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Décisions

Conseil Conc., 28 mars 2007, n° 07-D-10

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à une plainte à l'encontre du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Poulain, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mmes Mader-Saussaye, Pinot, ainsi que MM. Bidaud, Combe, Honorat, membres.

Conseil Conc. n° 07-D-10

28 mars 2007

Le Conseil de la concurrence (section I),

Vu la saisine enregistrée le 29 novembre 2006, sous le numéro 06/0088 F, par laquelle la société Fruitière du massif jurassien (FMJ) a saisi le Conseil de la concurrence d'une plainte à l'encontre du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté (CIGC) et la demande de mesures conservatoires enregistrée le même jour sous le numéro 06/0089 M ; Vu le traité instituant la Communauté européenne, notamment les articles 10, 32, 36 et 81 ; Vu le livre IV du Code de commerce et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 modifié fixant les conditions de son application ; Vu le Code rural, notamment les articles L. 640-1 et suivants ; Vu le décret n° 63-575 du 11 juin 1963 portant création d'un Comité interprofessionnel du gruyère de Comté ; Vu le décret du 30 décembre 1998 modifié relatif à l'appellation d'origine " Comté " ; Vu les observations présentées par la société plaignante, par le Comité interprofessionnel du gruyère de Comté et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, ainsi que les représentants de la société Fruitière du massif jurassien et du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté entendus lors de la séance du 6 février 2007 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LE SECTEUR D'ACTIVITE : LE FROMAGE DE COMTE

1. En Franche-Comté, la fabrication de grands fromages est une tradition très ancienne. Dans les zones de montagne, les grandes roues de fromage ou fromages à grande forme, plus couramment appelés " meules ", représentaient un moyen de conserver de la nourriture durant les mois d'hiver, autrement dit de faire " fructifier " le lait. La production d'une meule nécessitant environ 500 litres de lait, les fermiers s'unissaient et apportaient leur production à la " fructerie " appelée aujourd'hui " fruitière ".

2. Le comté est un fromage fabriqué exclusivement à partir du lait de vache. Il appartient à la catégorie des fromages à pâte pressée, cuite et assimilés (dits " PPC ") comme l'emmental, le gruyère, le beaufort.

3. Le comté bénéficie au titre du droit national d'une appellation d'origine contrôlée (ci-après AOC) et au titre du droit communautaire d'une appellation d'origine protégée (ci-après AOP).

1. LA REGLEMENTATION APPLICABLE EN MATIERE D'APPELATIONS D'ORIGINE

a) Les AOC et AOP

4. Initialement régies par le seul droit national, les appellations d'origine et les autres signes de valorisation agricole sont maintenant réglementés en droit communautaire depuis l'adoption du règlement (CEE) n° 2081-92 du Conseil en date du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JOCE L 208, p. 1), remplacé par le règlement (CE) n° 510-2006 du 20 mars 2006 (JOUE L 93, p. 12).

En droit communautaire

5. L'AOP prévue par ces règlements est décernée à certains produits agricoles et alimentaires autres que les vins et spiritueux (ces derniers font l'objet d'un dispositif spécifique). Cette appellation est " le nom d'une région, d'un lieu déterminé ou, dans les cas exceptionnels, d'un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire : - originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays et - dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l'élaboration ont lieu dans l'aire géographique délimitée. "

6. L'AOP vise donc les produits entièrement " fabriqués " dans la zone considérée. De plus, la qualité ou les caractères d'un produit AOP doivent être essentiellement dus aux facteurs de cette zone.

7. Conformément au dispositif français, hormis les vins qui font l'objet de règlements particuliers, les AOC françaises font désormais l'objet d'une demande systématique d'enregistrement comme AOP.

En droit interne

8. Un décret-loi du 30 juillet 1935 a posé les principes du système des AOC tels qu'ils existent encore aujourd'hui. La première AOC reconnue a été en 1936 celle du vin d'Arbois, produit dans le Jura. Initialement réservé aux vins et eaux-de-vie, le système a été étendu en 1990 à l'ensemble des produits agroalimentaires.

9. Le Code de la consommation, ainsi que le Code de la propriété intellectuelle (article L. 721-1) et le Code rural qui y renvoient, constituent aujourd'hui, à l'échelon national, le cadre législatif et réglementaire applicable aux signes de qualité dont font partie les AOC.

10. Les règles applicables aux AOC figurant au Code rural ont été récemment modifiées par l'ordonnance n° 2006-1547 du 7 décembre 2006 relative à la valorisation des produits agricoles, forestiers ou alimentaires et des produits de la mer, (JO du 8 décembre 2006), entrée en vigueur le 1er janvier 2007, les principes restant les mêmes.

11. L'article L. 115-1 du Code de la consommation dispose : " Constitue une appellation d'origine la dénomination d'un pays, d'une région et d'une localité, servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ". L'article L. 641-5 nouveau du Code rural précise : " Peuvent bénéficier d'une appellation d'origine contrôlée les produits agricoles, forestiers ou alimentaires et les produits de la mer, bruts ou transformés, qui remplissent les conditions fixées par les dispositions de l'article L. 115-1 du Code de la consommation, possèdent une notoriété dûment établie et dont la production est soumise à des procédures d'agrément comportant une habilitation des opérateurs, un contrôle des conditions de production et un contrôle des produits ".

12. La reconnaissance d'une AOC fait l'objet d'un décret (article L. 641-7 nouveau du Code rural). Elle est proposée par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO), établissement public administratif ayant succédé à l'Institut national des appellations d'origine dont il a conservé le sigle, après examen d'une demande présentée en ce sens par les intéressés.

