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Décisions

Conseil Conc., 28 mars 2007, n° 07-D-12

CONSEIL DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du chèque-cinéma

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Vendrolini par M. Nasse vice-président présidant la séance, M. Bidaud, M. Honorat, membres.

Conseil Conc. n° 07-D-12

28 mars 2007

Le Conseil de la concurrence (Section I),

Vu la lettre enregistrée le 17 janvier 2003, sous le numéro 03/0008 F, par laquelle la société Loisichèques a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur du chèque-cinéma ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ;

Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et la société Loisichèques entendus lors de la séance du 13 février 2007 ; Adopte la décision suivante :

I. Constatations

1. Par lettre enregistrée le 17 janvier 2003, la société Loisichèques a saisi le Conseil de la concurrence d'une pratique d'abus de position dominante mise en œuvre par la société EuroPalaces sur le marché du chèque-cinéma. Lors d'une audition du 16 juillet 2003, la saisissante a, également, fait valoir des éléments tendant à démontrer l'existence d'une entente anticoncurrentielle au sein de la Fédération Nationale des Cinémas Français (ci-après la "FNCF").

A. LE SECTEUR ET LES ENTREPRISES CONCERNEES

2. Le secteur d'activité concerné par la saisine est celui de l'édition et de la commercialisation des "chèques-cinéma". Dans un premier temps, il convient de présenter le marché de l'exploitation des salles de cinéma en France.

1. L'EXPLOITATION DES SALLES DE CINEMA EN FRANCE

3. Ainsi que l'a rappelé le Conseil de la concurrence, dans plusieurs décisions (avis n° 93-A-01 du 12 janvier 1993 ; décision n° 04-D-10 du 01 avril 2004), le processus qui va de la conception d'un film à sa vision par les spectateurs met en relation plusieurs catégories d'acteurs. Le producteur détient des droits de propriété intellectuelle et met en œuvre les moyens techniques et financiers nécessaires à la réalisation des films. Ces œuvres sont ensuite diffusées, par les distributeurs, aux exploitants de salles de cinéma.

4. Le secteur cinématographique se caractérise par une intégration verticale des différentes activités, de sorte qu'en France, certains groupes de sociétés sont à la fois producteur, distributeur et exploitant (ci après "les réseaux intégrés").

5. En 2003, la fréquentation des salles de cinéma s'est établie à 170 millions d'entrées. Le parc cinématographique français était constitué de 5 295 salles (1,075 million de fauteuils) regroupées dans 2 128 établissements. L'apparition des multiplexes, en 1993, a eu pour conséquence d'accroître la fréquentation des salles. Les multiplexes, dont l'appellation est réservée aux cinémas disposant d'un minimum de huit salles actives, sont généralement implantés dans les communes de plus de 100 000 habitants. En 2003, on en dénombrait 118 sur le territoire national. Ils regroupent 26 % des écrans et des fauteuils existants en France et réalisent 45,3 % des entrées.

6. Les recettes "guichet" ont, quant à elles, atteints un milliard d'euro, le prix moyen de la place étant de 5,88 euro.

a) Les principales entreprises d'exploitation

7. En France, l'exploitation des salles de cinéma est un secteur peu concentré. En 2003, les dix premières entreprises, en termes de recettes, exploitaient 1 952 écrans, soit 36,9 % de l'ensemble des écrans actifs.

TABLEAU N°1 : LES PRINCIPAUX EXPLOITANTS DE SALLES DE CINEMA EN FRANCE*

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* Sources : CNC

8. La société EuroPalaces SAS (ci-après "EuroPalaces") qui résulte de la fusion opérée, en 2001, des activités d'exploitation de salles de cinéma des sociétés Gaumont, Pathé et Pathé Palace est la première société d'exploitation cinématographique française. Propriétaire, en 2003, du fonds de commerce de 654 salles de cinéma (68 établissements dont 36 multiplexes répartis dans 39 villes et 25 agglomérations de plus de 200 000 habitants), elle détient 12,4 % du parc cinématographique national (nombre de salles) et réalise annuellement 23,8 % des entrées au niveau national (40,4 millions d'entrées).

9. La société EuroPalaces est la société holding du groupe EuroPalaces. Sur le territoire français, elle regroupe une quarantaine de sociétés filiales ayant pour activité l'exploitation d'établissements de cinéma sous les enseignes Pathé et Gaumont. En outre, elle détient à 99,9 % la société EuroPalaces Services qui a une activité de prestations de services auprès des sociétés filiales, dans des domaines variés (marketing, services informatiques ...). Lors d'une audition du 14 juin 2006, le directeur marketing du groupe EuroPalaces, M. X..., a déclaré : "La société EuroPalaces SAS a une structure organisationnelle décentralisée (...). Un directeur est à la tête de chacune des sociétés filiales. (...) La décentralisation ne signifie pas une autonomie de ces sociétés filiales ". En effet, toutes les sociétés filiales d'exploitation sont des sociétés par actions simplifiées présidées par la société EuroPalaces Services et détenues à hauteur de 99 % par la société EuroPalaces SAS. Ces sociétés ont, d'ailleurs, des dirigeants communs. M. X... a, en outre, expliqué lors de l'instruction, que la direction du groupe validait les décisions d'investissement marketing prises par les directeurs des établissements et que celle-ci pouvait " [leur] imposer (...) n'importe quelle décision".

10. Le deuxième exploitant, en termes de nombre de salles détenues, est le groupe CGR, avec 383 écrans (sources CNC) et 7,2 % du parc cinématographique français. S'agissant de l'organisation du groupe, le directeur général de la société CGR Cinéma a précisé, lors d'une audition du 25 août 2004 : "CGR Cinémas est une SA (...). Le Holding regroupe 35 cinémas, 25 multiplexes et 10 complexes, au total 355 salles. Chaque établissement constitue une société filiale à 99 % de la holding, la gestion de ces filiales étant centralisée au siège (...)".

11. Le GIE Ciné Alpes occupe, quant à lui, la quatrième place après la société UGC (7,1 % du parc). Le GIE qui dispose de 141 salles de cinéma implantées dans onze départements a réalisé, en 2003, environ 3,5 millions d'entrées.

12. Enfin, la société Kinépolis France SA, filiale française du groupe belge Kinépolis constitue un acteur important du secteur. D'après les déclarations de ses dirigeants, cette société regroupe cinq établissements d'exploitation situés : "(...) à - Lomme 23 salles, 2,3 millions d'entrées en 2003 ; - Saint-Julien-Les-Metz (14 salles, 1,114 millions d'entrées en 2003) ; - Thionville (10 salles, 671 000 entrées en 2003) ; Mulhouse (14 salles, 970 500 entrées en 2003) ; - Nîmes (12 salles, 826 000 entrées)".

b) La Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF)

13. Créée en 1945, la FNCF est une union de syndicats professionnels de propriétaires et exploitants de salles de cinéma. Elle compte 22 syndicats régionaux, lesquels regroupent la quasi-totalité des salles de cinéma françaises (grandes entreprises nationales, petite et moyenne exploitation, salles "art et essai", municipales, etc). Le rôle principal de la FNCF est d'être le représentant de l'ensemble des salles de cinéma auprès des interlocuteurs potentiels (ministère de la Culture, Centre National de la Cinématographie ...).

14. La FNCF est administrée par un conseil fédéral qui réunit, environ une fois par mois, l'ensemble des présidents des syndicats membres ainsi que les présidents et rapporteurs des commissions de branche (petite, moyenne et grande exploitation) et des présidents des commissions permanentes.

