Marne

14. Cette société en nom collectif, filiale du groupe Appia, a exercé son activité de manière indépendante entre 1997 et le 30 avril 2002. Elle a ensuite été absorbée par la société Appia Champagne le 1er mai 2002. Le 1er janvier 2003, le fonds de commerce de Appia Champagne (après absorption), provenant de SCR Marne a été revendu à la société Routière Morin Marne. SCR Marne dispose d'un seul établissement à Reims.

* La société Routière Morin

15. Cette société, indépendante jusqu'en 2001, appartenait au groupe Générale Routière. Le 21 janvier 2002, la société a été rachetée par le groupe Appia. Le 20 novembre 2002, les fonds de commerce des deux agences (Reims et Vitry-le-François) ont été apportés à une société nouvellement créée, Routière Morin Marne.

* La société Champagne Travaux Publics (ci-après CTP)

16. Cette entreprise est une société indépendante qui dispose d'un établissement à Reims. ????La société Gorez frères

17. Cette société, présidée par M. Henri Gorez, est une entreprise locale qui dispose d'un établissement dans la Marne, à Reims.

* La société Robert Morin

18. Cette société à responsabilité limitée, qui avait pour gérante Mme Ghislaine Gorez, est désormais gérée par M. Jean-Luc Gorez. Il s'agit d'une entreprise locale, qui dispose d'un établissement à Reims.

4. LES CENTRALES D.ENROBAGE PRESENTES DANS LE DEPARTEMENT DE LA MARNE

19. Dans le département de la Marne, les centrales d'enrobage, chargées de la fabrication des enrobés bitumineux nécessaires aux travaux de voirie sont détenues par les entreprises routières soumissionnaires aux travaux. Dans la Marne, les besoins sont couverts par les centrales fixes, sans avoir recours aux postes d'enrobage mobiles. Chaque entreprise routière s'approvisionne auprès des centrales les plus proches géographiquement du chantier qu'elles exécutent, et ce dans un rayon maximum de 40 km.

20. Le tableau ci-après retrace les différentes centrales d'enrobage présentes dans le département de la Marne, les entreprises qui en sont propriétaires et, enfin, la répartition du capital au sein de ces centrales.

<emplacement tableau>

21. Deux centrales d'enrobage, détenues par la société Screg-Est, sont situées à l'extérieur du département de la Marne, mais à moins de 40 km de certaines villes du département. La centrale SER se situe ainsi à 40 km de Reims et la centrale LEVH, à 40 km d'Epernay.

B. LES MARCHES CONCERNES ET LES PRATIQUES RELEVEES

1. LES MARCHES LANCES PAR LE CONSEIL GENERAL DE LA MARNE

a) Description des marchés

Le marché 1 relatif au renouvellement des couches de surface sur les routes départementales de la Marne (1997-1999)

22. Le conseil général de la Marne a lancé le 14 mai 1997 un appel d'offres pour la fourniture, le transport et la mise en œuvre de matériaux bitumineux pour le renouvellement des couches de surface sur les routes départementales de la Marne. Conclu pour l'année 1997, ce marché à bons de commande, reconduit en 1998 et 1999, était composé de cinq lots. La date limite de remise des offres était fixée au 18 juin 1997.

23. Le tableau ci-dessous retrace, pour chacun des lots, la liste des soumissionnaires, des attributaires, ainsi que les travaux effectivement réalisés par les entreprises.

<emplacement tableau>

24. Pour mémoire, le tableau ci-dessous retrace les soumissions, attributaires et réalisations effectives du marché annuel précédent, concernant également le renouvellement des couches de surface, lancé en 1996

Le marché 2 relatif au renouvellement des couches de surface sur les routes départementales de la Marne (2000-2002)

25. Le marché 2 avait pour objet la fourniture, le transport et la mise en œuvre de matériaux bitumineux. Il s'agissait d'un marché à bons de commande conclu pour l'année 2000 et renouvelé en 2001 et 2002. Il faisait suite au marché 1 (marché triennal 1997 - 1999) et était également composé de cinq lots.

26. Une première consultation par appel d'offres ouvert a été lancée le 28 décembre 1999. Le 21 mars 2000, la commission d'appel d'offres, à l'issue de l'analyse des offres, a estimé que la concurrence n'avait pas joué pleinement et a décidé de ne pas donner de suite à cet appel d'offres. Elle a considéré qu"En effet, les travaux ne nécessitaient pas un groupement d'entreprises sur chaque lot" et que les entreprises soumissionnaires étaient aptes tant en matériel qu'en moyens humains à réaliser les travaux.

27. Une seconde consultation a ainsi été lancée le 30 mars 2000, sous la forme d'un appel d'offres restreint. Le tableau ci-dessous reprend la liste des soumissions reçues lors des deux consultations, les attributaires et les parts de travaux effectivement réalisés :

<emplacement tableau>

Le marché 3 relatif aux travaux de la chaussée, d'assainissement et de dépendances sur les routes départementales de la Marne (1999-2001)

28. Le Conseil général a lancé une première consultation le 9 mars 1999 pour la réalisation de travaux de chaussées, d'assainissement et de dépendances sur les routes départementales de la Marne. Il s'agissait d'un marché triennal à bons de commande lancé par le biais d'une procédure d'appel d'offres ouvert. Conclu en 1999, il a été reconduit en 2000 et 2001.

29. Le 20 avril 1999, la commission d'appel d'offres, à l'issue de l'analyse des soumissions, a déclaré l'appel d'offres infructueux pour insuffisance de concurrence et a décidé de mettre en place un appel d'offres restreint. Une seconde consultation a donc été lancée le 21 mai 1999, la date limite de dépôt des candidatures ayant été fixée au 17 juin 1999. Le marché était également divisé en cinq lots.

<emplacement tableau>

b) Les pratiques relevées

30. Les indices suivants d'une répartition préalable des marchés 1, 2 et 3 entre les entreprises Screg-Est, Colas-Est, Eurovia, SCR Marne et EJL ont été relevés :

1. Les réponses en groupements, le recours à la sous-traitance et l'absence de travaux réalisés par certains membres des groupements attributaires

31. Sur l'ensemble des trois marchés, les soumissionnaires, notamment les filiales de groupes nationaux, ont eu recours aux groupements ou à la sous-traitance.

Marché 1

32. S'agissant du marché 1, pour les cinq lots le composant, à l'exception de l'entreprise Routière Morin, les entreprises Screg-Est, Colas-Est, EJL, Viafrance, CBC (Eurovia) et SCR Marne ont systématiquement répondu en groupement (en formant deux groupements), alors que les offres présentées pour le marché précédent de 1996 étaient individuelles et que l'ensemble des travaux a été exécuté de manière autonome par l'entreprise attributaire.

Marché 2

33. Il a été constaté que sur les lots Nord, Centre et Ouest, EJL et Colas-Est n'exécutaient véritablement de travaux que pour les lots attribués au groupement dont elles étaient mandataires. Ainsi, s'agissant du lot Nord, EJL a réalisé 98,4 % des travaux, une part infime du lot Ouest (1,5 % environ) et n'est pas intervenue pour le lot Centre. Colas-Est, quant à elle, a exécuté pour plus de 97 % des prestations du lot Ouest avec une intervention négligeable pour le lot Nord (moins de 1 %) et nulle pour le lot Centre. Screg-Est a réalisé quant à elle l'intégralité des travaux du lot Centre.

Marché 3

34. Pour le marché 3, il a été noté un recours quasi-systématique à la sous-traitance par des entreprises d'envergure nationale, qui sont devenues chacune attributaire d'un lot pour lequel elles ont réalisé, souvent de manière autonome, l'intégralité des travaux. Ainsi, Screg-Est pour le lot Centre, SCR Marne pour le lot Nord-Est, Colas-Est pour le lot Ouest et enfin Routière Morin pour le lot Sud-Est ont exécuté chacune de manière autonome les travaux relatifs à ces lots, alors qu'elles avaient soumissionné en faisant appel à la soustraitance ou en groupement. Pour le lot Nord, Routière Morin a finalement réalisé 67 % du marché.

2. La reconduction d'entreprises précédemment attributaires des marchés

35. Sur certains lots des marchés 1, 2 et 3, il a été noté une reconduction quasi-systématique de certaines entreprises précédemment attributaires. Ainsi,

* Screg-Est, titulaire du lot Centre en 1996, a été reconduite dans ce lot lors du marché 1 (réalisation effective à hauteur de 66,3 %), ainsi que, en totalité, lors des marchés 2 et 3 ;

* Screg-Est, titulaire du lot Nord en 1996, a été reconduite dans ce lot lors du marché 1 (à hauteur de 57,4 %). En 2000 (marché 2) cependant, EJL, en groupement, lui a succédé en exécutant 94 % des travaux ;

* SCR Marne, titulaire du marché Nord-Est en 1996, a été reconduite dans ce lot lors des marchés 1, 2 et 3.

36. Sur les lots Ouest et Sud-Est, en revanche, il n'y a pas eu de reconduction systématique de la même entreprise aux termes des différents marchés.

3. La modification de la composition des groupements entre les deux consultations menées sur le marché 2

37. Dans le cadre de la première consultation pour le marché 2, il a été constaté que la composition de certains groupements a été modifiée par rapport à celle de 1997 (marché 1) avant, pour certains lots et certaines entreprises, de se reformer à l'identique à l'occasion de la seconde consultation.

38. Par ailleurs, lors du marché 1, les groupements étaient identiques pour l'ensemble des lots alors que lors de la première consultation du marché 2, la composition des groupements variait d'un lot à un autre de telle sorte que des entreprises partenaires pour un lot étaient concurrentes pour un autre. Ainsi :

* Screg-Est a postulé pour l'ensemble des lots en groupement (pour le lot Nord, elle était associée à Colas-Est et EJL, pour le lot Nord-Est et le Sud-Est, à Colas-Est, et pour le Centre, à Eurovia et Colas-Est) ;

* Colas-Est a postulé pour l'ensemble des lots, soit en groupement, soit de manière individuelle. En groupement, elle était associée, soit avec Screg-Est et EJL, soit uniquement avec Screg-Est, soit encore avec Screg-Est et Eurovia ;

* Eurovia n'a soumissionné que pour trois lots : pour le lot Sud-Est, en groupement avec SCR Marne, pour le lot Centre, en groupement avec Screg-Est et EJL, pour le lot Ouest, en groupement avec Screg-Est et Colas-Est ;

* EJL a soumissionné pour trois lots de manière, soit individuelle, soit en groupement et dans ce cas, elle a été associée soit à Screg-Est et Colas-Est, soit à SCR Marne ;

* Enfin, la société SCR Marne a soumissionné pour quatre lots de manière individuelle ou en groupement et dans ce cas elle a été associée soit à Eurovia, soit à EJL.