13. A cet égard, depuis le 1er janvier 2007, la défense et la gestion d'un produit bénéficiant d'une appellation d'origine contrôlée, ou pour lequel une telle appellation est sollicitée, doit être assurée par un organisme reconnu, doté de la personnalité civile (article L. 642-17 nouveau du Code rural). Ces organismes assureront les missions jusqu'alors dévolues aux syndicats de défense des appellations d'origines ou organisations interprofessionnelles. Le Comité interprofessionnel du gruyère de Comté (ci-après CIGC) est en voie d'être reconnu comme étant un organisme de ce type.

14. La législation communautaire prévoit elle-même que les demandes d'enregistrement ou de modification des cahiers des charges des AOP doivent provenir d'un groupement, c'est-à-dire " toute organisation, quelle qu'en soit la forme juridique ou sa composition, de producteurs ou de transformateurs concernés par le même produit agricole ou par la même denrée alimentaire. " L'examen de la demande est ensuite réalisé par l'État membre concerné.

15. L'organisation et le fonctionnement de l'INAO étaient régis, au moment où les comportements dénoncés dans la présente affaire ont eu lieu, par les articles L. 641-5 et suivants du Code rural.

16. L'article L. 641-5, dans sa rédaction d'alors, disposait : " L'institut national des appellations d'origine est un établissement public administratif, jouissant de la personnalité civile. Il comprend : 1° Un comité national compétent pour les vins, eaux-de-vie, cidres, poirés, apéritifs à base de cidres, de poirés ou de vins ; 2° Un comité national des produits laitiers ; 3° Un comité national des produits autres que ceux couverts par les instances mentionnées ci-dessus. Ces comités sont composés de représentants professionnels, de représentants des administrations et de personnalités qualifiées permettant notamment la représentation des consommateurs. Chacun de ces comités se prononce pour les produits de sa compétence sur les questions mentionnées à l'article L. 641-6. Les membres de ces comités sont réunis en séance plénière pour la présentation du budget et de la politique générale de l'institut. Un conseil permanent composé de membres appartenant aux mêmes catégories que celles prévues pour les comités nationaux et choisis parmi ces comités établit le budget de l'institut et détermine la politique générale relative aux appellations d'origine contrôlées. Les présidents des comités nationaux et du conseil permanent sont nommés par arrêté conjoint du ministre chargé de l'économie et du ministre de l'agriculture. Le président du conseil permanent est nommé pour deux ans. Il est choisi successivement dans chacun des comités nationaux. "

17. Les dispositions issues de l'ordonnance n° 2006-1547 en vigueur depuis le 1er janvier 2007 ne sont pas significativement différentes au regard des questions soulevées en l'espèce.

18. Un arrêté du 29 juillet 1991 fixe la composition du Comité national des produits laitiers (ci-après " CNPL ") de l'INAO. Celui-ci comprend 24 représentants des syndicats de défense des appellations d'origine contrôlées concernant les produits laitiers, 15 personnalités choisies en raison de leur compétence en matière d'appellation d'origine contrôlée des produits laitiers ou des secteurs de la distribution et de la consommation et 8 représentants des administrations.

19. Afin d'instruire une demande de reconnaissance ou de modification des conditions de production d'une appellation, le comité national compétent de l'INAO peut désigner en son sein une commission d'enquête, composée de professionnels qui doivent être des personnes n'ayant pas d'intérêts dans la région concernée. Cette commission est chargée d'effectuer un examen approfondi de la demande et d'en faire rapport au comité national afin qu'il puisse prendre la décision de proposer ou non l'adoption d'un décret.

b) Les objectifs poursuivis

20. Les objectifs de la politique des signes d'identification de la qualité et de l'origine des produits agricoles et alimentaires sont exposés dans les motifs des règlements communautaires précités.

21. Les deuxième et troisième considérants du règlement n° 2081-92 du Conseil en date du 14 juillet 1992 indiquent : " (...) que dans le cadre de la réorientation de la politique agricole commune, il convient de favoriser la diversification de la production agricole afin de réaliser sur le marché un meilleur équilibre entre l'offre et la demande ; que la promotion de produits présentant certaines caractéristiques peut devenir un atout important pour le monde rural, notamment dans les zones défavorisées ou éloignées, en assurant, d'une part, l'amélioration du revenu des agriculteurs et, d'autre part, la fixation de la population rurale dans ces zones. " " (...), qu'il a été constaté, au cours de ces dernières années, que les consommateurs ont tendance à privilégier, pour leur alimentation plutôt la qualité que la quantité ; que cette recherche de produits spécifiques se traduit, entre autres, par une demande de plus en plus importante de produits agricoles ou de denrées alimentaires d'une origine géographique certaine ". Il est également indiqué, au sixième considérant " (...) que la volonté de protéger des produits agricoles ou denrées alimentaires identifiables quant à leur origine géographique a conduit certains États membres à la création d' "appellations d'origine contrôlée" ; que celles-ci se sont développées à la satisfaction des producteurs qui obtiennent des meilleurs revenus en contrepartie d'un effort qualitatif réel et à la satisfaction des consommateurs qui disposent de produits spécifiques avec des garanties sur leur méthode de fabrication et leur origine. "

22. Ces considérations ont été, en substance, reprises dans les motifs du règlement n° 510-2006.

23. Ces objectifs figurent aussi dans le Code rural : " La politique conduite dans le domaine de la qualité et de l'origine des produits agricoles (...) doit répondre aux objectifs suivants : - promouvoir la diversité des produits et l'identification de leurs caractéristiques, ainsi que leur mode de production ou leur origine, pour renforcer l'information des consommateurs et satisfaire leurs attentes ; - renforcer le développement des secteurs agricoles (...) et alimentaires et accroître la qualité des produits par une segmentation claire du marché ; - fixer sur le territoire la production agricole (...) ou alimentaire et assurer le maintien de l'activité économique notamment en zones rurales défavorisées par une valorisation des savoir-faire et des bassins de production ; - répartir de façon équitable les fruits de la valorisation des produits agricoles (...) entre [les producteurs], les transformateurs et les entreprises de commercialisation ". Ces objectifs sont actuellement inscrits à l'article L. 640-1 nouveau du Code rural.