2. L'EDITION ET LA COMMERCIALISATION DES CHEQUES-CINEMA

a) Les caractéristiques du produit concerné

15. Dans les grands réseaux intégrés, seul un quart des entrées est réalisé au tarif plein. Les établissements de cinéma accordent, en effet, de nombreux tarifs réduits (liés notamment à l'âge ou au statut du spectateur). Les entrées prépayées, appelées "contremarques" ou "chèques-cinéma", constituent ainsi une catégorie particulière de tarifs préférentiels.

16. Les chèques-cinéma constituent un marché "bi-face" (two sided market) ; ils permettent à leurs détenteurs, dans une période limitée, de payer leurs billets et d'assister aux séances à un tarif réduit. Sur la première face du marché, l'émetteur (en général, une entreprise spécialisée ou un groupe cinématographique) vend (1) ses chèques-cinéma à un organisme intermédiaire (entreprise, comité d'entreprise, association...). Ces chèques sont ensuite cédés ou offerts à titre de cadeau (2) à un utilisateur final. Sur l'autre face du marché, émetteurs et exploitants s'agréent mutuellement par contrat : les exploitants acceptent de recevoir ces titres en paiement (3) de leurs prestations de services et délivrent (4) un billet d'entrée. L'exploitant présente (5) enfin ces chèques à l'émetteur, lequel lui en rembourse (6) la valeur contractuellement convenue.

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17. Sur le marché français, il existe plusieurs catégories de chèques-cinéma. On peut distinguer d'une part, ceux qui ne sont utilisables qu'à l'intérieur d'un réseau de cinémas bien délimité et ceux, d'autre part, qui ont pour vocation à être utilisés dans tous les cinémas, à condition que les exploitants de salles les acceptent (ci-après "chèques universels").

18. Ces catégories se divisent, ensuite, en sous-catégories. Il convient, en effet, de distinguer les chèques "commerciaux" et les chèques "comité d'entreprises" (ci-après chèques CE) qui ne s'adressent pas à la même clientèle. Les chèques CE s'adressent aux comités d'entreprises qui souhaitent en faire bénéficier les salariés ; les chèques commerciaux sont, quant à eux, offerts, par les entreprises, à leurs clients dans le cadre d'opérations de communication ponctuelles.

19. Enfin, les chèques-cinéma peuvent avoir un périmètre géographique de validité, national, régional ou local.

b) Les intervenants

20. S'agissant des opérateurs intervenant dans ce secteur, l'enquête a permis d'identifier, d'une part, les exploitants de salles et, d'autre part, les opérateurs spécialisés.

Les exploitants de salles

21. Les exploitants de salles éditent et commercialisent des chèques-cinéma utilisables uniquement, dans leur propre réseau. Le tableau figurant ci-dessous expose les principales caractéristiques de ces produits.

TABLEAU N°2 : LES CARACTERISTIQUES DES CHEQUES-CINEMA EDITES ET COMMERCIALISES PAR LES EXPLOITANTS DE SALLES (2003)

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22. Dans le rapport d'enquête, il est relevé que : "[Le marché des contremarques] est le seul à avoir suscité la création d'entreprises à but lucratif ou non, chargées de commercialiser ce type de billet d'entrée au cinéma".

La société Loisichèques

23. Créée en 2001, la société Loisichèques commercialise auprès des comités d'entreprises et des entreprises, un chèque-cinéma dénommé le CinéChèque. La spécificité du CinéChèque est d'être un chèque-cinéma universel ayant vocation à être utilisé dans toutes les salles de France à condition que celles-ci l'acceptent. Au cours d'une audition, le directeur général de la société Loisichèques, M. Y..., a expliqué le processus d'adhésion à son réseau : "Les cinémas signent avec la société un protocole d'accord qui fixe le prix de remboursement (en règle générale, le tarif réduit en vigueur), les délais de remboursement et les conditions de résiliation (...)". Lors de son audition, il a également exposé les avantages du système élaboré : "[Les] exploitants de salles [sont] remboursés d'une place attribuée à un client qui ne serait pas forcément allé au cinéma. (...) Quant aux entreprises partenaires, elles [peuvent] offrir à leurs clients un cadeau original et valorisant pour leur image".

24. La société Loisichèques propose aux établissements de cinéma deux types de protocoles d'accord selon qu'ils souhaitent figurer sur la liste des établissements affiliés au réseau CinéChèques ou seulement participer à une opération commerciale.

25. Les chèques commerciaux (§ 18) ont constitué le principal axe de développement de la société Loisichèques. D'après les déclarations de ses dirigeants, la distinction entre les chèques commerciaux et les chèques CE s'est imposée pour la raison suivante : (...) Pour convaincre les exploitants de cinéma d'adhérer à notre réseau, il était nécessaire de leur prouver que nous ne proposions que des cadeaux d'affaires aux entreprises et non des places de cinéma aux comités d'entreprises ce qui aurait pu les concurrencer. (...) Le marché des comités d'entreprises est particulièrement important (...)".

26. Les prix pratiqués par la société Loisichèques à l'égard des comités d'entreprises et des entreprises se déterminent lors de la commande en fonction de la date de validité des CinéChèques, de la quantité choisie et de l'utilisation (chèques commerciaux ou CE). Lors d'une audition, la société Loisichèques a expliqué qu'elle établissait : "une moyenne nationale des tarifs réduits", à laquelle elle appliquait une marge. Ainsi : "La marge de la société est constituée par la différence entre le prix du billet vendu aux entreprises (entre 6 et 6,20 euro) et le remboursement du tarif à l'exploitant de cinéma, en moyenne 5,60 euro".

27. Au 4 novembre 2002, la société Loisichèques comptait l'adhésion de 750 cinémas (3 000 salles). Dans un courrier adressé à la rapporteure le 1er juin 2006, le directeur commercial, a précisé que les cinémas signataires des protocoles d'accord étaient, pour la plupart, des cinémas indépendants, ces derniers n'ayant pas : "la capacité d'embaucher des commerciaux, créer des plaquettes, faire de la publicité massive, aller au rendez-vous pour promouvoir [leur] système interne de chèques-cinéma". Il a ainsi indiqué : "tous les cinémas structurés et bien implantés n'ont pas besoin de partager avec [la société Loisichèques] les revenus générés par ce marché (...)".

L'Entraide du Cinéma et des Spectacles

28. En vue de promouvoir l'action du cinéma dans le domaine des Oeuvres Sociales, un accord interprofessionnel est intervenu le 9 avril 1971 entre la Chambre syndicale des producteurs et Exportateurs de films, la Fédération Nationale des Distributeurs de films, la Fédération Nationale des Cinémas Français, la Chambre syndicale Française de la Presse Filmée, l'Union Nationale des Syndicats de Cinémas familiaux. Cet accord prévoyait la création d'un comité chargé de déterminer les modalités d'utilisation des sommes versées par les entreprises au titre des Oeuvres Sociales du Cinéma (OSC). En 1985, ce comité a pris la forme d'une association reconnue d'utilité publique dénommée "L'Entraide du Cinéma et des Spectacles". L'association gère ainsi les dons de 1 543 entreprises ou comités d'entreprises, lesquels servent à financer diverses actions en faveur du personnel de l'industrie cinématographique.

