CA Douai, 2e ch. sect. 2, 25 mai 2004, n° 03-05662
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Redoute (SA)
Défendeur :
Streck Diffusion (SA), Mercier (ès qual.), DGCCRF, Martin (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Bouly de Lesdain
Conseillers :
MM. Zanatta, Reboul
Avoués :
Me Quignon, SCP Deleforge Franchi
Avocats :
Mes Doussot, Arnoux
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing du 18 septembre 2003 ;
Vu l'appel formé le 30 septembre 2003 par La Redoute SA ;
Vu les conclusions d'intervention volontaire déposées par Maître Mercier, ès qualités d'administrateur judiciaire de la SA Streck Diffusion, et Maître Martin, ès qualités de représentant des créanciers de la SA Streck Diffusion, le 30 mars 2004 ;
Vu les conclusions déposées par : la SA Streck Diffusion, Maître Mercier, ès qualités d'administrateur judiciaire de la SA Streck Diffusion, et Maître Martin, ès qualités de représentant des créanciers de la SA Streck Diffusion, le 6 mai 2004 ;
Vu les conclusions déposées par La Redoute SA le 5 mai 2004 ;
Vu les conclusions déposées par la DGCCRF, en application de l'article L. 470-5 du Code de commerce ;
Vu l'avis du Ministère Public ;
La Redoute SA a une activité de vente par catalogue, par correspondance.
La SA Streck Diffusion a pour activité la confection de prêt-à-porter féminin. Elle a créé et développé une clientèle, constituée de centrales d'achat et d'enseignes de la grande distribution et de la vente par correspondance. Au cours de l'année 1992, elle devait entrer en relation avec La Redoute qui l'a référencée pour des articles en chaîne et trame.
Pendant plusieurs années, la SA Streck Diffusion a fourni à La Redoute des produits issus de ses collections, exclusivement conçus par elle, tels que chemisiers, marinière, jupe, etc...
En 1999, la SA Streck Diffusion a créé un nouveau département " maille" qui devait lui permettre de développer avec La Redoute des volumes beaucoup plus importants.
Dans le cadre de cette activité, elle ne lui livrait plus des produits de sa collection, mais des produits qu'elle fabriquait et étiquetait aux marques de La Redoute.
La SA Streck Diffusion reproche à La Redoute SA d'avoir rompu abusivement les relations commerciales à partir du début de l'année 2003, et considère qu'elle engage sa responsabilité, au sens de l'article L 442-6 I du Code de commerce.
Le jugement du Tribunal de commerce de Roubaix-Tourcoing du 18 septembre 2003 a débouté La Redoute SA de toutes ses demandes ; condamné La Redoute SA à payer à la SA Streck Diffusion la somme de 185 180 euro au titre de l'indemnité de perte de chiffre d'affaires ; ordonné l'exécution provisoire, sous réserve que la SA Streck Diffusion fournisse une garantie bancaire égale à la somme de 185 180 euro ; condamné La Redoute SA à payer à la SA Streck Diffusion la somme de 312 785 euro au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, et condamné La Redoute SA à payer à la SA Streck Diffusion la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La Redoute SA fait appel du jugement déféré.
Elle fait remarquer que le métier de dépanneur de réassort a énormément évolué, et que toutes les entreprises de cette branche d'activité rencontrent des difficultés économiques, conséquence notamment de la gestion de ces entreprises vis-à-vis des fabricants des pays à bas coûts de main-d'œuvre.
Elle considère que la société Streck Diffusion n'est pas venue solliciter de commandes, en 2003/2004, alors qu'elle disposait de références auprès de La Redoute, parce qu'elle n'était pas capable de les exécuter, n'ayant plus de fabricants.
Elle sollicite la nomination d'un expert pour faire rapport à la cour de l'implication de l'actionnaire principal, tant au niveau de la gestion, que de la mise de fonds à la disponibilité de l'entreprise à travers les comptes courants.
Subsidiairement, La Redoute conteste l'existence d'une rupture et soutient qu'elle n'a aucune obligation vis-à-vis d'un dépanneur, dont le chiffre d'affaires dépend uniquement du succès que peut avoir un ou plusieurs articles auprès de la clientèle.