4. Les différences des prix de transport proposés constatées sur le marché 2

39. Aux termes du rapport d'enquête, les prix déposés par les différents groupements pour le lot Nord du marché 2 sont très proches, à l'exception cependant du poste relatif au transport. A ce titre, il a été relevé que le prix proposé pour le poste transport le plus bas résultait toujours du groupement précédemment attributaire du lot. Ainsi :

* S'agissant du lot Nord, le groupement Screg-Est - Colas-Est - EJL, attributaire sortant, a proposé pour ce lot un prix de la tonne/km à 0,50 franc alors que le groupement concurrent SCR Marne - Eurovia proposait un prix de 1,30 francs, l'ensemble de ces entreprises disposant cependant de participations dans des centrales d'enrobage situées sur ce lot ;

* S'agissant du lot Sud-Est, le groupement Screg-Est - Colas-Est, ces entreprises étant associées dans une centrale d'enrobage sur ce lot, a proposé, pour le transport, un prix de 1,10 francs alors que le groupement SCR Marne - Eurovia, attributaire sortant, qui disposait également de participations dans deux centrales situées sur ce lot, ERCA 2 et SCE, a proposé quant à lui un prix de 0,95 franc ;

* S'agissant du lot Nord-Est, aucune des entreprises ne disposait d'agence ou de participation dans une centrale d'enrobage mais elles pouvaient toutefois toutes recourir aux moyens situés sur le lot Nord (Reims) ou Centre (Chalons). Le prix du transport proposé par le groupement SCR Marne - EJL, titulaire sortant, a été fixé à 0,90 FF alors que celui du groupement Screg-Est - Colas-Est était de 1,20 francs, soit un différentiel de 25 % ;

* Enfin, s'agissant du lot Ouest, le groupement Screg-Est - Colas-Est - Eurovia, attributaire sortant, qui ne disposait pas de moyen sur ce lot, a proposé un prix de 0,95 franc. Or, ce même groupement a proposé, pour le lot Nord-Est, lot sur lequel il ne disposait pas non plus de moyens, un prix 1,20 Francs.

5. Les hausses de prix différenciées selon les lots lors de la seconde consultation pour le marché 2

40. Comme il a été précédemment indiqué, lors de la seconde consultation lancée pour le marché 2, les entreprises ont reformé les groupements constitués lors du marché triennal de 1997 (marché 1), à savoir, d'une part, Screg-Est - Colas-Est - EJL, d'autre part, Eurovia (Viafrance et CBC) - SCR Marne.

41. Le 22 août 2000, la commission chargée de l'ouverture des offres a constaté une hausse conséquente des offres de prix remises par les groupements concernant les cinq lots, alors qu'aucune modification notable des conditions d'exécution de ce marché n'avait été relevée.

42. Ainsi, il a été noté que les offres individuelles déposées par Colas-Est et SCR Marne lors de la première consultation étaient moins élevées que celles déposées par les groupements dont elles faisaient partie lors de la seconde consultation. Ces deux entreprises ont en effet remis lors de la première consultation des offres pour le lot Centre d'un montant respectif de 3 325 174 francs (Colas-Est) et 3 337 647 francs (SCR Marne) alors que, lors de la seconde consultation, les groupements ont déposé pour le même lot des offres s'élevant respectivement à 3 719 413 francs (groupement Colas-Est/Screg-Est/EJL) et 3 836 391 francs (groupement SCR Marne/Eurovia).

43. Par ailleurs, l'offre de prix déposée par le groupement Colas-Est/Screg-Est/EJL était en hausse de 15,9 % par rapport à celle du groupement Screg-Est/EJL/Eurovia lors de la première consultation et celle du groupement SCR Marne/Eurovia était supérieure de 19,6 % à l'offre du groupement Screg Est/EJL/Eurovia lors de la première consultation.

44. De plus, l'analyse des prix a montré que les augmentations de prix étaient plus conséquentes pour les lots dont les groupements n'étaient pas attributaires précédemment et qu'à l'inverse, les hausses étaient moins élevées concernant les lots dont les groupements étaient les attributaires sortants.

45. Ainsi, le groupement Eurovia (mandataire) - SCR Marne n'a augmenté ses prix en moyenne que de 10,25 % pour le lot Sud-Est, dont il était précédemment attributaire alors que pour les lots Centre et Nord qui ne lui avaient pas été attribués auparavant, l'augmentation moyenne de son offre a été respectivement de 22,19 % et de 16,7 %.

46. Il ressort également de l'analyse des prix de soumission des groupements auxquels ont participé Screg-Est - EJL - Colas-Est et Eurovia-SCR Marne que :

* lorsque le groupement Screg-Est - EJL - Colas-Est était attributaire sortant, c'est-à-dire pour les lots Centre, Nord et Ouest, les prix proposés par le groupement Eurovia - SCR Marne étaient respectivement plus élevés de 3,05 %, 3,11 % et 2,9 % ;

* lorsque le groupement Eurovia - SCR Marne était attributaire sortant, c'est-à-dire pour les lots Nord-Est et Sud-Est, les prix proposés par le groupement Screg-Est - EJL - Colas-Est étaient plus élevés respectivement de 1,71 % et 6,57 %.

2. LES MARCHES LANCES PAR LA VILLE ET LE DISTRICT DE REIMS (MARCHES 4 A 11)

a) Description des marchés

Les marchés 4 et 9 relatifs aux travaux de voirie neufs et d'entretien de la ville de Reims et du district de Reims (1997-1999)

47. La ville de Reims a procédé à une procédure d'appel d'offres ouvert, pour la réalisation de travaux de voirie neufs et d'entretien (marché 4). Il s'agissait d'un marché à bons de commande, conclu pour un an et renouvelé tacitement pendant deux années consécutives. Les soumissionnaires devaient appliquer des rabais ou des majorations sur des bordereaux de prix unitaires établis par les services techniques. La date de remise des offres était fixée au 7 octobre 1996.

48. Le district de Reims a également procédé à un appel d'offres ouvert pour des travaux de même type (le marché 9). Il s'agissait également d'un marché à bons de commande avec un bordereau de prix unitaire que chaque candidat devait remplir. Conclu pour un an, il a été renouvelé tacitement pendant deux années consécutives. La date de remise des offres était fixée au 23 septembre 1996.

49. Les marchés 4 et 9 seront décrits ensemble, en raison de leur identité, tant en ce qui concerne leur objet que le lieu et la période de leur réalisation. Les appels d'offres ont d'ailleurs été lancés presque simultanément. Le marché 4 était composé de 4 lots et le marché 9 de 5 lots.

<emplacement tableau>

Le marché 5 relatif aux travaux de grosses réparations, de voirie neufs et d'entretien de la ville de Reims (2000-2002)

50. Ce marché fait suite au marché triennal précédent (le marché 4) avec une modification par regroupement des anciens lots 1 et 2 en un seul lot 1, désormais dénommé "Chaussées et trottoirs en enrobés", les trois autres lots se rapportant toujours aux trottoirs en asphalte naturel, au pavage et à la viabilité hivernale. La procédure d'appel d'offres a été lancée le 19 août 1999 et le marché conclu pour un an (à partir de l'année 2000), renouvelable tacitement deux années consécutives.

<emplacement tableau>

Les marchés annuels 6, 7 et 8 relatifs aux travaux de réfection de chaussées et trottoirs de la ville de Reims lancés en 1997, 1998 et 1999.

51. La ville de Reims a lancé des appels d'offres pour des marchés annuels en 1997 (marché 6), 1998 (marché 7) et 1999 (marché 8) concernant des travaux de réfection des chaussées et des trottoirs. Chacun de ces marchés ne comportait qu'un seul lot et était estimé à un montant global de commandes compris entre 14 et 20 millions de francs TTC.

<emplacement tableau>

Le marché 10 relatif aux travaux de grosses réparations et de voirie neufs et d'entretien du district de Reims (2000)

52. Ce marché à bons de commande a été lancé selon une procédure d'appel d'offres ouvert, le montant des travaux étant fixé dans une fourchette entre 1,3 et 5,2 millions de francs TTC. Ce marché, à lot unique, a été conclu pour un an, renouvelable. Il n'a cependant pas été renouvelé à son échéance le 31 décembre 2000. Une nouvelle consultation a été organisée, qui fera l'objet du marché 11.

<emplacement tableau>

Le marché 11 relatif aux travaux de grosses réparations et de voirie neufs et d'entretien du district de Reims (2001-2003)

53. Ce marché a été conclu pour une année mais était reconductible en 2002 et 2003. Il était composé d'un seul lot. Ce marché a fait suite au marché 10 de 2000, qui n'a pas été renouvelé. Le niveau annuel de commandes était en net accroissement du fait d'aménagements de voirie pour le réseau des transports en commun. La fourchette fixée par cette collectivité se situait entre 535 000 et 1 680 000 euro, soit entre 3 509 370 et 11 020 078 francs TTC.

<emplacement tableau>

b) Les pratiques relevées

La formation de groupements.

54. Pour les marchés 5, 7 et 8, il a été relevé que les groupements formés par les entreprises rassemblaient une part importante des entreprises potentiellement concurrentes. ???Marché 5

55. S'agissant du marché 5, le groupement le moins disant pour le lot 1 était composé de la réunion des deux groupements attributaires des lots 1 et 2 du marché précédent (marché 4), à savoir Eurovia - Colas-Est - EJL - Routière Morin - Screg-Est - CTP - Robert Morin.

56. De même, pour le lot 2 du marché 5, le groupement composé des entreprises Screg-Est - Eurovia - Colas-Est - EJL - Routière Morin - Robert Morin et CTP était le seul groupement soumissionnaire, la seule entreprise soumissionnaire concurrente, à titre individuel, étant Smac Aciéroïd.

57. Il a aussi été relevé qu'en ce qui concerne ce marché de la ville, Screg-Est, CTP et Robert Morin ont soumissionné en groupement avec Eurovia, Colas-Est, EJL et Routière Morin, alors que pour le marché 10 du district, lancé simultanément, sur un territoire plus étendu géographiquement que celui de la ville, les entreprises Screg-Est, d'une part, et le groupement CTP et Robert Morin, d'autre part, n'ont pas rejoint le groupement Eurovia - Colas-Est - EJL - Routière Morin.