29. Afin d'augmenter ses ressources, L'Entraide du Cinéma et des Spectacles a créé les chèques-cinéma (OSC). Dans un courrier du 30 mars 2004, le Président de l'association a exposé leurs modalités de fonctionnement : "Les chèques cinéma sont remis aux membres bienfaiteurs, agréés (...), qui le souhaitent. En raison de ses objectifs sociaux, ce chèque est accepté dans toutes les salles de France. Un ticket de cinéma au tarif normal est remis contre un chèque-cinéma, l'exploitant en demande le remboursement intégral, ce que nous faisons par retour de courrier. Les membres bienfaiteurs ont signé une déclaration précisant que les sommes qui pourraient rester seraient données à l'Entraide du Cinéma et des Spectacles pour ses œuvres philanthropiques". L'association remet environ 850 000 chèques OSC par an.

La SARL Paris Ciné

30. La société Paris Ciné qui exerçait depuis 1990 une activité de billetterie générale (cinémas, toutes salles de spectacles...) a déposé son bilan au mois de juillet 2006. Cette société vendait, annuellement, aux comités d'entreprises et aux associations, environ 10 000 carnets de dix chèques-cinémas. En application des contrats signés avec les exploitants de salles, la société Paris Ciné percevait une commission de 10 % HT par billet qui comprenait l'information régulière auprès des comités d'entreprise, la gestion de la billetterie, la fabrication des chéquiers et la comptabilité.

LE NOMBRE DE CHEQUES-CINEMA COMMERCIALISES EN 2003

UGC : Entre 3 000 000 et 4 000 000

CGR : 3 770 000

EuroPalaces : Entre 2 000 000 et 3 000 000

Kinépolis : Entre 1 000 000 et 2 000 000

Ciné Alpes : 770 000

Total réseaux : 12 759 000

Loisichèques : Entre 2 000 000 et 3 000 000

OSC : 850 000

Paris Ciné : 105 000

Total Général : 15 967 000

% des entrées totales : 10 %

B. LES PRATIQUES DENONCEES

31. La société Loisichèques dénonce l'existence de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre par la société EuroPalaces et la FNCF qui auraient eu pour objet et pour effet de l'évincer du marché des chèques-cinéma.

1. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR LA SOCIETE EUROPALACES

a) Les consignes données aux directeurs d'établissements de cinéma

32. Au cours de l'année 2002, plusieurs établissements de cinéma du réseau EuroPalaces ont signé, individuellement, des protocoles d'adhésion avec la société Loisichèques. Ces conventions prévoyaient l'adhésion de l'établissement au réseau CinéChèque et la participation à des opérations commerciales d'une durée déterminée.

33. Après avoir mis en circulation ses propres contremarques en 2002, la société EuroPalaces aurait : "décidé unilatéralement sans préavis (...) de refuser dans tous les cinémas Pathé Gaumont les contremarques CinéChèques". Elle aurait ainsi donné aux directeurs d'établissement, la consigne de résilier les protocoles d'accord signés avec la société Loisichèques.

34. La plaignante considère que "ce mot d'ordre" constitue un abus de position dominante de la société EuroPalaces dès lors que celle-ci : "contrôle seule un réseau couvrant l'ensemble des agglomérations de plus de 200 000 habitants et est dans de nombreuses villes en situation de monopole (...) ". Le comportement de la société EuroPalaces aurait eu pour effet : "de fermer le marché des chèques cinéma aux non-exploitants de salles".

35. Lors d'une audition du 4 mai 2004, le directeur marketing du groupe EuroPalaces, M. X..., a reconnu avoir donné des instructions aux exploitants du réseau : "(...) Il est exact que je me suis exprimé à ce sujet lors d'une réunion de directeurs. J'y ai développé l'idée que cela brouillait l'image du groupe qui a son propre système fonctionnant sur le même principe. Je me suis entretenu avec tous les directeurs qui acceptaient les chèques de la société pour les inciter à mettre fin à cette pratique".

36. En outre, il résulte des éléments recueillis au cours de l'enquête administrative que le 30 octobre 2002, la direction marketing du groupe EuroPalaces a adressé, par voie électronique, aux directeurs des établissements de cinéma, une directive rédigée comme suit : "Nous vous rappelons notre opposition de principe à l'acceptation de formules concurrentes à nos propres produits ou à ceux que nous validons conjointement avec la profession. C'est pourquoi nous vous demandons de mettre un terme à l'acceptation des chèques de Loisichèques dans les meilleurs délais (...)".

37. Le directeur marketing a justifié la politique commerciale du groupe EuroPalaces, au cours d'une audition du 14 juin 2006 : "En règle générale, les cinémas du réseau EuroPalaces n'acceptent pas d'autres contremarques, à l'exception des contremarques des œuvres sociales du cinéma. (...). Je préfère que les comités d'entreprises achètent une contremarque EuroPalaces, dont je sais qu'elle sera utilisée dans nos cinémas, plutôt qu'une contremarque Loisichèques qui pourra également être utilisée chez nos concurrents. (...) A supposer qu'on laisse des tiers à EuroPalaces proposer largement leurs produits dans nos propres cinémas, ces tiers s'ils constituent un jour une part importante de notre chiffre d'affaires, pourraient avoir tendance à vouloir nous imposer leur propre volonté en matière (...) de tarification, alors que la politique tarifaire est un élément essentiel de la stratégie de l'entreprise".

b) La résiliation des protocoles d'adhésion

38. La société Loisichèques soutient qu'à la suite de ces recommandations, elle a : "enregistré fin 2002, début 2003, la résiliation de l'ensemble des salles du réseau EuroPalaces à l'exception du Pathé de Marseille". En outre, dans le rapport d'enquête, il est relevé que : "Depuis le début de l'année 2003, Loisichèques n'a plus enregistré d'adhésion de cinémas EuroPalaces".

39. Si certains directeurs d'établissements ont, en effet, allégué comme motif de résiliation du protocole, la nécessité de se conformer à la stratégie commerciale du groupe EuroPalaces, il résulte des éléments recueillis au cours de l'enquête que d'autres raisons ont été avancées pour justifier la rupture des relations contractuelles, notamment le comportement commercial de la société Loisichèques ainsi que la gestion coûteuse des CinéChèques. Le directeur du cinéma Pathé Conflans a, ainsi, expliqué lors d'une audition : "A mon arrivée à Conflans, j'ai appris l'existence d'un contrat avec Loisichèques sans toutefois en avoir trace. J'en ai demandé copie dans l'intention de le respecter avant d'y mettre fin (en effet, la gestion de ces contremarques était trop lourde, en contrepartie de leur faible importance, soit 0,32 % des entrées en 2003 (...)". De même, M. Z..., le directeur de l'établissement Grands Ecrans du Thillois a indiqué aux enquêteurs : "(...) Nous avons arrêté ce partenariat pour les raisons suivantes : - faible nombre de retours et gestion administrative trop coûteuse (0,01 % des entrées en 2002), (...) - remboursements parfois non effectués (...)".

40. En outre, il résulte des éléments recueillis que les cinémas Pathé Madeleine à Marseille et Gaumont à Angers ont continué à accepter les CinéChèques en dépit des recommandations émises par la société EuroPalaces.

41. Le tableau reproduit ci-dessous retrace l'historique des relations contractuelles entre la société Loisichèques et les établissements de cinéma du réseau EuroPalaces.

