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Décisions

CA Bordeaux, 3e ch. corr., 30 juin 2006, n° 06-00282

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Association d'aide aux victimes du tabagisme

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Miori

Conseillers :

M. Louiset, Mme Chamayou-Dupuy

Avocats :

Mes Soussen, Delthil

TGI Bordeaux, du 12 janv. 2005

12 janvier 2005

Rappel de la procédure

Par actes reçus au secrétariat-greffe du Tribunal de grande instance de Bordeaux, les prévenus, Serge Y et la SARL X, en date du 20 janvier 2005, le Ministère public, en date du 21 janvier 2005, la partie civile, Association d'aide aux victimes du tabagisme, en date du 25 janvier 2005, ont relevé appel d'un jugement contradictoire, rendu par ledit tribunal le 12 janvier 2005, à l'encontre de Y Serge Max et de la SARL X, poursuivis respectivement comme prévenu et comme civilement responsable du délit de propagande ou publicité directe ou indirecte en faveur du tabac ou de ses produits,

Infraction prévue par les articles L. 3512-2 Al. 1, L. 3511-3, L. 3511-1 du Code de la santé publique et réprimée par l'article L. 3512-2 Al. 1, Al.3 du Code de la santé publique.

LE TRIBUNAL,

Sur l'action publique :

A déclaré le prévenu coupable des faits reprochés ; en répression, a condamné :

- Serge Y à une amende délictuelle de 5 000 euro,

- la SARL X à une amende délictuelle de 10 000 euro.

Sur l'action civile:

A reçu l'Association d'aide aux victimes du tabagisme en sa constitution de partie civile,

A condamné Serge Y solidairement avec la SARL X, civilement responsable, à payer à l'Association d'aide aux victimes du tabagisme:

- 10 000 euro au titre du préjudice moral,

- 1 500 euro en application de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.

Sur quoi,

Le Président a informé les parties présentes que l'affaire était mise en délibéré à l'audience publique du 30 juin 2006.

A ladite audience, Monsieur le Président Miori ayant participé aux débats et au délibéré, a donné lecture de la décision suivante en application des articles 485 et 486 du Code de procédure pénale:

Motifs de la décision:

Les appels relevés par l'Association d'aide aux victimes du tabagisme (l'Association), Serge Y, la SARL X et par le Ministère public, dans les formes et délais prévus par la loi, sont recevables.

Bien que régulièrement cité à domicile, Serge Y n a pas comparu. Etant cependant représenté à l'audience par son avocat muni d'un pouvoir de représentation, il y a lieu de statuer, à son égard, par arrêt contradictoire.

Le présent arrêt sera également contradictoire à l'égard des autres parties qui étaient toutes représentées par leur avocat.

Sur l'action publique :

En page 24 du numéro 7258 du journal X du samedi 11 et du dimanche 12 septembre 2004, se trouve un article relatif à l'écurie de Formule 1 Ferrari et d'une photocopie en couleur (format 11 x 16,5) de la voiture du pilote Michael Schumacher sur laquelle figure le logo rouge et blanc de la marque de cigarettes Z. Ce logo est apposé sur la carrosserie et l'aileron arrière de la voiture en sorte que cette marque de cigarettes apparaît à trois reprises sur le véhicule.

Considérant que cette publication constitue le délit de propagande ou de publicité directe ou indirecte en faveur du tabac, prévu et réprimé par les articles L. 3511-3 et L. 3512-2 du Code de la santé publique, l'Association d'aide aux victimes du tabagisme a fait citer Serge Y, Directeur de la publication du journal X devant le Tribunal correctionnel de Bordeaux afin que celui-ci soit déclaré coupable de ce délit.

L'association a également fait citer devant le même tribunal, la SARL X pour la voir déclarer civilement responsable de cette infraction.

A l'audience, devant la cour, l'avocat de l'Association a développé des conclusions déposées en son nom aux termes desquelles elle sollicite

- que le jugement soit confirmé en ce qu'il a déclaré Serge Y coupable du délit qui lui est reproché, en ce qu'il a déclaré la SARL X civilement responsable, en ce qu'il lui a alloué une indemnité au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et en ce qu'il a statué sur les dépens,

- qu'il soit infirmé pour le surplus et que la relaxe de la société X soit prononcée,

- que Serge Y et la société X soient condamnés, solidairement, à lui verser 40 000 euro à titre de dommages et intérêts et 2 000 euro sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale,

L'Association demande enfin que soit ordonnée, à son profit, la restitution de la somme de 750 euro déposée à titre de consignation au greffe du tribunal.