* Marché 7

58. Pour le marché annuel 7 de 1998, il a été relevé que les entreprises membres des deux groupements formés lors de l'appel d'offres pour le marché précédent (le marché 6) et qui avaient finalement entretenu des liens de sous-traitance, se sont réunies au sein d'un seul et même groupement, avec deux d'entre elles en sous-traitance. Ce groupement, composé de EJL - Screg-Est - Eurovia et Routière Morin, avec Colas-Est et CTP en sous-traitance, a été déclaré attributaire du marché.

* Marché 8

59. Trois offres ont été déposées pour le marché 8 : deux offres de groupements d'entreprises, à savoir, d'une part, Colas-Est - Eurovia - EJL et Routière Morin (avec Screg-Est et CTP en sous-traitance) et Gorez frères - Robert Morin, d'autre part, SCR Marne ayant déposé une offre individuelle.

60. Alors que l'offre du groupement Gorez frères - Robert Morin ainsi que celle déposée par SCR Marne ont été déclarées incomplètes, le groupement devenu attributaire, à savoir Colas-Est - Eurovia - EJL et Routière Morin, avec Screg-Est et CTP en sous-traitance, était composé de l'ensemble des entreprises attributaires du marché précédent (marché 7) de 1998.

* Marchés 10 et 11

61. Il a été noté que pour le marché 11, reconduction du marché 10, si le nombre de groupements a augmenté, le nombre de membres au sein du groupement était en baisse, alors même que le niveau annuel des commandes était en forte progression.

62. Par ailleurs, l'indice a été relevé suivant lequel la constitution de groupements pouvait favoriser l'échange d'informations entre soumissionnaires.

63. Ainsi, le marché 5 et le marché 10, qui avaient tous les deux trait aux travaux, de grosses réparations et de voirie neufs et d'entretien, soit de la ville de Reims, soit du district de Reims, ont été lancés à la même période pour une exécution à compter de 2000. La société Smac Aciéroïd, seule concurrente pour le lot 2 du marché 5 d'un groupement rassemblant la quasi-totalité des entreprises, était, pour le marché 10, sous-traitante du groupement composé de quatre des entreprises précédemment soumissionnaires en groupement. De surcroît, pour le marché 10 (à lot unique), la société Screg-Est, qui était mandataire du groupement ayant présenté une offre sur le marché 5, a soumissionné de manière individuelle.

64. Une telle configuration a pu favoriser l'échange d'informations entre Smac Aciéroïd et le groupement concurrent rassemblant Eurovia/Colas-Est/EJL/Routière Morin/CTP/Screg-Est /Robert Morin. De même, il a été noté que la plupart de ces entreprises étaient membres des mêmes centrales d'enrobés, à savoir Reims Enrobés, ERCA et ERCA 2 et se réunissaient régulièrement dans ce cadre pour déterminer les volumes de production.

Présence de sous-traitants sur le marché 6

65. A l'occasion du marché 6, il a été relevé que, moins de 10 jours après que l'acte d'engagement du groupement Colas-Est/CTP/Screg-Est ait été notifié par la collectivité, le groupement a décidé de faire appel à des entreprises sous-traitantes, membres du groupement, dont l'offre a précédemment été écartée, alors que l'acte d'engagement du groupement Colas-Est-CTP-Screg-Est notifié par la collectivité le 13 janvier 1997 ne laissait apparaître aucun recours initial à la sous-traitance.

Les "incohérences" dans la politique des prix et des rabais proposés par les soumissionnaires

66. Sur les marchés 4 et 9, les constatations suivantes ont été effectuées : ???Pour le lot 1 des marchés 4 et 9 de la ville et du district de Reims, le groupement Screg- Est - CTP - Robert Morin, concurrent du groupement attributaire sortant CBC - Colas- Est - EJL - Routière Morin, a fait une offre supérieure de 2 % à celle de ce dernier groupement.

* Pour le lot 2 du marché 4 de la ville de Reims, le groupement CBC - Colas Est - EJL - Routière Morin, concurrent du groupement attributaire sortant, a remis une offre supérieure de 6 % à celle de Screg-Est - CTP - Robert Morin ;

* Par ailleurs, pour le lot 2 du marché 9 du district de Reims, l'écart entre les offres des deux groupements était en revanche de 1,5 % seulement.

67. Ces écarts de prix constatés semblaient inexpliqués et constituer un indice de répartition, chaque groupement obtenant finalement le lot dont il avait été précédemment attributaire.

68. Pour le marché 5, il a été constaté que l'écart de prix observé pour le lot 1 entre l'offre du groupement Eurovia/Colas-Est/EJL/Routière Morin/Screg-Est/CTP/Robert Morin, composé de sept entreprises dont cinq filiales de groupes d'envergure nationale, et celle du groupement concurrent Gorez frères/CTRM, composé de deux entreprises locales, s'est révélé très minime, de l'ordre de 1,3 % seulement, en dépit de la disproportion de leurs moyens respectifs.

69. Par ailleurs, pour le lot 3 du marché 5, il a été noté que sur les quatre propositions tarifaires déposées, la seule offre conjointe est apparue être la plus élevée alors même qu'elle regroupait les entreprises les plus importantes du département de la Marne.

70. Enfin, pour le marché 10, il a été relevé que le groupement d'entreprises Eurovia/Colas-Est/ EJL/Routière Morin + Smac Aciéroïd et Spie Trindel en sous-traitance, attributaire du lot unique a remis dans son détail quantitatif des prix unitaires strictement similaires à ceux déposés, quelques jours auparavant, à l'occasion du marché triennal 2000-2002 de la ville de Reims (marché 5), par le groupement Screg Est/Eurovia/Colas Est/EJL/Routière Morin/CTP/Robert Morin, attributaire du lot 1, et par Smac Acieroïd, titulaire du lot 2 en entreprise individuelle.

71. Une telle similitude de prix pouvait constituer un indice de répartition, en raison de la disparité des travaux à réaliser sur chacun de ces marchés respectifs, le montant annuel du marché 5 étant compris entre 19 300 000 francs et 77 200 000 francs TTC alors que le montant global annuel du marché 10 était compris entre 1 300 000 francs et 5 200 000 francs TTC.

Les tableaux de suivi des travaux transmis par la société EJL

72. L.instruction a permis de révéler l'existence de plusieurs tableaux, réalisés par l'entreprise CBC et transmis par la société EJL, sur lesquels figure la part des travaux réalisés sur plusieurs marchés par rapport à une part théorique qui leur est attribuée.

Marchés 5 et 10

73. Un tableau coté 1685, non daté mais postérieur à l'attribution dans la mesure où il constate d'ores et déjà des travaux exécutés, concerne le lot 1 du marché triennal de la ville de Reims (marché 5), expose la part en valeur relative des sept co-traitants du groupement attributaire (Screg-Est - Eurovia - Colas-Est - EJL - Routière Morin - CTP et Robert Morin) dans les travaux déjà réalisés au regard de la part théorique qui leur est attribuée a priori pour ce lot 1.

<emplacement tableau>

74. Ainsi, la part théorique pour chaque attributaire (% du montant TTC du budget 2000) était fixée à :

Screg-Est 20 %

Eurovia 18 %

Colas-Est 14,50 %

EJL 14,50 %

Routière Morin 12 %

CTP 11,50 %

Robert Morin 9,50 %

75. Par ailleurs, un tableau coté 1686, non daté mais postérieur à l'attribution dans la mesure où il constate d'ores et déjà des travaux exécutés, se rapporte au marché triennal du district de Reims lancé en 2000 (marché 10), indique la nature et le montant des travaux du marché 10 exécutés par chaque entreprise et intègre des entreprises qui ne font pas partie du groupement attributaire, à savoir Screg-Est, de manière individuelle, et CTP/Robert Morin, ces deux dernières ayant postulé dans le cadre d'un groupement concurrent.

<emplacement tableau>

76. Ce tableau expose ensuite pour l'ensemble de ces entreprises, la part réalisée par celles-ci pour les travaux du district de Reims et attribue une part théorique à ces entreprises pour ces mêmes travaux. Cette part théorique représente ainsi pour :

Screg-Est 0 %

Eurovia 25 %

Colas-Est 25 %

EJL 25 %

Routière Morin 25 %

CTP 0 %

Robert Morin 0 %

77. Il est ainsi alloué une part théorique de 0 % aux trois sociétés non-attributaires (Screg-Est, CTP et Robert Morin) ainsi qu'une part de 0 % dans la réalisation effective des travaux. La mention de ces trois sociétés dans ce tableau de suivi de travaux, est apparue inexpliquée.

78. Un tableau coté 1684, non daté mais postérieur à l'attribution des lots dans la mesure où il récapitule l'ensemble des travaux réalisés concernant les marchés 5 et 10, attribue une part théorique à l'ensemble des entreprises attributaires pour les deux marchés (ville et district de Reims), qui correspond à la part théorique au sein du groupement attributaire de la ville de Reims, c'est-à-dire le marché 5. Par ailleurs, il détaille le montant total des travaux réalisés par chaque entreprise pour chacun des deux marchés (ville et district de Reims), le montant réalisé par chaque entreprise sur l'ensemble des deux marchés et le cumul total des travaux réalisés pour l'ensemble des deux marchés.

<emplacement tableau>

Marché 7

79. Deux documents intitulés "ville de Reims 1998" et "Marché annuel ville de Reims", communiqués par EJL et cotés 1963 et 1964, récapitulent les différents travaux exécutés par Eurovia, EJL, Colas-Est, Robert Morin, Screg-Est et CTP.

<emplacement tableau>

80. Ces documents révèleraient, selon les constatations faites, l'existence d'une "répartition théorique" entre les entreprises membres du groupement avec leurs sous-traitants, dans des proportions identiques aux parts que ces entreprises détenaient dans les centrales d'enrobage du secteur Nord, c'est-à-dire autour de Reims. Selon les données communiquées par la ville de Reims, les réalisations en 1998 se répartissaient comme suit :

<emplacement tableau>

81. Les parts détenues par les entreprises concernées dans les centrales situées autour de Reims s'établissent comme suit :

<emplacement tableau>

82. Enfin, les tableaux cotés 1963 et 1964 font mention de lignes intitulées "delta 97"et "delta 98", dans lesquelles n'apparaît, cependant, aucune donnée.

Marché 8

83. Un document intitulé "répartition/Marché annuel ville de Reims 1999" daté du 29 mars 1999 et coté 1975, établi par CBC et communiqué par EJL reprend les mêmes parts théoriques pour les sociétés en cause et détermine des écarts avec les réalisations ou les prévisions de travaux.