LA RESILIATION DES PROTOCOLES D'ACCORD PAR LES CINEMAS PATHE ET GAUMONT

<emplacement tableau>

2. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE AU SEIN DE LA FNCF

a) Les recommandations émises par la FNCF

42. La FNCF serait également intervenue auprès de ses adhérents en leur recommandant de ne plus accepter les CinéChèques. D'après les déclarations de la société plaignante : "ce comportement coordonné de refus d'accès" résulterait "d'une manœuvre de Pathé auprès de la Fédération, doublée de la volonté [de la FNCF] de défendre le quasi-monopole des OSC sur le marché de la contremarque universelle".

b) Les réunions du conseil fédéral

43. Dans un courrier adressé à la société Loisichèques le 28 mars 2003, la FNCF avait indiqué : "L'utilisation de contremarques (...) fait régulièrement l'objet de débats et de discussions au sein de notre fédération. Dans ce cadre, l'expansion de votre société dans le domaine cinématographique a naturellement conduit des exploitants à échanger leurs vues sur vos pratiques commerciales. La Fédération, qui a pour principe le respect de la liberté et de l'indépendance de ses adhérents, n'est que le lieu de ces échanges et n'a jamais donné d'instruction ou de recommandation relative à votre société".

44. Les procès-verbaux des réunions du conseil fédéral des 5 septembre, 24 octobre et 19 décembre 2002, ainsi que du 30 janvier 2003, ont permis d'établir que la question de la société Loisichèques avait été, en effet, débattue au sein de la Fédération. Il ressort de ces pièces que la question du sérieux de l'entreprise Loisichèques a été évoquée ainsi que le problème de sa coexistence avec d'autres opérateurs vendeurs de chèques-cinéma, notamment les exploitants de salles eux-mêmes et les OSC. Les participants à ces réunions ont manifesté des points de vue opposés sur ce sujet et aucune ligne de comportement précise n'a été adoptée à l'issue des réunions.

45. Interrogé au cours de l'enquête, le délégué général de la FNCF a affirmé, que si un débat avait été engagé lors de ces réunions, la Fédération n'avait édicté auprès de ses adhérents aucune recommandation sur un éventuel comportement à adopter à l'endroit de la société Loisichèques : "(...) Les problèmes rencontrés par la société avec certains exploitants ne sont nullement dus aux "instructions" de la FNCF. Il semblerait que les litiges survenus soient de plusieurs ordres : - inscriptions sur les listes de cinémas non-adhérents ; - exploitants qui se sont trouvés adhérents sans vraiment s'en rendre compte, en retournant un fax à la société ; - exploitants qui ont adhéré pour des opérations ponctuelles et qui se sont retrouvés adhérents permanents ; - exploitants qui ont adhéré parce qu'ils ont pensé que l'offre était attrayante, mais ont estimé par la suite que l'étendue des prestations (notamment envers les CE) ou les tarifs qui leur étaient proposés n'étaient pas intéressants ou assez clairs et ont donc souhaité se désengager du système (...). Les exploitants ont fait part de leurs préoccupations face au démarchage des comités d'entreprises par la société Loisichèques. En effet, les salles des grands circuits, mais aussi les cinémas dits indépendants, entretiennent des relations directes avec les responsables des CE, à qui ils vendent des contremarques (...). Elles ne souhaitent donc pas voir cette clientèle, qui est indispensable à leur rentabilité, détournée par une société tierce. (...) Le cas de la société Loisichèques a été abordé à plusieurs reprises lors des réunions du Conseil fédéral, et en particulier le 19 décembre 2002 (...). Lors de cette réunion un large débat s'est instauré, à l'occasion duquel se sont exprimés M. A... qui a fait référence aux prises de position de certains membres du Conseil à titre individuel, qui n'étaient pas favorables au développement de cette société car elle venait empiéter sur l'activité des OSC du cinéma, plus utile à la profession. MM. B... et C..., tous deux élus de Normandie ont abondé en ce sens, contrairement à M. D..., du groupe CGR qui a pris le parti de Loisichèques.

En effet, au sein du Conseil fédéral, les opinions étaient partagées. D'ailleurs, des grands adhérents de la Fédération comme CGR ou Ciné Alpes ont fait part de leur adhésion au service Loisichèques. (...) Aucune recommandation n'a été prise à l'issue de ce débat, ni pour favoriser la société, ni pour contrecarrer son développement (...)".

46. Le gérant du cinéma indépendant Cinémas de Rodez a déclaré lors de l'enquête : "(...) Le cas de Loisichèques a été abordé en conseil fédéral fin 2002, où il a été conseillé aux exploitants d'éviter la pratique Ciné Chèques, qui portait concurrence aux contremarques de l'OSC. Ce message a été porté à la connaissance de tous les exploitants français. Pour ma part, je continue à accepter les Ciné Chèques (...) ". Le directeur du cinéma Ariel de Toulon a, quant à lui, affirmé: " Il n'y pas eu d'instructions aux exploitants sur ce sujet. Toutefois, on peut dire que la Fédération est défavorable à leur utilisation. Le sujet a également été abordé au niveau départemental, les mêmes positions y étant enregistrées qu'au niveau national".

47. Dans le rapport d'enquête, il est, en effet, relevé : "aucune circulaire [n'a été] diffusée sur le sujet, ainsi que l'atteste la liste exhaustive des circulaires émises depuis 2003 qui figure sur le site Internet de la Fédération dans la partie réservée aux adhérents". De même, l'enquête n'a pas pu établir l'existence de tels débats au sein des syndicats régionaux. A cet égard, il a été constaté : "(...) Ce thème n'a jamais été mis à l'ordre du jour dans les réunions d'Uniciné [syndicat représentatif des exploitants appartenant aux grands réseaux]".

c) La rupture des relations commerciales

48. La plaignante soutient qu'à la suite des réunions du conseil fédéral, un certain nombre de cinémas ont rompu leurs relations commerciales : "(...) Suite sans doute à des pressions venant du syndicat (...) d'autres salles ont demandé à être retirées de la liste. Toutes les salles Kinépolis et CinéAlpes (...), Le Lorrain à Sarrebourg (Moselle), Vers Le large à Dinan, Les deux alizés à Dinard, Les trois cinémas de Rodez. (...) Quant au Ronsard de Vendome, l'Ocine de Saint-Omer, le Cyrano de Saint-Dizier, le Grand Ecran de Limoges ou La Teste de Buch (...), ils ont déclaré accepter de travailler avec nous dès que la Fédération leur donnerait le feu vert".

Le réseau Kinépolis

49. Le 23 août 2002, la société Kinépolis a signé, avec la société Loisichèques, quatre protocoles d'accord aux termes desquels les complexes de Thionville, Mulhouse, Saint-Julien-les-Metz et Lomme s'engageaient, pour une durée indéterminée, à accepter le CinéChèque "comme moyen de paiement à la caisse". La société Loisichèques devait rembourser aux cinémas signataires, dans un délai de 8 jours, la somme convenue par CinéChèque.

50. Il ressort des déclarations de la directrice marketing de la société Kinépolis que la décision de résilier ces protocoles d'accord est intervenue, le 27 janvier 2003, à la suite d'un différend d'ordre commercial avec la société Loisichèques : "Début 2003 (...), j'ai été contactée par la Communauté Urbaine de Lille qui était démarchée par Loisichèques (...). (...) J'ai repris contact avec M. E... [de Loisichèques] pour régler le cas des CE, le contrat de base ne prévoyant pas de les accepter. Loisichèques s'est engagée à ne plus développer cette activité pour Kinépolis (...) mais ces engagements n'ont toujours pas été tenus. Kinépolis a résilié les contrats Loisichèques (...) en raison de la perte de confiance (...)".