A cet égard, elle expose que la société Streck Diffusion se positionne en maille, et n'a jamais fait de propositions à La Redoute, pour tenter des dépannages en référence chaîne et trame ; que la clientèle a modifié ses choix, et se tourne désormais vers d'autres produits qui ne sont pas de la compétence de la société Streck Diffusion.
La Redoute réfute également l'existence d'une dépendance économique. Elle affirme que du fait que la société Streck Diffusion a toujours été capable de se diversifier, cette entreprise a des disponibilités en termes de débouchés et une capacité à diversifier son chiffre d'affaires un cours d'année.
En outre, elle soutient que la société Streck Diffusion a commis une faute contractuelle en ne l'informant pas de l'importance dans son chiffre d'affaires, de l'activité exercée au profit de La Redoute ; que la notion de saisonnalité, implique qu'aucun référencement ne peut se faire au-delà de la saison d'un catalogue, et qu'il est normal que le distributeur fasse appel à différents fournisseurs, saison par saison.
Enfin, elle considère que la société Streck Diffusion a été habituée à des écarts considérables de chiffre d'affaires, sans jamais prétendre à une rupture ; qu'il ne peut être reproché à La Redoute de privilégier le fournisseur initial, conformément aux stipulations contractuelles.
Si la cour devait faire application de la loi Galland, il est demandé que la juridiction saisie n'accorde pas d'indemnité de rupture englobant la fermeture et les conséquences de cette fermeture, mais uniquement une somme correspondant au délai de prévenance.
Elle conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il l'a condamnée et à ce que la SA Streck Diffusion soit déboutée de ses demandes.
Elle sollicite la condamnation de la SA Streck Diffusion et de Maitre Mercier, ès qualités, à lui payer la somme de 100 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive, et la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Elle demande la restitution de la somme de 185 180 euro consignée entre les mains du CCF, à titre de garantie bancaire en application de l'exécution provisoire du jugement déféré.
Elle conteste la recevabilité de l'intervention du ministre de l'Economie et des Finances et récuse l'existence d'un trouble à l'ordre public économique.
Elle demande la condamnation du ministre de l'Economie et des Finances, à lui payer la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SA Streck Diffusion demande la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré que La Redoute SA devait être déboutée de toutes ses demandes.
Pour le surplus, elle conclut à l'infirmation du jugement.
Elle demande à la cour de juger que La Redoute SA a rompu abusivement ses relations commerciales avec la SA Streck Diffusion, au sens de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce.
En réparation du préjudice subi elle sollicite la condamnation de La Redoute SA à lui payer :
- la somme de 342 187,33 euro au titre de l'indemnité de perte de chiffre d'affaires,
- la somme de 801 993,90 euro au titre d'une indemnité compensatrice de préavis de deux ans,
- la somme de 18 532 euro, en compensation des coûts financiers supportés par l'entreprise,
- la somme de 30 000 euro, en compensation des coûts générés par la procédure de redressement judiciaire,
- la somme de 150 000 euro, en réparation du préjudice caractérisé par l'atteinte à l'image de marque.
Elle demande d'ordonner, aux frais de La Redoute, la publication de l'arrêt dans le journal du textile, la voix du Nord, le Figaro ; et la condamnation de La Redoute SA à lui payer une somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La DGCCRF a effectué une enquête administrative auprès de La Redoute SA entre les mois de décembre 2003 et mars 2004.
I/ Elle examine les relations commerciales entre les sociétés Redoute SA et Streck Diffusion et constate que celles-ci ont débuté en 1992.
En reprenant les attestations du commissaire aux comptes, elle analyse la part du chiffre d'affaires Redoute en pourcentage, réalisé sur le premier semestre, du premier au 30 juin de l'année en cours :
Elle est de 88,49 % en 2000, 88,95 % en 2001, et 88,70 % en 2002.
La DGCCRF constate à cet égard que la part de La Redoute depuis 2000, dans le chiffre d'affaires total de la société Streck Diffusion, était prépondérante, puisqu'elle représentait plus de 50 % de ce chiffre d'affaires, créant par la même un état de dépendance économique.
Elle conclut à une chute des commandes en 2003, les dernières commandes du 20 juin 2003 étant facturées le 27 juin et le 24 juillet 2003.
Aucune commande n'a été réalisée sur la saison automne-hiver 2003/2004, ni sur la saison printemps-été 2004.