Elle maintient:

- que l'article L. 3511-4 du Code de la santé publique fait obstacle à toute diffusion d'écrits, d'images ou de photographies participant à la promotion du tabac ou des produits du tabac quel qu'en soit l'auteur,

- que la violation des dispositions des articles 10 et 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ne peut être invoquée,

- que le directeur de la publication est pénalement responsable comme auteur principal de tous les délits,

- qu'elle subit un préjudice direct et personnel qui a été insuffisamment indemnisé par le tribunal.

Le Ministère public a requis la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne l'amende prononcée contre la société X.

Serge Y et la société X ont conclu à l'infirmation du jugement, à la relaxe du premier nommé et au débouté de l'Association de ses prétentions en faisant successivement valoir:

- que le délit n'est pas caractérisé, la simple publication d'une photo illustrant un événement d'actualité ne pouvant être considérée comme promouvant une marque de tabac,

- que l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique est incompatible aussi bien avec l'article 10 qu'avec l'article 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH), qu'il y a disproportion entre le but recherché de protection de la santé publique avec la limitation apportée à la liberté d'information de la presse écrite, et qu'il existe une discrimination entre la presse télévisuelle, qui est autorisée à faire apparaître le nom des marques ou des fabricants de tabac et la presse écrite qui se voit interdire une telle pratique.

Ils maintiennent, par ailleurs, que le tribunal ne pouvait condamner la SARL X à une amende alors que celle-ci n'avait été attraite dans la cause qu'en qualité de civilement responsable, que la bonne foi du journal est avérée, que son intention de commettre le délit n'est nullement rapportée, et que les condamnations doivent, en toutes hypothèses, être limitées à un euro symbolique tant en ce qui concerne l'amende que les dommages et intérêts alloués à la partie civile.

Sur l'élément matériel du délit:

L'article L. 355-25, devenu l'article L. 3511-3 du Code de la santé publique, interdit la publicité directe ou indirecte en faveur du tabac.

Dans son article L. 3511-4, le même Code précise qu'est considérée comme une publicité indirecte, la publicité en faveur d'un organisme, d'un service, d'une activité, d'un produit ou d'un article autre que le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1 lorsque, par son graphisme, sa présentation, l'utilisation d'une marque, d'un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le tabac, un produit du tabac ou un ingrédient défini au deuxième alinéa de l'article L. 3511-1.

Constitue, en conséquence, une publicité indirecte, tout acte, qu'elle qu'en soit la finalité, ayant pour effet de rappeler ces produits ou ces marques.

C'est donc vainement que Serge Y et la société X soutiennent que tel ne serait pas le cas en l'espèce, dès lors que la photographie incriminée fait apparaître le logo de la marque de cigarettes Z.

Sur l'application des dispositions des articles 10 et 14 de la Convention européenne des Droits de l'Homme (CEDH)

L'article 10 de cette convention, qui pose le principe de la liberté d'expression, autorise cependant la mise en place de mesures de restriction à cette liberté notamment en raison d'impératifs touchant à la santé.

Les dispositions des articles L. 3511-3 et suivants du Code de la santé publique, qui réglementent la publicité en faveur du tabac, ne sont donc pas inconciliables avec l'article 10 susmentionné de la CEDH, dès lors qu'elles constituent une mesure nécessaire à la protection de la santé justifiant une restriction à la liberté d'expression.

L'article 14 de la CEDH interdit, pour sa part, les discriminations en ce qui concerne la jouissance des droits et des libertés reconnus par cette convention.

L'article L. 3511-5 du Code de la santé publique autorise, pour sa part, la retransmission des compétitions de sport mécanique qui se déroulent dans les pays où la publicité pour le tabac est autorisée par les chaînes de télévision.

La différence de traitement ainsi introduite entre la presse écrite et les chaînes de télévision procède, cependant, d'une distinction objective et proportionnée aux objectifs poursuivis par la loi.

Le moyen invoqué de ce chef doit être, dès lors, également rejeté.

Sur l'application de l'alinéa 2 de l'article L. 3511-4 du Code de la santé:

Même si l'existence d'un lien juridique ou financier entre la société Z et la société X n'est pas établie, il n'en reste pas moins que cette société et Serge Y ne peuvent invoquer le bénéfice des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 3511-4 du Code de la santé publique.