51. La société Kinépolis reprochait également à la société Loisichèques de ne pas observer les délais de remboursement des chèques-cinéma stipulés dans les protocoles d'accord. De nombreux courriers figurant au dossier attestent de l'existence de paiements en retard.

Le circuit Ciné Alpes

52. Le 4 mars 1997, un protocole d'accord avait été signé entre le GIE Ciné Alpes et la société JLS International, reprise en 1999 par la société Loisichèques. Cette convention prévoyait l'acceptation des CinéChèques dans une vingtaine de cinémas du réseau, le prix de remboursement étant fixé à 5,34 euro.

53. Par courrier du 18 avril 2003, le GIE Ciné Alpes a informé la société Loisichèques de sa volonté de mettre fin au partenariat. Lors d'une audition, l'administrateur du GIE, M. F... a expliqué : "Lorsque la société Loisichèques a entrepris de mettre sur pied le système à l'usage des CE, Ciné Alpes a considéré que les chèques ne pouvaient plus être acceptés dans ses salles. En effet, le GIE a ses relations propres avec les CE et souhaite les garder". Dans un courrier adressé à la DNECCRF, il avait, par ailleurs, ajouté : "Je tiens à vous signaler que durant toute l'année 2004, je n'ai reçu aucun versement concernant les avances des Loisichèques vendus au 3ème trimestre 2003".

Le réseau CGR

54. Le premier accord entre les sociétés Loisichèques et CGR date du mois de février 2002. Renouvelé en 2003, puis le 19 février 2004, il prévoit que la société Loisichèques s'engage à rembourser à CGR Cinémas "le prix comité d'entreprises". Ce protocole d'accord présente la particularité de prévoir à la charge de la société Loisichèques, des frais de référencement de 45 083,61 euro.

55. Par lettre du 15 septembre 2004, M. G... a fait part à la société Loisichèques de sa décision de ne pas renouveler son contrat pour l'année 2005. Il résulte des déclarations de la société plaignante que : "Les raisons invoquées pour la dénonciation des contrats étaient la libre concurrence. En effet, le groupe CGR édite ses propres chèques-cinéma".

Les cinémas de la petite et moyenne exploitation

56. Les cinémas de Rodez et le cinéma Ariel de Toulon ont poursuivi leurs relations commerciales avec la société Loisichèques postérieurement aux réunions du Conseil Fédéral (§ 44). S'agissant des autres établissements de cinéma cités par la société Loisichèques lors de son audition du 5 mars 2004 (§ 48), il n'a pas été établi, au cours de l'enquête, que ceux-ci aient rompu ou menacé de rompre leurs partenariats avec la société Loisichèques ou encore refusé d'adhérer au réseau Cinéchèques en invoquant des recommandations de la FNCF. Les éléments recueillis ont, au contraire, révélé une progression constante depuis 2002 du nombre d'établissements affiliés au réseau CinéChèques et du chiffre d'affaires de l'entreprise, passant de 1 417 779 euro en 2002 à 3 237 336 en 2003. Les dernières déclarations du directeur de la société Loisichèques, en date du 6 juin 2006, indiquent : "D'un point de vue économique, la société Loisichèques se porte bien. (...) Notre chiffre d'affaires (...) connaît une progression de 15 % par an (...)".

EVOLUTION DU RESEAU LOISICHEQUES ENTRE 2002 ET 2004

<emplacement tableau>

57. Lors de ses auditions, le directeur commercial de la société Loisichèques, M. Y..., a toutefois expliqué que la dénonciation des protocoles d'accord par les établissements de cinéma avait eu pour principale conséquence la perte d'attractivité du produit CinéChèque : "Le réseau est constitué de cinémas qui sont peu attractifs pour le consommateur et qui ne couvrent pas certaines zones. (...) Il est important pour nous d'accéder à l'ensemble des salles nationales, afin de pouvoir lancer des opérations nationales. Si notre maillon de salles est faible, notre produit perd de l'intérêt. (...). Le ciné-chèque est amené à disparaître (...) du fait que les résiliations successives posent des problèmes d'image et de confiance". Cependant, lors de la séance du 13 février 2007, le représentant de Loisichèques a confirmé que la société continuait de prospérer.

d) Les échanges d'informations sur les tarifs pratiqués

58. Dans le courrier adressé à la société Loisichèques le 28 mars 2003 (§ 43), la FNCF avait, en outre, indiqué : "l'ensemble des pratiques tarifaires fait régulièrement l'objet de débats et de discussions au sein de notre fédération". En conclusion du rapport d'enquête, il est toutefois indiqué : "Aucun élément recueilli ne permet d'affirmer, ni même de supposer que la Fédération intervient directement dans la politique tarifaire des exploitants".

II. Discussion

A. SUR L'ABUS DE POSITION DOMINANTE DE LA SOCIETE EUROPALACES

59. La saisissante soutient que la société EuroPalaces se trouve en position dominante sur le marché de l'exploitation des salles de cinéma, celui-ci devant être analysé par zone de chalandise. Certains des établissements Pathé et Gaumont constitueraient ainsi des infrastructures essentielles au sens de la jurisprudence dégagée par le Conseil de la concurrence (§ 34). Elle invoque encore que chaque réseau de cinémas constitue un marché pertinent.

60. L'abus résulterait de la consigne donnée par la société EuroPalaces aux établissements de cinéma de rompre les contrats d'adhésion signés avec la société Loisichèques

1. LES MARCHES PERTINENTS

61. L'application par le Conseil de la concurrence des dispositions qui prohibent les ententes et les abus de position dominante suppose la délimitation préalable des marchés concernés. Le marché est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. Une substituabilité parfaite s'obtenant rarement, le Conseil considère que sont substituables et, par conséquent, se situent sur un même marché les produits et les services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les regardent comme des moyens entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande.

62. Les éléments recueillis au cours de l'instruction conduisent à considérer qu'il existe, en l'espèce, deux marchés : celui de la vente des chèques-cinéma où sont en présence les émetteurs de chèques et les organismes intermédiaires qui les leur achètent ; le "marché de l'agrément" des établissements de cinéma où sont en présence les émetteurs de chèques cinéma et les exploitants de salle qui acceptent ces chèques en paiement.

Les marchés du chèque-cinéma

Émetteurs de chèques-cinéma

Établissements de cinémas dont l'exploitant accepte les chèques cinéma en paiement

Organismes intermédiaires acheteurs des chèques cinéma

Sur le marché mettant en présence les émetteurs de chèques-cinéma et les organismes intermédiaires

63. L'enquête a mis en évidence le fait que les chèques-cinéma correspondaient à une forme particulière de paiement des billets d'entrée au cinéma (§ 15, 16).

64. Il convient, tout d'abord, de relever que leurs modalités de distribution sont spécifiques dans la mesure où ils sont commercialisés exclusivement auprès d'organismes intermédiaires (comités d'entreprises, entreprises ou associations). On peut considérer qu'il existe un marché propre à cette catégorie d'acheteurs.

65. En outre, il est à noter que les chèques-cinéma présentent des caractéristiques telles qu'ils ne peuvent être considérés, du point de vue de la demande, comme un type particulier de billets à tarif réduit ou une forme d'abonnement (cartes d'abonnement ou autres...).