2/ Elle analyse les conséquences de l'applicabilité des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce.
Elle ne conteste pas le fait que la société Streck Diffusion ne soit pas un fournisseur initial, mais un fournisseur intervenant en réassort, pour préciser que cette particularité ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce.
Elle rappelle que la société Streck Diffusion a rapporté la preuve de la perte en 2003, de plus des trois-quarts du volume d'affaires traitées avec La Redoute par rapport aux trois années précédentes.
Elle considère que la rupture partielle des relations commerciales est attestée par le décrochage brutal des commandes en valeur de La Redoute début 2003, commandes dont cette dernière a la maîtrise ; et que ce décrochage est caractérisé par le très faible volume de pièces par référence confié à partir de ce moment à Streck Diffusion, en rupture par rapport aux précédentes années.
Elle ajoute que l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce vise expressément le cas de rupture partielle de relations commerciales.
Elle évoque enfin la brutalité de la rupture des relations commerciales, sans préavis, pour demander la condamnation de La Redoute SA à payer une amende civile de 500 000 euro.
Motifs
L'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce prévoit que : "... Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :
...5/ de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels...".
Cet article ajoute : "... Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits, sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur...".
1/ Sur la rupture des relations contractuelles
Les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce sont applicables aux relations commerciales existant entre les distributeurs et les fournisseurs.
La cessation brutale d'une relation contractuelle, même si elle n'est que partielle avant d'être finalement définitive, engage la responsabilité de son auteur qui doit réparer le seul préjudice entraîné par la brutalité de la rupture.
La rupture totale ou partielle, sans préavis, de relations commerciales établies ne petit être justifiée qu'en cas de force majeure ou d'inexécution de ses obligations par l'autre partie.
Le 29 avril 2003 la responsable du service achats de La Redoute a répondu à un courriel de M. Streck faisant état d'une baisse de 78 % du chiffre d'affaires.
Elle indique : "je suis désolée de la situation actuelle...
Je suis bien consciente de votre perte de CA mais je ne peux malheureusement rien faire pour vous.
Comme Bruno vous l'a déjà expliqué, nous, gérants, ne sommes plus du tout responsables des dépannages ; l'organisation est changée et la décision du choix d'un fournisseur de dépannages revient maintenant à la coordination des achats !
Par conséquent, pour toute réclamation, je vous invite fortement à contacter désormais ce service...
J'espère pour vous que la situation va s'améliorer..."
Dans une lettre du 3 juin 2003, Mme Turbant, responsable des achats approvisionnements femmes, de La Redoute, précise à la société Streck Diffusion :
" ...Par ailleurs et ainsi que les équipes ont eu l'occasion de vous en faire part, La Redoute a à cœur d'améliorer son service client, ce qui nous à conduit à réviser les méthodes d'approvisionnements en réassort directement auprès de nos fournisseurs initiaux. L'approvisionnement en direct auprès du fournisseur initial présente un double avantage : de qualité constante et de maîtrise des surcoûts.
Même s'il est vrai que la stratégie actuelle conduit à privilégier le réassort auprès du fournisseur initial par rapport aux solutions de dépannage...".
Ces lettres témoignent d'un changement de méthode d'approvisionnements et de réassort, traduisant un changement de politique et de stratégies d'achat de la Redoute.
La Redoute soutient que les chiffres d'affaires invoqués par la société Streck ne correspondent pas à la réalité.
Elle cite d'autres chiffres, mais ne dit pas en quoi les attestations du commissaire aux comptes de la société Streck seraient erronées.
Or, il est attesté par le commissaire aux comptes que les chiffres d'affaires réalisés avec La Redoute SA, sont les suivants :
Année 2000 : 2 456 787 euro HT ;
Année 2001 : 1 005 113 euro HT ;
Année 2002 : 1 657 212 euro HT.
Ainsi qu'attesté par M. Dupont, commissaire aux comptes, ce chiffre d'affaires s'est élevé à 153 760 euro HT, entre le premier janvier et le 30 avril 2003.
La rupture des relations est totale à partir du mois de juin 2003.
A la fin du mois de juillet 2003, le chiffre d'affaires réalisées avec La Redoute est de 218 599 euro. Il n'a pas évolué après cette date.