<emplacement tableau>

84. Par ailleurs, il a été noté que, comme pour le marché 7, les répartitions théoriques de travaux entre attributaires et non-attributaires des lots semblaient correspondre aux participations que ces entreprises détenaient dans les centrales d'enrobage situées dans la région de Reims.

Le dépôt d'offres distinctes par une entreprise mère et sa filiale

85. Le rapport d'enquête met en avant les liens existant entre les sociétés Gorez frères et Robert Morin et l'absence d'autonomie de la filiale Robert Morin à l'égard de sa société mère, l'entreprise Gorez frères. En effet, la société Robert Morin est détenue à 99,97 % par la société Gorez frères.

86. Or, en ce qui concerne les marchés 5 (lot 1 et 3) et 10, ces deux sociétés ont déposé des offres distinctes (Gorez frères de manière individuelle et Robert Morin en groupement) bien qu'elles n'aient pas paru autonomes l'une par rapport à l'autre.

C. LES GRIEFS NOTIFIES

87. Sur la base des éléments analysés, quatre griefs ont été notifiés aux entreprises. Il a été reproché :

* aux entreprises Screg-Est, Colas-Est, Eurovia, SCR Marne et EJL de s'être réparties, avant le dépôt des offres, les lots des marchés 1, 2 et 3 relatifs à des travaux de voirie lancés par le Conseil général de la Marne en 1997, 2000 et 1999. Ces pratiques, mises en œuvre par des entreprises concurrentes, ont trompé le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence et constituent une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce (grief n° 1) ;

* aux entreprises Screg-Est, Colas-Est, Eurovia, SCR Marne, EJL, Routière Morin, Robert Morin, Smac Aciéroïd et CTP de s'être réparties, avant le dépôt des offres, les lots des marchés 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10 lancés par la ville et le district de Reims pour des travaux de voirie entre 1996 et 2000. Ces pratiques, mises en œuvre par des entreprises concurrentes, ont trompé le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence et constituent une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce (grief n° 2) ;

* à l'entreprise CBC, devenue Eurovia, d'avoir déposé, à l'occasion du marché 6 de 1997 de la ville de Reims, une offre distincte de celle du groupement Colas-Est - CTP - Screg-Est attributaire du marché et pour lequel CBC a exécuté des travaux en sous-traitance.

Cette pratique, mise en œuvre par cette entreprise a trompé le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence et constitue une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce (grief n° 3) ;

* aux entreprises Gorez frères et Robert Morin d'avoir déposé pour les lots 1 et 3 du marché 5 et pour le marché 10, deux offres distinctes alors que ces deux entreprises ne sont pas autonomes. Cette pratique, qui a trompé le maître d'ouvrage sur la réalité de la concurrence, constitue une entente prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce (grief n° 4).

II. Discussion

A. SUR LA PROCEDURE

1. SUR LA PRESCRIPTION

88. Les sociétés Eurovia, Colas-Est, Screg-Est, Smac Aciéroïd et Routière Morin Marne ont fait valoir que les faits reprochés sur les marchés 1, 4, 6 et 9 étaient prescrits.

89. Ainsi que le Conseil l'a rappelé dans sa décision n° 03-D-07 du 4 février 2003 relative à des pratiques relevées lors de la passation de marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales :

"L'article L. 462-7 du Code de commerce interdit au Conseil de la concurrence de connaître de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction (...). La pratique illicite d'entente sur appel d'offres est constituée par la remise des offres faites par les entreprises, c'est-à-dire, au plus tard, à la date de clôture de l'appel d'offres".

90. Au cas d'espèce, les premiers actes tendant à la recherche, la constatation ou la sanction des pratiques relevées ayant valablement interrompu la prescription sont les procès-verbaux d'audition réalisés par les enquêteurs le 24 août 2000. Par application des dispositions de l'article L. 462-7 du Code de commerce, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2004-1173 du 4 novembre 2004, les faits antérieurs au 24 août 1997 sont couverts par la prescription.

91. La date limite de dépôt des offres était antérieure au 24 août 1997 pour les marchés 1, 4, 6 et 9 et aucune pratique continue de répartition de marchés n'ayant été notifiée, il convient de constater la prescription de ces quatre marchés.

92. Le grief n° 3 qui incrimine une pratique concernant le marché 6 se rapporte à des faits prescrits et doit être rejeté.

2. SUR L'IMPUTABILITE DES PRATIQUES

93. Eurovia a noté que la notification de griefs, bien que destinée à la SARL Eurovia Champagne Ardenne Lorraine (Eurovia CAL), a été adressée au siège social de la société par actions simplifiées Eurovia Champagne Ardenne (Eurovia CA). Eurovia a précisé qu'Eurovia CAL avait décidé, lors de son assemblée générale ordinaire et extraordinaire du 30 décembre 2004, d'apporter la branche complète et autonome d'activité de travaux routiers publics ou privés afférente aux établissements secondaires de Vitry-le-François, Sedan et Reims à la société par actions simplifiées Eurovia CA, par traité d'apport partiel d'actifs. Eurovia a relevé qu'à la suite de cet apport, Eurovia CAL avait fait l'objet d'un changement de dénomination sociale, pour devenir la SARL Eurovia Lorraine. En conséquence, selon Eurovia, la continuité juridique de la société Eurovia CAL étant assurée par Eurovia Lorraine, les pratiques visées dans la notification de griefs devaient être imputées à cette dernière société, dont la dénomination sociale a été modifiée à la suite de l'apport partiel d'actifs au profit d'Eurovia CA.

94. En l'espèce, la notification des griefs visait la société "Eurovia CAL", dont la dénomination a été changée en "Eurovia Lorraine". Ce changement de dénomination ne modifie pas l'imputation des pratiques. Par ailleurs, le fait que la notification ait été adressée par voie postale, non pas directement à Eurovia CAL mais au siège de cette entreprise, à savoir Eurovia CA, n'est pas de nature à porter atteinte aux droits de la défense d'Eurovia Lorraine. En effet, Eurovia CA a transmis la notification à sa filiale Eurovia Lorraine qui a été mise en mesure de présenter ses observations.

95. De son côté, Routière Morin Marne a précisé que jusqu'au 21 janvier 2002, Routière Morin était une société indépendante. Elle a indiqué qu'à partir de cette date les actifs de la société Routière Morin ont été acquis par des sociétés du groupe Appia. Elle a relevé que, le 30 novembre 2002, les fonds de commerce des agences de Reims et de Vitry-le-François ont été apportés à une société nouvellement créée par la société Appia, à savoir la société Routière Morin Marne, et que le 31 décembre 2004, la société Routière Morin a été absorbée par la société Appia SAS. Routière Morin Marne conclut que les pratiques reprochées à la société Routière Morin ne peuvent pas lui être imputées.

96. De même, s'agissant de SCR Marne, Routière Morin Marne a indiqué que le 1er mai 2002, la société SCR Marne, filiale de la société SCR, a été absorbée par la société Appia Champagne. Elle relève que le 1er janvier 2003, le fonds de commerce de la société Appia Champagne provenant de SCR Marne a été revendu à la société Routière Morin Marne, société créée à cette même date. En conséquence, Routière Morin Marne considère que les pratiques reprochées à la société SCR Marne ne peuvent pas être imputées à la société Routière Morin Marne.

97. En application d'une jurisprudence constante, la responsabilité du comportement infractionnel de l'entreprise suit d'abord la personne morale et, en conséquence, tant que la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a mis en œuvre des pratiques subsiste juridiquement, c'est elle qui doit assumer la responsabilité de ces pratiques, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés à une tierce personne. En cas de fusion-absorption de la personne morale, les pratiques doivent être imputées à la société qui succède, sur le plan juridique, à la société auteur des pratiques, c'est-à-dire la société absorbante, ce principe s'appliquant même si la société absorbante a cédé à une troisième société la branche d'activité concernée par les pratiques.

98. En l'espèce, la société Routière Morin ayant été absorbée par Appia SAS le 31 décembre 2004, elle doit être mise hors de cause et les pratiques ne peuvent être imputées à Routière Morin Marne mais auraient dû l'être à Appia SAS. De même, SCR Marne ayant été absorbée par Appia Champagne le 1er mai 2002, elle doit être mise hors de cause et les pratiques ne peuvent être imputées à Routière Morin Marne mais auraient dû l'être à Appia Champagne.

B. SUR LE FOND

1. ENTENTE SUR LES MARCHES 1, 2 ET 3 LANCES PAR LE CONSEIL GENERAL DE LA MARNE

a) Sur les réponses en groupement

Observations générales

99. La constitution, par des entreprises indépendantes et concurrentes, de groupements, en vue de répondre à un appel d'offres, n'est pas illicite en soi. Ainsi, de tels groupements peuvent avoir un effet pro-concurrentiel s'ils permettent à des entreprises, ainsi regroupées, de concourir, alors qu'elles n'auraient pas été en mesure de le faire isolément, ou de concourir sur la base d'une offre plus compétitive. Ils peuvent, à l'inverse, avoir un effet anticoncurrentiel s'ils provoquent une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates ou dissimulent une entente de prix ou de répartition des marchés.

100. Si l'absence de nécessités techniques et économiques de nature à justifier ces groupements peut faire présumer leur caractère anticoncurrentiel, elle ne suffit cependant pas à apporter la preuve d'un tel caractère (décisions n° 05-D-24, 05-D-26). Ainsi, la Cour d'appel de Paris a précisé dans un arrêt du 18 février 2003 (Syndicat intercommunal d'alimentation en eau de la région de Dunkerque) que la formule du groupement pouvait aider une entreprise à acquérir une compétence lui faisant défaut, lui assurer de meilleures chances de succès, lui permettre de répartir la charge de travail afin de gagner en souplesse ou encore de réaliser des travaux qu.il lui aurait été difficile de réaliser seule compte tenu de leur importance.

101. Par ailleurs, s'agissant plus particulièrement des caractéristiques propres aux marchés à bons de commande, dont relèvent tous les marchés considérés dans la présente affaire, le Conseil de la concurrence a déjà eu l'occasion de constater qu'elles pouvaient justifier le recours à des groupements. Ainsi, dans sa décision n° 04-D-57 du 16 novembre 2004 relative aux marchés publics de travaux de revêtement de chaussées dans le département des Pyrénées Orientales, le Conseil a noté que :

"(...) les contraintes techniques liées à la nature des matériaux mis en œuvre pour les travaux d'entretien et d'aménagement des chaussées, comme les caractéristiques propres aux marchés à bons de commande, rendent difficile l'établissement de prévisions de travaux et peuvent nécessiter la mobilisation de moyens importants sur une courte durée".