66. En effet, tout d'abord, leur dispositif de fonctionnement s'apparente à celui des chèques-restaurant. Cette formule avait été exposée par le Conseil de la concurrence à l'occasion de deux affaires en 1980 et 2001 : "Les émetteurs vendent les titres aux entreprises moyennant le versement par celles-ci d'une somme comprenant la valeur faciale du titre et une rémunération dénommée "prestation de service". (...) les entreprises revendent ensuite ces titres à leurs salariés à un prix inférieur à leur valeur faciale. (...) les restaurateurs qui reçoivent des titres en paiement des repas, les présentent aux émetteurs, lesquels leur en remboursent la valeur (...)". Le Conseil avait conclu à l'existence d'un marché "de l'émission des titres-restaurant" résultant de la confrontation entre la demande des entreprises et l'offre des émetteurs.

67. Par ailleurs, contrairement aux cartes d'abonnement, les chèques-cinéma ne sont pas personnalisés et leur durée de validité est suffisamment longue pour permettre une fréquentation irrégulière des salles par le spectateur.

68. Ces éléments tendent à démontrer que le marché susceptible d'être affecté par les pratiques dénoncées est le marché du chèque-cinéma mettant en présence les émetteurs de chèques-cinéma et les organismes intermédiaires.

Sur le "marché de l'agrément" des établissements de cinéma

69. La société Loisichèques a pour activité l'édition et la commercialisation des chèques-cinéma. Cette activité implique qu'elle assure l'interface entre l'offre des exploitants de salles et la demande des organismes intermédiaires. L'adhésion au réseau Cinéchèques s'inscrit dans le cadre d'engagements synallagmatiques, prévoyant des obligations réciproques à la charge de chacune des parties. L'exploitant de cinéma s'engage à accepter dans ses salles les Cinèchèques comme moyen de paiement, la société Loisichèques, quant à elle, s'oblige à rembourser, à l'exploitant, les chèques-cinéma présentés à des tarifs et dans des délais préalablement et contractuellement définis (§ 16).

70. La Cour de cassation, dans un arrêt du 31 octobre 2006, (société Everest c/ Kadéos-Fnac) avait retenu que les chèques-cadeau constituaient "des moyens de paiement" que tout commerçant était "libre d'accepter ou non". Par ailleurs, dans une décision n° 01-D-41 du 11 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché des titres-restaurant, le Conseil, analysant la fixation en commun du taux de la commission versée par les restaurateurs, avait retenu que le marché affecté par l'entente était celui : "du remboursement des titres-restaurant" résultant "de la confrontation entre la demande de remboursement, qui émane des restaurateurs, et l'offre des émetteurs (...)".

71. Il résulte de ce qui précède, que le marché pertinent sur lequel se sont exercées les pratiques dénoncées correspond au "marché de l'agrément" des établissements de cinéma confrontant les exploitants de salles et les sociétés émettrices de chèques-cinéma.

Sur la dimension géographique du "marché de l'agrément" des établissements de cinéma

72. Les produits concernés par la saisine sont les chèques-cinéma nationaux, ayant vocation à être acceptés dans toutes les salles de France. Dans ses campagnes publicitaires, la société Loisichèques déclare, d'ailleurs, disposer d'un réseau national (§ 27). Les éléments de l'enquête ont également établi que s'agissant des réseaux EuroPalaces, Kinépolis, CGR et CinéAlpes, les agréments consentis à la société Loisichèques ont relevé de décisions prises au niveau du groupe, pour l'ensemble des salles.

73. Ces constations conduisent à considérer que le marché de l'agrément des établissements de cinéma est un marché de dimension nationale. Il ne saurait, en conséquence, être retenu un marché pertinent par réseau.

LA POSITION DES OPERATEURS SUR LE "MARCHE DE L'AGREMENT" DES ETABLISSEMENTS DE CINEMA

Sur la position dominante de la société EuroPalaces

74. L'analyse de la position de la société EuroPalaces sur le "marché de l'agrément" des chèques cinéma suppose un examen de ses parts de marché sur le marché de l'exploitation des salles de cinéma en France. A cet égard, il a été établi qu'en 2003, la société EuroPalaces détenait 12,4 % du parc cinématographique français et réalisait 23,8 % des entrées au niveau national (40,4 millions d'entrées). Au regard d'une jurisprudence nationale et communautaire établie, ce niveau de parts de marché ne saurait suffire, à lui seul, à caractériser l'existence d'une position dominante de la société EuroPalaces sur le marché de l'exploitation des salles et, par voie de conséquence, sur celui de l'agrément des établissements de cinéma.

75. S'agissant de la théorie des infrastructures essentielles, celle-ci a été exposée par le Conseil dans un avis n° 02-A-08 du 22 mai 2002 : "(...) une entreprise en situation de monopole ou de position dominante, qui détient une infrastructure à laquelle les entreprises opérant sur un marché aval (ou amont) doivent nécessairement avoir accès pour concurrencer l'entreprise détentrice de l'infrastructure, doit permettre l'accès à cette dernière sur une base équitable et non discriminatoire (...)".

76. Ainsi, il résulte de cette jurisprudence que la position dominante de la société possédant l'infrastructure, constitue l'une des conditions d'applicabilité de cette théorie. En l'espèce, la position dominante de la société Europalaces sur le marché concerné n'étant pas caractérisée, la qualification d'infrastructures essentielles ne saurait être retenue s'agissant des établissements de cinéma Pathé et Gaumont.

Sur la position dominante collective des exploitants des salles

77. Le commissaire du Gouvernement soutient que les sociétés EuroPalaces, Kinépolis, CinéAlpes, CGR et UGC détiennent ensemble une position dominante collective sur le "marché de l'agrément".

78. Dans une décision n° 06-D-02 du 20 février 2006, relative à des pratiques relevées dans le secteur des travaux routiers liées à la fabrication d'enrobés bitumineux dans le département des Ardennes, le Conseil a souligné : "Pour démontrer l'existence d'une position dominante collective, il faut établir que les entreprises "ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles, le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs" (CJCE, 31 mars 1998, aff. jointes C-68-94 et C-30-95, Kali & Saltz, pt. 221; TPICE, 25 mars 1999, aff. T-102-96, Gencor, pt. 163), ce qui peut ressortir de l'examen même des liens ou facteurs de corrélation juridiques existant entre les entreprises ou de l'examen de la structure du marché selon les critères dégagés par le Tribunal de première instance des communautés dans l'arrêt Airtours.

L'existence de liens structurels entre des entreprises d'une part, tels que des liens en capital ou encore des accords formalisés entre elles, et l'adoption d'une ligne commune d'action sur le marché d'autre part, suffisent à démontrer l'existence d'une position de dominance collective (CJCE, 16 mars 2000, Compagnie maritime belge ; TPI, 7 octobre 1999, Irish Sugar ; Cour de cassation, 5 mars 1996, Total Réunion Comores ; cour d'appel de Paris, 30 octobre 2001, OMVESA ; Cour d'appel de Paris, 4 juin 2002, CFDT Radio Télé). En l'absence de tels liens, la seule structure du marché peut permettre de mettre en évidence une position dominante collective, si les critères cumulatifs dégagés par le Tribunal de première instance dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002 (affaire T-342-99) sont réunis, à savoir la structure oligopolistique et la transparence du marché concerné, la possibilité d'exercer des représailles sur les entreprises déviant de la ligne d'action commune et enfin la non-contestabilité du marché ou l'absence de compétition potentielle".