Ces chiffres traduisent une rupture, partielle, puis totale des relations commerciales entre les deux sociétés.
Le fait de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels, constitue une faute, et engage la responsabilité de son auteur.
Une telle rupture demeure toutefois possible, sans préavis, en présence d'une force majeure ou de l'inexécution de ses obligations par l'autre partie.
La Redoute ne fait pas état de difficultés, portant sur la qualité des produits, ou sur le respect des délais de livraison.
La force majeure n'est pas évoquée.
En l'espèce, après une relation continue et régulière de dix ans, il est établi par les données chiffrées relatives à l'évolution des chiffres d'affaires réalisés par la société Streck Diffusion avec La Redoute SA, entre les années 2000, 2001, 2002, et le début de l'année 2003 (du premier janvier au 30 avril 2003), attestées par le commissaire aux comptes, qu'il y a eu rupture, en l'absence de préavis et de toute notification écrite.
Cette rupture, non justifiée par la force majeure ou l'inexécution de ses obligations par l'autre partie, constitue une cessation brutale, partielle puis totale, de toute relation commerciale de La Redoute avec la société Streck Diffusion.
Ces faits constituent une brusque rupture au sens de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce, et engagent la responsabilité de son auteur.
La société Streck Diffusion qui déclare avoir informé par lettre simple La Redoute de son état de dépendance économique, c'est-à-dire avoir réalisé plus de 50 % de son chiffre d'affaires avec elle, prétend avoir respecté les stipulations du contrat qui lui imposait de signaler le dépassement d'un pourcentage de 25 % de son chiffre d'affaires.
Or, la seule production d'une lettre simple, contestée par La Redoute, ne suffit pas à prouver que l'information a été délivrée.
En omettant d'informer La Redoute de son état de dépendance économique, la société Streck Diffusion a commis une faute contractuelle.
Cette faute n'a pas permis à La Redoute de mesurer en temps utile, les conséquences économiques de sa décision de modifier l'organisation et la décision du choix des "fournisseurs de dépannages", qui revient désormais à la coordination des achats.
Cette faute est en relation directe avec une partie du préjudice subi du fait de la brusque rupture.
La cour dispose des informations suffisantes pour évaluer à 40 % la part du préjudice subi du fait de la brusque rupture, qui est imputable au comportement de la société Streck Diffusion.
Le montant de l'indemnité de brusque rupture devra donc être diminué de 40 %.
Le jugement déféré doit être confirmé en ce qu'il a débouté La Redoute SA de tous ses demandes.
Y ajoutant, il est nécessaire d'indiquer que La Redoute SA a rompu abusivement ses relations commerciales avec la SA Streck Diffusion ; et que la société Streck Diffusion a commis une faute contractuelle diminuant de 40 % la part du préjudice subi du fait de la brusque rupture.
2/ Sur le préjudice réparable : le versement d'une indemnité de brusque rupture ;
Le préjudice ne se limite pas à l'indemnisation de la réduction d'activité pendant le seul délai de préavis qui aurait dû être respecté, les équilibres financiers et économiques du sous-traitant ayant pu être plus durablement et profondément affectés.
Ce préjudice doit être réparé par le paiement d'une indemnité de brusque rupture. Cette indemnité comprend :
- l'indemnisation de la réduction d'activité pendant le seul délai de préavis qui aurait dû être respecté,
- l'indemnisation de la rupture des équilibres financiers et économiques du sous-traitant, conséquence de la brusque rupture.
A) la réduction d'activité pendant le seul délai de préavis qui aurait dû être respecté ;
Les relations commerciales entre les deux sociétés durent depuis dix ans.
Les chiffres produits par les partis, et non certifiés, sont une preuve constituée pour soi-même.
Ils n'ont pas de valeur probante.
Il n'en est pas de même des chiffres dont la validité est confirmée par un commissaire aux comptes.
S'agissant d'une relation commerciale de dix ans, ces chiffres ont seulement été produits, pour les trois aimées 2000, 2001 et 2002, et le début de l'année 2003.
La durée du préavis dépend à la fois de l'ancienneté des relations commerciales et de l'importance des chiffres d'affaires réalisés au cours de ces relations commerciales.