2. L'APPELLATION D'ORIGINE CONTROLEE COMTE

24. Le comté bénéficie depuis 1958 d'une AOC reconnue par décret. L'AOC définit un territoire de production et garantit le respect des procédés traditionnels d'élevage, de fabrication et d'affinage, fixés dans un cahier des charges faisant l'objet d'un contrôle strict. Les règles de production du comté résultent actuellement d'un décret du 30 décembre 1998 modifié (JO du 5 janvier 1999), et de son règlement d'application homologué par arrêté interministériel sur proposition du CNPL. Ce règlement précise les conditions auxquelles doivent répondre les fromages pour bénéficier de l'appellation d'origine contrôlée " Comté ", ainsi que les obligations des différents producteurs de la filière.

25. En particulier, aux termes du décret du 30 décembre 1998 modifié, les fromages doivent être " fabriqués exclusivement avec du lait de vache mis en œuvre cru et en l'état. A l'exception d'un écrémage partiel, d'un emprésurage, d'un ajout de ferments lactiques ou d'auxiliaires de fabrication prévus au règlement d'application, tout retrait ou ajout de ce lait sont interdits. C'est un fromage à pâte cuite, pressée et salée en surface ou en saumure, de couleur ivoire à jaune, présentant généralement une "ouverture" susceptible d'atteindre la dimension d'une petite cerise. Le fromage doit contenir au minimum 45 grammes de matière grasse pour 100 grammes de fromage après complète dessiccation et présenter une teneur en matière sèche qui ne doit pas être inférieure à 62 grammes pour 100 grammes de fromage. Le fromage ne doit pas présenter une humidité dans le fromage dégraissé (HFD) supérieure à 54 %. Le fromage se présente sous la forme d'une meule, d'un poids de 30 à 48 kilogrammes, d'un diamètre de 50 à 75 centimètres, ayant un talon droit ou légèrement convexe d'une hauteur de 8 à 13 centimètres, à croûte frottée, solide et grenée, de couleur jaune à brun. L'épaisseur au centre de la meule ne doit pas dépasser la hauteur en talon affectée du coefficient 1,4. Le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine contrôlée "Comté" peut également se présenter sous forme de portions conditionnées. "

26. Le lait utilisé pour la fabrication doit provenir uniquement de vaches de race montbéliarde ou de race Simmental française. Chaque animal doit bénéficier au minimum d'un hectare de prairie naturelle. La fertilisation des sols est limitée de façon à préserver la richesse de la flore naturelle. L'alimentation du bétail doit être naturelle et exempte de produits fermentés (sans ensilage). Le lait cru doit être collecté quotidiennement et le lait doit être transformé en comté dans les 24 heures suivant sa collecte. La distance entre les ateliers et leur zone de collecte est, sauf dérogations, limitée à 25 kilomètres. Seuls les ferments naturels concourent à la maturation du lait. Tous les colorants et additifs sont interdits. Le comté doit être affiné en cave durant 4 mois au minimum.

27. Les conditions de production imposées ont pour objectif de garantir les caractères particuliers du comté qui, conformément à la définition de l'AOC, résultent tant des facteurs naturels, comme la zone géographique de production, que des facteurs humains, notamment les techniques de fabrication et les modes d'élaboration. Ces conditions ont des conséquences directes sur l'organisation et le développement des acteurs de la filière.

28. Le territoire couvert par l'AOC correspond aux aires de production limitativement énumérées dans le décret. Si l'aire de production arrêtée en 1958 incluait tous les départements comtois, des communes de Haute-Marne, de Côte d'Or, de Saône-et-Loire et de l'Ain, une révision de 1996 a restreint l'aire de l'AOC au Jura " géologique " sur lequel était constatée une " constance de l'usage ". Conformément à l'article 1er du décret du 30 décembre 1998 précité, le comté ne peut être aujourd'hui produit en dehors d'un territoire qui couvre l'essentiel du Jura et une bonne partie du Doubs, ainsi qu'une petite portion de l'Ain.

3. L'APPELLATION D'ORIGINE PROTEGEE COMTE

29. Le comté bénéficie également, depuis 1996, d'une AOP. Il est inscrit sur le registre communautaire des appellations d'origine protégée.

4. LA FILIERE DU COMTE

30. La filière du comté comprend trois types d'entreprises : les producteurs de lait à comté, les producteurs de comté, les affineurs.

a) Les producteurs de lait à comté

31. En 2006, environ 3 200 exploitations laitières produisent du lait destiné à la production de comté. Ces exploitations approvisionnent les producteurs de comté. Les conditions de production du lait à comté sont strictes, mais les producteurs obtiennent une rémunération attractive, supérieure de 15 à 20 % à celle du lait standard.

b) Les producteurs de comté

32. Le comté est produit dans des fruitières, des coopératives ou des entreprises de taille diverse. En 2006, il existe environ 180 producteurs. Historiquement, le comté est fabriqué dans de petites fruitières de village, dont le nombre tend à décroître. Le nombre de fruitières est passé de 270 dans les années 1990 à 170 aujourd'hui.