79. Les précédentes constatations ont révélé, d'une part, que le marché de l'exploitation des salles de cinéma, caractérisé par une atomicité de l'offre, ne présentait pas une structure oligopolistique (§ 7) et que les groupes qui y opèrent n'ont pas entre eux de liens structurels au sens des jurisprudences précitées. S'agissant de la jurisprudence Airtours d'autre part, s'il n'est pas exclu qu'il puisse exister une certaine transparence sur le marché, les possibilités de représailles restent difficilement identifiables. Quant au critère de la "non contestabilité du marché", celui-ci n'est pas rempli dans la mesure où le parc cinématographique français est composé à plus de 50 % de cinémas de la petite et moyenne exploitation ayant, pour la plupart, conclu des protocoles d'adhésion avec la société Loisichèques. A cet égard, il convient de souligner que, depuis 2003, date à laquelle les pratiques dénoncées ont été mises en œuvre, le nombre de cinémas affiliés au réseau CinéChèques ainsi que le chiffre d'affaires de la société n'ont cessé de croître (§ 56).

80. Les critères permettant de définir, de manière alternative, la position dominante collective ne sont donc pas réunis en l'espèce.

3. SUR LE CARACTERE ABUSIF DE LA RUPTURE DES PROTOCOLES D'ACCORD PAR LA SOCIETE EUROPALACES

81. Au surplus, le Conseil de la concurrence a rappelé, à de nombreuses reprises, que la liberté de choix des demandeurs joue un rôle crucial dans l'économie de marché. Dans l'affaire du "sport et du tennis en particulier", le Tribunal de grande instance de Paris avait sollicité l'avis du Conseil sur le point de savoir si la demande formée par la Fédération française de tennis tendant à faire interdiction à la société Hospitality Group de proposer, sous quelque forme que ce soit, des places pour assister aux championnats de Roland Garros et de fournir toutes les prestations de services ou produits faisant référence à cette manifestation se heurtait aux interdictions édictées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce. Dans son avis n° 2003-A-01 du 10 janvier 2003, le Conseil a retenu : "(...) Comme l'a précisé la Cour de Justice des Communautés européennes dans son arrêt Oscar Bronner Gmbh (affaire C-7-97 du 26 novembre 1998) : "(...) le droit de choisir ses partenaires contractants et de disposer librement de sa propriété sont des principes universellement consacrés dans les systèmes juridiques des États membres, en revêtant parfois un caractère constitutionnel. Les atteintes à ces droits exigent d'être soigneusement justifiées (...).

Ainsi, la détention et l'exercice d'un droit exclusif d'exploitation ne saurait constituer, en eux-mêmes, une atteinte au droit de la concurrence ; ils ne seraient susceptibles de le devenir que dans la mesure où il en serait fait un usage constitutif d'une entente ou d'un abus de position dominante ayant pour objet ou pour effet de fausser le jeu de la concurrence".

82. Par ailleurs, il résulte d'une jurisprudence constante des autorités de concurrence françaises et communautaires, qu'un fournisseur reste libre de déterminer les conditions de commercialisation de son produit sans que ses cocontractants disposent d'un droit acquis au maintien de leur situation (décisions n° 04-D-60 du 25 novembre 2004 ; 02-D-65 du 13 juin 2002 ; 99-D-32 du 25 mai 1999 ; 90-D-10 du 7 février 1990 ; 03-D-20 du 13 avril 2003). Enfin, le droit de la concurrence a toujours reconnu à une entreprise, fût-elle en position dominante, le droit de défendre ses intérêts commerciaux (CJCE, 14 février 1978, United Brand).

83. Analysée à la lumière de la jurisprudence mentionnée, la dénonciation par la société EuroPalaces des protocoles d'accord signés avec la société Loisichèques n'apparaît pas anticoncurrentielle en soi car cette décision relève de sa liberté commerciale. En effet, l'application des principes de liberté contractuelle et d'entreprendre conduit à considérer qu'il n'est pas abusif pour un exploitant de salle(s), qui souhaite garder la maîtrise de sa politique commerciale, de refuser dans ses salles, un moyen de paiement édité et commercialisé par une société tierce.

84. En outre, il résulte des précédentes constatations que le refus de la société EuroPalaces d'adhérer au système Cinéchèques ne s'est pas opéré dans des conditions discriminatoires (§ 36), les salles Pathé et Gaumont acceptant uniquement les chèques EuroPalaces et OSC (§ 37).

85. Enfin, dans la mesure où la société EuroPalaces détient 12 % du parc cinématographique français (§ 8), la résiliation des protocoles d'accord par les établissements de cinéma n'a pas eu pour effet comme il a été précédemment indiqué (§ 56) d'éliminer la société Loisichèques du marché des chèques-cinéma.

B. SUR UNE EVENTUELLE QUALIFICATION DES PRATIQUES AU TITRE DE L'ARTICLE L. 420-1 DU CODE DE COMMERCE

86. L'article L. 420-1 du Code de commerce dispose : "Sont prohibées (...) lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, coalitions, notamment lorsqu'elles tendant à :

1° limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ;

2° faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3° limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4° répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement".

SUR L'ENTENTE ENTRE LA SOCIETE EUROPALACES ET SES FILIALES

87. Dans son rapport annuel pour 1980, le Conseil de la concurrence a rappelé que pour qu'une entente soit caractérisée au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce, il faut que soit démontrée l'existence d'un concours de volontés libres entre des entreprises : "La démonstration ou la conviction qu'il y a ou qu'il y a eu un concours de volontés entre des personnes physiques ou morales juridiquement et économiquement distinctes est une condition absolue de toute incrimination". Il en résulte qu'un accord entre une société mère et ses filiales est exclu du champ d'application de l'article L. 420-1 dès lors qu'il existe une étroite dépendance entre les sociétés. En effet, un tel accord aurait seulement pour objet l'organisation interne du groupe formé par la société mère et sa filiale.

88. Le Conseil de la concurrence a indiqué, lors de nombreuses affaires (décision n° 99-D-18 du 2 mars 1999 relative à des pratiques relevées dans la distribution des produits de la société Laboratoire 3 M), les critères qu'il convenait de prendre en compte afin de déterminer si la qualification d'entreprise pouvait être reconnue à une société filiale. Ainsi, il convient d'examiner plusieurs paramètres, parmi lesquels l'importance de la participation financière de la société mère dans le capital de la société contrôlée, les nominations au sein des organes de direction, la possibilité pour les organes dirigeants de la société filiale de déterminer librement une stratégie industrielle, financière et commerciale pleinement autonome. S'agissant de ce dernier critère, le Conseil a considéré dans une décision n° 99-D-57 du 12 octobre 1999 que : "Le fait pour une entité économique d'avoir un directeur qui dispose d'une délégation de pouvoir lui permettant de signer des contrats, de la liberté de gérer le personnel, le matériel et le bureau d'études, et qui représente la société et signe des offres ou passe des commandes, ne suffit pas, en l'absence d'autonomie stratégique, à la qualifier d'entreprise au sens du droit de la concurrence".

89. L'instruction a révélé que, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, les filiales d'exploitation du groupe EuroPalaces ne jouissaient d'aucune autonomie par rapport à leur société mère. En effet, celle-ci détient, sauf exception, 99 % de leur capital ; les directeurs des établissements de cinéma ne disposent pas de la pleine liberté de contracter et de décider de leur propre politique d'investissement et de leur stratégie commerciale ; enfin, les extraits K-bis indiquent la présence de dirigeants communs au sein des organes de direction de toutes les sociétés du groupe (§ 9).

90. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que les recommandations émises par la société EuroPalaces à l'endroit des exploitants en charge de ses salles, quels que soient leur objet ou leurs effets, ne sauraient entrer dans le champ d'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

2. SUR L'ENTENTE MISE EN OEUVRE AU SEIN DE LA FNCF

91. La société Loisichèques dénonce l'existence d'une entente anticoncurrentielle mise en œuvre par la FNCF, ayant consisté à intervenir auprès de ses adhérents en leur recommandant de ne plus accepter les Cinéchèques dans leurs salles. La saisissante soutient que cette action, initiée par la société EuroPalaces, avait notamment pour objet de défendre les chèques OSC sur le marché de la contremarque universelle.

Sur le comportement de la société EuroPalaces au sein de la FNCF

92. L'examen des procès-verbaux du conseil fédéral de la FNCF n'a pas établi la participation directe de la société EuroPalaces aux réunions des 5 septembre, 24 octobre et 19 décembre 2002. Il est à noter que le conseil fédéral réunit uniquement les présidents des vingt-deux syndicats régionaux et des commissions de branche, dont les représentants de la société EuroPalaces ne faisaient pas partie à l'époque des faits (§ 14).

93. Par ailleurs, aucune autre pièce du dossier n'est de nature à apporter la preuve d'une quelconque action menée par la société EuroPalaces auprès de la fédération. Dès lors, le moyen soulevé par la société Loisichèques quant : "à la manœuvre de Pathé au sein de la Fédération" doit être rejeté.

Sur les recommandations émises par la FNCF

94. Les organisations professionnelles qui réunissent plusieurs entreprises peuvent, dans certains cas, être considérées comme le support d'une entente. La Cour de cassation a ainsi énoncé, dans un arrêt du 16 mai 2000, qu'un organisme professionnel : "représente la collectivité de ses membres et (...) une pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente au sens de l'ordonnance du 1er décembre 1986".

95. Le Conseil de la concurrence a rappelé, à plusieurs reprises, qu'il est loisible à une association regroupant des professionnels d'un même secteur d'activité de donner à ses membres des informations destinées à les renseigner de manière générale sur le fonctionnement d'un marché ou à les aider dans la gestion de leur entreprise. Toutefois, l'aide apportée ne doit pas exercer d'influence directe ou indirecte sur le libre jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession de quelque manière que ce soit et les professionnels concernés doivent continuer à déterminer leur politique commerciale de manière indépendante. Ainsi, des consignes, directives, ou recommandations qui émanent de ces syndicats et sont destinées à leurs adhérents peuvent constituer des ententes anticoncurrentielles dès lors que peut être établi leur objet ou leur effet anticoncurrentiel.

96. En ce qui concerne les réunions tenues dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle, le Conseil a été amené, lors de plusieurs affaires, à préciser le standard de preuve requis pour démontrer l'existence d'une entente horizontale anticoncurrentielle au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

97. Ainsi, dans un avis du 10 décembre 1981, la Commission de la concurrence a considéré qu'un simple échange d'idées ne pouvait caractériser une entente anticoncurrentielle : " (...) La réunion (...) sous l'égide de la chambre régionale d'agriculture de Franche-Comté n'avait d'autre objet que de faciliter un échange d'idées entre les organisations spécialisées intéressées au problème. (...) Celle-ci n'avait pas l'intention (...) de se substituer aux parties prenantes pour définir une politique. (...) Dès lors, quelle qu'ait pu être la tonalité parfois anticoncurrentielle des propos tenus et compte-tenu du simple échange de vues dont ils procédaient, ils ne sauraient être visés par les dispositions de l'article 50 de l'ordonnance de 45-1483". De même, dans une décision relative à une saisine de la société Le Casino du Lac de la Magdeleine, le Conseil a estimé qu'une note du syndicat des Casinos modernes, adressée au ministre, qui selon la saisissante aurait visé à l'influencer afin qu'il refuse l'implantation d'un casino, n'avait pas d'objet anticoncurrentiel en soi car elle s'inscrivait dans le : "contexte d'un débat public dans lequel les groupes socioprofessionnels font connaître leur point de vue pour défendre les intérêts de leurs membres" (décision n° 05-D-20 du 13 mai 2005).

98. Le Conseil a, également, estimé dans sa décision n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, qu'une entente supposait une décision prise en commun par l'ensemble des participants : "les termes employés [dans les compte-rendus de réunions] sont sans ambiguïté quant au fait qu'il s'agit de décisions prises en commun par l'ensemble des participants et dont l'objet est bien la fixation de prix " minimum" et de prix "communs". Le Conseil constate, au surplus que ces compte-rendus ne font mention d'aucune réserve ou opposition manifestée par une organisation de producteur en particulier (...)". Le Conseil en a conclu que : "le fait, pour des organisations de producteurs, de participer à des réunions où ont été décidés des prix minima communs, ne laisse aucun doute sur leur volonté de participer à une concertation sur les prix, car la nature même de ces décisions établit leur caractère anticoncurrentiel (...)".

99. Enfin, en ce qui concerne l'objet ou l'effet anticoncurrentiel(s) des consignes arrêtées, la chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé dans son arrêt du 22 octobre 2002, que la pratique de boycott supposait la démonstration d'une volonté d'éviction : "(...) le boycott constitue une action délibérée en vue d'évincer un opérateur du marché (...). Les pratiques arguées de boycott par la société Vidal ne pouvaient être ainsi qualifiées dès lors que la volonté d'éviction de la société Vidal par la FFSSA n'était pas établie".

100. En l'espèce, si les membres de la FNCF ont effectivement évoqué le cas de la société Loisichèques lors des réunions du conseil fédéral (§ 44), les éléments recueillis au cours de l'enquête n'ont pas permis de démontrer l'existence d'un accord de volontés entre les intéressés sur une action à mener à l'endroit de la société Loisichèques.

101. En effet, il convient de relever, tout d'abord, que les volontés exprimées par les différents intervenants au cours des réunions du conseil fédéral étaient discordantes (§ 44, 45).

102. Par ailleurs, il n'apparaît pas qu'une consigne officielle ait été arrêtée puis diffusée auprès des adhérents (§ 46, 47). A cet égard, comme il a été indiqué précédemment (§ 92), les grands réseaux n'assistent pas aux réunions du conseil fédéral et aucun indice n'a été relevé qu'une recommandation ait été diffusée aux exploitants par les syndicats régionaux, que ce soit par courrier ou par téléphone.

103. S'agissant d'éventuelles consignes occultes, on relève que certains exploitants, tels EuroPalaces, Kinépolis et CinéAlpes ont résilié leur protocole d'accord avec la société Loisichèques peu de temps après les réunions du conseil fédéral. Mais le dossier montre aussi que d'autres exploitants, comme ceux du réseau CGR ou de cinémas indépendants ont, à la même période, renouvelé ou signé leur adhésion au réseau Cinéchèques (§ 54, 56).

104. Il résulte, également, des déclarations recueillies, que certaines des dénonciations contractuelles enregistrées s'expliquent, de façon plausible, par la politique commerciale menée par la société Loisichèques envers les comités d'entreprises et le souci individuel de chaque exploitant de salles de promouvoir son système interne de chèques-cinéma (§ 50, 51, 53, 54).

105. Au vu de ces constatations, il y a lieu de considérer qu'il n'existe pas d'indices suffisants tendant à démontrer que les parties ont accordé leurs volontés sur un projet limitant ou étant de nature à limiter leur liberté commerciale ou ont commis une pratique concertée déterminant leur ligne d'action sur le marché.

106. En conclusion, la mise en œuvre de pratiques qui auraient pour objet ou pour effet d'entraver le libre jeu de la concurrence n'est pas rapportée à suffisance de preuves. En conséquence, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce.

Décision

Article unique : Il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure.