CA Lyon, 3e ch. civ. A, 30 novembre 2006, n° 05-07744
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SCM Group France (Sté)
Défendeur :
DMCI (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Robert
Conseillers :
M. Santelli, Mme Clozel-Truche
Avoués :
SCP Baufume-Sourbe, SCP Aguiraud-Nouvellet
Avocats :
Selarl Pousset-Bougere Berard Massot-Pellet, SCP Deygas Perrachon Bes, Associés
Faits et procédure
Les sociétés SCM Group France et DMCI commercialisent, notamment comme importateurs, des machines à bois et ont fréquemment comme clients les Centres d'Aide par le Travail.
Ainsi, début 2004, le CAT de Fontenay-le-Comte (Vendée) a souhaité acquérir une machine pour travailler le bois ; deux types de matériels étaient en concurrence
- une machine Morbidelli Author 430, de fabrication SCM Group France, vendue par la société SCM Group France,
- une machine Biesse Rover 435 également de fabrication SCM Group France, vendue par la société DMCI.
Ensuite d'un entretien téléphonique du 28 janvier 2004 avec un responsable du CAT M. Bérard, la société DMCI a adressé par fax à cet établissement, le 2 février, un tableau comparatif des deux matériels portant sur leur conception, leurs caractéristiques techniques et leurs prix.
La société SCM Group France, entrée en possession de ce document et estimant la comparaison fondée sur des éléments inexacts, constitutifs de dénigrement, a, par acte du 8 novembre 2004 assigné la société DMCI devant le Tribunal de commerce de Lyon pour se voir indemniser du préjudice consécutif à ce qu'elle analysait en un acte de concurrence déloyale.
Par jugement du 24 novembre 2005, le Tribunal de commerce de Lyon a débouté la société SCM Group France de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euro. Cette juridiction a retenu que l'établissement du comparatif n'avait pas été fait dans un esprit de dénigrement et qu'il n'y avait pas eu de faute assimilable à une concurrence déloyale en l'absence de diffusion du tableau autrement que par correspondance privée à un seul destinataire ; elle a considéré en outre que le préjudice n'était pas caractérisé.
La société SCM Group France a relevé appel le 6 décembre 2005.
Prétentions et moyens des parties
Aux termes de ses conclusions récapitulatives du 16 mai 2006, la société SCM Group France demande à la cour, infirmant le jugement, de reconnaître l'existence d'un dénigrement caractéristique de concurrence déloyale à son préjudice et de condamner en conséquence la société bretonne à lui payer la somme de 8 000 euro à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité de procédure de 3 000 euro et d'ordonner la publication du jugement à intervenir dans deux journaux professionnels spécialisés dans les métiers du bois.
Sur l'existence de la faute, elle rappelle d'abord que le dénigrement consiste à jeter le discrédit sur un concurrent en répandant sur son compte des informations malveillantes, sans qu'il soit nécessaire à ce sujet de réunir les conditions prévues par la loi du 21 juillet 1881 sur la diffamation, et notamment celle liée à la publicité ; rappelant que l'intention de nuire n'est pas nécessaire pour caractériser un comportement de concurrence déloyale, elle ajoute que s'il est licite de critiquer un concurrent, c'est à condition de le faire de manière objective et mesurée.
Or, selon elle, le tableau comparatif du 2 février 2004 comporte de nombreuses informations erronées, à la fois sur les caractéristiques techniques de son produit, présenté comme obsolète, et sur certains prix. Elle conteste l'explication fournie par son adversaire et retenue par le tribunal selon laquelle le comparatif aurait été établi sur la base d'une documentation technique remise par elle au client et ne tenant pas compte d'éléments techniques postérieurs ; elle fait en outre valoir que le dénigrement de ses produits a bien eu un caractère public puisque plusieurs personnes, même si elles appartenaient à la même entité juridique en ont eu connaissance, tout en rappelant que la concurrence déloyale peut résulter d'une lettre dénigrante adressée à un seul client.
A propos de son préjudice, elle observe qu'il est toujours difficile à quantifier dans l'hypothèse d'un dénigrement, où il s'infère nécessairement des actes déloyaux commis et justifie l'allocation de dommages-intérêts dans une perspective disciplinaire. Elle estime qu'en l'espèce son image de marque a été fortement affectée mais elle relève également que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle-même a dû consentir une nouvelle réduction du 8 376 euro sur le prix des machines commandées par le CAT, qui venait d'accepter pour 77 376 euro sa dernière proposition avant, quatre jours après l'envoi du fax de la société DMCI, de négocier une nouvelle remise pour ramener le prix à 69 000 euro.
De son côté, la société DMCI conclut le 13 juin 2006 à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société SCM Group France au paiement d'une indemnité de procédure complémentaire de 5 000 euro.
Elle soutient d'abord qu'il n'y a pas eu dénigrement alors qu'elle s'est bornée à comparer les deux matériels sur des points purement techniques, sans commentaires injurieux, et essentiellement sur la base des informations contenues dans une publicité que détenait le CAT sur la machine Morbidelli ; or, selon elle certains éléments avaient évolué depuis cette publicité, ce qui expliquerait des inexactitudes relevées.
Mais elle fait valoir que le dénigrement ne peut constituer une concurrence déloyale que s'il emprunte une forme de diffusion à l'égard du public ce qui n'est pas le cas d'une correspondance privée, adressée à un seul client ; elle affirme que la jurisprudence ne retient l'acte de dénigrement que si le support utilisé implique une diffusion publique, ce qui n'est pas le cas en l'espèce où le document comparatif a été adressé à une seule personne qui l'avait d'ailleurs sollicité expressément. Elle souligne que c'est seulement grâce à un détournement de correspondance que l'appelant s'est trouvé en possession de la lettre litigieuse.
L'intimée considère par ailleurs qu'aucun préjudice n'est démontrée alors que le CAT de Fontenay-le-Comte a choisi d'acquérir une machine de marque Morbidelli ; elle conteste la réalité d'un lien de causalité entre la réduction supplémentaire de prix consentie par la société SCM Group France et la diffusion du comparatif qui, selon les déclarations du directeur de l'établissement, n'avait pas modifié son choix.
Une ordonnance du 8 septembre 2006 clôture la procédure.
Sur ce, LA COUR
Attendu qu'à la demande du directeur du CAT de Fontenay-le-Comte, qui en a attesté, le représentant de la société DMCI lui a adressé un tableau comparatif portant sur les deux machines à bois de types Rover 435 (proposée par DMCJ) et Morbidelli Author 430 (commercialisée par SCM Group France) entre lesquelles cet établissement envisageait de faire un choix ; que le tableau n'a eu aucun autre destinataire;
Que ce tableau détaillait les caractéristiques techniques des deux appareils et comportait des commentaires sur cinq points particuliers ; que l'intimée n'établit pas que ce tableau ait été dressé à partir d'une documentation Morbidelli ancienne détenue par le CAT, de sorte que pour apprécier les inexactitudes que lui impute la société SCM Group France, il est possible de se référer à la documentation éditée en mai 2003 par cette société, c'est-à-dire quelques mois avant les faits litigieux
Attendu à cet égard que les caractéristiques techniques prêtées à l'appareil Author 430 dans le document apparaissent effectivement erronées sur les points suivants
- la vitesse de rotation en stage perçage : 4500 tr/mn au lieu de 6000;
- le nombre d'outils en magasin : 10 au lieu de 12, étant observé sur ce point que l'offre SCM
Group France remise en décembre 2003 au CAT faisait clairement état d'un magasin contenant
12 outils;
- le caractère optionnel de la lubrification automatique par CN alors que ce système relevait de l'équipement standard;
- le prix des ventouses des plans de travail, évaluées à 361 euro pièce pour un coût réel de 99 euro hors taxes;
Attendu qu'en revanche l'appelante ne justifie pas du caractère inexact de l'indication du caractère optionnel de la pompe à vide de débit 100 m3/h ou de l'impossibilité sur la machine Author de contrôler le parallélisme des deux guides, celle-ci ait-elle été équipée d'un contrôle laser ;
Attendu que pour le surplus le tableau litigieux comporte des appréciations péjoratives sur les caractéristiques techniques de l'appareil, mais sans que celles-ci soient fondées sur des données inexactes ; qu'il en est ainsi de la situation de l'emplacement du "Start" ou de l'équipement avec un PC sous environnement Windows 98 (mentionné p. 9 de l'offre SCM Group France);
Que par ailleurs figure dans le tableau une critique du système de vis à bille caractéristique du système de déplacement en X du modèle Author, présenté comme un " système que tous les constructeurs ont abandonné depuis près de 10 ans pour manque de fiabilité et précision ", ce qui est formellement contesté par la société SCM Group France sans toutefois qu'elle démontre l'inexactitude de l'assertion ; qu'enfin l'auteur du tableau y écrit, à propos de l'armoire renfermant la partie informatique, qu'il est impératif d'avoir une armoire climatisée pour que les composants restent toujours à température constante, (ce qui n'est pas le cas de l'appareil SCM Group France) ; que sur ce point, les parties s'opposent dans leur analyse technique de l'utilité d'une telle conception de l'armoire, sans apporter d'éléments déterminants au soutien de l'une ou l'autre thèse;
Attendu en définitive que le document litigieux, s'il ne constitue pas un comparatif strictement objectif entre les deux machines, et insiste sur les moindres performances de celle de la société SCM Group France, comporte un nombre d'informations inexactes trop limité pour qu'il soit retenu comme constitutif d'un acte de concurrence déloyale par dénigrement, dans le contexte particulier d'une remise au client à la demande de celui-ci, engagé dans un processus de sélection de la machine à bois à acquérir; qu'en effet ce tableau était destiné sinon à être transmis à la société SCM Group France, du moins à être utilisé par le client pour interroger à nouveau ce fournisseur potentiel (auquel en fait le document a bien été remis), ce qui lui ménageait la possibilité de rectifier les indications techniques ou appréciations mal fondées;
Qu'il est donc possible de considérer que dans ces circonstances, le comportement de la société DMCI n'a pas excédé ce qui peut être admis de la part d'un concurrent dans le cadre d'une politique commerciale active, conduisant à développer une argumentation même tendancieuse sur la base d'informations techniques que tout client professionnel normalement avisé s'attache à vérifier;
Attendu en conséquence qu'il convient de rejeter les prétentions de la société SCM Group France et de confirmer en toutes ses dispositions le jugement;
Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 24 novembre 2005; Dit n'y avoir lieu à nouvelle application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne la société SCM Group France aux dépens d'appel et accorde contre elle à la SCP Aguiraud-Nouvellet, avoués, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 nouveau Code de procédure civile.