33. Les ateliers de fabrication de comté comprennent des cuves en cuivre de taille diverse (de 500 à plus de 5 000 litres par cuve pour les plus importantes). Les ateliers disposent traditionnellement de 2 à 5 cuves. Les cuves permettent de fabriquer plusieurs meules simultanément et peuvent, au cours d'une même journée, servir plusieurs fois. Selon le CIGC, seules deux entreprises feraient régulièrement plus de deux tours de fabrication dans une même cuve en 24 heures.

34. En 2004, les ateliers de production de comté pouvaient être classés de la manière suivante, suivant leur taille (par volume annuel de collecte de lait à comté) :

35. Selon les statistiques fournies par le CIGC, les ateliers de production se répartissent de la manière suivante, suivant le nombre de cuves :

CLASSE DE LITRAGE (EN LITRES DE LAIT A COMTE) : NOMBRE D'ATELIERS

Inférieur à 1 million : 14

1 à 2 millions : 45

2 à 3 millions : 47

3 à 4 millions : 26

4 à 5 millions : 17

5 à 5,2 millions : 1

5, 2 à 5,4 millions : 4

5,4 à 5,6 millions : 2

5 6 à 5,8 millions : 2

5, 8 à 6 millions : 3

6 à 6,2 millions : 2

6,2 à 6,4 millions : 4

6, 4 à 6,6 millions : 1

6,6 à 7 millions : 1

7 à 8 millions : 2

8 à 10 millions : 2

10 à 15 millions : 3

Plus de 15 millions : 3

36. Selon ces mêmes statistiques, les ateliers de production se répartissent de la manière suivante, suivant la taille des cuves (en nombre de meules produites simultanément par cuve).

c) Les affineurs de comté

37. Les meules sont vendues à des affineurs ou affinées directement par les producteurs à des fins de revente. La filière compte 25 affineurs qui affinent 76 % du tonnage et 49 fabricants affineurs.

38. Le comté doit être affiné au moins 4 mois, comme indiqué précédemment. Mais la variabilité des durées d'affinage fait qu'à tout moment il est possible de se procurer du comté de saisons différentes. Les comtés d'été présentent les arômes les plus diversifiés et fruités. Les comtés d'hiver, à pâte claire, se caractérisent par des nuances " noisette ", végétales et torréfiées plus marquées.

5. LE COMTE PARMI LES AUTRES FROMAGES D'AOC

39. Il existe environ 1 000 sortes de fromage produites en France. 42 bénéficient aujourd'hui d'une AOC. Les Français sont les plus gros consommateurs de fromage d'Europe avec 24 kilos par an et par habitant.

40. A eux seuls, les 10 premiers fromages AOC représentaient, en 2004, 79 % des tonnages AOC (source : INAO). Le comté est, en volume, le premier fromage AOC vendu en France.

% DES FROMAGERIES : NOMBRE DE CUVES

27 % : 2

41 % : 3

29 % : 4

3 % : 5

% DES FROMAGERIES : NOMBRE DE MEULES

23 % : moins de 6 meules

28 % : de 6 à 8 meules

18 % : de 8 à 10 meules

14 % : De 10 à 12 meules

17 % : Plus de 12 meules (c'est-à-dire plus de 5 000 litres)

Source : INAO

41. La production de comté augmente de façon régulière. Elle est passée de 35 000 tonnes en 1990 à 50 000 tonnes en 2004. La reconversion vers la production de comté des coopératives d'emmental Grand-cru situées dans la partie nord du département du Doubs expliquerait l'essentiel de cette évolution.

ÉVOLUTION DE LA PRODUCTION (en tonnes)

Tableau 1

Source : www.comte.com

42. Les ventes de comté se sont établies à 43 500 tonnes en 2004, dont 75 % à la grande et moyenne distribution.

43. L'augmentation de la production s'est accompagnée d'une augmentation des prix de vente, tant au départ des caves que pour le consommateur final. Les prix de vente aux consommateurs ont régulièrement augmenté, passant en moyenne de 7,5 euro le kg en 1990 à 9,75 euro en 2004.

ÉVOLUTION DES VENTES (DÉPART CAVE)

Source : www.comte.com

ÉVOLUTION DES PRIX A LA CONSOMMATION

Source : www.comte.com

44. Le marché à l'exportation est en plein développement, notamment vers l'Allemagne, la Belgique et les Etats-Unis. Selon l'INAO, le comté serait le fromage AOC le plus exporté après le roquefort. En 2004, 1 153 tonnes ont ainsi été exportées vers le marché allemand (+ 6 % sur un an) et 572 tonnes vers le marché belge (+ 22 % sur un an).

B. LES ENTITES CONCERNEES

1. LA SOCIETE FRUITIERE DU MASSIF JURASSIEN (FMJ)

45. La Fruitière du massif jurassien (ci-après FMJ) est une société anonyme qui exerce une double activité de producteur et d'affineur de comté. Elle ne produit ni n'affine aucun autre type de fromage.

46. FMJ compte 41 actionnaires, dont 36 producteurs de lait. Elle emploie 48 personnes. Elle produit du comté dans six ateliers de transformation. Cinq transforment entre 3 000 et 11 000 litres de lait par jour. Le sixième, situé à Pont-du-Navoy, est un atelier de grande taille pouvant transformer 56 000 litres de lait par jour au moyen de trois cuves dans lesquelles cinq tours de fabrication successifs sont effectués par jour. Elle s'approvisionne auprès d'environ 130 producteurs de lait à comté (fermes individuelles ou coopératives) et bénéficie d'une dérogation de la part de l'INAO, sa zone de collecte s'étendant au-delà des 25 kilomètres fixés par la réglementation.

47. FMJ vend 80 % de sa production aux enseignes de la grande et moyenne distribution, sous des marques distributeurs.

48. FMJ est acteur important de la filière puisqu'elle produit 3 000 tonnes de comté par an, soit 6 % de la production totale. Ses principaux concurrents sont Lactalis, Jura Courlaoux (groupe Entremont) et Ermitage. FMJ a créé en 2006 une filiale commune avec Entremont. Entremont est un acteur important de la filière comté avec environ 30 % des mises sur le marché.

49. Le président de FMJ siège au conseil d'administration du CIGC depuis mai 2006 en qualité de représentant des fabricants de fromages (arrêté du ministre de l'Agriculture et de la Pêche du 4 mai 2006, JO du 17 mai 2006).

2. LE COMITE INTERPROFESSIONNEL DU GRUYERE DE COMTE (CIGC)

50. Ce comité a été créé par le décret n° 63-575 du 11 juin 1963 (JO du 15 juin 1963), sous la forme d'un organisme de droit privé, doté de la personnalité civile. Son siège est fixé à Poligny (Jura).

51. Ses membres sont les représentants des producteurs de lait à comté, des producteurs de comté, des affineurs et des commerçants en produits laitiers, ainsi que le président du CNPL et le président de l'Association nationale des appellations d'origine (ANAO).

52. Bien que l'emploi du mot gruyère ait été ultérieurement abandonné pour désigner l'appellation d'origine contrôlée " Comté ", la dénomination du CIGC est restée inchangée.

53. Aux termes de l'article 2 du décret du 11 juin 1963 précité, le CIGC est chargé :

" 1° De procéder à toutes études sur la production et la commercialisation du gruyère de Comté et de centraliser à cet effet tous renseignements d'ordre économique, technique et pratique ;

2° D'apporter aux exploitants agricoles, aux fruitières, aux laiteries, aux affineurs et négociants toute assistance technique et pratique utile pour l'amélioration de la qualité du gruyère de Comté et une meilleure rentabilité des activités professionnelles intéressées par la production et la commercialisation de ce fromage ;

3° De veiller à l'application des décisions et textes relatifs à l'appellation d'origine "Gruyère de Comté" ou "Comté" ;

4° D'informer les consommateurs tant français qu'étrangers de la qualité du gruyère de Comté, de façon à étendre les débouchés ouverts à ce fromage.

Le comité a qualité pour présenter aux pouvoirs publics toutes mesures de nature à améliorer la production et la commercialisation du gruyère de Comté. "

54. Le CIGC se réunit en assemblée plénière. Cette assemblée plénière décide des orientations du travail du bureau. Le bureau consulte pour avis quatre commissions spécialisées qui couvrent les grands volets d'activité du CIGC : une commission publicité, une commission information, une commission économie et une commission technique du comté qui a un rôle de conseil et d'assistance technique auprès des différents acteurs de la filière.

55. Le CIGC a formellement déposé auprès de l'INAO une demande de reconnaissance comme organisme de défense et de gestion conformément aux nouvelles dispositions du Code rural issues de l'ordonnance du 7 décembre 2006 précitée.

C. LE MARCHE CONCERNE

56. Dans sa décision n° 98-D-54 du 8 juillet 1998 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production de gruyère de Comté, le Conseil de la concurrence a estimé qu'il existait un marché, au sens du droit de la concurrence, du comté d'appellation d'origine contrôlée : " les caractères et les conditions de production du Comté AOC tels qu'ils sont prévus par le décret du 19 décembre 1986 relatif à l'appellation contrôlée Comté permettent de délimiter un marché du fromage de Comté d'appellation d'origine contrôlée. "

57. Le Conseil s'est à cet égard référé à deux décisions qu'il avait adoptées concernant des fromages bénéficiant d'une AOC (cantal, reblochon) dont l'une, après recours, a été confirmée par la cour d'appel et la Cour de cassation. Depuis, dans sa décision n° 04-D-13 du 8 avril 2004 relative à des pratiques mises en œuvre par la Société des caves et producteurs réunis de Roquefort dans le secteur des fromages à pâte persillée, ultérieurement confirmé par la cour d'appel de Paris puis la Cour de cassation, le Conseil a également considéré qu'un fromage doté de caractéristiques propres, telles que celles exigées pour bénéficier d'une AOC, qui le différencient des fromages d'aspect voisin ou de mode de fabrication comparable ne leur est pas substituable si son goût s'en distingue nettement : il a ainsi estimé qu'il existait un marché limité au roquefort.

58. Si ces précédents ne signifient pas que tout produit agricole ou denrée alimentaire bénéficiant d'une AOC constitue à lui seul un marché, aucun élément du dossier ne conduit à revoir l'appréciation portée dans la décision n° 98-D-54 en ce qui concerne l'existence d'un marché spécifique au comté.

D. LES PRATIQUES DENONCEES

59. La saisissante dénonce quatre " mesures " adoptées par le CIGC entre 2000 et 2006 et proposées à l'approbation du comité spécialisé de l'INAO, le CNPL, en vue de leur transcription dans une version révisée du décret régissant l'AOC Comté. Ces " mesures " introduisent des dispositions nouvelles fixant le nombre maximum de cuves par atelier, la taille maximum de ces cuves et le nombre maximum de tours successifs de fabrication par cuve. Elles prévoient aussi un dispositif de contrôle de la croissance de la production des ateliers par la limitation de l'augmentation annuelle de la quantité de lait qu'ils seraient autorisés à traiter. La société FMJ précise qu'elle n'a pas connaissance de l'ensemble des mesures éventuellement anticoncurrentielles adoptées par le CIGC.