102. Le Conseil a précisé dans cette même décision que :

"l'écart entre les montants minimum et maximum des commandes susceptibles d'être passées par la collectivité (de 2 à 8 MF par an pour le marché de montagne du conseil général) peut effectivement être source d'incertitudes quant au montant réel des travaux et à leur répartition dans le temps".

"Les éléments au dossier ne permettent pas en effet de démontrer que les entreprises qui ont proposé des offres en groupement pourraient, même pour les plus importantes d'entre elles, faire face, de façon isolée, à des variations importantes et inopinées de leur plan de charge".

103. De même, dans un arrêt du 26 septembre 2000, la Cour d'appel de Paris a également considéré que les particularités des marchés à bons de commande pouvaient justifier le recours au groupement :

"les entreprises se prévalent de manière plausible de leurs compétences complémentaires et de leur implantation géographique compte tenu, notamment, de la spécificité de ce marché (...) en particulier l'obligation de présence et de réponse rapide, s'agissant d'un marché à commandes de travaux non planifiés ni quantifiés à l'avance sur lesquels elles étaient dépourvues de tout pouvoir pour faire valoir que les conditions de passation des marchés incitaient aux regroupements pour présenter les offres".

b) Application au cas d'espèce

104. La nature des marchés en cause, à bons de commande, dont l'incertitude temporelle est l'une des caractéristiques principales, explique en partie la constitution de groupements. De plus, la nécessité de se grouper a été renforcée par la difficulté de prévoir le plan de charge sur trois ans, difficulté rencontrée dans tous les marchés du Conseil général, et qui a pour conséquence d'accroître l'imprévisibilité liée à l'exécution du marché car, lorsque les entreprises ont soumissionné, elles ne connaissaient ni le moment, ni le volume, ni le lieu du chantier. De même, chaque chef de circonscription était libre de lancer des bons de commande sans prendre en considération les commandes des autres circonscriptions, si bien que l'ensemble des lots pouvait devoir être exécuté au même moment.

105. S'agissant du marché 2, l'analyse comparative des offres reçues pour le marché 1 de 1997 et le marché 2 de 2000 fait apparaître, contrairement à l'analyse des marchés de 1996 et 1997 (marché 1), une augmentation du nombre total des offres. Ce marché prévoyait en outre des travaux susceptibles de connaître des variations importantes, avec un écart possible de trois ans pour l'ensemble des lots atteignant 45 millions de francs car aucun délai d'exécution n'était spécifié, celui-ci étant fixé par chaque bon de commande alors que la notion d'urgence imposée par le donneur d'ordre impliquait pour les attributaires d'être en mesure de satisfaire immédiatement les demandes.

106. S'agissant du marché 3, les montants prévisionnels maxima étaient moins importants que pour les marchés 1 et 2 (ainsi, le montant des réalisations effectives s'établissait à 9 192 454 francs TTC au moment de la remise de l'enquête) et les entreprises ont dans la plupart des cas soumissionné seules, en déclarant néanmoins un sous-traitant.

107. Ainsi, le recours systématique et injustifié aux groupements concernant les marchés 2 et 3 de même qu'une grave atténuation de la concurrence en raison de la constitution des groupements ne sont pas avérés.

Sur l'absence de travaux attribués ou effectués par les entreprises dans le cadre des groupements

108. S'agissant du marché 2, Eurovia a notamment relevé que l'affirmation de la notification de griefs selon laquelle elle n'aurait pas exécuté de travaux dans le lot Nord-Est (lot obtenu en groupement avec SCR Marne) est infondée puisque les travaux confiés au groupement formé avec SCR Marne pour ce lot ont été exécutés par SCR Marne à hauteur de 81 % et Eurovia à hauteur de 19 %. Colas-Est et Screg-Est ont rappelé de leur côté qu'aux termes de la convention de groupement conclue le 26 octobre 2000 pour le lot Nord, le montant des travaux effectués par chaque membre du groupement était déterminé en fonction du plan de charge de chaque société et que la convention de groupement conclue le 18 octobre 2000 pour le lot Centre prévoyait que la répartition des travaux entre les membres du groupement serait effectuée en fonction des commandes annuelles. Ces sociétés relèvent également que la convention de groupement conclue le 27 septembre 2000 pour le lot Ouest prévoyait que la répartition des travaux entre les membres du groupement serait effectuée sur la base d'un programme prévisionnel des travaux pour l'année 2000.

109. En ce qui concerne le marché 3, Eurovia a indiqué que le recours à la sous-traitance visait à se garantir contre une éventuelle indisponibilité des équipes lors de l'exécution effective des travaux et a relevé que si la notification de griefs a constaté que les entreprises attributaires n'ont finalement pas fait appel à leur sous-traitant déclaré, sauf dans le cas d'Eurovia, on ne peut tirer aucun indice du fait qu'une entreprise exécute les travaux du lot dont elle est attributaire, sachant en outre qu'à la date des constatations du rapport administratif, les commandes n'avaient que légèrement dépassé le montant moyen pour un seul des lots concernés.

110. Dans un arrêt du 18 février 2003, la Cour d'appel de Paris, réformant une décision du Conseil de la concurrence n° 02-D-43 en date du 2 juillet 2002, a indiqué que : "(...) les déclarations citées dans la décision révèlent que les entreprises cherchaient, en se groupant, à s'assurer de meilleures chances de succès dans des appels d'offres qui restaient ouverts afin d'entrer sur le marché (...) ou de répartir, entre deux, ou trois entreprises, la charge de travail correspondant au lot pour lequel le groupement soumissionnait, afin de gagner en souplesse, ce qui explique la multiplication des groupements en 1996, année qui a vu l'importance des lots très largement augmentée, ce qui rendait plus difficile la réalisation des travaux correspondants par une seule entreprise ; que ces préoccupations techniques ne sont pas contredites par le fait qu'après l'attribution d'un lot, l'une ou l'autre des entreprises d'un groupement a pu réaliser seule les travaux, cette situation confirmant les déclarations des dirigeants selon lesquels il pouvait être difficile à une entreprise isolée d'inscrire son intervention (...) dans son plan de travail".

111. Au cas d'espèce, l'exécution par une entreprise membre d'un groupement de l'intégralité des travaux concernant un lot ne peut suffire à démontrer le caractère injustifié du groupement car les membres du groupement, exécutant des travaux à bons de commande, ignorent le nombre et la situation des lots dont le groupement sera attributaire, puis, une fois le marché attribué, leur charge de travail et les commandes qui seront passées par le maître d'ouvrage.

112. Les conditions dans lesquelles les travaux ont été exécutés par les membres des groupements attributaires des lots ne révèlent pas en l'espèce d'indices suffisants de nature à démontrer l'existence d'une entente entre les entreprises concernées.

Sur la reconduction, sur certains lots, de certaines entreprises précédemment attributaires lors des marchés précédents

113. Le Conseil de la concurrence a considéré dans une décision n° 04-D-04 du 20 février 2004 relative au secteur des travaux d'électrification rurale réalisés dans le département de la Charente-Maritime que : "la simple reconduction des mêmes titulaires sur les lots précédemment obtenus par eux ne saurait, à elle seule, démontrer l'existence d'une concertation".

114. Notamment, le Conseil de la concurrence a pris en compte comme élément d'explication de la reconduction, les économies qui peuvent être réalisées sur les frais d'étude, eu égard à la connaissance du terrain acquise par les entreprises déjà attributaires et les économies sur les coûts en personnel et en matériel tenant à la distance des lieux d'intervention par rapport aux localisations des agences des entreprises.

115. Au cas d'espèce, ainsi que certaines sociétés l'ont fait valoir dans leurs observations, la reconduction des attributaires des lots lors des marchés de 1996, 1997 et 2000 n'a pas été systématique. Ainsi, le lot Sud-Est a été remporté en 1997 (marché 1) par le groupement Viafrance/CBC/SCR Marne et par le groupement Routière Morin/Cote en 2000 (marché 2). Il avait été remporté par le groupement CBC/Colas-Est en 1996. Par ailleurs, le lot Ouest, qui avait été remporté par la société Viafrance en 1996 a été attribué au groupement Screg-Est/Colas-Est/EJL en 1997 et 2000.

116. Les reconductions observées ne sont également, pour certaines d'entre elles, que partielles. Screg-Est, titulaire du lot Centre en 1996, n'a ainsi été reconduite qu'à hauteur de 66,3 % sur le marché 1 et, pour le lot Nord, à hauteur de 57,4 %. Pour ce dernier lot, EJL, en groupement a succédé dans le cadre du marché 2 à Screg-Est exécutant 94 % des travaux.

117. De plus, il convient de noter que la reconduction des marchés divisés en lots identiques par le Conseil général en 1996 puis en 1997 (marché 1), 1999 (marché 3) et 2000 (marché 2) a donné un avantage au sortant, qui a cherché à obtenir le lot dont il était déjà titulaire et que s'agissant de marchés à bons de commande le précédent attributaire a déterminé plus facilement son offre par rapport aux autres candidats qui ne connaissent de façon précise ni la nature exacte des travaux, ni leur volume.

118. Lorsqu'une entreprise fait porter ses efforts concernant son offre sur des lots dont elle a été déjà attributaire, elle ne porte pas atteinte à la concurrence. La preuve d'une répartition des marchés par reconduction des entreprises n'est pas dans le cas présent rapportée.

Sur la constitution de groupements composés d'entreprises différentes, lors des deux consultations du marché 2

119. Dans le cadre de la première consultation pour le marché 2, il a été constaté que la composition de certains groupements a été modifiée par rapport à celle de 1997 (marché 1) avant, pour certains lots et certaines entreprises, de se reformer à l'identique à l'occasion de la seconde consultation. Selon la notification de griefs, les modifications dans la composition des groupements entre les deux consultations du marché 2 ont pu favoriser des échanges d'informations (§ 37 et 38).

120. Eurovia a souligné que la constitution de groupements différents entre 1997 (marché 1) et la première consultation de 2000 (marché 2) s'expliquait notamment par le fait que les discussions entre Eurovia et SCR Marne, qui avaient soumissionné ensemble lors du marché 1, n'ont pu aboutir pour l'ensemble des lots du marché 2 de sorte qu'Eurovia avait intégré un groupement avec EJL et Screg-Est ou Colas-Est sur les lots Centre et Ouest.

121. De leur côté, les représentants des sociétés Colas-Est et Screg-Est et Routière Morin ont observé que les cinq lots visés par l'appel d'offres concernant le marché 2 faisaient l'objet de marchés séparés et que le fait que les groupements aient été différents relevait de la libre appréciation des entreprises.

122. Il ressort de déclarations recueillies durant l'enquête que lors de la seconde consultation, il y a eu une incitation du maître d'ouvrage afin que les groupements constitués lors du marché 1 de 1997 soient reconstitués lors de la seconde consultation du marché 2. Ainsi, Monsieur Jacques Benoist, chef de l'agence Screg-Est de Reims, a indiqué que :

"les groupements [avec Eurovia sur les lots n° 4 et 5 lors de la première consultation] n'ont pas été reconduits en août car nous avons cru comprendre que les élus du Conseil général n'avaient pas apprécié la diversité de la constitution des groupements" ; et Monsieur Philippe Garel, directeur d'EJL Champagne Ardenne, a déclaré que :

"ce comportement trouve son explication dans la recommandation faite par le Conseil général aux entreprises en vue de la constitution de groupements homogènes dans tous les lots".

123. Dans les circonstances de l'espèce, la modification dans la composition des groupements entre les deux consultations ne permet pas de démontrer à suffisance de preuves qu.il y a eu entre ces groupements un échange d'informations préalable à cette seconde consultation de nature à fausser la concurrence.

Sur les différences injustifiées des prix du transport constatées sur le marché 2

124. Selon la notification des griefs, dans la mesure où l'ensemble des entreprises soumissionnaires dispose d'agences et de participations dans des centrales d'enrobage et où les travaux dans le département ne sont pas très éloignés des centrales d'enrobage fixes existantes, l'écart de prix constaté sur le poste transport ne peut s'expliquer que par la volonté des groupements concernés de ne pas obtenir les marchés pour lesquels ils n'étaient pas attributaires sortants, et au contraire, de proposer des prix bas sur le poste transport afin de conserver leurs positions sur les marchés pour lesquels ils étaient les précédents attributaires (§ 39).

125. Dans leurs observations, certaines sociétés ont relevé qu'un certain nombre de paramètres influaient sur la détermination du prix de transport, lequel est susceptible de varier en fonction de la situation géographique des lots, de la période au cours de laquelle les travaux ont été réalisés, de la façon dont le maître d'ouvrage a envisagé de rémunérer le transport ou de la capacité des camions utilisés. Eurovia, Colas-Est et Screg-Est ont noté qu'à la différence du marché 1 lancé en 1997, les temps de chargement et de déchargement n'étaient plus rémunérés en 2000 (marché 2) et que les entreprises pouvaient donc choisir ou non d'intégrer ces prestations dans le prix de transport ou dans le prix des enrobés. Par ailleurs, Eurovia a relevé que le bordereau des prix unitaires prévoyait qu'au-delà de 35 kilomètres, le prix le transport était réputé inclus dans le prix de la fourniture des matériaux bitumineux, ce qui a pu conduire certaines entreprises à répercuter une partie des frais qu'elles étaient susceptibles d'exposer de ce fait dans le prix de transport proposé.

126. Différents facteurs sont intervenus dans la détermination du prix du transport qui représentait de façon générale moins de 10 % du montant total du marché. Il convient de constater que, s'agissant du lot Ouest, l'offre la moins disante était celle du groupement Colas-Est/Eurovia/Screg-Est alors que le poste transport y était le plus élevé (0,95 franc par tonne contre 0,85 et 0,80 pour les autres réponses).

127. En outre, les prix du transport proposés par les entreprises pouvaient être justifiés par des raisons économiques et de stratégie commerciale conduisant les entreprises à faire porter leurs efforts principaux sur les lots dont elles avaient été précédemment attributaires.

128. Les différences de prix de transport constatés ne sauraient être l'indice d'une entente préalable au dépôt des offres. De plus, le fait pour les groupements de proposer les prix les plus bas pour conserver les marchés dont ils étaient attributaires sortants n'est pas en soi répréhensible.

Sur les hausses de prix différenciées selon les lots lors de la seconde consultation du marché 2

129. S'agissant des prix relevés entre la première et la seconde consultation lors du marché 2, certaines sociétés ont observé que leurs hausses, de l'ordre de 16 % en moyenne, s'expliquaient par la prise en compte de l'évolution des coûts, notamment ceux des approvisionnements en bitume, constatés au cours du premier semestre 2000.

130. Ces observations présentées par les entreprises sont corroborées par les déclarations recueillies durant l'enquête. Ainsi, Monsieur Hervé Noël, de l'agence de Blacy d'Eurovia, a indiqué que les augmentations de prix unitaires constatées pour les offres d'août 2000 résultent pour l'essentiel des hausses du bitume, des transports, des salaires, des fournitures. De la même manière, Monsieur Richard Brugger, de la société SCR Marne, a indiqué : "Les hausses de prix unitaires constatées en août 2000 sur les offres du groupement SCR-Eurovia, résultent de la prise en compte des augmentations de prix des bitumes, des autres matériaux, des coûts salariaux et des transports".

131. Ces éléments de l'enquête n'ont pas été contredits. Par ailleurs, si l'analyse des prix, montre que ces augmentations de prix ont été plus conséquentes pour les lots dont les groupements n'étaient pas attributaires précédemment, il ne peut en être inféré un indice pertinent d'une répartition préalable des lots du marché.

132. Le grief d'entente entre les entreprises Screg-Est, Colas-Est, Eurovia et EJL portant sur les marchés 2 et 3 n'est pas établi.

2. ENTENTE SUR LES MARCHES 4 A 10 LANCES PAR LA VILLE ET LE DISTRICT DE REIMS

a) S'agissant des marchés 5 et 10

1. Sur les réponses en groupements

S'agissant du marché 5

133. Il a été reproché aux entreprises mises en cause :

- que pour le lot 1, le groupement le moins disant soit composé de la réunion des deux groupements attributaires des lots 1 et 2 du marché 4 (à savoir Eurovia - Colas-Est - EJL - Routière Morin - Screg-Est - CTP - Robert Morin), qui rassemblait la quasi-totalité des entreprises présentes dans le département de la Marne et comprenait cinq filiales de groupes nationaux ;

- que pour le lot 2, le groupement composé des entreprises Screg-Est/Eurovia/Colas- Est/EJL/RoutièreMorin/RobertMorin/CTP était le seul groupement soumissionnaire et rassemblait la quasi-totalité des entreprises du secteur dans cette région, l'autre soumissionnaire à titre individuel étant Smac Aciéroïd, filiale du groupe Bouygues comme Colas-Est et Screg-Est alors que le montant des travaux pour ce lot (environ 6 millions de francs) était très inférieur au montant des montants des travaux du lot 1.

134. Certaines sociétés, tout en rappelant le caractère à bons de commande du marché en cause, ont relevé dans leurs observations que le lot 1 du marché 5 correspondait au cumul des lots 1 et 2 du marché 4 et ont également souligné le montant particulièrement élevé de ce lot, dont les fourchettes annuelles minimales et maximales de commandes étaient comprises entre 14 et 56 millions de francs. S'agissant du lot 2, elles ont souligné que la société Smac Aciéroïd était la seule à disposer dans le secteur de Reims des équipes et du matériel nécessaire pour réaliser des travaux de trottoirs en asphalte de sorte qu.il leur était difficile de déposer une offre plus compétitive.

135. Eurovia a souligné que le rassemblement de sept entreprises au sein du groupement pour le lot 1 était justifié au regard du nombre de travaux à effectuer, la ville ayant fait réaliser des travaux dans 53 rues. Enfin, Eurovia a noté que les travaux de la ville de Reims ont majoritairement été exécutés au cours de la période estivale, c'est-à-dire au cours d'une période de trois mois et que, considérant qu'une entreprise ne peut mobiliser que trois à quatre équipes pour réaliser les travaux dans ce laps de temps et qu'une équipe ne peut réaliser que deux chantiers au cours de cette période, un groupement devait, logiquement, être composé d'au moins 6,62 entreprises.

136. Routière Morin Marne a par ailleurs indiqué que l'établissement du plan de charge était rendu d'autant plus difficile qu.il existait une concomitance quant à la réalisation des marchés annuels et triennaux lancés par la ville et le district de Reims.

S'agissant du marché 10

137. La notification de griefs a relevé que le regroupement d'un grand nombre d'entreprises soumissionnaires sur le marché 10, lancé en 2000, semblait disproportionné. En effet, dans le cadre du marché 11, reconduction du marché 10, si le nombre de groupements a augmenté, le nombre de membres au sein du groupement était en revanche en baisse, alors que le niveau annuel des commandes sur le marché 11 était près du double de celui du marché 10.

138. Colas-Est a relevé que ce marché 10 concernait des volumes de prestations importants, le montant de commande pouvant aller jusqu'à 5,2 millions de francs TTC par an et a souligné que, s'agissant d'un marché à bons de commande, les entreprises ne connaissaient, lors de la soumission, ni le moment, ni le volume des commandes, ni la localisation géographique des travaux à exécuter.

139. En l'espèce, la taille des groupements sur les lots des marchés 5 et 10 excède a priori ce qui est justifié par la nature et l'importance des travaux des marchés concernés et la formation de tels groupements ne semble pas répondre à des impératifs techniques liés aux caractéristiques des marchés à bons de commande.

140. Cependant, d'autres marchés à bons de commande auxquels les sociétés membres des groupements participaient étaient en cours d'exécution, de nature à justifier les regroupements d'entreprises en raison des nécessités de répartition des plans de charge.

141. Par ailleurs, le montant du lot 1 du marché 5 était particulièrement élevé, le devis estimatif pour l'appréciation des offres étant inclus dans une fourchette comprise entre 35 et 39 millions de francs. Il regroupait les lots 1 et 2 du marché précédent (marché 4), pour lesquels deux groupements, composés respectivement de trois et quatre entreprises, avaient soumissionné. Ainsi, ce regroupement des lots, l'importance et la variété des travaux programmés vient justifier le groupement de sept entreprises sur le lot 1 du marché 5. Enfin, toute pression concurrentielle n'a pas été supprimée pour le lot 1, le groupement des sept entreprises faisant face, d'une part, à la concurrence de la société Hublin et, d'autre part, au groupement composé des sociétés Gorez frères et CTRM.

142. Le lot 2 du marché 5 concernant des travaux d'asphalte n'a pas été remporté par le groupement soumissionnaire mais par une société individuelle spécialisée dans ce type de réalisation. Il ne peut ainsi être retenu pour ce lot, comme d'ailleurs pour les lots 4 et 5 de ce marché, un grief d'assèchement de la concurrence par la constitution de groupements, puisque dans ces différents cas l'offre des groupements était confrontée à des offres d'entreprises individuelles et n'a pas été systématiquement retenue.

143. Le marché 10, quant à lui, était la reconduction du marché triennal précédent (le marché 9) avec modification par regroupement des anciens lots en un lot unique. De plus, l'offre du groupement des entreprises mises en cause a été confrontée à la concurrence de trois autres offres, dont deux également en groupements.

144. Par ailleurs, si la configuration de certains groupements lors des marchés 5 et 10, ayant trait aux mêmes types de travaux et ayant été lancés à la même période, était de nature à favoriser l'échange de certaines informations entre soumissionnaires, ces circonstances ne peuvent cependant démontrer à suffisance de droit des échanges préalables au dépôt des offres.

145. Enfin, s'agissant des offres déclarées non conformes déposées par la société Gorez frères sur les marchés 10 et 11, il convient de souligner que les représentants de cette entreprise n'ont pas été entendus lors de l'enquête et de l'instruction. En l'absence d'éléments montrant que ce comportement était volontaire, on ne peut déduire que les offres déclarées non conformes de Gorez frères sur les marchés 10 et 11 traduisent une répartition de marchés entre cette société et les entreprises du groupement.

2. Sur les incohérences dans la politique de prix et de rabais

146. S'agissant du marché 5, il est fait grief, pour le lot 1, au groupement composé des entreprises mises en cause, comprenant cinq filiales de groupes d'envergure nationale, d'avoir présenté une offre avec un écart de prix minime par rapport à l'offre du groupement concurrent composé de deux entreprises locales (§68) ; pour le lot 3, que l'offre conjointe des entreprises mises en cause, qui regroupe les entreprises les plus importantes du département de la Marne était la plus élevée (§69).

147. S'agissant du marché 10, il est fait grief au groupement d'entreprises Eurovia/Colas- Est/EJL/Routière Morin avec Smac Aciéroïd et Spie Trindel en sous-traitance, attributaire du lot 1, d'avoir remis un détail quantitatif des prix unitaires strictement similaire à ceux déposés, quelques jours auparavant, à l'occasion du marché 5 par le groupement Screg-Est/Eurovia/Colas-Est/EJL/Routière Morin/CTP/Robert Morin, attributaire du lot 1 et par Smac Aciéroïd, titulaire du lot 2, bien qu.il y ait une disparité des travaux à réaliser dans chaque marché (§70 et 71)

148. Selon Colas-Est et Screg-Est, l'offre remise pour le lot 1 par le groupement Screg- Est/ Eurovia/Colas-Est/EJL/Routière Morin/CTP/Robert Morin, d'un montant de 34,9 millions de francs TTC, était très compétitive puisqu'elle était inférieure à l'estimation du maître d'ouvrage (comprise entre 35 et 39 millions de francs). De plus, Colas-Est et Screg-Est ont observé que l'offre était assortie de rabais importants : 2 % pour le "rabais détail type 1" (rabais contractuel sur les chantiers d'un montant compris entre 1 et 3 millions de francs TTC) et 4 % pour le "rabais détail type 2" (rabais contractuel sur les chantiers d'un montant supérieur à 3 millions de francs TTC) alors que le groupement concurrent Gorez frères/CTRM n'en proposait aucun.

149. Dans leurs observations concernant le lot 3, Colas-Est, Screg-Est et Smac Aciéroïd ont noté que l'offre du groupement Screg-Est/Eurovia/Colas-Est/EJL/Routière Morin/CTP/Robert Morin présentait là encore des rabais importants : 2 % pour le "rabais détail type 1" et 4 % pour le "rabais détail type 2".

150. Eurovia a observé que la comparaison du bordereau des prix unitaires déposé par les groupements attributaires des marchés 5 (lot 1) et 10 de même que le bordereau de prix déposé par le groupement attributaire du marché 10 avec celui déposé par Smac Acieroïd attributaire du lot 2 du marché 5 ne confirmait pas l'affirmation selon laquelle ceux-ci seraient "strictement similaires" et que, si certains prix unitaires étaient effectivement identiques, les documents n'étaient pas similaires, de nombreux postes ne figurant que sur l'un de ces marchés. Elle a souligné que le fait que le montant global annuel du marché 5 (lot 1) et du marché 10 soit très différent, a une conséquence directe sur les quantités nécessaires, et donc sur le montant total des offres, mais pas nécessairement sur les prix unitaires portant sur des prestations identiques.

151. De leur côté, Colas-Est et Screg-Est ont observé que les entreprises membres du groupement attributaire du marché 10 - Eurovia, Colas-Est, EJL, Routière Morin - étaient toutes membres du groupement attributaire du lot 1 du marché 5 lancé par la ville de Reims et relatif à des travaux neufs, de grosses réparations et d'entretien de voirie au cours des années 2000 à 2002. Pour Colas-Est et Screg-Est, il n'y a rien de surprenant à ce que ces entreprises, alors qu'elles avaient déposé leur offre pour le lot 1 du marché 5 le 27 septembre 1999, aient réutilisé quelques jours après, lors du dépôt de leur offre pour le marché 10, le 7 octobre 1999, les études de prix qu'elles avaient effectuées.

152. Par ailleurs, selon Colas-Est, les marchés 5 et 10 n'étaient pas d'égale importance en termes de volumes de travaux, de sorte que le montant des offres remises par les groupements attributaires était sans commune mesure.

153. Il convient de constater que les dates de dépôt des offres sur les marchés 5 et 10 étaient très proches (le 27 septembre 1999 pour le marché 5 et le 7 octobre 1999 pour le marché 10) et que ce fait peut expliquer les similitudes dans les détails des prix unitaires dans des offres quant à elles différentes. Notamment :

* Pour le lot 1 du marché 5, l'offre du groupement attributaire Screg-Est/Eurovia/Colas- Est/EJL/Routière Morin/CTP/Robert Morin était d'un montant de 34,9 millions de francs TTC, avec des rabais de 2 % pour le "rabais détail type 1" et 4 % pour le "rabais détail type 2" ;

* Pour le marché 10, l'offre du groupement attributaire Eurovia/Colas-Est/EJL/Routière Morin était d'un montant de 1,9 millions de francs TTC, avec des rabais de 2 % pour le "rabais détail type 1" et 4 % pour le "rabais détail type 2".

154. Les indices recueillis ne permettent pas de caractériser une pratique répréhensible.

3. Sur les tableaux cotés 1684, 1685 et 1686 relatifs aux marchés 5 et 10

155. Les tableaux cotés 1684, 1685 et 1686 communiqués par EJL ont été retenus comme indice parce qu.ils réalisaient un suivi des travaux sur les marchés 5 et 10 et que les parts théoriques attribuées au groupement attributaire sur le marché 10, différentes de celles attribuées pour le marché 5, permettaient d'atteindre la part théorique globale, figurant sur le tableau coté 1684, de telle sorte que les travaux du marché 10 auraient servi à ré-équilibrer, au regard des parts théoriques figurant sur le tableau coté 1684, les travaux réalisés sur le marché 5 (§ 72 et suiv.).

156. Certaines entreprises ont constaté, s'agissant du document coté 1685 relatif au marché 5, que seules les sociétés membres du groupement attributaire du lot 1 y sont mentionnées et que, d'autre part, les pourcentages figurant dans le document (Screg-Est 20 %, Eurovia 18 %, Colas-Est 14,50 %, EJL 14,5 %, Routière Morin 12 %, CTP 11,50 % et Robert Morin 9,50 %) correspondaient à ceux définis dans la convention de groupement établie par les membres de ce groupement et arrêtée le 24 janvier 2000 postérieurement à l'attribution du marché.

157. S'agissant du document coté 1686, qui concerne le marché 10, Eurovia a relevé que la présence des entreprises Screg-Est, CTP et Robert Morin dans ce tableau, alors qu'elles n'étaient pas membres du groupement attributaire s'expliquait par le fait que ce document ne constituait qu'un simple copié-collé du fichier Excel utilisé pour le document 1685, dans lequel la part des entreprises non membres du groupement attributaire a été ramenée à 0 %. Pour Eurovia, cela n'était guère surprenant puisque le marché 10 a été attribué très peu de temps après le marché 5, la commission d'appel d'offres s'étant réunie le 22 octobre 1999 pour le marché 5, et le 16 novembre 1999 pour le marché 10.

158. S'agissant du document coté 1684, certaines sociétés ont constaté qu'aucun des pourcentages correspondant au cumul des travaux réalisés par chaque entreprise sur les marchés 5 et 10 ne correspondait à la part théorique de la colonne de gauche, se référant à la convention de groupement pour le marché 5. Pour ces entreprises, ce document constituait donc simplement la synthèse des documents cotés 1685 et 1686, documents ne permettant pas d'établir une répartition préalable des marchés, puisque les pourcentages affectés à chaque entreprise sont ceux retenus dans la convention de groupement.

159. La notification de griefs relève que les parts théoriques attribuées au groupement attributaire sur le marché 10, différentes de celles attribuées pour le marché 5, permettent d'atteindre la part théorique globale, figurant sur le tableau coté 1684, de telle sorte que le marché 10 permet de ré-équilibrer, au regard des parts théoriques figurant sur le tableau coté 1684, les travaux réalisés sur le marché 5.

160. Ces tableaux sont tous postérieurs à l'attribution de ces marchés dans la mesure où ils retracent des travaux en cours d'exécution. S'ils démontrent une répartition des travaux entre les entreprises attributaires desdits marchés prenant en considération les conventions de groupement, ils ne démontrent pas une répartition préalable au dépôt des offres de nature à fausser le résultat des consultations.

b) S'agissant des marchés 7 et 8

1. Les réponses en groupements

161. S'agissant du marché 7, certaines entreprises ont relevé dans leurs observations que, selon le détail estimatif de la ville de Reims, ce marché était estimé à 17,5 millions de francs et qu'une entreprise seule n'aurait pas été en mesure d'assurer ces travaux, qui plus est au cours de la période estivale de trois mois, compte tenu notamment de ses engagements sur d'autres marchés.

162. S'agissant du marché 8, les sociétés ont également fait valoir que le marché, selon le détail estimatif de la ville de Reims, était d'un montant important, évalué à 18,96 millions de francs.

163. En ce qui concerne le marché annuel 7 à lot unique de 1998, le groupement attributaire, composé de EJL - Screg-Est - Eurovia et Routière Morin, avec Colas Est et CTP en sous-traitance, était composé des entreprises membres des deux groupements formés lors de l'appel d'offres pour le marché précédent, le marché 6, et qui avaient également entretenu des liens de sous-traitance (§51 et 58).

164. Le maître d'ouvrage n'a cependant pas été privé de propositions alternatives concernant ce marché, un autre groupement et trois entreprises, à titre individuel, ayant déposé des offres face au groupement finalement attributaire.

165. En ce qui concerne le marché 8, le groupement attributaire, composé des mêmes entreprises que lors du marché 7 précédent, était confronté à une offre en groupement (Gorez frères et Robert Morin) et à une offre individuelle de SCR Marne, ces deux offres ayant néanmoins été déclarées incomplètes.

166. Les deux marchés annuels étaient d'un montant important. De plus, d'autres marchés à bons de commande auxquels les sociétés membres des groupements attributaires participaient étaient en cours d'exécution, ce qui explique les regroupements d'entreprises pour parvenir à une exécution des marchés dans les conditions prévues par le maître d'ouvrage en opérant une répartition des plans de charge entre membres du groupement.

167. Ainsi, la valeur probante de l'indice provenant d'un recours systématique aux groupements concernant les marchés 7 et 8 n'est pas établie.

2. Sur les tableaux cotés 1963 et 1964 relatifs au marché 7

168. Un document, coté 1963, dont le second coté 1964 est le brouillon, communiqué par la société EJL et établi par CBC a été retenu parce qu.il révélait l'existence d'une répartition théorique entre les entreprises membres du groupement avec leurs sous-traitants, en fonction des parts que ces entreprises détenaient dans les centrales d'enrobage autour de Reims, ces parts théoriques étant de 25,5 % pour Eurovia et Screg-Est, de 17 % pour Colas-Est et EJL, de 10 % pour Routière Morin et de 5 % pour CTP (§ 80 et suiv.).

169. Les entreprises mises en cause ont souligné que le document visé était postérieur à l'attribution du marché, que les entreprises y figurant étaient membres du groupement attributaire du marché 7 et que les pourcentages affectés à chaque entreprise membre du groupement attributaire correspondaient à la répartition des travaux entre les membres déterminée après l'attribution du marché.

170. Le tableau coté 1963 et son brouillon retraçant des opérations en cours d'exécution, ont été établis postérieurement à l'attribution du marché et, dans ces conditions, la répartition de travaux entre entreprises membres d'un groupement n'est pas répréhensible.

171. De plus, ainsi que l'ont indiqué certaines entreprises dans leurs observations, les parts théoriques mentionnées au tableau ne sont pas en tout point similaires aux parts détenues par les entreprises dans les centrales d'enrobés situées autours de Reims. Ainsi, Eurovia, qui dispose d'une participation de 17,5 % dans le capital de ces deux centrales, se voit attribuer une part théorique de 25,5 %. A l'inverse, EJL, qui dispose d'une participation de 25 % dans ces deux centrales, ne se voit affecter qu'une part théorique de 17 %. Quant aux sociétés Routière Morin et CTP, elles bénéficient respectivement d'une part théorique de 10 % et 5 % alors qu'elles ne disposent d'aucune participation dans le capital des deux centrales du secteur de Reims.

172. Enfin si, dans les tableaux cotés 1963 et 1964, il est fait mention de lignes intitulées "delta 97" et "delta 98", celles-ci ne sont pas renseignées et ne peuvent être utilisées pour démontrer une répartition générale des travaux entre le marché annuel 7 et les marchés 4 et 6, dont les faits sont par surcroît prescrits.

3. Sur le tableau coté 1975 relatif au marché 8

173. Le document coté 1975, établi par CBC et communiqué par EJL, reprend les mêmes parts théoriques que celles établies pour le marché 7, à savoir 25,5% pour Eurovia et Screg-Est, 17 % pour Colas-Est et EJL, 10 % pour Routière Morin et 5 % pour CTP, et détermine les écarts avec les réalisations ou les prévisions de travaux. Il a également été noté que ces parts étaient proches des parts détenues par les entreprises dans les centrales d'enrobés situées autour de Reims.

174. Les entreprises ont observé que le document 1975 établi le 29 mars 1999 était postérieur à la date limite de dépôt des offres et à l'attribution du marché 8, qui ont respectivement eu lieu le 14 décembre 1998 et le 19 janvier 1999, et que les entreprises mentionnées sur ce tableau sont uniquement les entreprises membres du groupement attributaire (Colas-Est/Eurovia/EJL/Routière Morin) et leurs sous-traitants (Screg-Est et CTP).

175. Eurovia a précisé que la ligne "Montant alloué TTC" correspondait ainsi au total des travaux effectués par chaque entreprise, la ligne "Part théorique" correspondant au montant des travaux devant théoriquement être réalisés par chaque entreprise, au regard du pourcentage qui lui a été attribué dans la convention de groupement, et la ligne "Écart TTC" correspond à la différence entre les deux lignes précédentes.

176. Comme il a été constaté précédemment pour le marché 7, les pourcentages affectés à chaque entreprise sur le document 1975 et ceux de la participation des entreprises membres du groupement dans les centrales d'enrobage de la région de Reims, ne sont pas similaires. Ils correspondent aux pourcentages de répartition des travaux prévus par la convention de groupement recalculés pour prendre en compte les travaux effectués en sous-traitance (rapport § 355).

177. Ce tableau qui a été établi postérieurement à l'attribution du marché 8 et qui retrace la répartition des travaux entre membres du groupement attributaire ne peut être retenu comme preuve d'une répartition du marché préalable au dépôt des offres.

178. En l'absence de faisceau d'indices graves, précis et concordants, il n'est pas établi que les sociétés Screg-Est, Colas-Est, Eurovia, EJL, Robert Morin, Smac Aciéroïd et CTP se sont concertées pour répartir entre elles les lots des marchés 5, 7, 8 et 10 lancés par la ville et le district de Reims.

3. SUR L'ABSENCE D'AUTONOMIE DES ENTREPRISES GOREZ FRERES ET ROBERT MORIN QUI ONT DEPOSE DES OFFRES DISTINCTES (GRIEF N° 4)

179. Le Conseil de la concurrence a indiqué à plusieurs reprises les conditions dans lesquelles des entreprises appartenant à un même groupe peuvent soumissionner à un appel d'offres. Selon une jurisprudence constante, les dispositions prohibant les ententes illicites ne s'appliquent pas aux accords intra groupes, dès lors que les filiales ne disposent pas d'une autonomie commerciale.

180. Le Conseil en a tiré trois conséquences :

* il est possible, pour des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers mais disposant d'une autonomie commerciale, de présenter des offres distinctes et concurrentes, à la condition de ne pas se concerter avant le dépôt des offres ;

* il est possible, pour des entreprises ayant entre elles des liens juridiques ou financiers mais disposant d'une autonomie commerciale, de renoncer, généralement ou ponctuellement, à cette autonomie commerciale à l'occasion d'une mise en concurrence et de se concerter, pour décider quelle sera l'entreprise qui déposera une offre ou pour établir cette offre, à la condition de ne déposer qu'une seule offre ;

* en revanche, si de telles entreprises déposent plusieurs offres, la pluralité de ces offres manifeste l'autonomie commerciale des entreprises qui les présentent et l'indépendance de ces offres. Si ces offres multiples ont été établies en concertation, ou après que les entreprises ont communiqué entre elles, elles ne sont plus indépendantes. Dès lors, les présenter comme telles trompe le responsable du marché sur la nature, la portée, l'étendue ou l'intensité de la concurrence et cette pratique a, en conséquence, un objet ou, potentiellement, un effet anticoncurrentiel. Il est, par ailleurs, sans incidence sur la qualification de cette pratique, que le responsable du marché ait connu les liens juridiques unissant les sociétés concernées, dès lors que l'existence de tels liens n'implique pas nécessairement la concertation ou l'échange d'informations.

181. En l'espèce, Madame Ghislaine Gorez assure la gérance de la société Robert Morin. Son époux, Monsieur Henri Gorez, détient une part dans cette société et la société Gorez frères les 2999 parts restantes. Par ailleurs, Monsieur Henri Gorez assume les fonctions de président du conseil d'administration de la société Gorez frères et Madame Ghislaine Gorez, celles d'administrateur.

182. Il a été reproché aux sociétés Gorez frères et Robert Morin de n'avoir pas porté à la connaissance du maître d'ouvrage les liens financiers qui les unissaient. Le dossier d'appel d'offres pour le marché 5 transmis aux enquêteurs par la ville de Reims contient néanmoins un extrait de K-bis qui, s'il ne fait pas état des liens financiers entre Gorez frères et Robert Morin, mentionne Madame Ghislaine Gorez comme administrateur de la société Gorez frères.

183. Par ailleurs, les offres de prix reçues par la ville de Reims lors du marché 5 émanent, d'une part, de la société Gorez frères en tant que mandataire d'un groupement avec CTRM sur le lot 1 et à titre individuel sur le lot 3, et, d'autre part, de la société Robert Morin, en groupement avec six autres entreprises sur ces deux mêmes lots. Robert Morin n'était pas mandataire au sein de ce dernier groupement (le mandataire étant la société Screg-Est). Sur le marché 10 à lot unique, les offres reçues émanent, d'une part, de Robert Morin, en groupement avec CTP, mandataire, et, d'autre part, de Gorez frères, à titre individuel. Lors de ce marché, le pli déposé par Gorez frères a été déclaré non conforme.

184. Les représentants des sociétés Gorez frères et Robert Morin n'ont pas été entendus lors de l'enquête. Le dossier ne contient pas d'éléments concernant le degré réel d'autonomie commerciale de ces deux sociétés en matière d'établissement des offres.

185. Les liens financiers existant entre les deux sociétés ne permettent pas de conclure qu'elles ne disposaient pas d'une autonomie commerciale pour déposer des offres indépendantes. De plus, leurs offres émanent de groupements dont elles ont fait partie séparément et qui étaient concurrents.

186. Dans ces conditions, la pratique n'est pas établie.

DÉCISION

Article 1er : Les sociétés Routière Morin et SCR Marne sont mises hors de cause.

Article 2 : Il n'est pas établi que les sociétés :

Colas-Est ;

Screg-Est ;

Smac Aciéroïd ;

Eurovia Lorraine ;

Champagne Travaux Publics ;

Gorez frères ;

Robert Morin ;

ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.