L'exception prévue par ce texte ne vise en effet que l'hypothèse d'une publicité faite pour un produit autre que le tabac ou un produit du tabac mis sur le marché avant le 1er janvier 1990.

Tel n'est pas le cas du logo Z qui correspond à une marque de cigarettes, c'est-à-dire à un produit qui s'identifie au tabac lui-même et qui constitue, en toute hypothèse, un produit du tabac.

Aucun élément n'est, en outre, fourni concernant la date de mise sur le marché du produit.

L'exception invoquée de ce chef par le prévenu et par le civilement responsable ne peut donc être retenue.

En sa qualité de Directeur de la publication du journal X, Serge Y est réputé, pour le moins, avoir vérifié son contenu. Ayant laissé paraître l'exemplaire de X comportant la photographie incriminée, en acceptant que la marque de cigarettes Z apparaisse, il ne peut soutenir ne pas avoir eu l'intention de commettre l'infraction qui lui est reprochée.

En considération de la nature du délit, des circonstances qui ont conduit à sa commission, des antécédents judiciaires du prévenu qui a déjà été condamné pour des faits de même nature, et du fait que la photographie reproduite fait clairement apparaître à trois reprises, en gros caractères, la marque Z, il convient de prononcer à l'encontre de Serge Y, une amende de 5 000 euro.

La SARL X n'était pas poursuivie en tant que pénalement responsable du délit de publicité en faveur du tabac mais en tant que civilement responsable de celui-ci.

Le tribunal ne pouvait donc la condamner à une amende.

La décision entreprise sera, en conséquence, infirmée sur ce point.

Compte tenu de ces circonstances et en particulier de la situation de Serge Y, Directeur de publication, il convient, par contre, de faire application des dispositions de l'alinéa 4 de l'article L. 3512-2 du Code de la santé publique et de décider que la société X sera, en totalité, solidairement responsable de l'amende mise à la charge de l'intéressé.

Sur l'action civile:

L'Association réclame la condamnation solidaire de ses adversaires au paiement d'une indemnité de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts.

La recevabilité de la constitution de partie civile de cette association et celle de la demande qu'elle formule ne sont pas discutées.

L'infraction commise porte atteinte aux intérêts défendus par l'Association d'aide aux victimes du tabagisme et aux efforts qu'elle déploie pour combattre les effets du tabac.

Même si l'article qu'illustre la photographie n'évoque pas l'industrie du tabac, il s'avère, cependant, que la violation de la règle édictée par le Code de la santé publique est manifeste en raison du caractère très apparent du logo de la marque Z.

Dans ces conditions, il convient de fixer à 3 000 euro l'indemnité que Serge Y et la société X seront condamnés à verser à l'Association d'aide aux victimes du tabagisme à titre de dommages et intérêts.

Une indemnité de 800 euro sera enfin attribuée à l'Association d'aide aux victimes du tabagisme au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et contradictoirement à l'égard de toutes les parties, Déclare les appels recevables, Sur l'action publique, Confirme la décision entreprise sur la qualification des faits et la déclaration de culpabilité de Serge Y, L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne Serge Y à une amende de 5 000 euro, Déclare la SARL X civilement responsable de l'infraction commise, Dit qu'elle est, en totalité, solidairement responsable du paiement de l'amende mise à la charge de Serge Y, Sur l'action civile, Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'Association d'aide aux victimes du tabagisme et a condamné Serge Y et la SARL X à indemniser son préjudice et à lui verser une indemnité de 1 500 euro au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, L'infirme sur le montant de l'indemnité allouée à l'Association d'aide aux victimes du tabagisme à titre de dommages et intérêts et, statuant à nouveau de ce chef, condamne solidairement Serge Y et la SARL X à payer 3 000 euro à l'Association d'aide aux victimes du tabagisme à titre de dommages et intérêts, Condamne enfin solidairement Serge Y et la SARL X à payer à l'association sus-indiquée une indemnité de 800 euro au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, Ordonne la restitution à l'Association d'aide aux victimes du tabagisme de la somme de 750 euro consignée au greffe du Tribunal de grande instance de Bordeaux en exécution du jugement du 13 octobre 2004. Avis n'a pu être donné au prévenu absent qu'en application des dispositions de l'article 707-3 du Code de procédure pénale, le paiement dans le délai d'un mois à compter de la présente décision diminue son montant de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1 500 euro ; le paiement de l'amende ne faisant pas obstacle à l'exercice des voies de recours. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de cent vingt euro dont est redevable chaque condamné par application de l'article 1018 A du Code général des impôts.