60. La saisissante estime que ces mesures, adoptées dans le cadre d'une procédure de révision du cadre réglementaire fixant les conditions de production du comté, initiée par le CIGC en juillet 2000 auprès de l'INAO, sont sans lien avec l'objet de la réglementation de l'AOC, notamment la préservation du lien avec le terroir. La société FMJ considère en conséquence que ces mesures sont constitutives d'une entente anticoncurrentielle prohibée par les articles 81 CE et L. 420-1 du Code de commerce.

61. Dans sa demande de mesures conservatoires, la société FMJ demande au Conseil, sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce, d'enjoindre au CIGC de supprimer de sa demande de modification du cadre réglementaire régissant l'AOC " Comté " les quatre mesures contestées. Selon elle, ces mesures en limitant le développement et le rendement des ateliers porteraient une atteinte grave et immédiate non seulement à ses intérêts mais aussi à ceux de l'ensemble des producteurs de comté disposant d'ateliers de grande taille.

62. Postérieurement à la saisine du Conseil, le CNPL de l'INAO a adopté le 1er décembre 2006 un projet de décret ainsi qu'un projet d'arrêté visant à modifier le décret AOC " Comté " du 30 décembre 1998 et son règlement d'application. Le projet de décret a été transmis pour signature par l'INAO au ministère de l'agriculture et de la pêche le 23 janvier 2007.

II. Discussion

63. En application de l'article L. 462-8, alinéas 1 et 2, du Code de commerce, le Conseil de la concurrence " peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable (...) s'il estime que les faits invoqués n'entrent pas dans le champ de sa compétence. Il peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu'il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d'éléments suffisamment probants. " Par ailleurs, l'article 42 du décret du 30 avril 2002 énonce que " la demande de mesures conservatoires mentionnée à l'article L. 464-1 du Code de commerce ne peut être formée qu'accessoirement à une saisine au fond du Conseil de la concurrence. " Une demande de mesures conservatoires ne peut donc être examinée que pour autant que la saisine au fond ne soit pas rejetée.

A. CONSIDERATIONS GENERALES

64. Le Conseil constate que les pratiques émanant du CIGC et dont il est saisi s'inscrivent dans le cadre de la mise en œuvre par ce comité d'un pouvoir d'initiative en matière réglementaire reconnu par le droit national et par le droit communautaire. En l'espèce, le CIGC agit dans le cadre d'une demande de modification de la réglementation applicable à l'AOC " Comté " effectuée en sa qualité de syndicat de défense de l'appellation.

65. Ainsi que le Conseil l'a rappelé dans sa décision n° 06-D-21 du 21 juillet 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des eaux-de-vie de cognac par le Bureau national interprofessionnel du cognac, les articles 81 CE et L. 420-1 du Code de commerce ne s'appliquent pas aux pouvoirs publics lorsqu'ils mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique pour assurer la régulation des marchés. Mais, dans la mesure où l'article 81 CE vise des comportements d'opérateurs économiques et que l'article L. 420-1 du Code de commerce s'applique, en vertu de l'article L. 410-1 du même Code, aux activités de production, de distribution et de services, le Conseil de la concurrence doit apprécier si le contexte normatif et les décisions prises par les pouvoirs publics peuvent conduire à estimer que les décisions du CIGC qui sont en cause échappent au champ d'application de ces articles ou peuvent le cas échéant en relever.

66. Dans la décision n° 06-D-21 précitée, le Conseil a, à cet égard, indiqué :

" Au regard du droit communautaire de la concurrence, les considérations suivantes doivent être prises en compte.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, notamment des arrêts BNIC/Clair et BNIC/Aubert, (...), mais aussi d'autres arrêts comme l'arrêt du 21 septembre 1988, Van Eycke/Aspa (267-86, Rec. p. 4769), que le traité CE impose aux Etats membres de ne pas prendre des mesures, même de nature législative ou réglementaire, susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Tel est le cas lorsqu'un Etat membre soit impose ou favorise la conclusion d'ententes contraires à l'article 81 CE ou renforce les effets de telles ententes, soit retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique. Toutefois, les pouvoirs publics n'imposent ni ne favorisent la conclusion d'ententes contraires à l'article 81 CE et ne délèguent pas leurs compétences d'intervention en matière économique s'ils consultent les professionnels intéressés avant d'arrêter une réglementation économique ou s'ils chargent un organisme professionnel ou interprofessionnel de déterminer en fonction de critères d'intérêt général arrêtés par eux-mêmes une telle réglementation en conservant un pouvoir de contrôle et de réformation des décisions prises à cet effet (voir en ce sens les arrêts du 17 novembre 1993, Bundesanstalt für den Güterfernverkher/Reiff, 185-91, Rec. p. 580, du 9 juin 1994, Allemagne/Delta Schiffahrts und Speditiongesellschaft, C-153-93, Rec. p. I-2517, du 5 octobre 1995, CentroServizi Spediporto/ Speditioni Marittima del Golfo, C-96-94, Rec. p. I-2883).

Dans l'hypothèse où, en violation du traité CE, un Etat membre impose à des entreprises ou à leurs associations d'adopter des comportements contraires à l'article 81 CE, ces entreprises ne peuvent pas être sanctionnées. Il convient donc à cet égard d'apprécier si les entreprises en cause conservent une autonomie de comportement (arrêt de la Cour du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359-95P et C-379-95P, Rec. p. I-6265).

Néanmoins, la Cour de justice impose aux autorités nationales de concurrence chargées d'appliquer l'article 81 CE de ne pas se contenter de prendre acte d'un tel comportement étatique. Dans l'arrêt du 9 septembre 2003, Consorzio Industrie Fiammifieri (CIF) et Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato, (C-198-01, Rec. p. I-8055) la Cour a considéré que "dès lors qu'une autorité nationale de la concurrence (...) est investie de la mission de veiller, notamment, au respect de l'article 81 CE et que cette disposition, combinée avec l'article 10 CE, impose un devoir d'abstention à la charge des États membres, l'effet utile des règles communautaires de la concurrence serait amoindri si, dans le cadre d'une enquête sur le comportement d'entreprises au titre l'article 81 CE, ladite autorité ne pouvait pas constater qu'une mesure nationale est contraire aux dispositions combinées des articles 10 CE et 81 CE et si, en conséquence, elle ne la laissait pas inappliquée." Dans le dispositif de cet arrêt, la Cour a dit pour droit :

"(...) en présence de comportements d'entreprises contraires à l'article 81, paragraphe 1, CE, qui sont imposés ou favorisés par une législation nationale qui en légitime ou renforce les effets, plus particulièrement en ce qui concerne la fixation des prix et la répartition du marché, une autorité nationale de la concurrence qui a reçu pour mission, notamment, de veiller au respect de l'article 81 CE :

- a l'obligation de laisser inappliquée cette législation nationale ;

- ne peut infliger de sanctions aux entreprises concernées pour des comportements passés lorsque ceux-ci ont été imposés par cette législation nationale ;

- peut infliger des sanctions aux entreprises concernées pour leurs comportements ultérieurs à la décision de laisser inappliquée cette législation nationale, une fois que cette décision est devenue définitive à leur égard ;

- peut infliger des sanctions aux entreprises concernées pour des comportements passés lorsqu'ils ont été simplement facilités ou encouragés par cette législation nationale, tout en tenant dûment compte des spécificités du cadre normatif dans lequel les entreprises ont agi."

Au regard du droit national de la concurrence, il convient de prendre en compte le I de l'article L. 420-4 du Code de commerce selon lequel :

" Ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques :

1°- Qui résultent de l'application d'un texte législatif ou d'un texte réglementaire pris pour son application ;

2°- Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à organiser pour les produits agricoles ou d'origine agricole, sous une même marque ou une même enseigne, les volumes et la qualité de la production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d'un prix de cession commun, ne doivent imposer des restrictions à la concurrence que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès.

Il y a lieu de rappeler qu'en raison de la primauté du droit communautaire, un accord ne peut pas échapper à l'interdiction stipulée à l'article 81 CE, s'il en réunit les conditions, au motif qu'il serait autorisé sur le fondement du droit national. "

67. En l'occurrence, ainsi qu'il résulte des données exposées au point 44 sur les exportations de comté, une restriction de concurrence sensible concernant la production du comté est susceptible d'affecter les échanges entre États membres compte tenu de sa commercialisation dans la Communauté. L'article 81 CE est donc susceptible de s'appliquer.

68. C'est sur la base des considérations qui précèdent qu'il convient d'examiner la saisine de la société FMJ.

69. A titre liminaire, le Conseil constate que les pouvoirs publics ont donné au CIGC un pouvoir d'initiative en matière de réglementation de l'AOC ; que l'INAO n'est pas tenu par le contenu des demandes du CIGC et que la responsabilité lui appartient de proposer aux ministres compétents, après étude et enquête, une modification éventuelle de cette réglementation ; que les ministres compétents ont le choix de donner suite, ou non, à la proposition de l'INAO ; que la Commission européenne ou les États membres ont in fine, au titre de la réglementation communautaire sur les appellations d'origine, la possibilité de s'opposer en droit aux mesures adoptées et ce, sans préjudice d'une éventuelle intervention des autorités de concurrence si les mesures adoptées méconnaissent les dispositions de l'article 81 CE.

B. SUR LA COMPETENCE DU CONSEIL

70. Dans leurs observations, le commissaire du Gouvernement et le CIGC estiment que le Conseil n'est pas compétent pour statuer sur la présente affaire. Ils soulignent que si la demande de modification de la réglementation applicable à la fabrication et à la commercialisation du comté a été demandée par le CIGC à l'INAO par lettre du 31 juillet 2000, l'instruction de cette demande menée par l'INAO entre 2000 et 2006 a été, postérieurement à la saisine du Conseil, finalement close par l'adoption par le CNPL, le 1er décembre 2006, d'un projet de texte modificatif qui a été transmis aux ministres compétents. En conséquence, l'appréciation des pratiques dénoncées, à supposer qu'elles aient eu pour objet ou pour effet de fausser la concurrence, ne serait plus aujourd'hui détachable de l'appréciation de la légalité du décret modificatif de l'AOC qui sera le cas échéant adopté, sur laquelle il n'appartiendrait éventuellement qu'au Conseil d'État de se prononcer.

71. Le Conseil de la concurrence n'est, en effet, pas compétent pour apprécier la légalité d'une décision administrative traduisant l'exercice de prérogatives de puissance publique, et notamment pour vérifier la régularité des actes ou procédures préparatoires à l'adoption de cette décision. En l'espèce, si le décret proposé par l'INAO était adopté, il appartiendrait le cas échéant au Conseil d'État, saisi d'un recours dirigé contre ce décret, d'apprécier la légalité des restrictions de concurrence qu'il pourrait comporter et de vérifier si la procédure suivie par les auteurs du décret a été régulière. Mais cette compétence ne fait certainement pas obstacle à ce que le Conseil de la concurrence examine si, à l'abri ou à l'occasion des discussions qui ont eu lieu entre professionnels lors de la préparation du texte, et plus particulièrement des étapes au cours desquelles ces derniers ont été conduits à proposer aux pouvoirs publics une modification des règles de production du comté, les entreprises membres du comité interprofessionnel ont, par le moyen d'une entente qui serait prohibée à la fois par l'article 81 CE et l'article L. 420-1 du Code de commerce, poursuivi un plan anticoncurrentiel destiné, par exemple, à évincer du marché tel ou tel type de producteur concurrent. Une telle entente entre entreprises doit en effet pouvoir être appréciée -et éventuellement sanctionnée- indépendamment de l'examen par le juge administratif de la légalité du texte qui sera éventuellement pris par les pouvoirs publics à l'issue de la consultation des professionnels concernés.