Eu égard aux dix années de relations commerciales et à l'importance des chiffres d'affaires réalisés au cours des trois années 2000, 2001 et 2002, la cour dispose des informations suffisantes pour évaluer la durée de ce préavis à six mois.
Il n'est pas contesté que la SA Streck Diffusion ne fabriquait pour La Redoute que des produits maille, sous marque du distributeur.
En application de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, le préavis doit être doublé.
Il est égal à un an (douze mois).
La cessation brutale des relations contractuelles a été partielle, de janvier à mai 2003.
La rupture des relations est totale à partir du mois de juin 2003.
1/ la perte partielle de chiffre d'affaires pendant l'année 2003 (cinq mois) :
La cessation brutale des relations contractuelles a été partielle, pendant cinq mois, jusqu'à la fin du mois de mai 2003.
La SA Streck Diffusion doit donc être indemnisée pour la perte du chiffre d'affaires entre janvier et mai 2003.
La base de calcul à retenir, pour déterminer la perte de chiffre d'affaires, de janvier à mai 2003, est le chiffre d'affaires moyen des trois dernières années.
Ce chiffre s'élève à 1 706 370 euro, pour une période de 12 mois.
Pour une année, en 2003, la perte de chiffre d'affaires serait donc de :
1 706 370 euro - 218 599 euro = 1 487 771 euro
Or cette perte de chiffre d'affaires ne doit être prise en compte que pour les cinq premiers mois de l'année 2003 (la rupture des relations est totale à partir de juin 2003). Elle est égale à : 5/12 x 1 487 771 euro = 619 904,58 euro.
Suivant l'attestation de M. Dupont, commissaire aux comptes, le taux de marge s'est élevé à 23 % pour l'exercice 2001/2002.
Il est de 24 % pour le dernier exercice en cours.
La cour dispose des informations suffisantes pour retenir un taux de marge moyen de 23,50 %.
En retenant ce taux moyen, le préjudice subi s'élève à la somme de :
(5/12 x 1 487 771 euro) x 23,50 % = 145 677,58 euro.
2/ la perte totale de chiffre d'affaires à partir de juin 2003 :
La rupture des relations est totale à partir du mois de juin 2003.
Le préavis, qui est d'un an, aurait dû continuer à courir, pendant sept mois.
Sur la base d'un chiffre d'affaires annuel moyen de 1 706 370 euro, réalisé avec la Redoute, et d'un taux de marge moyen de 23,50 % le préjudice subi peut être valablement évalué à la somme de :
(7/12 x 1 706 370 euro) x 23.50 % = 233 914,89 euro
B) la rupture des équilibres financiers et économiques du sous-traitant;
La SA Streck Diffusion a perdu le chiffre d'affaires qu'elle réalisait avec la Redoute.
A la fin de l'année 2003, elle prétend avoir connu d'importantes pertes d'exploitation, conséquence de la rupture brutale des relations commerciales, qui se sont traduits par des coûts financiers supportés par l'entreprise, des coûts générés par la procédure de redressement judiciaire, et un préjudice caractérisé par l'atteinte à l'image de marque.
La SA Streck Diffusion s'est trouvée en situation de découvert bancaire depuis la fin du mois d'avril 2003.
Quatre salariés ont fait l'objet d'un licenciement pour motif économique au mois de septembre 2003.
La SA Streck Diffusion a fait l'objet d'un redressement judiciaire, par jugement du Tribunal de commerce de Roubaix et Tourcoing du 26 février 2004.
Au vu de ces seuls éléments, la SA Streck Diffusion n'établit pas en quoi la situation économique actuelle, et notamment une éventuelle atteinte à l'image de marque, serait la conséquence directe de la brusque rupture.
La SA Streck Diffusion ne prouve pas qu'elle a subi un préjudice supplémentaire, conséquence de la rupture de ses équilibres financiers et économiques.
L'indemnité de brusque rupture devrait être évaluée à la somme suivante :
145 677,58 euro + 233 914,89 euro = 379 592,47 euro.
Mais avec la prise en compte de la faute contractuelle commise par la SA Streck Diffusion, le montant de cette indemnité de brusque rupture est diminué de 40 %.
Le montant de l'indemnité de brusque rupture est évalué par la cour à la somme de 227 755,48 euro.
Le jugement déféré doit donc être infirmé, aussi bien en ce qui concerne les chefs de préjudices retenus, que les montants alloués.
La Redoute SA est condamnée à paver à la SA Streck Diffusion la somme totale de 227 755,48 euro à titre d'indemnité de brusque rupture.
La SA Streck Diffusion n'explique pas en quoi la publication de cet arrêt dans les journaux : le Journal du textile, la Voix du Nord, le Figaro, serait particulièrement utile. Il n'y a pas lieu d'ordonner cette publication.
La SA Streck Diffusion est déboutée de ses autres demandes.
3/ Sur la condamnation à une amende civile ;
L'article L. 470-5 du livre IV du Code de commerce prévoit : "Pour l'application du présent livre, le ministre chargé de l'Economie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l'audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d'enquête.".
Ce texte concerne l'ensemble du livre IV du Code de commerce, notamment l'article L. 442-6 I, 5°.
L'article L. 470-5 permet au ministre chargé de l'Economie, représenté par la Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, d'intervenir dans une instance mettant en jeu l'ordonnance du premier décembre 1986, notamment l'article 36 instauré par la loi du premier juillet 1996 (loi Galland), et ceci même pour la première fois en cause d'appel.
Le ministre chargé de l'Economie assure une mission de police juridique, pour l'exacte et uniforme application des dispositions du livre IV du Code de commerce.
Pour l'exercice de ses prérogatives, le ministre chargé de l'Economie occupe une position comparable à celle du Ministère public.
Le trouble à l'ordre public économique résulte du comportement fautif de l'auteur d'une rupture abusive de relation commerciale.
Le ministre chargé de l'Economie est recevable à agir.
La DGCCRF demande la condamnation de La Redoute SA à payer une amende civile de 500 000 euro.
Le comportement fautif de La Redoute a eu pour effet de déstabiliser la SA Streck Diffusion, et de lui causer un préjudice certain ; même si elle ne fait pas la preuve que toute la gravité de la situation actuelle est la conséquence directe de la rupture brutale des relations commerciales.
En raison du préjudice causé, et de la menace qui peut en résulter quant à l'existence même de la société Streck, le fait d'avoir provoqué une telle rupture, en violation de l'article L. 442-6 I, 5° du Code de commerce, constitue un trouble grave à l'ordre public économique.
Ce comportement est d'autant plus fautif qu'il émane d'un acteur économique majeur dans le secteur de la vente à distance français.
La cour dispose des informations suffisantes pour évaluer à la somme de 100 000 euro le montant de l'amende civile adapté à la gravité des faits commis.
4/ Sur les autres demandes :
Il résulte de la présente condamnation que la procédure engagée par la SA Streck Diffusion n'est pas abusive.
La Redoute SA ne peut qu'être déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Il n'y a pas lieu à restitution de la somme de 185 180 euro, consignée entre les mains du CCF, à titre de garantie bancaire en application de l'exécution provisoire du jugement déféré.
La SA Streck Diffusion bénéficie de plein droit de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Donne acte à Maître Mercier, ès qualités d'administrateur judiciaire de la SA Streck Diffusion, et Maître Martin, ès qualités de représentant des créanciers de la SA Streck Diffusion, de leur intervention : Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté La Redoute SA de toutes ses demandes ; et a condamné La Redoute SA à payer à la SA Streck Diffusion la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Le réformant pour le surplus; Dit que La Redoute SA a rompu abusivement ses relations commerciales avec la SA Streck Diffusion ; Dit que la société Streck Diffusion a commis une faute contractuelle diminuant de 40 % la part du préjudice subi du fait de la brusque rupture ; Condamne La Redoute SA à payer à la SA Streck Diffusion la somme de 227 755,48 euro d'indemnité de brusque rupture ; Y ajoutant ; Constate la recevabilité de l'intervention du ministre de l'Economie ; Condamne La Redoute à payer une amende civile de 100 000 euro ; Déboute la SA Streck Diffusion de ses autres demandes ; Déboute La Redoute SA de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Dit n'y avoir lieu à restitution de la somme de 185 180 euro consignée entre les mains du CCF, à titre de garantie bancaire en application de l'exécution provisoire du jugement déféré ; Condamne La Redoute SA à payer à la SA Streck Diffusion la somme de 10 000 euro, en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne La Redoute SA aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.