C. SUR LES PRATIQUES DENONCEES

72. La saisissante dénonce " les accords pris au sein du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté dont l'objet est de limiter la production par atelier de transformation. " Selon elle, " en juillet 2000, le CIGC a pris la décision de demander une modification des textes réglementaires qui définissent la notion d'AOC Comté afin de poursuivre son objectif de limiter la taille des ateliers et la quantité de fromage produite par les ateliers de transformation et ce, bien que la limitation de la production de Comté par atelier n'ait pas de lien avec l'objet de la réglementation sur l'AOC, à savoir la préservation du lien avec le terroir. "

73. Lors de la séance, la société FMJ a spécialement fait valoir que le projet de décret, tel qu'il a été finalement transmis pour signature, comporte des dispositions qui limitent à un tonnage fixé dans l'absolu la croissance de la production par site de production. Selon la saisissante, le montant de ce tonnage a été choisi de telle sorte qu'il ne fasse subir aucune contrainte à la croissance des petites exploitations mais freine fortement celle des grandes. FMJ est le plus gros producteur de l'appellation comté.

74. Selon le commissaire du Gouvernement, c'est par une interprétation erronée de l'article L. 420-1 du Code de commerce que la société FMJ a qualifié d'entente la procédure de concertation visant à la rédaction d'une proposition de texte. Il entre bien dans les prérogatives de l'interprofession du fromage de Comté de faire des propositions relatives à l'AOC. Et aucun élément ne permet de conclure que le CIGC a outrepassé sa mission et ait utilisé les négociations inhérentes au fonctionnement des AOC pour entraver, directement ou indirectement, la concurrence.

75. Comme l'a indiqué le Conseil dans la décision n° 06-D-21 précitée, compte tenu de la jurisprudence précédemment rappelée, " le seul fait pour un organisme professionnel ou interprofessionnel de prendre une décision interne en vue de déterminer sa position dans le cadre d'une consultation [des professions intéressées par les pouvoirs publics avant de prendre une décision d'intervention économique] ne saurait être considéré comme constitutif d'un accord anticoncurrentiel susceptible de relever des interdictions de l'article 81 CE ou de l'article L. 420-1 du Code de commerce. "

76. C'est a fortiori le cas lorsque, comme en l'espèce, la réglementation nationale et communautaire prévoient qu'une modification des règles de production du produit en cause peut intervenir à l'initiative de l'organisation professionnelle concernée.

77. Cette situation est à distinguer de celle ayant donné lieu à la décision n° 98-D-54 du 8 juillet 1998 par laquelle le Conseil a sanctionné le CIGC pour avoir, en 1995, à l'occasion de la fixation du prix des plaques d'identification du fromage de Comté, limité de lui-même les augmentations de production en les cantonnant à une croissance de 10 % par rapport à l'année précédente et en instaurant, en cas de dépassement, un régime de pénalité. Le Conseil a constaté en effet qu'il n'entrait pas dans les missions du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté, de prendre lui-même des mesures de régulation des marchés ayant pour objet et pour effet de limiter la concurrence. Dans ce contexte, le comportement du CIGC constituait une entente anticoncurrentielle.

78. Aucun élément du dossier ne montre d'anomalies laissant soupçonner la présence de comportements anticoncurrentiels dans le déroulement formel des travaux relevant de la responsabilité de l'INAO, tels que l'opposition faite à des opérateurs de formuler des propositions différentes de celle du CIGC. Notamment, le président de la société FMJ a été entendu le 21 mars 2001 par la commission d'enquête de l'INAO, en sa qualité de représentant de la chambre syndicale des affineurs d'emmental et de comté. Il a également été entendu le 9 septembre 2001 par la commission d'enquête en sa qualité de membre de la chambre syndicale des acheteurs de lait, fabricants et affineurs de Comté (ALFAC). De plus, il a été nommé par arrêté du 4 mai 2006 (JO du 17 mai 2006) en tant que représentant des fabricants de fromage autres que les coopératives comme membre du CIGC et à ce titre a participé à la séance du CNPL du 1er décembre 2006 au cours de laquelle a été adopté le projet de décret modificatif.

79. Aucun autre élément du dossier ne permet non plus de caractériser en l'occurrence un comportement du CIGC ou de ses membres qui serait contraire aux articles 81 CE et L. 420-1 du Code de commerce.

80. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les allégations d'entente au sein du Comité interprofessionnel du gruyère de Comté, dénoncées par la saisine, ne sont pas appuyées d'éléments suffisamment probants pour les étayer.

81. Pour les raisons qui ont été indiquées plus haut, il n'appartient pas au Conseil d'examiner si les dispositions proposées au pouvoir réglementaire, notamment celles qui visent le contrôle différencié de la croissance de la production de comté selon la taille de l'entreprise productrice, méconnaîtraient ou non, si elles étaient adoptées, les dispositions combinées des articles 10 et 81 du traité CE. Pour l'ensemble de ces raisons, il y a lieu de rejeter la saisine en application de l'article L. 462-8, alinéa 2, du Code de commerce et, par voie de conséquence, de rejeter également la demande de mesures conservatoires.

Décision

Article 1er : La saisine au fond enregistrée sous le numéro 06/0088 F est rejetée.

Article 2 : La demande de mesures conservatoires enregistrée sous le numéro 06/0089 M est rejetée.